« J'vous jure que c'est pas des salades ! »
de
Héloïse S. Mrchll
« J’vous jure que c’est pas des salades ! »
Bien que la situation fût particulièrement étrange, même pour lui, William Ays ne pouvait qu’être d’accord avec l’humain qui se trouvait devant lui. Le pauvre tremblait de tous ses membres, en proie à la stupéfaction, l’horreur, l’incrédulité, tant et si bien que son agitation aurait pu le faire paraître fou si William Ays n’était pas ce qu’il était. Avec le professionnalisme qui faisait sa réputation, il inspira profondément et s’adressa à l’humain avec un calme absolu.
« Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé, s’il vous plaît ?
— J’ai déjà tout raconté à vos collègues, faut leur d’mander !
— Je le sais, mais je ne suis pas mes collègues et je souhaiterai, si vous le voulez bien, que vous me racontiez une fois de plus ce que vous avez vu.
— Vous êtes qui, d’abord ?
— Inspecteur Ays, de la R.A.P.C.
— C’est quoi, ça ?
— Une branche particulière d’agence fédérale. Quel est votre nom ?
— Martin… Martin Stemfield.
— Monsieur Stemfield, consentez-vous à me dire, une fois de plus, ce qui c’est produit ici ?
— Bah j’tais tranquille pépère dans mon lit, à essayer d’dormir, quand j’ai entendu un bruit pas normal.
— Quel genre de bruit ?
— Le genre pas normal, mais pas du tout du tout ! Du genre qui grince et tout, comme une vieille porte quand elle s’ouvre sauf que c’était pas une porte.
— Je vois. Continuez.
— Alors j’me lève, j’vais dans l’couloir et tout, et là j’entends qu’le bruit vient du salon alors j’y vais et là qu’est-ce que je t’y vois pas ! Une vieille ! Dans mon salon ! Avec un drôle de truc devant elle, du genre comme dans La belle au bois dormant, savez ? Le truc là sur lequel elle s’pique le doigt. Et c’était ça qui grinçait !
— Poursuivez.
— Pis là, paf ! Y a un fil qui apparaît tout seul, genre de nulle part, et qui vient s’poser dans les mains d’la vieille !
— Et après ?
— Et après, c’est d’venu n’importe quoi ! La f’nêtre du salon elle a explosé, pis y a un type qui est entré ! Mais pas un type normal, hein ! Un type du genre super grand, super musclé, avec pleins d’poils partout du genre comme d’la fourrure. Pis il portait un masque, un masque de loup v’voyez ? Du genre super réaliste ! Pis là il s’est jeté sur la vieille, et y a eu plein d’sang ! Partout partout ! Pis moi j’comprenais rien, pis j’avais trop peur, alors j’ai pas bougé, j’suis resté où j’étais, j’pas fais d’bruit. Pis là y a un autre type qui est entré, du genre pas très grand mais super méchant, voyez ? Genre avec une tronche qui fait peur, et un drôle de chapeau sur la tête. Et là y te sort un couteau d’sa poche, genre immense le couteau ! Pis il te zigouille le type avec le masque, pis il lui ouvre le ventre, pis il prend son chapeau et il le lui fourre dans l’bide ! Comme ça ! Pis il le remet sur sa tête et il se tire par la f’nêtre, comme ça !
— Et ensuite ?
— Ensuite rien, j’étais trop choqué, voyez ? J’pouvais plus bouger, comme si mes jambes m’écoutaient plus, pis vos collègues sont arrivés, pis vous, pis voilà.
— Très bien. Je vous remercie. »
William Ays se leva, laissa l’humain entre les mains de l’expert psychologique et se dirigea vers le salon. Le carnage qui s’y trouvait le laissa de marbre. Au milieu du salon trônait un rouet de l’ancien temps, datant à première vue de la deuxième moitié du XVème siècle et qui, outre la laine qu’il servait à filer, était recouvert de sang, de morceaux de chair, d’intestins purulents et autres organes que William Ays était bien en mal de décrire, vu l’état dans lequel ils se trouvaient désormais. À quelques pas du rouet, le corps sauvagement charcuté du lycanthrope, la carcasse en bouillie de la tisseuse de nuit, et la dépouille étrangement intacte du lutin de ville, dont les vêtements rouges se confondaient avec l’hémoglobine qui le recouvrait.
J’imagine que le loup l’aura gobé entier.
Ce n’était pas chose impossible, le lutin était si petit et le loup si grand, une fois métamorphosé, que ce dernier pourrait n’avoir fait qu’une bouchée de la minuscule créature. La présence du lutin expliquait, de plus, le « fil » apparaissant de nulle part dans la mesure où les simples humains ne pouvaient voir ces créatures. Cependant, les lutins étaient habituellement des voleurs et des « farceurs » patentés. Réquisition de crayons et de stylos, emmêlage d’écouteurs et autres câbles, poseurs de Légos sur les parquets, rien n’était trop beau pour rendre les humains fous. Toutefois, jamais William Ays n’avait vu un lutin aider qui que ce soit, une tisseuse de nuit encore moins. Blueberry pouvait en témoigner. Aussi, la présence du lutin en ces lieux, où l’on n’en recensait aucun, ainsi que celle du lycanthrope et du bonnet-rouge demeuraient, pour lui, un véritable mystère. Seule la présence de la tisseuse avait un tant soit peu de sens. Elles apparaissaient toujours quand elles voulaient, où elles voulaient, et ce sans que les agents de la R.A.P.C. ne puissent le prévoir.
William Ays abandonna la scène de crime, quitta l’appartement, croisa nombre de collègues dans les escaliers de l’immeuble et en sortit. Dehors, d’autres agents attendaient auprès d’une voiture où, malgré la teinte qui les coloraient, l’inspecteur pouvait apercevoir le simulacre du bonnet-rouge sur le siège arrière, fermement menotté et enfermé à double tour.
« Qu’est-ce qu’on en fait, inspecteur ?
— Je vais le ramener à l’agence, répondit celui-ci sans se donner la peine de les regarder. Assurez-vous que toutes traces paranormales soient effacées, et que l’humain soit pris en charge.
— Oui, inspecteur ! »
William Ays n’attendit pas davantage. Il déverrouilla l’avant du véhicule, s’installa derrière le volant. Il jeta rapidement un coup d’oeil au rétroviseur, où le bonnet-rouge l’observait avec attention. Un sourire tordu se dessina sur les lèvres de la créature. William Ays détourna les yeux, mis le contact et démarra.
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| « J'vous jure que c'est pas des salades ! » | Chapitre | 11 messages | 10 ans |
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