4-Pas encore prêt?

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Il était hors de question que je rencontre Mael seul. L'initiative aurait été une trahison envers Mickaël, envers Mona. Pourtant je l’ai prise. Je savais qu’elle essayerait de me rencontrer sans les anges à l’abri des regards indiscrets. Elle était incapable de rester à l’écart quand elle avait une idée derrière la tête. Je l'aidais à provoquer notre échange, à nous isoler de cette nouvelle vie, à nous retrouver seuls sans les yeux et les oreilles d'anges. Je ne connaissais pas encore la vraie raison de son retour. J'étais en droit de la connaître. Mael n'était pas revenu sans raison. La grossesse de Mona n’était pas une possibilité. Il fallait quelque chose de plus complexe, de plus gênant pour son existence.

 Je provoquais notre rencontre en quittant mon appartement. Je décidais de parcourir les rues de New York à pied, puis je pris un taxi. J'étais convaincu qu’elle ne jouerait pas avec mes sentiments. Elle ne le pouvait pas. Je connaissais beaucoup de ses secrets et nous avions partagé tant de choses. Elle m'avait révélé tant de mystères. Elle me devait des explications sur de nombreux points mais surtout sur la raison de son retour. La révélation de son djinn Hazel ne pouvait en être les fondations. Son djinn n’était qu’un menteur. Il n’avait cherché qu’à me blesser pour mieux me déstabiliser. J’étais certain qu’il était jaloux de ma nouvelle vie. Ce bonheur, partagé avec Mona, aurait dû être le sien avec Anaïs. Je lui avais volé.  

-C'est ton instinct paternel qui te fait douter de moi ?

Je venais juste de rentrer dans ce taxi quand Mael est apparu à mes côtés. J'ai sursauté, me suis tourné vers elle puis vers le chauffeur qui n’était autre que Hazel. Stupidement, alors que je souhaitais ce moment, j'essayais d'ouvrir la portière pour m'enfuir. Elle était bloquée. Exaspérée, ma gardienne me laissa faire. 

-Tu vas finir par me vexer à force d'essayer de me fuir ou de m'envoyer sur les roses. 

Après une grande inspiration, je repris le contrôle de mes nerfs. Je fixais mon regard sur la route. Mon intuition me suppliait de ne pas lui faire face. L’ignorance était mon unique arme contre ce fantôme du passé. J’étais ridicule d’agir de cette manière. Par mon attitude, j’insultais les années passées auprès d’elle. Ma gardienne ne m’avait jamais manqué de respect comme j’étais en train de le faire. Je capitulais.  

-Maintenant que nous sommes avec ton maudit djinn, je t'écoute, capitulais-je. 

-Va falloir penser à faire la paix tous les deux. Franchement, c'est pas parce qu'il a sauté ta sœur qu'il faut... 

-A ce sujet, tu ne sais pas tout Mael alors parlons plutôt de ce qui nous concerne, m'emportais-je. 

Je lui fis face. Elle avait réussi. Ma gardienne se contenta de me sourire puis, dans un simple battement de cils, je me sentis transporté loin de New York. Mael utilisa sa magie pour nous transporter dans un autre lieu. Nous nous retrouvâmes dans son palais de Rome avec toujours la même vue sur St Pierre. Nous y avions vécu cinq ans. De merveilleux souvenirs s'invitèrent sans avoir été suggérés. Le tableau de Léonard de Vinci était toujours à sa place. Les murs avaient accueilli de nouvelles toiles toutes différentes des unes des autres mais toujours d'époque Renaissance. Mael m'avait toujours expliqué que cette période était celle qu'elle regrettait le plus. Un talisman arabe avait été gravé dans le marbre du sol. Je l'ai un peu trop analysé au goût de ma gardienne qui s'approcha avec un verre de vin à la main pour détourner mon attention. 

-L'esprit de ta sœur n'a jamais voulu quitter ses murs. A cause d'elle, tout était sans dessus dessous. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour la calmer. Les fantômes ont parfois de drôle de manière d'exprimer leur colère.

Mon Anaïs refusait sa mort. Après autant d'années, l'idée qu'elle n'avait toujours pas trouvé le repos, décupla mon envie d'en finir avec Hazel. Je souhaitais tellement cette vengeance qui ne m'avait jamais quitté. Elle restait endormie au fond de mon âme attendant patiemment son heure. 

-Oublie un peu ta sœur Martin. Et oublie aussi Hazel. Si j'ai repris contact avec toi ce n'est pas pour que vous fassiez la paix. Détail qui n'arriva jamais, il ne faut pas être devin pour le savoir. La raison... 

-Je la connais déjà, coupais-je ma gardienne dans son exposé. 

