3-Les mensonges sont-ils des vérités ?
Mona ne me questionna pas sur cette surprenante visite. Elle avait dû sentir mon embarras et jugé inutile de me mettre plus mal à l'aise. Je contactais l'archange Mickaël. Je n'eus aucune réponse. Je recommençais le même rituel chaque jour, à la même heure dans la même église. J’allumais un cierge devant la statue de la vierge Marie puis je m’installais sur le banc le proche de l’autel. Je ne priais pas. Je murmurais simplement mon appel à l’aide. Aucun ange ne prit contact. Je repensais alors à la phrase que j'avais dit à Mael : « Je ne veux plus de ton monde. ». Mickaël avait peut-être été, lui aussi, blessé. Au bout d'un mois, je renonçais. Je n'avais plus de nouvelle de Mael et encore moins des anges. J'avais repris une vie normale sans le stress d'éventuels événements surnaturels susceptibles de se produire. La grossesse de Mona arrivait doucement à son terme. J'allais avoir un fils. J'étais le plus heureux des hommes jusqu’au jour où Mael réapparut sur mon lieu de travail.
-J'ai du mal à comprendre certains choix de ta nouvelle vie. Franchement, avec tout ce que tu sais, tu ne pouvais pas trouver mieux comme job ? Un vulgaire rat de bibliothèque, je suis déçue.
A l'étage, où nous étions, il y avait beaucoup trop de monde autour de nous pour que je me permette de la foutre dehors, sans prendre le moindre risque. Certains lisaient, d'autres étudiaient, et la plupart cherchait le livre qui comblerait leur nuit d'insomnie. Je fis le choix de ne pas lui répondre. Je jetais des regards inquiets autour de nous pour être sûr que personne ne soit en danger. Elle continua son monologue. Malgré moi, je la suivais. Je voulais, à tout prix, éviter le moindre débordement de sa part. Elle m’emmena loin des oreilles indiscrètes mais pas assez pour ne plus avoir un seul regard dans notre direction.
-Faudra-t-il que je te supplie pour que tu changes d'attitude ?me demanda-t-elle frustrée.
J'étais surpris par cette question. Mon mutisme l'agaçait. De mon côté, j'avais des difficultés à la rejeter tout en lui montrant le contraire. Je ne la voulais pas dans mon monde. Cette vie était la mienne et non la nôtre. Malheureusement, malgré la mort de Gabriel, et tout ce qu'elle avait fait, je n'arrivais pas à créer la distance nécessaire pour qu'elle m'oublie.
-Il y a des choses que je ne peux pas te pardonner, osais-je.
-Ce n'est pas ce que je te demande.
-Pourquoi es-tu revenue ? me lamentais-je.
Son regard fut attiré par quelque chose ou par quelqu'un qui arrivait derrière moi. Un sourire narquois se dessina sur son joli visage. Elle me regarda furtivement puis observa de nouveau ce que je me décidais à découvrir. Alors, sans vraiment m'en rendre compte, je m'éloignais d'elle pour rejoindre l'archange Mickaël et ses anges. Ils étaient enfin descendus sur terre pour nous venir en aide, à Mona et à moi. Sentant sa maîtresse en danger, Hazel, l'ignoble djinn de la gardienne, apparut derrière elle. Il resta à l'écart attendant un signe pour intervenir. La main de l'archange se posa sur mon épaule. Elle se voulait rassurante mais je savais que Mickaël ne venait pas pour de simples familiarités. Accompagné de deux séraphins, il était simplement chargé de faire peur à la gardienne. Malheureusement, comme toujours, il sous estimait Mael. Ce n'était pas un archange et deux angelots qui allaient faire plier le roseau.
-Toujours en vie, déclara-t-elle sur un ton de défis.
Mickaël ne répondit rien.
-Je n'ai pas le souvenir de t'avoir coupé la langue.
-Sortons d'ici, ordonna l’archange.
-Et tu crois que je vais t'écouter ? s'étonna Mael.
-Nous ne voulons pas de carnage.
-Et tu le laisses dire cela ! s’adressa-t-elle à moi.
-Sors aussi de la vie de Martin.
-Pourquoi ? Il est devenu ton protégé ? Il t'a soigné ? Dorloté ? Câliné pendant ta convalescence ?
-Tu ne changeras jamais, constata Mickaël.
-C'est exact ! Et j'ai même une surprise pour toi.
Un ange femelle, entièrement dénudé, aux ailes déployées apparut devant elle, lévitant à plusieurs mètres au dessus du sol. Son visage était caché par un masque. Aucun de nous ne pu affirmer qui elle était. Sur plusieurs endroits de son corps apparaissaient des traces de torture. Mickaël retint ses deux compagnons. Cette saloperie de djinn s'approcha de Mael.
