Chapitre 29 : Séréna

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La semaine s’était écoulée si vite que Séréna l’avait à peine vu passer. Ses journées à l’Académie de Magie étaient un tourbillon sans fin de cours théoriques et pratiques, d’études de vieux grimoires et de la découverte de l’étendue et de la puissance de ses pouvoirs magiques. Séréna, grâce à son métier, était habituée aux longues heures de travail, ainsi qu’à faire preuve d’une attention et d’une concentration aiguisées.

Dès les premières heures après son arrivée, la Tisseuse de Rêves avait provoqué l’étonnement et l’enthousiasme des professeurs. D’après eux, ses dons pour la magie, si bruts et si puissants, étaient précieux et rares. En les cultivant suffisamment, son pouvoir pourrait un jour rivaliser avec celui des Hauts-Mages. La jeune femme essayait de ne pas se laisser emporter par ce maelström d’éloges et d’attentes et tentait de progresser un pas à la fois, tout en ne perdant pas ses objectifs de vue.

Charlie et Lénaïc avaient été chargés de l’aider à maîtriser l’union entre sa Magie des Rêves et sa maîtrise des Arcanes Centraliennes. C’était quelque chose d’inédit, mais la maîtrise de ce pouvoir étant la clé dans leur lutte contre la Corruption, il était très important que Séréna comprenne tous les aspects de cette nouvelle forme de magie : ses forces, ses faiblesses et ses limites.

Séréna avait été très heureuse de retrouver son guetteur, seulement quelques heures après son arrivée à l’Académie. Elle avait étreint Lénaïc avec force, le jeune homme avait tant rougi que les taches de rousseurs qui constellaient sa peau étaient ressorties avec encore plus de vigueur.

- Je suis si contente qu’ils t’aient laissé revenir, lui avait-elle dit. Je n’étais pas certaine que la Reine tiendrait sa promesse.

- Eldric Luminar n’avait pas l’air ravi de me laisser partir, avait-il avoué avec un sourire un peu forcé. Je ne pourrais jamais assez te remercier pour ce que tu as fait pour moi. Intercéder auprès de la Reine en ma faveur, c’était très risqué.

- Tu m’as sauvé la vie Lénaïc, la nuit où... tout ça a commencé. avait répondu Séréna en posant sa main sur l’épaule du Guetteur. Si tu n’étais pas intervenu, je n’aurais pas pu échapper au Rêveur Noir. Je ne l’oublierai jamais. Prouvons à la Reine et aux Hauts-Mages qu’ils ont eus raison d’accéder à ma requête. Charlie et toi, aidez-moi à maîtriser le pouvoir de guérir la Corruption et ensemble, nous allons faire la différence.

L’après-midi même, les choses sérieuses avaient commencé. Dans le bureau du professeur Sylbaria, six galets avaient été disposés à l’intention de Séréna. Les quatre premiers gavés des runes élémentaires du feu, de l’air, de la terre et de l’eau, des deux derniers des symboles de l’esprit et de l’âme. La Rectrice avait demandé à Séréna de choisir la pierre qui l’attirait spontanément. C’était habituellement un test franchi les jeunes Centraliens peu après leur troisième anniversaire dans le but de définir leur arcane de prédilection.

C’était donc plutôt l’instinct qui devait l’emporter sur la réflexion. La jeune femme, sans vraiment réfléchir s’était alors décidé pour le quatrième symbole runique. Le galet entre ses mains s’était mis à scintiller d’une lumière bleutée. Sylbaria avait déclaré que l’arcane avec lequel Séréna avait le plus d’affinités était l’eau. Cette affirmation n’avait pas beaucoup surpris la jeune femme, qui ne se sentait jamais aussi bien que lorsqu’elle se trouvait immergée. Une longue baignade dans la mer, une rivière où un lac suffisait à chasser ses chagrins ou sa lassitude. Lénaïc ajouta que le tout premier rêve qu’elle avait tissé, celui de la plage et de la mer turquoise, était un autre signe qui ne trompait pas.

L’ensemble des professeurs, mis dans la confidence de la présence de Séréna à l’Académie, avait décidé d’un commun accord qu’il était essentiel que la Tisseuse de Rêves maîtrise rapidement la proclipsion. Ce moyen de se déplacer était étroitement lié à l’arcane de prédilection du Centralien qui y faisait appel.

Séréna avait maîtrisé ce pouvoir avec aisance. Sur de petites distances, car il ne lui était pas permis de dépasser les limites de l’Académie. Il fallait s’imaginer se projeter d’un point A vers un point B, afin de s’éclipser d’un endroit vers un autre. D’où le terme de proclipsion.

