Chapitre 2: L'incident

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Maintenant cela fait un mois que Jim est arrivé, on est en novembre et l’hiver s’installe peu à peu avec ses vents frais, légers soit-ils. Je n’ai pas trop obtenu de réponses à son sujet. Je voudrais en savoir plus. Soit c’est moi qui me suis trompée et que finalement, il ne cache rien qui puisse être révélateur. Ou il ne veut pas s’ouvrir et cache quelque chose de terrible. Aucune des hypothèses ne me plaisent. Il me démontre tout les jours qu’il est une personne tout à fait normale. Il s’est fait rapidement des amis, il raconte des blagues en classe, participe même. Une partie de moi est un peu déçue : j’ai vraiment eu cette impression quand je l’ai vu pour la première fois. Quelque chose de différent émanait de lui. Je ne peux pas non plus en apprendre plus sur lui car nous ne parlons pas beaucoup entre nous. On discute parfois dans les couloirs, si on se croise par hasard. Mais ce n’est jamais plus profond que comment je vais, la météo ou d’autres banalités. Je vois ses yeux posés sur moi à certains moments, et mon pouls s’accélère tandis que je détourne le regard de ses yeux bleus. Je voudrais plus. Je veux avoir une vraie conversation avec lui. Encore faudrait que j’ai le courage de lui parler sérieusement. Une force intérieur me pousse à lui poser des questions mais à chaque fois je m’y résous. Aujourd’hui j’ai décidé d’aller faire du shopping avec Sue et Madison. J’ai besoin de passer du temps avec mes amies et ne penser à rien. C’est la nouvelle collection alors j’en profite pour acheter pleins de trucs : pulls, bonnets, pantalons, bottes et manteau. Nous ressortons chargées de sacs, l’esprit joyeux. Nous marchons les trois, bras dessus, bras dessous le long des allées du Shoppes, un centre commercial contenant plein de sortes d’activités.

– On pourrait sortir un de ces soirs. On ne fait plus rien en ce moment, souffla Madison en nous regardant du coin de l’œil.

– Oui pourquoi pas, c’est une bonne idée. Mais vu la saison, je ne crois pas que ce soit la période parfaite pour aller en boite ou faire une virée à Los Angeles, répliqua Sue en dissimilant un sourire. Je sus tout de suite où elle en voulait venir. Elle faisait allusion à nos étés ensemble ; en générale, environ tout les weekends, on prenait la voiture de Sue et on roulait jusqu’à LA ou une ville voisine. Une fois là-bas, on profitait de la plage et des divertissements nocturnes. Nous n’avons pas la majorité évidemment, j’ai 16 ans. Mais comme beaucoup de jeunes américains, nous possédons des faux papiers.

– On a pas besoin d’aller à Los Angeles. On peut organiser une fête ! Elle s’accroche au bras de Sue.

– Je sais pas, je dis. Organiser une fête c’est beaucoup de travail. C’est peut-être mieux d’aller au cinéma ?

– Raquel a raison, dis Sue. Moi je peux pas l’organiser chez moi, mes parents ne voudront pas, et puis c’est beaucoup de travail.

– Bon, un cinéma alors, cède Madison. On invite des autres non ? Jim et ses amis ? Sue et moi la regardons avec des grands yeux.

– Jim et ses amis ? Tu rigoles j’espère ? On ne se connaît pas beaucoup, ce serait bizarre.

– Justement, c’est l’occasion parfaite pour se connaître. Et vous avez échangez quelques paroles par-ci par-là. Ses amis sont d’ici, ils nous connaissent. Je pense c’est une bonne idée. Je suis un peu réticente mais j’admets que ce serait une opportunité pour mieux le connaître et en savoir plus sur lui. J’ai besoin de me lancer.

– D’accord, on fais ça alors. Madison sourit.

– Parfait. Nous choisirons le film avec eux sur le moment.

– On est pas sûre qu’ils vont dire oui, dis Sue.

– Mais ils vont pas dire non, rétorque Madison. Raquel tu proposes à Jim ? Je hoche la tête et me mords la lèvre. La décision est prise, je ne peux pas me rabattre maintenant.

Je trouvais l’idée d’aller au cinéma avec ses potes bonne cependant l’idée de le lui demander me donnait la boule au ventre. Aller au cinéma est quelque chose qui se fait entre amis. Et nous ne le sommes pas. Au moins, nous avons échangé quelques mots à plusieurs reprises, donc ce n’est comme si je serais une complète inconnue. Le mardi, durant la pause je me décidai et allai le chercher. J’eus beau chercher partout, aucun signe de lui. Et ses amis ne savaient pas non plus où il se trouvait. C’est peut-être un signe de l’univers que je ne dois pas entrer en contact avec lui et qu’il est dangereux. Il faut que j’arrête ces pensées. Je décide d’aller à la bibliothèque et m’avancer sur des dissertations que je dois rendre. Je déambule le long des rayons et m’imprègne de la tranquillité des lieux. Avant de m’asseoir à une table, je distingue une silhouette familière. En m’approchant, je confirme, c’est lui.

– Te voila, je t’ai cherché partout, ai-je annoncé en m’arrêtant à deux pas de lui. Il lève les yeux et affiche un air surpris.

– Oh, désolé, je fais des recherches pour un sujet de sciences. J’ai passé la majorité du temps à la bibliothèque, je ne voulais pas être déconcentré. Dis donc, pensai-je. Il est studieux, quelque chose de plus. Il a l’air concentré. Curieuse, je me penche et lit le titre : Secrets des terres profondes de notre planète.

– Ce n’est pas grave, dis-je à mi-voix en l’observant. Je ne saurai dire qu’est-ce qui me suscitait le plus d’intérêt, lui ou le livre ? Il portait un gros pull à capuche bleu foncé avec un jean noir. En s’apercevant que je le dévisageais, il se ravisa et ferma son livre :

– Tu voulais me dire quelque chose ou… Désolé, ce projet est vraiment important pour moi, affirma-t-il en se redressant et manque de croiser ses bras. Il a l’air un peu sur la défensive. Il faudrait que je m’empare de ce livre, pensai-je. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de lui proposer le cinéma maintenant.