J'avais mal. La possible présence d'Anaïs me déstabilisait. Je n'écoutais pas vraiment Mael. Je ne pensais plus qu'à une seule chose : effacer cette marque et rentrer en contact avec ma sœur. Ma petite sœur m'avait-elle pardonné de lui avoir fait connaître Hazel ? J’aurais dû refuser qu’elle m’accompagne à Paris pour rencontrer celle qui partageait ma vie sans m’offrir son amour. Ces mots étaient ceux de Anaïs. Je lui parlais souvent Mael. Je la lui décrivais comme mon employeur. J’étais à ses côtés pour l’aider dans ses démarches administratives alors que ma gardienne m’apprenait à dompter le monde de l’invisible. J’étais une sorte d’élève qui n’en était pas un et elle était ce maître qui n’en portait pas le nom. J’avais cédé aux caprices d’Anaïs qui s’ennuyait dans notre campagne. Elle avait annulé ses fiançailles avec une de nos anciennes relations. Elle rêvait d’aventure et de passion. Par malheur, Hazel les lui offrit en échange de sa nature humaine.

-Si je t’ennuie, dis-le tout de suite, ce sera plus rapide, constata Mael. 

-Ramènes moi à, New York. 

-Pas avant que tu ne m’es écouté. 

-Je n'ai rien à entendre ni à apprendre de toi. 

-Tu as provoqué cette rencontre et maintenant tu geins ! Pourquoi un tel mépris ?

-Tu oses me poser cette question ?

Mael parlait comme si elle n'avait rien à se reprocher. Depuis Gabriel, ma vision de ma gardienne avait changé. Depuis Gabriel... je n'arrive toujours pas à oublier le hurlement qu'il a poussé au moment où elle lui a arraché les ailes. Je n'ai rien pu faire, moi, simple mortel face à la gardienne des pouvoirs de Riorg. Je n'ai pu éviter que la solitude de la mort à l'archange. Mael parlait comme si elle n'avait rien à se reprocher. Elle osait agir comme si son crime était sans importance. Elle jugeait avoir purgé sa peine pour la mort du plus pur des êtres. Elle ne voyait pas le mal que je percevais en elle. 

-Si tu veux que tout redevienne comme avant la mort de Gabriel..., osais-je.

-Ne prononce pas ce nom, m’interrompit-elle mais je continuais. 

-... tu peux y renoncer. Je n'oublie pas ce que j'ai vu. Tu as commis l'acte qui t'a fait franchir... 

-Ferme-la. 

Les verres se brisèrent. Mael était dans une colère noire. J’entendis Hazel murmurer dans la langue des djinns pour la calmer. Elle le fusilla du regard. Il se tut aussitôt. Soudain, alors que ma gardienne était à un mètre de moi, je sentis une main invisible serrer ma gorge et mes pieds quitter le sol. Jamais Mael ne se serait permise d'agir ainsi sur ma personne. Exaspérée, elle approcha lentement. A l'expression de son visage, je compris que ce n'était pas elle qui essayait de me tuer. Contre toute attente, Hazel se permit de donner un ordre à sa maîtresse. 

-Montrez lui, osa-t-il sèchement. 

Ma gardienne leva simplement la main. Un souffle glacial nous enveloppa et je la vis. Son visage était pâle, ses yeux creusés, ses cheveux si ternes. Mon Anaïs m'étranglait. Pris de panique, j'essayais une incantation mais elle serrait trop fort. J'allais perdre connaissance quand Mael s'adressa à elle en djinn. Ma sœur tourna la tête vers celle qui aurait dû être sa maîtresse si sa transformation en démon avait été à son terme, puis de nouveau vers moi. Après un sourire malicieux, elle me lâcha. Je tombais violemment sur le sol, toussant et inspirant le plus vite possible. Anaïs était encore bien là, tout près de Hazel, dans une forme astrale indomptable. Elle n'était ni humaine, ni l'une des leurs.  Elle était piégée entre deux mondes.  

-Martin, mon but est toujours de te protéger. Quand tu seras prêt à entendre la vérité, je t'autorise à invoquer Hazel. 

Mael me renvoya à New-York sans attendre une complainte de ma part. J’apparus dans un coin de Central Park. Peu de new-yorkais se promenaient à cette heure. Je décidais de marcher pour apaiser mes pensées. J'arrivais enfin dans mon quartier. Dans mon immeuble, au lieu de prendre l’ascenseur, je pris les escaliers. Au fil des marches, je sentais ma gorge se nouer. Trop de souvenirs polluaient mon esprit. L'inquiétude de ne plus revoir Anaïs brouilla ma conscience. La cage d'escalier devint le théâtre des pleurs de la semi vie de ma petite sœur. J'aurais préféré la savoir morte plutôt que d'être dans cette situation ou pire la découvrir djinn. Je voulais contenir ma peine, ne pas hurler ma douleur. Ce fut impossible. 

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