1-Cette fin n'est que le commencement.
Je me souviens encore du jour de la mort de l’ange Gabriel comme si cet acte odieux avait été commis hier. J’entends encore la dispute entre ma gardienne et l’archange à propos d’un obscur artefact. Je vois le doigt accusateur du messager de Dieu ordonner à Mael de lui rendre cet objet. Je me rappelle de la confusion qui régnait. Les cris de colère de la gardienne résonnaient dans toute la bâtisse perdue dans le désert du sahel. Elle s’en prenait violemment à l’abnégation de l’ange venue pour la prévenir de la trahison de ses frères. La voix de l’un s’emportait tandis que l’autre essayait de garder un calme apparent. L’horreur se produisit lorsque Gabriel osa parler du Prince des Enfers dont elle était la gardienne des pouvoirs. Il osa lui rappeler qu’elle n’était qu’un contenant et qu’un jour, le grand Riorg reprendrait possession de son bien. Mael s’emporta. Elle laissa sa rage s’exprimer en commettant le plus atroce des crimes. La douleur frappa l’ange sans coup de semence. Il tomba à genoux. La gardienne usait de ses pouvoirs contre un être d’une grande pureté venu en paix.
Je vis les ailes de l’ange peu à peu s’écarter pour s’arracher de son dos. Le sang coula imbibant le sol du plus pur des sangs. Les cris de douleurs de Gabriel ont marqué ma mémoire. Il ne suppliait pas. Il hurlait à en perdre haleine cette souffrance inadmissible et impardonnable. J’ai essayé de m’interposer. D’un geste de la main, Mael m’envoya avec la même violence contre le mur. Avant de perdre connaissance, je vis les ailles tomber à terre et prendre feu. Gabriel s’effondra. Il n’était pas encore mort. Il rampa cherchant à s’enfuir. Au lieu de lui laisser une chance, Mael l’acheva en lui tranchant la gorge. L’ange agonisa et dans un dernier soupir disparu dans un nuage d’étoiles scintillantes.
Quand la nouvelle arriva au Paradis, les archanges condamnèrent l’acte avant de pleurer leur frère. Ils traquèrent Mael, la gardienne des pouvoirs de Riorg, pour la vider de sa substance. La chasse ne dura pas longtemps. Sa capture marqua l’histoire des combats célestes. La gardienne tomba les armes après de longs jours d’affrontement. Capturée, elle refusa de dévoiler l’emplacement de l’épée de Riorg, la seule arme capable de transmettre les pouvoirs du Prince des Enfers dans un autre contenant. Malgré la torture, elle garda le silence.
L’archange Michaël proposa de la laisser en vie. L’archange Raphaël refusa cette possibilité. Un de leur frère avait été tué par cette voleuse, il était de leur devoir de montrer aux enfer qu’un tel crime ne pouvait rester impunis. Le compromis fut trouvé. Comme ils ne possédaient pas l’épée, les anges la videraient et protégeraient ses pouvoirs dans une relique, en attendant le jour où Mael ne supporterait son errance vide de sens. Durant sept jours, ma gardienne les a défiés jusqu'à ce qu'ils enferment la totalité de sa magie. Jamais, ils n'avaient eu autant de difficulté. D'habitude, cela ne prenait que quelques heures mais avec elle., il fallut cinq anges et un archange pour la vider complètement.
-Soit maudit, murmura-t-elle quand Mickaël acheva le travail.
Puis ils l'abandonnèrent dans cette grotte perdue dans le désert. Épuisée, elle réussit à le traverser sans jamais baisser la tête, ni demander de l'aide. Seul ses djinns la sauvèrent. Mael se réveilla dans les souks de Casablanca, entourée par ceux dont elle avait le plus confiance. Elle resta plusieurs mois, cachée dans la ville blanche imaginant sa vengeance, et cherchant la relique refermant ses pouvoirs. Ma belle gardienne aux cheveux noirs, à la peau laiteuse, aux courbes sans pareilles, cherchait à revenir sur le devant de la scène au lieu de se faire discrète. Les djinns se mutilèrent face à leurs échecs. Elle les libéra de leur serment. Aussi vulnérable qu'une simple humaine, elle retourna en Europe sur les traces de ses origines. Elle savait que les anges la surveillaient. Finalement, pour réussir à leur fausser compagnie, elle fit tout ce qu'ils attendaient d'elle. Je sais aujourd'hui qu'il existe un refuge dont seul Riorg avait accès. Mael devait être là-bas durant toutes ces décennies. Elle s'est retirée dans la froideur des pierres, en attendant son heure.