– Je voulais juste te proposer d’aller au cinéma avec Madison et Sue. J’ai pensé que ça pourrait te plaire, enfin, une sortie tu vois. Tu peux amener des autres personnes si tu veux, ai-je annoncé en levant finalement les yeux vers lui. Mon ventre se noue d’appréhension. Ses yeux s’adoucissent.

– Parfait pour moi. Ça fait longtemps que je ne suis pas allé au cinéma en plus, déclara-t-il en me souriant. Soulagée, j’observe une nouvelle fois son livre puis surprend son regard braqué sur moi. Une sensation de chaleur traverse mon corps. Je déglutis.

– C’est bouclé alors, déclarai-je en tournant mes talons.

– D’accord, il y a pas de problème… attends, dit-il en me voyant déjà partir. Tu veux que je te ramène ce soir ? Lui et moi, seuls? Rien qu’en y pensant, mes tripes se nouent d’anticipation. Ce serait la parfaite occasion pour enquêter. Ou converser comme une personne normale, me souffle ma voix intérieure. Mais je ne sais pas si je devrais accepter. Je ne le connais pas en fin de compte. Ou il veut simplement me rendre un service.

– Si ça ne te dérange pas, il ajoute. Il enfonce les mains dans ses poches.

– Pas du tout, merci pour me le demander. Je me tourne et ajoute : n’oublie pas d’amener d’autres personnes, ajoutai-je. Je sens son regard sur moi pendant que je quitte la bibliothèque. Je ne pus me concentrer pendant le reste de l’après-midi. L’appréhension me rendait nerveuse. Comment pouvais je lui demander ce que je voulais savoir sans sembler intrusive ? D’après mon père, mieux vaut être directe avec les gens, mais je ne crois pas que cela puisse être utile dans mon cas. J’essayais de me concentrer sur les cours mais l’image de Jim revenais sans cesse. J’ai oublié de dire à Maddie et à Sue. Je sors mon téléphone et pianote Jim a dit oui. Quelques secondes après je sens des vibrations et souris malgré moi. Je grignote mon stylo lorsque la sonnerie retentit. Je range mes affaires en vitesse, le cœur battant et sort en trombe. Je resserre ma veste de coton noir autour de moi tandis que je l’aperçois juste devant les portes de la sortie. Je lui fais un petit signe de la main et le rejoins.

– Hey, ça va ? Pas trop d’ennui en maths ? Je hausse un sourcil.

– Je ne vais pas te mentir, c’était à en mourir d’ennui, impossible à me concentrer. Il ricane tandis que nous nous mouvons dans le parking grouillant de bruit. Sa voiture est une Ford noire assez spacieuse. J’essaie de ne pas m’emmêler les pieds dans mon pantalon bootcut et aperçois quelques regards curieux. Pourquoi Jim attire tellement le regard ? Beaucoup diraient que c’est sa beauté ou qu’il est nouveau mais je trouve qu’il y a autre chose. Je m’installe dans le siège passager et attache ma ceinture. Je lui indique où j’habite.

– Tu as froid ? me demande-t-il en allumant le chauffage.

– Non non, je suis très bien merci. Je serre mes doigts. Il démarre et nous sortons lentement du parking. J’essaie d’éviter le regard de quelques curieux.

– Je t’ai proposé de te ramener parce que je me suis dis que nous n’avons pas encore eu l’occasion de parler, enfin de se connaître. Il se racle la gorge et me regarde rapidement.

– C’est vrai. Tu es assez demandé, pour être nouveau, tu t’es fais déjà beaucoup d’amis, je remarque.

– Je ne sais pas si peux les qualifier d’amis encore. En général je passe souvent inaperçu. Il hausse les épaules.

– Peut-être mais pas à Chino Hills High en tout cas. Tu m’as dit que tu venais du coin je crois non ? Je le regarde attentivement.

– Exact, j’allais dans un autre lycée un peu en dehors de Chino Hills.

– C’est bizarre parce que je pense que je t’aurais croisé tout ce temps là, mais c’est la première fois que je t’ai vu. – J’ai toujours été discret. Et en plus je n’allais pas à les écoles principales de Chino Hills.

– Ouais mais tu n’as pas l’air d’être discret à Chino Hills High. Il souris avant de s’engager à droite.

– Je ne suis pas populaire si c’est ce que tu insinues. J’attire juste l’attention parce que je suis nouveau, c’est tout. Le lycée est très grand, ils vont bientôt m’oublier. Peut-être, pensai-je.

– Et toi ? Il me jette un regard furtif.

– Moi ? Et bien, j’ai vécu toute ma vie ici. J’ai un petit frère. J’aime courir. Il hoche la tête.

– Tes amies, comment elles s’appellent déjà ? Madison et Sue, vous êtes proches non ?

– Oui, on se connaît depuis longtemps. Je souris. C’est ta manière de me dire que je n’ai pas beaucoup d’amis ? Parce que les avoir elles, c’est tout ce qui compte pour moi. Je ne suis pas timide, je peux affirmer clairement ce que je veux mais je n’aime pas trop attirer l’attention. Je regarde à travers la vitre.

– Je comprends. Je n’ai rien insinué du tout. Même si tu n’aimes pas attirer l’attention, je ne pense pas tu passes inaperçue. Je croise son regard et sens que je vais rougir. Je regarde à nouveau à travers la fenêtre. Je devrai dire quelque chose, un commentaire, je ne sais pas. Mais je me mue dans le silence et me masse les tempes. J’ai un peu mal à la tête. Finalement, je me tourne vers lui.

– Merci, je vais le prendre comme un compliment.

– C’en était un. Tu vas bien ?

– Oui, j’ai juste un mal de tête. Je passe la main sur mon menton et manque de sursauter. Mes lèvres sont brûlantes. J’ouvre le pare-soleil et constate qu’elles sont rouges. Je me tâte le front, j’ai peut-être de la fièvre. Je me sens bien à part le mal de tête. Jim arrête la voiture avant le feu rouge.