Pour y parvenir avec conscience et maîtrise, contrairement à ce qui s’était passé sur sa Lune sur laquelle elle s’était laissé dominer par la peur et avait agi d’instinct, Séréna s’était donc imaginée telle un torrent ou un courant marin inarrêtable, et en quelques heures, elle était parvenue à se proclipser, d’abord de quelques mètres dans une salle de classe, puis vers sa chambre ou le bureau du professeur Sylbaria et enfin d’un bout à l’autre du parc de l’Académie, qu’elle n’avait pourtant pas encore eu le temps d’explorer en détail.

Cependant, le lendemain, lorsqu’elle commença à travailler avec l’enseignant chargé de l’apprentissage de l’arcane de l’Eau, Séréna maîtrisa en peu de temps ce que certains mettaient des années à apprendre. L’eau lui répondit si parfaitement, que rapidement, elle parvint à en contrôler tous ses états : liquide, gazeux et solide. Si les enjeux n’avaient pas été aussi élevés, elle se serait presque vue chanter “Libérée, Délivrée” au sommet d’un château de glace. Cependant, Charlie l’avait regardée avec des yeux ronds lorsqu’elle s’en était ouverte à elle, et la Tisseuse de Rêve s’était contentée d’en rire.

Si au début, Séréna avait utilisé son pouvoir instinctivement, les instructions et les exercices donnés par le professeur l’avaient aidée à saisir les nuances et les subtilités de cette forme de magie. Au fil des heures, sa maîtrise se fit plus ingénieuse, plus raffinée et ses réactions plus rapides. Dans les premiers temps de l’entraînement, elle s’appuyait sur la fontaine qui se trouvait dans la salle de classe, mais bientôt Séréna parvint à extraire le liquide qui se trouvait contenu dans les divers supports à sa disposition, dans la terre et même les pierres du vieux manoir.

Au fur et à mesure qu’elle gagnait en aisance, Séréna ressentait la magie de manière plus aiguisée. Elle comprit qu’au-delà de s’en servir pour attaquer ou se défendre, le pouvoir des Arcanes était un art. Hélas, elle manquait de temps pour apprendre à s’en servir différemment que d’une manière rudimentaire.

L’après-midi, elle commença à travailler avec Charlie et Lénaïc sur la combinaison de la Magie Centralienne et Terranéenne. Rares étaient les habitants de la Terre à pouvoir exercer la magie des Rêves en état d’éveil, encore moins loin de leur Lune. Mais, cette restriction ne semblait pas s’appliquer à Séréna. Au contraire, en faisant appel à son pouvoir en conscience, ses Rêves gagnaient en netteté et en précision. Il lui était hélas impossible de retourner sur sa Lune, étroitement surveillée par l’ennemi, mais la jeune femme ressentait plus que jamais la présence de son univers onirique, en même temps si proche et pourtant inaccessible.

Charlie et Lénaïc avaient, eux aussi, planché sur un programme d’entraînement intensif. Ils faisaient travailler Séréna dans un coin reculé des jardins de l’Académie, à l’abri des regards et cerné d’un écran qui empêchait les personnes se trouvant à l’extérieur de la zone de percevoir les bruits de leurs conversations et les éclats produits par la magie.

La jeune femme devait enchaîner proclipsion, magie arcanique et tissage de Rêves. Les premiers temps séparément, puis en liant ses pouvoirs pour obtenir la forme de magie inédite qui lui avait permis de purger Tamara et Astrid de la corruption ainsi que de toucher ce qui restait de l’âme du Rêveur Noir.

L’union de ces deux magies l’épuisait relativement vite. En dépit de ses efforts, elle ne parvenait pas à renouveler l’exploit d’aller puiser dans son énergie vitale. Comme elle l’avait fait lors de son affrontement contre le Rêveur Noir.

- C’est peut-être mieux ainsi, avait déclaré Charlie un après-midi. Ç’a failli te coûter la vie ce jour-là.

Mais, Séréna n’en était pas convaincue. Plus elle avançait dans son apprentissage et plus, elle s’apercevait que sa seule barrière était sa résistance et atteindre ses propres limites aussi rapidement était un motif de peur et de frustration. Charlie et Lénaïc avaient beau lui dire qu’elle était trop exigeante envers elle-même, Séréna espérait que la pratique intensive lui permettrait d’augmenter ses réserves de magie.