On crut l’apercevoir à New York, à Rome, Moscou, Istanbul, puis Paris. Sa vie semblait être des plus banales. La punition trop douce pour son crime. Au bout d'un certain temps, tout le monde semblait l'avoir oubliée mais pas moi. Je cherchais toujours sa trace malgré l'interdiction qui m'avait été donnée. Je mis ma vie en danger en Amérique du Sud où nous nous sommes retrouvés vingt ans plus tard. Elle m'a sauvé la vie en sortant ma carcasse des décombres d'un immeuble.
A mon réveil, je me trouvais dans une sorte de grotte aménagée sur plusieurs niveaux. Je ne sentis pas tout de suite ma blessure à l'épaule. C'est en voulant me lever que je hurlais. Son djinn le plus fidèle, Hazel, avait planté ses griffes à l’intérieur. J'entendis alors la voix de ma Mael, raisonner dans l'immense cœur. Elle apparut tel un fantôme dans un nuage de cendre et non de fumée.
-Tu as vieillis.
-Heureux de te revoir.
Ma gardienne ordonna à Hazel de disparaître et prit sa place. Elle possédait cet air malicieux qui m'avait charmé le jour de notre rencontre. Elle posa ses mains juste au-dessus de ma plaie. Je sentis une douce chaleur traverser mon cœur et ma blessure s'est refermée. Je compris qu'elle avait retrouvé une partie de ses pouvoirs. Toujours sans rien dire, elle ôta ses mains et d'un geste me propulsa contre la paroi. Je n'arrivais pas à le croire. Elle ne pouvait pas utiliser de magie ! Elle avait été vidée de sa substance. Où se situait la supercherie ?
-Sais-tu où nous nous trouvons ? Nous sommes dans le palais de Riorg. Toute son histoire est inscrite sur ces murs. Personne ne connaissait son existence jusqu'à aujourd'hui. La cachette idéale.
-Comment, prononçais-je difficilement, as-tu...
-Retrouvé mes pouvoirs ? Ils ont cru m’avoir vidé mais les pouvoirs de Riorg sont miens. Ce qu'ils m'ont pris sont ceux que j'ai moi-même développé au fil des siècles. Mes djinns ont très bien travaillé pour les retrouver. Sais-tu que trois anges sont morts dans des circonstances mystérieuses ?
-Jamais ils n'auront Mickaël.
-Tu étais donc au courant, s'étonna-t-elle.
A ma plus grande stupéfaction, deux djinns et un corps ailé inanimé apparurent. Ils étaient épuisés mais visiblement fier d'eux. Ils trouvèrent la force de porter l'ange aux pieds de leur maîtresse. Elle les remercia après avoir simplement posé une main sur leur joue. Ils disparurent tout en restant cachés dans les hauteurs de la caverne. Mael leva alors le bras et le corps de l'ange se dressa. Elle l'obligea à déployer ses ailes. Il hurla de douleur. Je reconnus ce visage marqué par la souffrance. Comment cela pouvait être possible ? Comment ses djinns avaient réussi à capturer Mickaël ?
-Avec ta mort, je récupère la plus grande partie de mes pouvoirs.
-Tes pouvoirs sont enfermés dans une relique cachée dans le palais des papes d'Avignon, tentais-je sans croire à ma stupide tentative.
-Autrefois... mais pour plus de sécurité, ils les ont cachés dans plusieurs anges. Ils leur ont confié ce qu'ils m'avaient volé. Après lui, il ne sera pas difficile de trouver un séraphin.
Une dague se matérialisa dans sa main. Elle la leva et l’enfonça dans le corps de Mickaël qui revint aussitôt à lui. Il posa ses mains sur celles de Mael. Une intense lumière envahit la caverne. Je ne peux raconter ce qui s'est passé ensuite. A mon réveil, j'étais étendu sur un champ de bataille. Des murs étaient tombés. Du sang avait été versé. Des cadavres de djinns et d’anges jonchaient le sol. Mickaël était à quelques mètres, entouré par d'autres anges. L'un d'eux s'avança vers moi et m'aida à me relever.
