VII.
Cela devait faire cinq heures qu’ils attendaient. La gorge était quasiment plongée dans l’obscurité. La boisson avait rendu à Augustin un peu de parole. Il s’était contenté de raconter, pour tuer l’attente, quelques anecdotes liées à son boulot des derniers mois.
Heure après heure, Junther avait vu sa méfiance flancher. Finalement, alors que la nuit s’apprêtait à tomber, il avait aussi goûté à la boisson. Mis à part la présence de sucre de canne, il fut incapable de deviner quels étaient les autres ingrédients.
Les deux hommes quittèrent bientôt la gorge et retournèrent au village, en espérant que, comme les chiens rieurs, les habitants sortissent de leurs terriers.
Ce qui impressionna le plus les deux marins était la transformation radicale qu’opérait la Terre de Plomb après le coucher du Soleil. Leurs esprits revenus, ils pouvaient désormais repérer de nombreux mouvements de bêtes au sommet des arbres du village, des reptiles fuir à leur approche dans les crevasses des rocs, entendre au loin des bruits d’animaux inconnus.
Les marins se postèrent en hauteur et cherchèrent la moindre source de lumière, le moindre éclat de voix dans le village.
“Tu sais, depuis qu’on est arrivés, y’a un truc qui me fait plus peur que tout.
- Quoi donc ? De pas entrer dans l’éternité comme tu le voulais ?”
Augustin s’en voulait un peu d’avoir cru à ces fadaises.
“Qu’on meure ici, ça c’est sûr. Mais surtout que personne à la maison, pas même les maîtres espions des ducs, ne sachent qu’il y a quelque chose, au bout de la mer. Que le voyage de Lucca n’avait rien d’une folie. Sans rire, je crois qu’on pourra passer encore un bon siècle avant que qui que ce soit ne tente la traversée. Et ce sera un peu notre faute.
- Oui, enfin, tu m’excuseras, mais nous, on a été payés trois livres pour traquer des pouilleux, pas pour jouer aux explorateurs. Moi, je vais te dire, ce qui me fait plus peur que tout, c’est de me dire que si on parvient à rentrer chez nous - le Ciel seul connaît les chemins - ces pinces de la Hanse trouveront le moyen de pas nous payer. Déjà, quand j’ai vu qu’ils demandaient à prélever les têtes, je t’ai dit que ça sentait la merde.
- Et je ne t’ai pas cru, c’est vrai, lâcha Junther, sardonique.
- Quoiqu’il en soit, la gloire et les kœrn sont bien les cadets de nos soucis. J’en ai assez d’attendre que les démons daignent sortir de leurs fourmilières. T’as vu comme moi que les anges ne soutiennent pas notre voyage, alors je ne serais pas surpris que ce soit encore un leurre.
- C’est toi qui tiens le couteau”, soupira Junther.
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