-Tu n'as visiblement pas retenu la leçon, déclara Mickaël dont le ton devenait menaçant.
-Tout comme pour toi, je n'ai pas l'intention de tuer cette merde, ironisa-t-elle.
-C'est pour cela qu'elle porte le masque de Azré ? demandais-je dès que je crus reconnaître ce chef d’œuvre où des serpents glissaient sous la surface d’un marbre aussi fin qu’un papyrus.
-Simple garantie de ma fuite. Une dernière petite chose, j'ai récupéré ce qui m'appartient et qu'elle infectait.
L'ange qu'elle avait torturé était Lunael, l'ancienne compagne de Mickaël, la dernière à posséder une partie des pouvoirs de ma gardienne. L’archange perdit alors son sang froid. Avec l'aide d'un de ses séraphins, je tentais de le retenir mais en vain. Soudain, un cri de frayeur déchira mes tympans. J'avais complètement perdu la notion du temps et de l'espace. Nous étions sur mon lieu de travail. Le chaos annoncé prit la forme de la peur et de la stupéfaction. Mael avait rendu sa victime visible dès que Mickaël avait fait un pas. La panique s'empara des lieux. Voyaient-ils un ange ? Une femme couverte de sang ? En observant bien, je vis cette cochonnerie de djinn utiliser ses pouvoirs pour manipuler l'esprit des plus faibles. Avec Mael, profitant de la confusion, ils disparurent en se mêlant à la foule pressée de quitter la bibliothèque.
Ma gardienne avait laissé le corps de l'ange tomber violemment par terre. Le masque de Azré avait soigneusement été emporté. Mickaël se précipita pour aider Lunael. Elle était heureusement en vie. Malheureusement, le masque de Azré avait fait son œuvre : l'ange était aveugle. Dès qu'elle attendit la voix de Mickaël, elle se laissa envahir par un mélange de peur et de soulagement.
-Pardonne moi. Je n'ai rien pu faire. Elle est plus forte qu'autrefois.
-Calme toi.
-Je lui ai tout raconté. Elle sait.
Mickaël ne rajouta rien. Il prit Lunael dans ses bras, me regarda droit dans les yeux avant de m'annoncer ce que je craignais.
-Il faut protéger Mona.
J'ai prié. De l'instant où nous avons quitté la bibliothèque jusqu'au moment où je l'ai serrée dans mes bras, j'ai prié. J'avais peur pour elle et le bébé. Je pensais les avoir déjà perdu. Après l'avoir embrassé et rassuré, j’entraînais Mona à l'écart des oreilles indiscrètes de ses collègues. Sous le regard bienveillant de Mickaël, je lui expliquais calmement que Mael lui voulait du mal et qu'il fallait qu'elle me fasse entièrement confiance.
-Nous n'avons qu'à prévenir la police, proposa innocemment Mona.
-Ils ne pourront rien faire contre elle.
-Elle a tant d'influence que cela ? s'étonna-t-elle naïvement.
-Plus que tu ne le crois.
Elle accepta de me suivre chez nous à contre cœur. Le trajet, qui prenait habituellement vingt minutes, me parut une éternité. Dans la cage d’ascenseur, Mickaël m'expliqua son dispositif de sécurité et me donna un talisman tzigane capable de protéger l'appartement. Mona me dévisagea. Elle n'aimait pas toutes ses bêtises. Une fois en sécurité chez nous, elle me posa des questions sur Mickaël ainsi que sur Mael. Encore à cet instant, j’ ignorais pourquoi ma gardienne voulait s’en prendre à mon amour de cette vie.
-Il est vraiment bizarre ton ami. Et je trouve ridicule que ses connaissances se « positionnent » devant l’immeuble ou au dessus, s'agaça ma tendre moitié.
-C'est pour ta sécurité.
-Ma sécurité ? s’énerva-t-elle. Ton amie Mael n'est quand même pas une terroriste et je ne suis pas la présidente.
-Mona, je voudrais t'expliquer mais tu me prendrais pour un fou. Ais confiance.
Le reste de la journée, nous le passâmes enfermés entre quatre murs, attendant d’éventuelles informations. Je savais bien que nous n'en aurions pas mais je voulais croire à une faille dans le plan de ma gardienne. Sans poser de question, agissant en bon soldat, j’avais placé le talisman sur le buffet de la porte d'entrée. Mona me l'avait demandé. Je comprenais ses réticences. Elle avait été élevée dans un milieu très croyant et ces idoles païennes la répugnaient. Elle était mon contraire de ce côté là. Il était aussi difficile de lui avouer avoir vécu une vie de traditions inconnues du commun des mortels alors que, pour elle, j'étais le fils d'un simple agent de police de Boston et d'une femme au foyer.
