Chapitre 2 : Signes Épars
Les jours suivaient leur cours, lourds et monotones, mais quelque chose dans l’air semblait avoir changé. Éléa ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce qui clochait exactement, mais des détails lui échappaient, des détails qu’elle ne pouvait plus ignorer. Le froid qui s’insinuait dans les murs, même lorsque le chauffage était allumé, ou cette sensation étrange qu’elle n’était jamais vraiment seule dans la maison.
Ce matin-là, elle s’éveilla avec la même impression oppressante d’être observée. Le réveil affichait 3h15 du matin, l’heure à laquelle elle se réveillait désormais presque chaque nuit, sans raison apparente. Éléa se redressa dans son lit, le cœur battant, attentive au moindre bruit. Le silence de la maison était trop pesant, comme si elle retenait son souffle, prête à dévoiler quelque chose d’effroyable.
Elle se leva, attirée inexplicablement vers la chambre d’Ambre. Chaque pas résonnait sur le parquet, amplifiant le vide qui semblait engloutir les pièces une à une.
Lorsqu’elle ouvrit la porte de la chambre, elle fut accueillie par l’odeur familière de la lavande, celle du linge propre et des peluches d’Ambre. Rien n’avait été touché depuis la disparition ; tout était resté exactement à sa place, figé dans le temps. Les poupées étaient encore rangées sur l’étagère, le lit encore défait de la dernière nuit où Ambre avait dormi là.
Ambre avait six ans, une petite fille pleine de vie avec de longs cheveux blonds bouclés qui tombaient en cascade sur ses épaules. Elle avait un sourire éclatant qui illuminait toute la pièce, et des yeux d'un vert profond, curieux et malicieux. Elle aimait porter des robes colorées, souvent parsemées de petites fleurs ou de motifs d'animaux, et elle insistait toujours pour ajouter une touche de fantaisie avec ses serre-têtes ornés de papillons. Ses rires résonnaient encore dans la tête d'Éléa, des éclats joyeux qui transformaient les journées ordinaires en moments de pure magie. Ambre adorait dessiner, ses crayons éparpillés sur son bureau, chaque feuille racontant une histoire, chaque trait exprimant une part de son imagination débordante.
Éléa s’approcha du bureau d’Ambre et y trouva un dessin qu’elle n’avait jamais vu auparavant. C’était un croquis simple, enfantin, représentant deux silhouettes : une grande et une petite, se tenant par la main devant une maison. Mais ce qui troubla Éléa, c’était ce qui se trouvait derrière les silhouettes : des ombres noires, sans visage, se dessinaient dans le fond, comme si elles guettaient les deux figures. Éléa ne se souvenait pas qu’Ambre ait dessiné cela, et une inquiétude sourde commença à grandir en elle.
Plus tard dans la journée, Éléa décida de sortir un instant pour aérer son esprit. Elle marcha sans but dans le quartier, passant devant l’école où Ambre allait. Les rires des enfants résonnaient dans la cour, mais au lieu de réconforter Éléa, ils la rendaient encore plus consciente du vide qui l’habitait. Elle s’arrêta devant la grille, son regard perdu dans le flot des souvenirs qui l’assaillaient. Elle voyait Ambre courir, son sac à dos trop grand sur ses épaules, sa robe jaune préférée virevoltant autour de ses jambes, son rire cristallin se mêlant à celui des autres. La vision était si vivante qu’Éléa faillit l’appeler, avant de se rappeler brutalement de la réalité.
De retour à la maison, une sensation étrange l’envahit en franchissant la porte d’entrée. Quelque chose était différent, un détail imperceptible, mais qui la mettait mal à l’aise. En posant ses clés sur la table, elle remarqua que la photo d’Ambre, qu’elle avait laissée sur la table basse du salon, avait changé de place. Elle était maintenant sur le rebord de la fenêtre, tournée vers l’extérieur. Éléa resta figée un instant, ses pensées s’emballant. Avait-elle déplacé la photo sans s’en rendre compte ? La fatigue et le stress pouvaient-ils jouer autant avec son esprit ?
Elle prit la photo dans ses mains, essayant de se rappeler le moindre geste qui aurait pu la mener là, mais rien ne lui revenait. Elle retourna l’image, espérant y trouver un signe, un indice quelconque. Et alors qu’elle s’apprêtait à poser la photo, une odeur familière lui parvint : un parfum de lavande, doux mais distinct, celui d’Ambre.
Les battements de son cœur s’accélérèrent. Cette odeur ne provenait pas de la chambre, ni du linge, mais semblait imprégner l’air même autour d’elle. Éléa leva les yeux et croisa son reflet dans la fenêtre. Derrière elle, dans l’obscurité du couloir, une silhouette floue se dessinait brièvement avant de disparaître. Elle se retourna brusquement, mais il n’y avait rien, seulement le silence oppressant de la maison.
Éléa se sentit envahie par une angoisse qu’elle ne pouvait plus ignorer. Quelque chose était là, quelque chose de profondément ancré dans ces murs. Et pour la première fois, Éléa sentit que la maison ne gardait pas seulement le souvenir d’Ambre, mais quelque chose d’autre, quelque chose qu’elle n’était pas encore prête à affronter.
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