– Tu veux de l’eau ? Je crois que j’ai une bouteille à l’arrière. On est presque arrivés de toute façon. Je fais mine de me tourner mais il me devance. Une bouffée de son parfum atteint mes narines. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est très masculin et sexy. Il se retourne et me passe la bouteille, son visage rapproché du mien.

– Merci. Son regard descend sur mes lèvres avant de redémarrer. J’ai besoin d’un peu de fraîcheur. Je bois une gorgée et tente de me calmer.

– Mieux ?

– Oui merci. Je suis fatiguée et mes lèvres sont un peu gercées. Je ne sais pas s’il a vu que mes lèvres sont anormalement rouges donc c’est la première chose qui m’est venu en tête. Je n’allais pas lui dire qu’elles sont chaudes. Je trouve mon labelo dans mon sac et me l’applique mine de rien. Jim prend un virage et nous voici. Chez moi. Il s’arrête et se tourne vers moi.

– J’espère que tu te sentira mieux.

– Merci, oui ce n’est rien. Merci pour me ramener, c’est gentil de ta part. Je prend mon sac et sort de la voiture, un peu désorientée. Une fois sur le seuil de ma porte, je me tourne et vois qu’il n’est pas encore parti. Je croise ses yeux bleu perçant et frissonne légèrement. Il démarre et m’adresse un signe de la main. Une fois dans ma chambre, j’ignore si c’est une bonne idée d’avoir chercher son contact. Bon il m’a juste ramené chez moi. Je ne sais pas. Je soupire et me regarde dans le miroir. Mes lèvres sont encore rouges mais elles ne sont plus chaudes. Heureusement, je commençai à m’inquiéter. J’ai besoin d’une pause, de revenir à quand Jim n’existait pas. Je me prend trop la tête.

[…] Je me réveille au toucher d’une main qui me caresse les cheveux. Je me redresse brusquement.

– Oh c’est toi , m’exclamai-je en me redressant sur la tête de lit. Mon frère est très sensible. Il vient souvent me voir dans ma chambre, il est affectueux, il cherche mon attention parfois. Nous n’avons pas une typique relation conflictuelle entre frère et sœur. Je trouve ça chou.

– On ne savait pas ce que tu faisais depuis ton arrivée. C’est bientôt l’heure du dîner. Tout va bien ?

– Désolée, j’avais juste besoin de réfléchir, répondis-je en reprenant peu à peu mes esprits. J’ai passé une mauvaise journée.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? Quelque chose me dit que c’est mieux que je ne raconte rien de cela à mon frère ni à mes parents.

– Rien de grave, ne t’inquiète pas. J’ai beaucoup d’examens, j’ai du travail. Descend, je te rejoins dans deux minutes. Je lui adresse un sourire encourageant avant de lui caresser le visage. Il hoche la tête et s’en va. Heureusement je n’ai pas fait de rêves. Il aurait remarqué une énième fois. Je me lève, remet mes cheveux en place et me hâte de descendre.

– Qui t’as déposée aujourd’hui ? J’ai vu une voiture, demande ma mère à table. Parler de Jim à mes parents en ce moment me causait une grande gêne. Je ne sais pas comment le décrire. Une connaissance, le nouveau. Je décide alors de lui répondre par une autre question.

– Tu as finit plut tôt que d’habitude je crois ? J’espère que ça marche. Ma mère est kiné et elle a généralement beaucoup de clients. Je vois qu’elle sait que je veux changer de sujet. Elle plisse les yeux.

– Mon dernier client avait annulé son rendez-vous alors je suis venue, expliqua ma mère. Je le suis reconnaissante d’avoir continuer sans poursuivre sur qui m’avait déposée. Physiquement je lui ressemble beaucoup: cheveux bruns, les mêmes yeux verts et le même nez (droit et plutôt fin). Par contre, toute ma famille dit que j’ai pris mentalement de mon père. La force de volonté, la méfiance mais aussi la curiosité et la réflexion avant d’agir. Mes deux parents sont bruns mais les cheveux de ma mère sont plus fins et plus lisses tandis que ceux de mon père sont plus épais. J’ai pris les cheveux fins et lisses de ma mère alors que Ben les a épais avec des yeux noisette. Je finis par répondre à sa première question. Autant être honnête, pensai-je.

– C’est Jim qui m’a déposée. Il est nouveau.

– Gentil de sa part, s’étonna Ben avec une pointe de malice dans sa voix. Je vois tout de suite où il veut en en venir.

– Il est gentil. Je lance un regard appuyé à Ben.

– D’où il vient ? Demande ma mère.

– Il vient de Chino Hills mais apparemment il allait à un lycée en dehors de la ville. C’est bizarre parce que je ne l’ai jamais croisé avant.

– Ça arrive, dit mon père. Tu sais, il y a des personnes qui n’aiment pas participer aux évènements de la ville ou peut-être il menait ses activités sociales autre part puisqu’il était dans un autre lycée.

– Oui c’est vrai. Je n’avais pas pensé à ça honnêtement. La conversation repart dans une autre direction et je me perd dans mes pensées. Je pense toujours que Jim a quelque chose d’étrange. Je ne sais pas si c’est sain de penser comme ça parce que j’aurai une déception si je découvre qu’il est juste un beau garçon normal. Je capte des bribes de conversation sur les notes et les devoirs de Ben. Ma mère nous a toujours fait confiance au sujet de l’école. Je ne suis pas première de la classe mais disons que j’ai des bonnes notes et Ben aussi. J’aide maman à faire la vaisselle et monte dans ma chambre faire mes devoirs. Je ne sais pas pourquoi mais quand je pense à Jim, mes pensées dérivent sur mes relations amoureuses et justement je n’en ai pas eu. J’ai seulement eu de « bons amis » mais pas plus. J’ai déjà embrassé et fais plus mais pas de relations sérieuses. Non pas que je pense à Jim de cette manière. Je secoue la tête en chassant ces pensées. Je profite de l’eau chaude et tente de lâcher prise. Lorsque je sors de la douche je me contemple dans le miroir : mes lèvres en forme d’arc sont toujours rouge sang, mes cheveux longs bruns ont des nœuds et les pupilles de mes yeux verts sont anormalement dilatées. J’ai lu sur internet que les pupilles se dilatent lorsque l’on ressent du désir. Ce n’est pas mon cas en ce moment. Que m’arrive-t-il alors ? Je désire peut-être autre chose que du désir sexuel. J’applique une autre fois du labelo sur mes lèvres avant de me coucher, angoissée.