La nuit était tombée quand la faille apparut. Malheureusement, elle ne vint pas du côté espéré. D'abord, je sentis de violents maux de tête. J'allais dans la salle de bain chercher un comprimé. Dans la glace, je jetais un rapide coup d’œil à ma tronche. Mes traits étaient tirés. Un instant, je revis le visage du vieillard de 80 ans que j’avais été. Ma sagesse me demandait sûrement de reprendre mes esprits. Le visage calme et sûr, que je pensais afficher, était en fait marqué par l’inquiétude. Quand je revins dans le salon, je trouvais aux côtés de Mona, un invité surprise. Ma haine envers Hazel étouffa ma raison.
-Ne sois pas si étonné, tu sais très bien que la magie tzigane n'a pas d'effet sur les djinns.
Mael avait envoyé Hazel pour délivrer un message. Elle exposait son plus fidèle démon pour justifier son inattendu retour. Elle savait que je détestais cette saloperie. Pourtant, elle lui avait quand même confié cette mission. Il était peut-être le dernier de ses fidèles. Tant de ses djinns l’avaient déjà trahi.
-Ce qui m’étonne le plus, c'est de te voir ici sans elle, fis-je remarquer.
-Je suis son serviteur.
-J'appelle cela de la dévotion.
-Il y a encore beaucoup de choses que tu ignores, s'amusa-t-il.
-Fous le camp. Et dis lui qu'elle n'a pas intérêt de toucher à ma femme.
-Ce n'est pas elle qui l’intéresse, mais l'enfant qu'elle porte et dont tu n'es pas le père.
Il avait annoncé cette nouvelle sans la moindre hésitation. Durant une fraction de seconde, je le crus. J'avais tellement vécu de choses dans ma première vie que cette éventualité pouvait être envisageable. Je me ressaisis. Je ne pouvais pas douter de Mona. Elle était la femme qui avait donné un sens à cette nouvelle vie. Nous avions construit un futur capable de me faire oublier Mael. La honte se transforma en colère. Une telle trahison était impossible, pas avec cette perle rare.
-Fous le camp de ma maison.
-Elle savait que tu allais réagir ainsi. Elle ne voulait pas te le dire...
-Depuis quand un djinn de la gardienne des pouvoirs de Riorg, prends ce genre d'initiative ?
-J'ai choisi de t'ouvrir les yeux car, malgré la haine que nous nous portons, j'estime que tu ne mérites pas de subir les choix de ta compagne.
-Je ne te laisserai pas la tuer comme Anaïs.
-Tant que ma maîtresse ne me l'ordonne pas, je ne le ferais pas.
Anaïs, ma douce et aimante sœur, avait renoncé à son âme pour que cesse les tourments que cette immondice lui faisait subir. Elle croyait l'aimer alors qu'il ne lui offrait que l'illusion d'un amour. Un Djinn ne peut tomber amoureux d'un mortel sans être banni. Mael a puni ma sœur pour cette acte interdit et non son fidèle djinn parce qu'il était trop tard pour l'âme d'Anaïs.
-Mael veut te rencontrer dans un lieu neutre sans ange ni tout autre créature.
-Va dire à ta maîtresse que j'ai changé et que je ne veux plus avoir à faire à elle.
-Vous êtes liés. Jamais vous ne pourrez vivre en ignorant l'autre.
-Fous moi le camp.
-Une dernière chose : tu as tué Anaïs en cherchant à l'éloigner de notre complicité.
-C'est vrai que les djinns ne parlent pas d'amour mais de complicité.
Une douleur chatouilla d'abord mon épaule puis se transforma en brûlure. La marque des djinns était la seule chose qu'il s'était autorisé à faire. Il en profita pour disparaître. La bulle qui nous isolait aussi. Je poussais un cri qui alerta ma femme et l'ange qui était chargé de nous protéger. Je dévisageais Mona puis regardais son ventre. Le doute s'installa tel un poison lent, terriblement efficace. Cette simple pensée m’écœura. Je n’étais pas capable de recul. Depuis le retour de Mael, ma conscience se tournait vers ma gardienne car, jamais, elle ne m’avait trahi. Ses actes avaient toujours été dans le but de me protéger, pas de me blesser. Au fond de mon être, j’étais malheureusement certain que Hazel disait la vérité. Tout ce qui pouvait me faire mal, il ne me l’épargnait jamais. Nous nous haïssions et ce serait ainsi jusqu’à la mort de l’autre.
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