-Comment va Mickaël ? demandais-je encore un peu désorienté.
-Il est vivant.
-Et Mael ?
-Elle a récupéré ses pouvoirs et l'a laissé en vie.
-Si elle l'a fait ce n'est pas sans arrière-pensée.
Je la connaissais trop bien pour croire qu'un sentiment de charité était à l'origine de ce geste. Après plusieurs minutes, Mickaël reprit connaissance à son tour. Incapable de se lever, il fit signe à l'un des siens de s'approcher et lui murmura quelque chose. La suite fut difficile à accepter pour un grand nombre d'archanges qui ont préféré partir plutôt que d'assister à ce qui allait suivre. Celui qui avait recueilli les paroles de Mickaël s'adressa à mon humble personne.
-Martin, une décision importante te concernant a été prise. Très peu d'entre nous sont d'accord, comme tu as pu le constater, avec la proposition de Mickaël. Mais il a raison. Tu es le seul à bien connaître Mael et le seul qui pourra nous aider à la stopper.
-Tu es le seul, intervient difficilement Mickaël, humain qu'elle est fait rentrer dans son monde. Tu as vécu auprès d'elle. Tu as partagé sa vie. Elle t'a fait rentrer dans son refuge.
-Où voulez-vous en venir ?
L'idée stupide de devenir un archange me traversa un éclair de seconde. Je ne pouvais accéder à ce titre alors que j'étais encore vivant. Je n'avais également rien commis d'extraordinaire dans ma vie. J'allais sur mes 83 ans et je réalisais soudainement que j'avais consacré plus de soixante longues années à Mael. Je n'avais rien fait. Rien construit. Tout avait tourné autour d'elle.
-Nous allons vous rendre votre jeunesse, annonça celui qui avait recueilli les murmures de Mickaël.
-Non ! m'indignais-je.
-Personne n'en sait autant sur elle que toi, insista Mickaël. Former quelqu'un nous prendrait trop longtemps. Un jour, elle réapparaîtra et nous devrons la combattre. Nous aurons alors besoin de toi, mon ami.
Mickaël m'avait en parti convaincu. Je ne m'approuvais pas cette décision. Je n'étais nullement digne d'un tel cadeau. Je n'avais servi à rien durant toutes ces années sauf à créer d'autres problèmes. Malheureusement, Mickaël avait raison. Comment pouvais-je oser accepter un tel cadeau ? Malgré ma sagesse, je ne pouvais l'imaginer. J'avais peur rien qu'à l'idée de devoir tout recommencer. Une nouvelle vie me tendait les bras et je ne voulais pas la saisir. Au fond de mon âme, je me sentais fatigué, incapable d'envisager une nouvelle existence. Le rêve de tellement de gens m'était offert. Je regardais Mickaël. Les mots sortirent de ma bouche sans que je puisse les contrôler.
-Nous n'aurons jamais à la combattre. Elle préférera se faire oublier plutôt que de revivre cette punition.
-Elle est un risque que nous ne devons pas sous-estimer, ajouta Mickaël.
Encore une fois, il avait raison. Pourtant je connaissais Mael et je savais que jamais elle ne se risquerait de les défier une nouvelle fois. Je finis pourtant par accepter sa proposition. Mickaël voulut lui-même réaliser ma transformation. Il posa simplement les mains sur mon torse. Une chaleur m'envahit. Ma douleur à la hanche disparut. Mes mains déformées par l'arthrose retrouvèrent un aspect normal, puis toutes mes petites douleurs se transformèrent en souvenirs. Quand il eut fini, il s'effondra. Je le rattrapais et le soulevais aussi facilement que lorsque j'avais vingt ans. Il me murmura à l'oreille.
-Ne gâche pas ce cadeau mon ami. Je risque mes ailes en pariant sur toi.
J'avais de nouveau mes 19 ans mais avec l’expérience d'un vieillard de 83 ans. J'avais plus qu'un cadeau. Je repris une vie normale, des études, réalisais de vieux rêves. Ma route ne croisa ni ange ou tout autre créature de l’invisible. Douze ans plus tard, ce monde qui s'était détourné brutalement de moi, frappa à ma porte un mardi matin.
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