Je marche dans un jardin semi-éclairé. Mes pieds touchent le gazon. La lumière environnante ressemble beaucoup à celle que l’on voit lorsqu’il y a l’aube. C’est beau. Je regarde autour de moi, il n’y a personne. Je commence à marcher droit devant moi lorsque j’aperçois un arbre. Non c’est l’Arbre. Grand, majestueux. Ses longues branches se déploient devant moi. Avec la lumière il n’a pas l’air si effrayant. Je m’approche et tend la main. La pointe de mes doigts l’effleure et je me sens défaillir. Un douleur perce dans mes tempes. Je crie, je me penche en avant. Je sens une source de chaleur dans mon dos. Je me retourne brusquement et vois la flamme. Non, pas encore une fois. Je me lève et commence à courir. Je titube entre les énormes racines de l’arbre. Mais la flamme est rapide. Elle me transperce tandis que je prend une inspiration. Je crie. […]

Je m’isole dans un coin de la bibliothèque et me plonge dans la lecture d’un livre. Aujourd’hui le ciel est dégagé alors j’ai mis un jean bleu clair, un top blanc et une veste à capuche bleu marine. Je n’ai pas revu Jim depuis hier et je crains qu’il est absent. Je le confirmerai en histoire à la prochaine heure. J’ai besoin de calme. Je n’ai plus dormi après le rêve. Impossible. Je me suis contenter de fixer le plafond et remuer dans mon lit. Je pense que c’est un miracle que je n’ai pas crié lorsque je me suis réveillée. Personne est venu. J’ai soupiré de soulagement à ce moment là. Je vois Sue arriver. Elle s’assoit en face de moi.

– Tu n’as pas très bonne mine. Tu passes trop de temps à la bibliothèque Raquel, pourquoi tu ne viens pas dehors ?

– J’avais envie de lire. J’ai eu une nuit blanche. Elle plisse les yeux. Je ne vais pas lui raconter à propos de mes rêves. Personne ne le sait.

– Pardon, je reprend. Je ne sais pas pourquoi mais Jim m’intrigue. J’ai besoin d’être avec mes pensées. Elle sourie et se penche sur sa chaise.

– Tu veux dire qu’il te plaît ? Ce que je dis n’était pas vraiment un mensonge mais ce n’était pas la raison pour laquelle je suis venue à la bibliothèque.

– Non, il m’intrigue c’est différent. Tu ne le trouves pas un peu bizarre ? J’ai l’impression que je répète souvent ce mot bizarre, pensai-je intérieurement. La prochaine fois tu dis beau, me souffle une voix.

– Bizarre ? Raquel, il est tout à fait normal. Il n’est pas asocial ou geek. Je ne vois pas ce que tu veux dire.

– Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il est différent, qu’il cache quelque chose. Hier il m’a dit qu’il est de Chino Hills mais qu’il allait à un lycée en dehors de la ville. Tu trouves pas ça bizarre ? J’essaie de ne pas grimacer à bizarre.

– Non. C’est sûrement le cas. Il n’y a rien de bizarre à fréquenter une autre école. Je pense que c’est une excuse que tu t’inventes parce qu’il te plaît.

– Arrête. Je secoue la tête. Je vous rejoins dans cinq minutes. Et n’en parle pas à Madison, elle va me poser des questions. Sue soupire et hoche la tête. De nouveau seule, je repense à ce qu’elle m’a dit. Je ne vais pas nier qu’il n’est pas moche et qu’il m’intrigue sur ce point aussi. Mais je suis honnête quand j’affirme qu’il dégage quelque chose d’étrange. J’ai envie de dormir et ne penser à rien. Je sens une présence dans mon dos. Je me retourne violemment sur ma chaise et pousse un soupir.

– C’est toi. Salut. Je venais de subir littéralement un arrêt cardiaque. Je referme mon livre.

– Désolé je ne voulais pas te faire peur. Jim sourit et s’assoit à coté de moi. Sa présence elle seule obnubile déjà tous mes sens. J’ai l’impression que je pourrais lui raconter mes rêves. Je fronce les sourcils.

– Je croyais que tu étais absent. Je ne t’ai pas vu de toute la journée. J’essaie d’adopter un ton détaché pour cacher ma légère nervosité.

– Oui, je viens d’arriver, j’ai eu un petit imprévu, me susurra-t-il. La bibliothèque est plongée dans un silence confortable et rassurant. Elle regorge de petites tables à chaque coin de rayons, donnant un peu d’intimité à ceux qu’ils en veulent. Et j’en fais partie.

– Tu te sens mieux ? Je fronce les sourcils. De quoi il parle ? Ah oui le mal de tête et les lèvres rouges d’hier. Je vois qu’il a remarqué mes cernes.

– Oui merci ! Je n’avais pas mangé correctement et j’étais fatiguée. Rien de grave. Il hoche la tête.

– Content de le savoir.

– Qu’est-ce que tu faisais derrière moi ? Je me tourne désormais totalement vers lui.

– J’ai eu un imprévu mais heureusement j’ai pu revenir rapidement et rejoindre les cours. Je suis passé par la bibliothèque parce que j’aime bien lire. Je t’ai vu et apparemment je t’ai fais peur.

– Oui parce que tu étais planté derrière moi.

– C’est ça, je t’observais. Il ricane. Je croise les bras en réponse.

– L’imprévu concerne ta famille ? J’espère qu’ils vont bien, je dis sincèrement. Je mentionne la famille parce que c’est la première chose qui surgit dans mon esprit.

