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 C’est agréable de pouvoir profiter des derniers rayons de soleil de ce mois de septembre. Aujourd’hui, j’ai décidé de prendre du temps pour moi et pour moi seule. Ce matin, Louis s’est contenté de m’embrasser et de s’échapper chez ses parents pour écrire. C’était plus fort que lui. Sa promesse n’aura même pas tenu trois semaines. Mais je ne suis pas surprise, je m’en doutais.

Le Parc du Thabor est l’un de mes endroits préférés à Rennes. C’est ici qu’avec Louis nous passions de nombreuses journées à contempler les passants, le paysage et les animaux qui l’habitent. Aujourd’hui, j’ai avec moi un livre que je ne quitte jamais : Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. C’est l’un de ces livres qui parcourent le temps sans prendre une ride. J’aime y lire la douceur des mots imprimés sur les pages, la profondeur d’un langage que nous ne maîtrisons plus. Entre deux chapitres, j’observe les passants.

Il y a ce monsieur qui en est à son troisième tour du parc. Il court aussi mal que moi. À vrai dire, l’on pourrait croire que deux patins à glace remplacent ses pieds. 

Il y a ce chien qui promène cette dame. Il est tout petit et âgé, si je m’en tiens à la couleur de son poil. Pourtant, il paraît bien plus en forme que sa maîtresse. C’est à peine si elle parvient à garder la laisse entre ses doigts usés. 

Il y a ces enfants qui, au volant de leur trottinette, foncent à toute allure vers le marchand de glace. 

Il y a cet écureuil qui parvient à dérober une fraise à mes voisins. 

Il y a cet homme qui marche, un livre à la main. Il se prend les pieds dans les racines d’un arbre. Il tombe, se relève, jette un œil autour de lui. Il croise mon regard et, gêné, se dépêche de prendre la fuite. 

Il y a cette femme, le ventre rond, qui balade ses trois autres enfants. 

Je m’arrête sur elle un instant. Je l’observe, l’analyse. Comment ose-t-elle venir étaler son bonheur ainsi ? Un, deux, trois enfants, et un autre en cours de création. Cela nous ramène à quatre. QUATRE. Et dire que je ne parviens pas à en avoir un seul. Ça frôle l’insolence. Énervée, je ferme mon bouquin, ramasse mes affaires et quitte le parc. 

— Bonjour Anna. 

Je ne souhaite pas me l’avouer, mais je commence à apprécier ces rendez-vous hebdomadaires avec Catherine.  

— J’ai fait couler du café. 

Je la remercie. Je ne suis pas certaine qu’il réussira à me faire traverser notre séance avec aisance, mais je l’accepte. Ce sera toujours mieux qu’un verre de vin. 

Catherine semble plus fatiguée que d’habitude. Ses cheveux, blonds et bouclés, sont attachés d’une pince argentée. Ils sont généralement relâchés et viennent danser à chacun de ses mouvements. Catherine n’est pas maquillée. Elle est pourtant toujours apprêtée avec attention. Quelque chose ne va pas.

— Comment allez vous ? je demande.

Catherine n’est pas une amie, mais c’est tout comme — bien qu’elle me dépouille de soixante-cinq euros après chacun de nos rendez-vous.   

C’est par un sourire qu’elle me répond.

— C’est moi qui devrais poser les questions, dit-elle. Mais je vais bien, merci. Et vous, Anna ? Prête pour notre séance ? Aujourd’hui, j’aimerais que vous me parliez de votre papa.  

Mon papa est né à Reims en 1956. Fils unique, il a grandi seul aux côtés de mes grands-parents. Petite, quand je demandais à Mamou pourquoi avait-elle eu qu’un seul enfant, elle répondait :

— Deux, c’est trop le bazar. Ça court partout, ça se chamaille et ça jalouse l’autre pour un rien.

En 1974, il quitte Reims pour Paris, comme beaucoup de jeunes étudiants. C’est là qu’il y rencontre ma mère, Pascale. Mes parents partagent le même prénom. Ce n’était pas fait exprès. Moi, j’ai toujours trouvé cela très drôle. Quand ils recevaient leurs amis et qu’ils interpellaient mon père, ils avaient une chance sur deux de se retrouver face à ma mère. Et il n’était pas question pour eux de se faire appeler autrement. 

— À quoi bon donner des prénoms à nos enfants si c’est pour les appeler avec un surnom ? répétait ma mère à chaque remarque de ses amis. Donc moi c’est Pascale, et lui, c’est Pascal. Pas de Pascalou ou je ne sais quoi d’autre. 

Ma mère a toujours été autoritaire. Elle n’a jamais été du genre à se laisser impressionner par qui que ce soit. Pour son audace, elle a même terminé en garde à vue pendant vingt-quatre heures. Outrage à agent. Je me souviens de la fureur de mon père à son retour à la maison. Moi, une fois de plus, je trouvais ça très drôle. Ma mère était une délinquante. J’avais de quoi faire parler de moi dans la cour de récréation.

Je n’ai jamais su pourquoi mes parents prirent la décision de faire leur vie à Metz plutôt qu’à Reims. Ma mère aimait la région, c’est certain. Et mon père souhaitait vivre à au moins cent kilomètres de chez Mamou. Peut-être que Metz fut une évidence.

À mon départ de Metz, mon père l’a très mal supporté. Voilà qu’il se retrouvait en tête à tête avec ma sœur, toujours à se plaindre pour un rien. Je rentrais quelques week-ends, mais ils étaient toujours trop peu pour lui. Il regrettait de ne plus me voir comme avant. Mais ma relation avec Louis prenait une bonne partie de mon temps libre et je n’avais pas la moindre idée de comment concilier les deux.

C’est quelques semaines avant la fin de mes études que je reçois un appel de ma mère. C’était un jeudi soir. Sa voix était tremblante. J’entendais ses pleurs. Elle m’annonce que mon père est à l’hôpital, qu’il faut que je rentre à Metz rapidement. Louis décide de m’accompagner. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour faire connaissance, mais sa présence m’était indispensable. À mon arrivée, j’apprends que mon père est atteint d’un cancer en phase deux. Les médecins ont de l’espoir. Moi, un peu moins. Pendant trois ans, il se bat. Il se bat jusqu’à ce que l’on apprenne qu’il est en rémission, qu’il a vaincu son horrible colocataire qu’était le cancer.

— On ne se débarrassera pas d’un Lucas comme ça ! dit-il en trinquant le soir même. 

Mais les bonnes nouvelles ne durent jamais bien longtemps. Quelques mois plus tard, les médecins réalisent que son colocataire est de retour. Cette fois-ci, il est peut-être trop tard. Le cancer n’habite plus que dans la chambre du haut, mais dans toutes les pièces. Cette fois-ci, les médecins nous encouragent à nous préparer au pire.

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