6 - La Beauté Mystérieuse
« Ça suffit, maintenant ! », songea rageusement le jeune Prince de Varas, après avoir entendu parler pour la millième fois de la Beauté Mystérieuse.
C’était une légende qui circulait dans la capitale depuis plusieurs jours. Le fils du plus riche commerçant du royaume avait fait la rencontre d’une superbe jeune femme avec qui il avait passé la nuit la plus torride possible. Elle avait disparu au petit matin et, depuis, il se languissait d’elle et la recherchait si ardemment que la rumeur avait déjà fait le tour de la cité. Même au palais royal, tout le monde en parlait.
S’ils savaient que la Beauté Mystérieuse en question, c’était lui. Il ne s’était même pas passé quoi que ce soit de débridé. Ce n’était qu’un rêve tissé par l’humour douteux d’un Djinn dans l’esprit de l’amoureux transi. Il courait après une chimère, et le problème était qu’en plus il avait pris le prince en sympathie. Inconsciemment, il sentait une ressemblance entre lui et sa belle de nuit, et cela commençait à lui porter sur les nerfs.
Voilà pourquoi, un soir, le jeune prince remit son déguisement magique de Beauté, qui lui donnait une apparence féminine - les voiles bleutés aux reflets irisés de violet, sa longue chevelure cuivrée et son maquillage parfumé à la rose - et qu’il décida de se rendre auprès de son soupirant inattendu pour mettre les choses au clair, sans que l’on sache qui il était sous son visage masqué.
Pourquoi fallait-il que des chasseurs de primes partent eux aussi en quête de la Beauté Mystérieuse pour la revendre à prix d’or à l’amoureux désespéré ? Et surtout, pourquoi fallait-il qu’ils lui tombent dessus pendant son trajet ?
Le prince se retrouva plaqué au sol par la bande de fripouilles, le visage dans le sable. Bien sûr, ils croyaient se retrouver avec une demoiselle en détresse, vulnérable, pas un jeune homme en pleine forme. Ils furent donc surpris de le voir se débattre et parvenir à leur porter des coups. Ils n’étaient pas inexpérimentés pour autant et une débâcle éclata.
Et ce qui devait arriver arriva.
- Mais qu’est-ce que… ? s’étonna l’un des bandits.
Et pour cause : dans la cohue, le déguisement s’était à moitié défait, et l’homme se retrouva à surplomber une bien étrange proie. La moitié inférieure du corps était masculine, les jambes fuselées dont la peau veloutée se voyait à travers les voiles avaient laissé place à des membres moins frêles dans un pantalon noir. Le ventre était lui aussi celui d’un homme et les hanches avaient perdu de leur superbe forme de sablier. En revanche, au-dessus se trouvait toujours le plus beau galbe de poitrine que le brigand n’avait jamais vu.
Trop déconcerté par ce mélange hybride, il ne pensa pas tout de suite qu’il s’agissait de voiles magiques ni ne vit le regard furibond du prince qui semblait vouloir le foudroyer sur place. À défaut, il se prit un solide coup de botte en plein visage et sentit son nez se craquer. Animé par la colère et la certitude d’être ridicule, le prince vit ses forces et son énergie se décupler, et il leur mit une sérieuse déculottée.
« Non mais franchement… », pesta-t-il intérieurement en remettant sa tenue magique en place.
Il ne fut pas surpris d’entendre l’éclat de rire du Djinn, qui l’avait suivi et n’avait rien raté de la scène.

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