Ils avaient atteint Sous le Roc, sans encombre. La résidence royale tirait son nom de l’immense rocher à flanc de montagne dans lequel elle avait été taillée.

On ne pouvait y accéder qu’en volant ou se proclipsant et elle était bardée de défenses magiques en barrant l’accès à quiconque n’y était pas autorisé.

Le roc avait été sculpté par des rois et des reines morts depuis longtemps et s’enfonçait dans les profondeurs de la montagne jusqu’à un autre versant en pente plus douce sur lequel un jardin avait été aménagé.

Le parc donnait sur un pic empêchant quiconque d’y pénétrer par ce côté-là, un endroit désert, mais calme où les souverains Estrella et Léonce s’étaient retirés le plus souvent qu’il leur était possible pour offrir un semblant de normalité à leurs enfants.

La maison façonnée dans la pierre fournissait un confort plutôt rustique et paraissait minuscule à côté du palais royal de Centralina. Toutefois, Armand y était très attaché.

C’était ici, qu’enfant, il s’était le plus amusé et disputé avec sa sœur même si une chute depuis le mur d’enceinte du parc avait manqué de lui coûter la vie. Seul un buisson de ronces l’avait empêché de faire un plongeon qui lui aurait été fatal.

Les dimensions réduites de Sous le Roc, procuraient l’avantage de pouvoir la faire fonctionner avec un personnel restreint et de confiance, qui appartenait tous à la Tribu des Enchanteurs. Loyaux avant tout à la Couronne. Le secret qui entourait la venue de Séréna dans les Monts Creux serait ainsi soigneusement préservé.

Une fois qu’ils eurent fait atterrir Kernel sur l’étroit porche taillé à même la falaise qui marquait l’entrée de la maison troglodyte, il avait confié son astralyon au garçon d’écurie qui les attendait, puis il avait mené Séréna à la chambre qui avait été préparée pour elle.

Cette dernière semblait épuisée. Les événements de la nuit précédente et les efforts considérables qu’elle avait déployés pour passer outre son vertige avaient eu raison des dernières forces de la jeune femme qui s’était retirée rapidement.

Il avait ensuite remercié le palefrenier et s’était occupé lui-même de Kernel. L’astralyon était un vieux compagnon qui l’avait épaulé dans de nombreuses aventures. Au début de la guerre, avant qu’il ne soit rappelé au Palais par sa mère, Kernel et lui étaient à la tête d’une des deux escouades montées du Monde Central.

La guerre... Il n’avait pas osé inquiéter davantage Séréna en l’informant que Sigrid et le Rêveur Noir étaient désormais de retour sur le front. Dans son dernier rapport, son père expliquait que la Sorcière gardait désormais son lieutenant auprès d’elle et qu’il avait cédé le commandement des troupes de Corrompus à d’autres puissants Tisseurs de Rêves.

Damien n’avait pas encore été repéré depuis son affrontement avec Séréna. Armand ne doutait pas que Morlame le placerait bientôt en première ligne, surtout après son échec face à Séréna. Mais à la veille du Rite, il n’avait pas voulu accabler la Tisseuse de Rêves plus qu’elle ne l’était déjà.

Armand savait que son rôle ici était important. Il n’aurait pas souhaité confier la protection de Séréna à qui que ce soit d’autre que lui-même mais devoir laisser Éloïse avait été un déchirement.

Ses propres nuits passées à veiller sa sœur, toujours entre la vie et la mort, l’avaient laissé lui aussi épuisé. Le vol sur le dos de Kernel avec Séréna si proche de lui avait été libérateur cependant ; une partie de lui demeurait à Centralia auprès de la princesse.

Erik lui avait promis de la protéger jusqu’à son dernier souffle mais le prince se sentait à nouveau comme déchiré, tiraillé par ses nombreux devoirs. Il aurait dû seconder son père, être auprès de sa sœur et de sa mère et veiller sur Séréna...

Il soupira bruyamment et Kernel déploya une aile pour effleurer le visage du prince avec ses plumes douces et soyeuses. Armand sourit tristement, caressa sa monture et partit lui aussi prendre du repos.

Au matin, les Guetteurs arrivèrent pour tirer Séréna du lit et tirer profit du maigre délai dont ils disposaient encore pour l’entraîner. La Tisseuse de Rêve eut à peine le temps d’avaler un petit déjeuner et de découvrir la vue qu’offrait la terrasse deSous le Rocsur les montagnes et les vallées environnantes, avant que Charlie et Lénaïc ne l’entraînent dans un coin reculé du jardin.

Les protections magiques qui entouraient la maison et le parc étaient suffisantes pour dissimuler la magie hybride de Séréna.

Après avoir effectué un vol de reconnaissance avec Kernel pour s’assurer qu’aucun intrus ne se trouvait dans les parages, Armand s’était rendu au village des Enchanteurs pour rencontrer Kiara Solemn.

La jeune Enchanteresse était une amie d’enfance. Il était important que des liens forts se nouent entre les futurs souverains et les Chefs de Clans des Enchanteurs.

Kiara et ses frères et sœurs avaient été des compagnons de jeu plaisants. Même si les voir s’ouvrir à la magie aussi puissamment et facilement que sa sœur, alors que lui n’y était jamais parvenu, avait fini par devenir une source de frustration pour lui.

Avec le temps, il avait donc pris ses distances avec les enfants de la famille Solemn. Le seul parmi ses amis qui l’avait toujours soutenu sans jamais le dénigrer ou le juger était Erik. Armand était infiniment reconnaissant envers son père d’avoir désigné le jeune guerrier du vent comme son compagnon de jeu attitré.

Kiara lui avait confirmé que tout était prêt pour l’épreuve de la nuit prochaine et que des mesures de sécurité supplémentaires avaient été mises en place pour assurer la sécurité de Séréna. Satisfait, il était rentré à Sous le Roc,en espérant secrètement pouvoir déjeuner avec la jeune femme.

Vouloir passer du temps en sa compagnie alors que la situation était aussi grave faisait-il de lui un être puéril ? Néanmoins Séréna ne souhaita pas faire de pause et poursuivit son entraînement intensif avec les Guetteurs.

En fin d’après-midi, ces derniers se retirèrent enfin en recommandant à la jeune femme de se reposer. Le Prince savait qu’elle n’en ferait rien. Elle pratiquerait sans relâche, jusqu’à la dernière minute.

Armand sut alors ce qu’il devait faire. Il se rendit en cuisine pour y donner des instructions précises.