Au fil des jours, elle commença à se familiariser avec les autres arcanes. La magie élémentaire fut une chose aisée à maîtriser. Les pouvoirs de l’esprit et de l’âme étaient en revanche des magies plus complexes à appréhender. Elle découvrit comment combiner les arcanes ensemble pour gagner en efficacité. Lors de son affrontement avec Astrid, elle les avait utilisés les uns après les autres, avec pour lien le tissage d’un rêve, et c’était cette manière de procéder qui lui était coûteuse en ressources et en énergie.

Hélas, même avec les facilités qui étaient les siennes, Séréna manquait de temps pour maîtriser toutes les facettes de son pouvoir. Elle mettait donc à profit chaque minute du temps dont elle disposait. Le matin en travaillant la magie arcanique, l’après-midi le tissage des Rêves et des arcanes de concert. Quand elle ne pratiquait pas, elle lisait. Les ouvrages de vulgarisation que lui avait procurés Sylbaria s’étaient avérés une mine de connaissances précieuses. Charlie et Lénaïc en avaient choisi d’autres pour elle lorsqu’elle avait terminé les premiers.

Armand n’était pas venu la voir. Séréna ignorait si cette absence de visite l’irritait ou la rassurait. Elle avait bien trop de choses à penser pour se préoccuper de ses sentiments envers lui. Qui plus est, les personnes qu’elles côtoyaient : la Rectrice, les professeurs, Charlie et Lénaïc, laissaient souvent entendre à mots couverts que le Prince était un Don Juan qui collectionnait les conquêtes. N’avait-elle été qu’une proie de plus à accrocher à son tableau de chasse ?

Il lui était déjà suffisamment difficile d’endurer quotidiennement les soupirs et les œillades de Lénaïc. Séréna n’avait pas eu besoin de beaucoup de temps pour comprendre que même si elle tenait beaucoup à son Guetteur, elle n’éprouvait pas davantage de sentiments à son égard qu’une amitié et un respect sincère. Elle ignorait comment le lui faire comprendre sans le blesser. Jusqu’à présent, ses expériences amoureuses s’étaient toujours soldées par des échecs cuisants et elle n’avait pour ainsi dire jamais été courtisée par deux hommes simultanément.

Cette situation inédite au milieu de tout le reste la déstabilisait. Tout en sachant que ça n’était pas la bonne solution, elle préféra donc mettre ses propres sentiments de côté, au moins jusqu’au Rite. Car, si elle était réellement, par son sang mêlé, la seule personne capable de lutter contre la Corruption, son ressenti personnel ne devait pas interférer.

Si elle s’était pliée sans sourciller à toutes les règles et les restrictions qu’on lui avait imposées, c’était dans un but précis. Au terme de cette semaine d’entrainement intensif, elle était parvenue à atteindre son objectif. Ses efforts avaient payé. La Rectrice, impressionnée par ses progrès, lui avait annoncé qu’elle acceptait sa participation au Rite. Séréna en avait éprouvé une grande fierté. Sous son air sévère et intransigeant, Isolde Sylbaria s’était avérée être un professeur juste et pédagogue, malgré ses exigences. La jeune femme se sentait honorée par la confiance que la Rectrice plaçait en elle.

Ce soir-là, ni Sylbaria, ni Charlie ne s’étaient rendues dans sa chambre pour lui demander si elle avait besoin de quelque chose. Sous couvert d’une visite anodine, Séréna avait vite compris que les deux magiciennes voulaient s’assurer qu’elle prenait correctement la potion de Zélie, qui visait à l’empêcher d’utiliser inconsciemment sa magie des Rêves durant son sommeil. Elle avait sagement fait preuve d’observance les nuits précédentes en espérant que la surveillance dont elle faisait l’objet s’amenuiserait. Elle ne s’était pas trompée.

Séréna considéra longuement la fiole contenant le liquide ambré. C’était risqué, mais à présent qu’elle maîtrisait mieux son pouvoir, il lui était intolérable de savoir Damien entre les griffes de Sigrid alors qu’elle avait vraisemblablement la capacité de le secourir.

Elle reposa le médicament sur sa table de nuit sans l’avoir consommé. Sa journée avait été intense et elle savait qu’elle n’aurait pas beaucoup de difficulté à trouver le sommeil en dépit de ses appréhensions.

Une fois endormie, elle comptait bien user de toute la puissance de sa magie des Rêves pour se transporter en esprit non pas sur sa Lune, mais sur celle de son meilleur ami, avec l’espoir de l’attirer jusqu’à elle et de le délivrer de la Corruption.

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