– Non ça ne concernait pas ma famille. Un ami avait besoin de moi. Je sens qu’il répond vaguement à ma question, non que ce soient mes affaires. Il semble remarquer mon livre et c’est alors que je me souvient de sa conversation sur les quatre éléments aux casiers. Je dois essayer d’en découvrir un peu sur lui, minimum.

– Tu sais, je suis intéressée par les quatre éléments. Je trouve que c’est fascinant. Est-ce que tu pourrai me recommander des livres ? Ses yeux me percent le visage et je sens que je l’ai pris au dépourvu. J’essaie d’afficher un visage neutre mais je me sens nerveuse.

– Je ne savais pas que c’est un sujet qui t’intéresse, il répond. Ce n’est pas quelque chose que l’on voit beaucoup à l’école. Pourquoi ça t’intéresse ?

– Oh je l’ai lu dans un livre fantasy en fait. Et ça a piqué ma curiosité.

– J’aime beaucoup cette partie des sciences. Ce n’est pas trop expliquée je trouve. Je peux te recommander des livres mais il faut juste que je me rappelle des titres. Il sort son téléphone et commence à pianoter. Je souris intérieurement. Il a mordu à l’hameçon. Je pense plutôt qu’il a l’hypothèse que j’ai écouté sa conversation ce jour là. Il me montre les livres et j’annote les titres.

– Merci. Je vais les acheter. Je range mon livre dans mon sac. Je fais mine de me lever.

– Je t’accompagne à ton cours ? Il se lève aussi et nos corps se retrouvent soudainement près l’un de l’autre. Ses yeux sont tellement bleu. Bleu océan. Ils sont beaux. Ils semblent scanner mon visage.

– D’accord. […]

Je retrouve les filles en cours. Je m’installe à ma table habituelle. Sue à gauche et Madison à droite, moi au milieu.

– Ça va ? Demande Madison. Sue m’a dit que tu as eu une nuit blanche.

– Oui merci. Ça arrive. Je n’ai pas envie de penser à mon cauchemar alors je change de sujet.

– Jim m’a dit qu’il amène deux de ses amis pour la soirée ciné.

– Super, on aura pas à être la cinquième roue du carrosse alors. Je me tourne vers Madison manquant de lever les yeux au ciel.

– Tu racontes n’importe quoi.

– Hey, il te regarde souvent. J’analyse son langage corporel c’est tout. Elle hausse ses épaules. La prof arrive et nous terminons la conversation. Il me regarde parce qu’il est curieux, pas plus, pensai-je. Je suis un peu soulagée que ça ne sera pas que nous trois avec Jim. Ça aurait été un peu gênant.

[…]

En tennis je continue dans ma position de la plus compétente. On ne fait plus de tournoi. Désormais le prof nous a divisé en duo en fonction de notre niveau et on joue des matchs. Je suis en duo avec une fille. Sue doit jouer contre un mec à l’autre bout de la salle. Je lui adresse un sourire compatissant. Je vois du coin de l’oeil que Sue part avec une fille à l’autre bout de la salle également. Je soupire. Je suis fatiguée, je ressens de l’inconfort avec mon soutien-gorge et mon short est trop serré. Il est vieux. J’ai grandi depuis que je l’ai acheté (il y a trois ans). J’ai clairement besoin d’autres vêtements de sport. Nous commençons les matchs et on enchaîne. J’essaie de me concentrer, de bien jouer. On finit un match et je tente de reprendre mon souffle. Je vois Jim marcher dans ma direction et je panique. Non, il se dirige vers sa gourde. Que suis-je bête. Je sens son regard sur moi mais je l’ignore. Je suis trop exténuée pour lui faire face. Les souvenirs de mon rêve refont surface et je frissonne. Je pense à la flamme. La flamme. Est-ce que c’est en lien avec le feu dans les quatre éléments ? Je secoue la tête. Je pense trop. Nous reprenons et je fais abstraction de mes pensées pour le reste de la séance. Le prof siffle et c’est fini. Enfin. Je me dirige vers Sue.

– C’était comment ? Son visage est rouge est ses cheveux gras. Tout comme moi.

– Horrible, on était nul tout les deux. C’était hyper ennuyant. Je passe mon bras sur ses épaules et ricane.

– Je ne comprends pas comment tu n’as jamais améliorer au tennis, j’avoue.

– Tu veux dire à tout les sports en général ? J’éclate de rire.

– C’est pas grave, un jour tu y arriveras. […]

La sonnerie sonne, indiquant la fin de la journée. Je sors, ravivée par la vue de rentrer chez moi. J’ai eu encore un cours après la séance de sport. Autant dire que ce fut infernal. Je ne suis pas arrivée à me concentrer, j’étais perdue dans mes pensées. Je suis contente que cette journée prend fin. Je descends les quelques escaliers de la façade et trouve en face de moi une fille. Je recule de surprise et étudie son visage. Oh, c’est Noa. Ça y est, je me rappelle d’elle. Toujours affublée de vêtements à la mode, accompagnée des gens les plus riches du lycée et très maquillée. Je l’ai souvent perçue comme superficielle.

– Salut Raquel. Elle m’adresse un sourire hésitant.

– Salut Noa, lançai-je avec un ton méfiant. Pourquoi m’adresse-t-elle la parole ? C’est tellement inhabituel. Elle n’a jamais manifesté aucun intérêt envers moi.

– Je sais que nous nous parlons très peu et que tu me connais à peine mais j’aimerais vraiment parler avec toi.

– T’inquiète pas, je lui dis. Tu as besoin d’aide ? Je me méfie clairement d’elle mais je n’ai aucune raison de lui refuser une conversation.

– Non, ce n’est pas ça. Allons quelque part de plus privé. J’attends quelques secondes avant de hocher la tête. Elle fait signe de me suivre et me dirige vers les toilettes. Je fronce les sourcils. De quoi veut-elle parler ? Je suis vraiment sceptique, surtout lorsqu’elle nous enferme dans les toilettes. Je rate un battement. Elle pose son sac sur un des lavabos et croise les bras avec nonchalance.

– C’est à propos de Jim. Je tombe des nues. De Jim ?

– Jim ? Qu’est-ce qu’il y a ?

