Chapitre 4: La vérité
Le jeudi passe très lentement pour mon avis. J’aurai dû annuler avec les filles et retrouver Jim aujourd’hui au lieu de dire demain. Je soupire et me concentre. J’ai un contrôle de littérature et je m’évade. Très irresponsable de ma part. Je ne peux pas contrôler mes pensées. Notre conversation chez lui me revient en tête. Il m’a parlé de son meilleur ami Scott. C’était un court moment mais j’ai apprécié. J’en sais un peu plus sur lui. Je finis mon examen et passe le reste de la journée sans stress. Je profite du moment avec les filles, des ragots, du lycée. Mais une fois le soir venu, le stress me gagne. Je n’ai qu’une envie c’est d’être demain. Je dois être sûre de moi-même, confiante, pour lui faire face. […]
Le vendredi après-midi arrive. Je n’ai mangé qu’un sandwich à midi. Je n’avais pas faim. Mon stress a augmenté lorsque j’ai croisé Jim dans les couloirs. Il me sourit et je me suis contenté de le saluer. Il avait l’air très nonchalant, comme d’habitude. J’entre dans le parc et me dirige vers le saule pleureur. Je suis un peu en avance, peut-être il n’est pas encore là. Je passe à travers le feuillage et oui, il est déjà là. J’inspire discrètement et m’approche de lui.
– Salut. Comment ça va ? Il me demande.
– Bien merci. J’enfile mes mains dans les poches arrière de mon jean.
– Je ne sais pas vraiment par où commencer, c’est ma première fois.
– Ta première fois de quoi ? Je fronce les sourcils et il grimace.
– Je vais commencer par le plus simple. Ce que tu as vu au lac, ce que tu m’as dit du vent, tu te souviens ? Je hoche la tête. – C’est vrai. Je manie le vent. Il lève sa main gauche et un léger vent caresse mon visage. Je recule d’instinct. Ses yeux voilent d’inquiétude. – Tu ne dois pas avoir peur de moi, je ne te ferai pas de mal.
– Tu peux continuer ? J’avale ma salive mais j’ai la gorge sèche.
– La crise comme tu l’as appelé au cinéma sont en réalité des symptômes. Des symptômes qui prouvent que tu vas pouvoir manier un élément aussi.
– Quel élément et pourquoi des symptômes ?
– Plaques rouges, chaleur, brûlures à l’estomac, tout indique que ton élément est le feu. Je retiens mon souffle. Le feu ? L’image de la flamme dans mon rêve me vient tout de suite et je manque de vaciller.
– Tu vas bien ou je peux continuer ?
– Non je vais bien, continue. Je m’efforce de rester calme.
– On les appelle symptômes parce que ce sont des signes qui montrent que tu vas pouvoir manier un élément et que ta transformation approche. La transformation c’est le moment où l’on acquiers nos pouvoirs. Je l’ai fais à 16 ans, l’année dernière. Je sais que tu as 17 ans. L’age normale pour la transformation c’est 16 ans, j’ignore pourquoi tu n’as rien senti avant.
– Je pense que tu te demandes pourquoi toi et moi et pas une autre personne. C’est parce que nous sommes des gauchers élémentaires. Je suis gaucher tout comme toi. Nous sommes des personnes capables de manier un des quatre éléments. Il est estimé qu’environ un tiers des gauchers dans le monde sont des gauchers élémentaires.
– C’est qui il ? Qui a estimé tout ça ? J’essaie de ne pas perdre le fil.
– Les personnes qui composent notre monde. Nous ne vivons pas ici, nous vivons dans un monde sous-terre, il s’appelle Ocmundi, c’est du latin. Sa révélation me fait l’effet d’un choc à l’estomac. Un monde sous-terre ?
– Attends, ce que tu veux dire c’est que tu vas repartir puisque tu n’habites pas ici ?
– Nous allons partir pour Ocmundi ensemble après ta transformation, mais ne devance pas les choses. Je veux pas aller trop rapidement. Il passe une main dans ses cheveux.
– Quoi ? Non, c’est hors de question. Je ne vais pas quitter ma famille et te suivre dans un monde inconnu.
– Je n’ai pas fini. Moi aussi j’avais peur au début, c’est normal. Mais c’est ton destin. Tu es une gauchère élémentaire Raquel.
– Je ne suis pas une gauchère élémentaire ! Je suis une personne normale.
