1 - Jalousie maternelle
NdA : Je rappelle, comme j’ai déjà eu des petits malins qui ne lisent pas le texte de présentation, que je n’avais pas encore trouvé la liste officielle du Writober 2023 quand j’ai commencé celui-ci, donc c’est sujet libre. J’ai la liste à présent mais je vais voir si j’ai le temps de m’y mettre et surtout si les thèmes m’inspirent.
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Mona Caldero avait toujours aimé briller, plus particulièrement en donnant de la voix. Le rêve de sa vie était de devenir une étoile de la musique et subjuguer un public entier par ses chants. Née à Venise, elle s’imaginait sirène de la lagune envoûtant tous les hommes qu’elle convoitait.
Son rêve ne s’essouffla pas avec les années, pas même lorsque la jeune fille ambitieuse devint une femme sans scrupules. Mona était prête à tout pour percer : charmer les hommes, évincer les femmes qui, comme elle, tentaient de se faire remarquer en chantant dans tous les tripots et cafés de la Sérénissime. Elle collectionna les rivales et les amants. Jusqu’à accidentellement tomber enceinte de l’un d’eux, parmi les plus irresponsables.
Devenir mère n’avait jamais fait partie de ses rêves. Cependant, elle n’eut pas d’autre choix que de mettre au monde son fils, Luciano, qu’elle éleva seule, même si élever était un bien grand mot. L’enfant grandit dans la solitude et l’absence d’amour. Mona ne le voyait pas grandir, en revanche elle se voyait vieillir. Sa jeunesse la quittait, mais elle s’accrochait à son rêve. Devait-elle vraiment être une jeunette pour percer ? Elle y parviendrait avec son talent, même si son fils, par sa naissance, l’avait éloignée pendant un temps de cet avenir musical qui lui tendait les bras.
Sans qu’elle ne s’en rende compte, son fils eut dix-sept ans. C’était à peine si elle le voyait, alors que pouvait-elle connaître de lui ? Comment pouvait-elle voir sa détresse, la spirale dans laquelle il se laissait tomber, et le poison qu’il s’injectait dans les veines ? Et pourquoi s’y intéresserait-elle, alors qu’elle n’avait jamais voulu de lui ?
Voilà pourquoi, un soir, dans l’un des nombreux cafés où elle venait chanter devant un médiocre public aviné, en quête d’un amant, elle s’exaspéra de le voir venir dans sa direction. Elle ne se vantait pas de sa maternité, cachait l’existence de son fils et tentait de mentir sur son âge. Les hommes n’aimaient pas les mères, préféraient les femmes sans attaches. Pourtant, Mona l’était, sans attaches.
Elle voulut faire partir Luciano, mais il insista pour qu’elle lui donne le double des clés de leur maison, le sien, celui qu’elle lui avait pris après avoir perdu son jeu chez l’une de ses conquêtes d’une nuit. Il ne voulait pas passer la nuit dans une ruelle de la Sérénissime et devait récupérer des affaires. Il ne partirait pas sans ses clés. Mona céda au moment où son patron les remarqua.
Il faisait partie de ceux qui la savaient mère célibataire, et qui lui avaient reproché son irresponsabilité et son absence de vertu. Comme si cela le regardait. Mona avait pourtant faire profil bas pour pouvoir continuer à chanter dans son établissement. Dix-sept années plus tard, il se montrait plus souple avec elle, mais l’existence et surtout la présence de Luciano lui rappelait sa frivolité.
- Tiens, ça fait longtemps ! C’est fou comme ça grandit vite, hein Mona ? Il est ton portrait craché, et heureusement pour lui vu la gueule de brute d’Umberto ! J’ai une idée ! Tu sais chanter comme ta mère, gamin ? Un duo, ça devrait plaire à mes clients ET mes clientes ! Allez !
- Allons, Guido ! Il ne sait pas chanter et c’est ridicule ! tempêta Mona, tandis que Luciano arborait une expression atterrée à l’idée de chanter.
- Et si je te paie, Lucio ?
- Je m’appelle Luciano. Bon, si c’est payé… Ça me permettra de manger vu qu’il n’y a jamais rien à la maison…, envoya-t-il avec un regard de reproche à sa mère.
Cela ne ressemblait pas à Luciano de faire des remarques de ce genre, mais Mona n’eut pas le temps de réagir que déjà Guido les poussait tous deux vers la minuscule scène, où Mona entama la chanson avec un grand manque d’enthousiasme.
Jamais Mona ne s’était sentie aussi révulsée par la présence de son fils, sauf peut-être le jour de sa naissance lorsque la sage-femme le lui avait mis de force dans les bras. Il n’avait rien à faire ici, ce n’était pas sa place mais la sienne ! Et il allait la ridiculiser : il ne savait pas chanter !
Quelle ne fut pas sa surprise lorsque ce fut au tour de Luciano d’entamer un couplet, avec du ressentiment mais surtout avec une justesse incroyable dans la voix. Tellement incroyable que le public se montrait plus réactif qu’avec elle, malgré des années d’expérience derrière elle.
Pour la première fois de sa vie, Mona Caldero jalousa son fils, et sa jalousie s’embrasa des années plus tard lorsqu’il perça dans la musique. Par pur hasard et sans en avoir rêvé. Il avait embrassé cette carrière car elle s’était présentée à lui, rien de plus.
Et en plus de la jalousie, Mona réalisa qu’elle ressentait de l’aigreur. Non, pire. Elle détestait son fils. Elle le détestait.

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