– Tu ne devrais pas te rapprocher de lui.

– Pourquoi ? Tu le connais ? Je sens mon corps se tendre. Elle a officiellement piqué ma curiosité.

– Pas vraiment mais je sais que tu ne peux pas lui faire confiance.

– D’accord mais pourquoi ? Pourquoi je ne peux pas lui faire confiance ? Il est dangereux ? Elle soupire.

– Je ne peux pas te donner plus de réponses à son sujet. Tu dois m’écouter, il faut que tu t’éloignes de lui. Elle me lance un regard appuyé. Mes pensées fusent. Qu’est-ce qu’elle cache ? Pourquoi toutes ces énigmes ?

– Ça y est, j’ai compris, je déclare. Tu l’aimes bien ? Jim et moi sommes que de vulgaires connaissances. Tu n’as pas à t’inquiéter. Une partie de moi ne voulait pas dire ça mais c’est la seule raison logique à laquelle j’ai pu penser. Elle est populaire, je ne sais pas.

– Non Raquel. Tu ne comprends pas. Je m’en fiche de Jim. Elle se rapproche de moi. J’essaie de te prévenir. Tu ne peux pas lui faire confiance, il est… dangereux. Je fronce les sourcils.

– Je ne comprends pas. Dangereux comment ?

– Je t’aurai prévenue. Elle prend son sac et sors en trombe avant que je puisse dire autre chose. Je reste un moment cloîtrée contre le mur. Je n’y crois pas qu’elle ai dit ça. Je la crois quand elle dit qu’elle n’est pas intéressée, elle l’aurait dit clairement si c’était le cas. Alors pourquoi ? Je soupire et me masse les tempes. C’est trop pour aujourd’hui. J’y réfléchirai demain. Je prend mon sac et sors. Je circule à travers le parking et me dirige vers l’arrêt du bus. J’aperçois Jim à ma gauche. Il est adossé à sa voiture avec un autre gars. Ils parlent. Une sensation de froid m’envahit. Qui est-il ? Je ne peux pas nier qu’il m’intéresse. Il est beau. Je pense que j’attire son attention mais Noa est la preuve que mon impression que quelque chose d’étrange dégage de lui est vraie. Je crains qu’il me voit alors je me dépêche. Je rentre à la maison le souffle court, je me sens fébrile. Le rêve toujours présage un mauvais jour mais maintenant il y a Jim. Ce qui signifie que je suis plus désemparée qu’un jour avec le rêve sans Jim. Devrai-je lui dire ce que Noa m’a dit ? Je ne devrai pas mais ce serait peut-être une manière pour lui de m’avouer ou de m’expliquer quelque chose. […]

Le lendemain, je me prépare pour aller au lycée comme si je n’avais pas eu cette conversation avec Noa. Je me fais une queue de cheval, enfile un jean levis, un top à manche longue noir et une veste. J’ai besoin de l’opinion de quelqu’un d’autre. Je vais le dire aux filles. Je ne peux pas garder cette information. Elles vont enfin me croire. Je les retrouve aux bus mais attend que nous soyons à l’entrée pour leur parler. Elles s’apprêtent à entrer lorsque je retiens le bras de Sue. Elle se retourne, surprise.

– J’ai quelque chose à vous dire. Madison se retourne aussi.

– Qu’est-ce qui s’est passé ?

– Je ne sais pas si parler juste devant l’entrée du lycée est une bonne idée mais j’ai besoin de votre opinion. Je soupire.

– Tu m’inquiètes là, dit Madison.

– Hier Noa m’a accolé. Elle m’a dit de vouloir me parler, en privé. Et vous n’allez pas croire ce qu’elle m’a dit.

– Quoi ? Madison est bouche bée.

– C’est bizarre, nous ne parlons jamais avec elle. Sue fronce les sourcils. Qu’est-ce qu’elle voulait ?

– Rien. Elle s’est juste planté devant moi et m’a conseillé de ne pas m’approcher de Jim. Je lui ai demandé pourquoi et elle n’arrêtait pas de me dire qu’elle ne pouvait pas me dire plus, juste qu’il est dangereux. Maintenant Sue hausse les sourcils tandis que les yeux de Madison sont écarquillés.

– Mais comment ça il est dangereux ? Madison finit par demander ? Je ne comprends pas à quoi elle fait allusion. Il vend de la drogue, un truc du genre ? Je secoue la tête.

– Elle ne serait pas jalouse ? Ça ne m’étonnerait pas d’elle, déclare Sue.

– Non, c’est ce que j’ai pensé mais elle m’a bien affirmé qu’elle voulait me prévenir de lui. Et ça n’a pas de sens, Jim et moi sommes à peine amis. Et c’est un gros mot pour décrire nos échanges, je pense intérieurement.

– J’ignore de quoi elle parle alors. Sue croise les bras. Il faudrait que tu lui racontes je pense. C’est l’unique moyen d’en savoir plus.

– Tu es sûre ? Je grimace. J’ai vraiment pas envie.

– Je pense aussi que c’est une bonne idée, dis Madison. Tu n’as rien à perdre. Elle hausse les épaules. Et bien, on dirait que je vais devoir lui faire face aujourd’hui. Le reste de la matinée passe sans encombre et je n’ose toujours pas parler à Jim. J’aperçois son regard à la pause mais je détourne rapidement le mien. Je ne sais pas si c’est un piège ou quoi que ce soit, mais je ne veux pas m’embarrasser. Ce n’est qu’au cours d’histoire que je me résous de lui parler. Je décide d’attendre jusqu’à la fin du cours. Je me prépare à le voir. La sonnerie retentit et les chaises raclent bruyamment le sol. Je range mes affaires et me presse de me lever. Jim est déjà presque sorti.

– Jim ! Il se retourne.

– Hé, comment ça va ?

– Bien merci. J’ai besoin de te dire quelque chose, tu as un moment ?

– Oui bien sûr. C’est à propos de quoi ?

