12 - Proposition de vacances
- Désolée, tante Valériane, je vais devoir annuler les vacances, annonça Marlon, au téléphone avec sa tante.
- Oh non ! Mais pourquoi ?
- Je me suis fait une putain d’entorse !
- Hi ! Pas de gros mots, Marlon, tu sais que ça perturbe mes chakras !
- Ah oui, désolé…
- Bon… Repose bien ta cheville, je vais t’envoyer de quoi te faire de bons cataplasmes naturels !
« Et je vais tout balancer à la poubelle car j’aurais trop peur de m’empoisonner avec ! », s’empêcha de répondre le jeune homme, préférant remercier chaleureusement sa tante avant de raccrocher.
Assis dans le canapé du salon, il laissa sa tête basculer en arrière et soupira. Quelle poisse de se blesser alors qu’il avait posé ses vacances pour l’été ! Tête à l’envers, il regarda Léandre rentrer des courses, toujours aussi impassible malgré le poids du sac qui devait lui cisailler l’épaule.
- Désolé, hein, pour les vacances chez tante Valériane ! J’aurais aimé qu’on y aille ensemble ! lui dit-il tandis qu’il posait le sac dans la cuisine.
- Ce sera pour la prochaine fois.
- Après, rien ne t’empêche d’y aller tout seul, je peux me débrouiller ! C’est juste une cheville blessée !
- Ah ? Et comment tu vas aller faire les courses et les tâches ménagères ? Je n’aimerais pas te retrouver mort de faim dans une ruine : c’est moi qui ai payé la caution, rappela tranquillement Léandre.
- Tu as tellement de coeur, mon cher ! Ça va aller : mes petits frères vont venir me voir et ils seront aux petits soins de leur aîné ! Pourquoi tu ne demanderais pas à Justin d’y aller avec toi ? Tante Valériane le connaît un peu, en plus !
- Pourquoi pas ?
Léandre prit le temps de mettre les courses au frais avant d’appeler son meilleur ami, qui ne tarda pas à répondre. Il lui proposa donc l’idée de Marlon de partir quelques jours dans le Cantal pour profiter du calme et de l’air frais de la campagne.
- Désolé, j’ai finalement trouvé un job d’été et, même si ce n’est pas à temps complet, je ne vais pas avoir de créneau ! s’excusa aussitôt son ami d’enfance.
- Ce n’est pas grave, je comprends.
- On se voit toujours en août ?
- Bien sûr. Bon courage pour ton job.
Le reste de la matinée fut calme. Marlon lui assura une nouvelle fois qu’il pouvait très bien s’en sortir tout seul d’ici l’arrivée de ses frères, prévue après le départ de Léandre. Ce dernier n’insista pas et laissa justement son presque-cousin pour se rendre à un atelier de peinture. Les Beaux-Arts proposaient des sessions estivales en juin et juillet et il s’y était inscrit avec Andrea afin de continuer à travailler sans la pression habituelle des cours.
Il trouva justement sa camarade à l’entrée de l’école et elle lui adressa un sourire en le voyant, auquel il répondit. Ils se connaissaient depuis plus d’un an maintenant. Après une première année d’études mouvementée, ils avaient pu entamer la seconde avec plus de sérénité. À l’automne prochain, ils débuteraient la troisième sans que leur entente ne s’étiole.
Voilà pourquoi Léandre eut l’idée de l’inviter à l’accompagner dans le Cantal. Il se demanda d’ailleurs pourquoi il n’y avait pas pensé plus tôt. Il pesa le pour et le contre tout le temps que dura l’atelier, durant lequel ils devaient peindre une jeune femme en robe drapée. Elle s’appelait Emilie et était très sympathique. Elle posait pour eux en échange d’un salaire et trouvait ce job d’été beaucoup plus agréable que ceux en fast food qu’elle avait connus jusque-là.
Emilie était si sociable qu’elle avait sympathisé avec tous les artistes. Même Léandre, elle était venue lui parler sans le trouver étrange. Elle savait mettre à l’aise et rendre le dialogue facile… sauf avec Andrea. Pas qu’il y avait de l’inimitié entre elles, mais force était de constater qu’elles ne discutaient pas tant que ça.
Quand elles le faisaient, c’était avec moins d’enthousiasme qu’avec les autres. Léandre n’était pas si surpris : elle était introvertie de nature, complètement renfermée lorsqu’il l’avait rencontrée. Cependant, elle avait fait beaucoup de progrès depuis, tellement que cette légère distance avec Emilie l’intriguait un peu.
- Que vas-tu faire, la semaine prochaine ? lui demanda-t-il lorsque la session du jour se termina et qu’ils se retrouvèrent à nettoyer leur matériel au même évier.
- Je n’ai encore rien prévu. Sûrement inviter Adam à passer : on est à l’étroit chez moi, mais quand il vient, il dort comme un bébé et reprend des forces. Il ne veut pas déménager mais il a beaucoup de mal à dormir dans la maison.
- Je vois.
- Et toi, tu as prévu quelque chose ?
- J’étais censé partir quelques jours chez ma tante dans le Cantal avec Marlon, mais il s’est fait une entorse.
- Le pauvre…
- Oui… Monsieur a fait le fier face à son ancien colocataire, Alix, qui a raconté la fois où il a tenté de jouer au foot avec des rollers. Marlon était sûr d’y arriver et on voit le résultat. Il aurait dû m’écouter.
- Ah… Du coup, tu restes avec lui ?
- Il m’a dit qu’il pouvait se débrouiller et que ses frères allaient venir le voir.
- Donc, tu vas y aller ? C’est vrai que tu as ta voiture, tu n’as plus à emprunter celle de Marlon.
- Oui, répondit-il évasivement.
Il avait justement travaillé dur pour rembourser Marlon suite à la voiture qu’il avait envoyée à la casse. Cela lui avait d’ailleurs valu un stage de récupération de points. Et au bout de plusieurs mois, ses parents lui avaient offert une petite voiture d’occasion. Elle ne payait pas de mine, mais il n’en demandait pas tant. Le principal était qu’elle soit en bon état.
Andrea aimait bien cette petite voiture. Elle était même contente qu’il pleuve pour lorsque Léandre venait la chercher. C’était comme s’ils étaient dans une petite bulle et, lorsque les arbres de leur école étaient tous pris par des étudiants qui s’y prélassaient, ils pouvaient se réfugier dans la voiture et discuter calmement.
- Profite bien du Cantal, souhaita-t-elle avec un sourire, tout en essuyant ses pinceaux.
Il ouvrit la bouche pour lui répondre, mais elle n’avait apparemment pas fini de parler.
- Tu vas me manquer, laissa-t-elle donc échapper, avant d’arborer un air stupéfait comme si elle avait pensé à voix haute.
Il l'imita dans la seconde et se lança.
- Viens avec moi.
Les yeux d’Andrea s’arrondirent de plus belle.
- Moi, aller chez ta tante ?
- Pourquoi pas ? Tu connais déjà Flore et elle sera ravie de te revoir. Et puis, ce ne sera pas notre premier road trip.
C’était un bon argument, même si les circonstances desdits road trips étaient complètement différentes.
- Ça ne dérangera pas ma tante, si c’est ce qui t’inquiète. Elle est adepte du Peace & Love. Et le Cantal est une très belle région, tu passeras ton temps à peindre des paysages.
- … Tu penses te reconvertir en agent de voyages ? plaisanta-t-elle.
- Si l’art est une impasse, ça peut être une option : je connais déjà la Creuse et la région parisienne grâce à toi.
Elle poussa un petit rire puis hocha la tête.
- D’accord. Va pour le Cantal.

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