– On peut aller à la récréation ? Je ne me sens pas très à l’aise ici. Il hoche la tête et nous sortons. Nous nous dirigeons vers un coin isolé près des quelques arbres et gazon qui entourent la récrée. Jim s’adosse à l’arbre, l’air nonchalant. Je ne sais vraiment pas comment il va réagir. Je pose mon sac à mes pieds.

– Et bien ? Pourquoi ce silence ? Tu es inquiète ?

– Oui. Euh, je ne sais pas comment te le dire alors… Noa, une fille qui est dans le même cours que nous, m’a dit hier de ne pas m’approcher de toi. Je lève les yeux vers lui.

– Je ne la connais pas.

– Et ? C’est tout ce que tu as à dire ?

– Oui, je ne la connais pas et elle ne me connaît pas, je ne l’ai jamais vu de ma vie.

– Je ne t’ai pas demandé si tu la connaissais. Tu mens. Elle te connaît, dire que quelqu’un est dangereux n’est pas quelque chose qui se dit à la légère. Il fronce les sourcils.

– Je ne la connais pas, il répète tandis qu’il s’approche de moi. J’avale ma salive. – Je n’ai pas à te donner des explications mais je vais te dire ceci : je ne suis pas une personne dangereuse et si je t’ai causé de l’inconfort, je suis désolé, ce n’était pas mon intention, crois moi. Ses yeux bleu sont figés sur les miens.

– Je n’ai pas peur de toi, si c’est que tu veux dire, mais tu dois avouer que c’est étrange qu’elle m’ait dit ça. Comment voulais-tu que je réagisse ?

– Je comprends ta réaction mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je suis une personne normale, aka non dangereuse. C’est mon unique réponse. Il recule et enfonce les mains dans ses poches. Je ne sais pas quoi faire. Je me sens un peu gênée alors je prend mon sac.

– Désolée. Je tenais juste à te le confier. Je te crois. Je m’apprête à partir. Je n’ai plus envie de parler de ça.

– Attends, je me suis emporté. Je ne voulais pas te parler comme ça. Il passe la main dans ses cheveux. Je veux juste t’assurer que tu n’as rien à craindre avec moi. Je frissonne en croisant son regard.

– Ce n’est rien. Ce n’est pas tout les jours que quelqu’un dit que tu es dangereux. Il souris.

– Tu annules pas le ciné alors ?

– Non. On se voit au ciné. Je lui adresse un petit sourire avant de m’éloigner. Le reste de la journée se déroule normalement. Son visage me revient sans cesse, ses cheveux blonds châtain clair. Il m’intrigue. Je raconte mon échange avec Jim aux filles et elles n’ont pas plus de réponses que moi. Le temps nous dira. Honnêtement, je sais que ce que Noa m’a dit n’est pas une coïncidence ou un simple drame de lycée. Quelque chose cloche.

Samedi soir arrive plus vite que je le désirerai. Les nerfs me rongent le ventre, surtout depuis ma discussion avec Jim. J’ignore si j’ai envie de le voir ou non. Nous nous côtoyons mais j’ai l’impression de ne pas le connaître du tout. Noa ne m’a jamais adressé la parole. Raison de plus pour la croire lorsqu’elle me dit de rester loin de Jim. « Je t’aurai prévenue », avait-elle dit. Son regard était clair et ferme, pas celui d’une fille qui a le béguin pour un garçon. Je ne les ai jamais vu ensemble au lycée. Mais que sait-elle de lui ? L’a-t-elle rencontré auparavant ? Je soupire. La sonnerie du téléphone me tire de ce bourrage de crâne. C’est Sue, sûrement pour me dire d’être à l’heure. Autre soupire. Je ne réponds pas et me plante devant mon armoire. J’opte pour un pantalon serré foncé et un haut court. Je souligne mes yeux avec un liner et je met un peu de gloss. Une douleur me vrille le crâne depuis ce matin. Je grimace et tente de masser mes tempes sans succès. Je devrai peut-être prendre un doliprane. Sue, Madison et moi arrivons à l’avance. Nous décidons d’attendre devant les caisses. Je me sens nerveuse.

– Comment tu te sens ? Me demande Madison. Je suis un peu sceptique à propos de Jim. Faudrait-il lui faire confiance ? Je croise les bras et lui lance un regard appuyé.

– On lui fait confiance. Pour l’instant. Vous savez ce qu’il m’a dit. Il n’a pas du tout l’air d’un bad boy ou quoi que ce soit.

– Restons alerte, conseille Sue.

– Je vais me comporter comme d’habitude et je vous conseille de faire la même chose. Il va remarquer que je vous ai raconté à ce pas, soyez discrètes. Je m’adosse au comptoir et laisse mon regard se promener. J’ai encore mal à la tête. Jim et ses amis arrivent cinq minutes plus tard. Ils sont quatre, Peter le discret, Tom, un grand blond, un autre que je ne connais pas et Jim. Il porte un un pull noir et des jean délavés. On se salue entre tous et commençons à faire plus ample connaissance. Du coin de l’œil je vois Tom se rapprocher de Sue. Tout le monde paie son billet sauf moi : Jim le fait. Je l’ai réalisé au moment où le vendeur me dit que « ce garçon » a déjà acheté deux billets. Je me retourne.

– C’est gentil mais tu n’avais pas besoin. Il hausse les épaules.

– J’avais envie de t’inviter et c’est mes excuses pour hier et toute cette histoire avec cette fille.

– Noa ? Je vois du coin de l’œil que Sue a entendu.

– Ouais. Je suis désolé que tu as dû endurer ça. Je préfère ne pas opiner alors je me contente de le remercier. Nous achetons des pop-corn et prenons place sur les sièges du fond. Sue s’assoit à ma gauche suivi de Tom et Jim à ma droite. Madison se retrouve au bout avec les deux autres garçons. Les filles parlent et rigolent avec les autres tandis que je me contente de manger mes pop-corn minutieusement. Je suis trop gênée pour commencer une discussion avec Sue et risquer que Jim nous entende. Les discussions s’arrêtent quand le film commence. Je sens le même parfum émanant de Jim. C’est une fragrance subtile mais entêtante. Je suis assez nerveuse. Quelque chose ne va pas, je le sens dans mes entrailles. Je remue dans mon siège en quête d’une position confortable. Sue hausse les sourcils dans ma direction et je lui adresse un sourire d’excuse. Le film est envoûtant et je crois être plongée dans les complexités de son univers jusqu’à que je le sens. Mon ventre me brûle. Mon pouls s’accélère tandis que l’intensité augmente. Je me plie en deux et tente de me calmer mais c’est chose impossible : j’ai l’impression qu’on brûle mes entrailles, pire que ça même. Mon rêve est devenu réalité. Je tente de respirer. Jim se penche vers moi et chuchote :

– Tu vas bien?

– Oui… non, j’ai mal au ventre, ce n’est rien, je murmure le souffle court. Je n’ai jamais senti ça auparavant. Une brûlure intense me dévore l’intérieur.

– Viens, il faut que tu boive de l’eau, me propose-t-il. Je l’observe, méfiante. Il n’attend pas ma réponse, me prend la main et m’entraîne dehors sous des regards inquiets. Sue manque de se lever aussi mais je lui adresse un sourire rassurant. Nous sortons de la salle et je m’assois aussitôt sur un fauteuil et me replie en deux sous le choc de la douleur. J’essaie de ne pas crier tant la douleur est forte mais je ne peux pas m’empêcher de pousser des gémissements. Jim est accroupi à coté de moi.

– Je pense que tu devrais appeler l’ambulance, soufflai-je. J’ai peut-être une appendice ou une intoxication. Il secoue la tête.

– Il est mieux d’attendre un peu et voire si ça passe. Je manque de lui lancer un regard noir.

– Retourne voir le film, j’irai aux toilettes. J’ai besoin de reprendre mes esprits. La douleur s’intensifie et je commence à perdre mon souffle.

– Non, je ne vais pas te laisser seule. Il s’accroupit devant moi et prend mes mains dans les siennes. Je ne suis pas dans un état lucide pour penser à son geste. Je regarde mes mains et m’aperçois avec horreur que de grosses plaques écarlates se sont formées. Je panique. Ma peau est rouge. Jim surprend mon visage horrifié et grimace. Je devrais appeler une ambulance. Je veux que cette douleur cesse. Il grimace et vérifie qu’il n’y ait personne avant de se lever. Il me soulève dans ses bras mais je suis trop crispée pour réagir. J’enroule mes bras autour de son cou. Il m’emmène rapidement aux toilettes qu’il ferme à clé et me dépose sur une cuvette.

– Respire Raquel, respire, m’ordonne-t-il en s’efforçant de garder ses yeux sur les miens. Je fais comme il dit. On dirait que je vis ma dernière heure. Mes poumons sont en feu, mon ventre me brûle et ma vue se trouble. Je vois Jim en double. J’appuie ma tête contre le mur, j’en peux plus. Je tente d’inspirer mais ce n’est que de l’air chaud qui entre. J’entends vaguement la voix de Jim me guidant dans mes respirations. Je ne sais pas combien de temps passe mais peu à peu la douleur diminue et je commence à reprendre mes esprits.

– Voila c’est ça, respire. Je vais t’apporter de l’eau. Il sort des toilettes et revient quelques instants après avec une bouteille d’eau. Je le remercie et bois une gorgée. L’eau se déverse sur le fond de ma gorge. Je me lève et trébuche jusqu’au miroir. Mes joues sont rouges, mes yeux écarquillés. Je suis trop étourdie pour élaborer des hypothèses ou réfléchir sur ce qui s’est passé. Je me tourne vers Jim qui, à ma grande surprise est tout près de moi. Je l’interroge du regard. Je ne trouve pas encore la force de parler, ma gorge est tellement sèche. Soudain je me sens défaillir et dans ma chute je sens les bras de Jim qui me rattrapent. […]

Je me réveille dans ma chambre. Mon horloge affiche dix heures du soir. Je suis en pyjama. En une fraction de seconde j’espère que tout ce qui s’est passée n’était qu’un rêve mais non, ma gorge est encore sèche et mon estomac n’est pas tout à fait rétabli. Je peux presque encore ressentir la douleur. Où sont les autres ? Je soupire en posant les mains sur mon visage. Je descend et trouve mes parents et mon frère au salon.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment je suis arrivée ici ? Et Sue et Maddie ? m’inquiétai-je.

– Ne panique pas chérie, tes amis t’ont déposé il y a trente minutes, tu as fait un malaise. Ça va ? s’enquit-t-elle. Elle me palpe le front, le regard sévère.

– Oui oui ça va, m’agaçai-je. Bon, c’était un mensonge : le malaise fut la conséquence de ce qui se passa avant et non, je n’allais pas bien. Tout ce qui m’importait c’était Jim mais je n’avais aucun moyen de le contacter. Je n’ai pas son numéro. Il me devait des explications. Il m’a accompagné dans mon mal-être ou crise. Je ne sais pas comment l’appeler. Frustrée, je prends une aspirine et m’affale sur le canapé, Ben à côté. Il s’inquiète pour moi. Je ravale un rire et lui assure que je vais mieux. Plus tard, Sue m’appelle pour savoir comment j’allais. Entendre sa voix me procura plus de soulagement que je ne le pensais. Apparemment, après mon malaise, Jim me posa sur un pouf avant de prévenir les autres. Puis ensemble ils m’emmenèrent chez moi. Elle me raconta également qu’il les a convaincu de ne pas appeler l’ambulance, que probablement j’avais juste eu une baisse de tension et avais besoin de repos. Étant inconsciente pendant tout ce temps là, j’aurai eu besoin de faire un tour à l’hôpital normalement. Aucun signe de Jim cependant. Comment j’allais recevoir un signe de lui si je n’avais aucun moyen pour entrer en contact avec lui ? Je passai le dimanche à faire mes devoirs et dans l’anxiété de le revoir lundi pour des renseigne­ments parce qu’à présent, je suis presque certaine qu’il sait quelque chose. Noa a peut-être raison, il est dangereux. Mais comment peut-il l’être après m'avoir aidé?

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