– Raquel, je sais que le déni fait partie de l’assimilation mais tu dois me faire confiance.
– Toujours ce mot, faire confiance. Je te fais confiance mais pas à ce point là.
– Si tu ne viens pas avec moi, d’autres personnes viendront pour te réexpliquer ce que je suis en train de t’expliquer et tu devras partir avec eux. Je te conseille de le faire avec moi. Je passe une main sur mon front. Je sens qu’il essaie de m’expliquer tout ça calmement mais mon cerveau s’est bloqué à la partie où je dois partir avec lui et laisser ma famille, ma vie.
– Comment ils savent que je suis une gauchère élémentaire ? Et qu’est-ce que je vais faire là-bas ? Ma vie est ici, je dois finir le lycée.
– Le lycée sera remplacé par une autre école. Après la transformation, nous rejoignons Ocmundi pour être formés en tant que gauchers élémentaires et apprendre à maîtriser notre élément.
– J’ai besoin de m’asseoir. J’ai un peu le tournis et des nausées. Je m’assois à coté du tronc, les genoux pliés contre ma poitrine. Quelques instants après, je sens Jim à coté de moi.
– Jamais personne va t’obliger à faire quoi que ce soit, il faut que tu le saches. Nous ne vivons pas tous à Ocmundi. La plupart oui mais une partie vit ici avec… tout le monde. Certaines personnes savent à propos de nous et on collaborent ensemble. Si tu le veux, tu pourras travailler et vivre ici, mais nous devons tous nous former, tu dois apprendre à maîtriser ton élément Raquel.
– Tu n’as pas répondu à ma question. Comment ils savent que je suis une gauchère élémentaire ?
– Un gaucher élémentaire est déterminé à la naissance, soit tu nais de parents gauchers élémentaires ou non, comme toi et moi. Dans ce cas là, ils le savent à la naissance, ça se voit dans la génétique.
– Tu veux dire que depuis ma naissance, ces personnes savent que j’allais être gauchère élémentaire ? Il hoche la tête. Je ferme brièvement les yeux.
– Scott. Il est un gaucher élémentaire aussi ? Jim hoche la tête. C’est pour ça qu’il n’est pas d’ici. Il vit à Ocmundi ? C’est la première fois que je prononce ce mot, il résonne en moi de manière étrange.
– Oui, je vis aussi à Ocmundi, depuis un an. Je suis venu à Chino Hills parce que je me suis porté volontaire pour être messager. Ils ont vu que je viens de Chino Hills et ils m’ont envoyé ici. Tu es la seule gauchère élémentaire ici pour l’instant, avec moi. Je ne peux m’empêcher de penser à ce monde sous-terrain.
– Ocmundi, c’est un monde science-fiction ? Il manque de sourire et moi de lui donner un coup dans les côtes.
– Non, nous sommes très connectés avec la nature et la Terre. Nous essayons de vivre en syntonie avec la nature d’ailleurs. C’est un monde moderne mais pas comme celui-ci. Lorsque tu te transformeras, tu ressentiras cette connexion, je ne sais pas comment l’expliquer… Nous ressentons un lien parque que chacun de nous sait manier l’un des quatre éléments de la Terre. Nous vénérons une déesse d’ailleurs, la déesse Gaïa. Je ne veux pas te dire plus. Je t’ai déjà expliqué assez je pense. Je ne veux pas te brusquer. Ses yeux ne quittent pas les miens, je les sens encore quand je dévie le regard. Je ne me sens pas stable.
– Mes parents ne vont jamais me laisser partir. Je peux leur dire la vérité ?
– Non, pas pour l’instant. L’excuse que nous inventons en général c’est un internat. Après ta transformation, tu les convaincs que tu veux aller à cet internat et nous partons. Mes parents ne savent pas encore la vérité, je pourrais leur avouer tout mais je n’ai pas encore trouvé le bon moment. Rassure-toi, tu vas pouvoir raconter la vérité, seulement, pas tout de suite, les professeurs nous conseillent d’attendre un peu. Uniquement ta famille va pouvoir savoir que tu es une gauchère élémentaire, pas tes amis, seulement ta famille.
– Tu as dis avant que certaines personnes savent que vous existez ?
– Oui, c’est une communauté avec qui nous avons des accords et travaillons ensemble. Tu ne peux dire à personne sauf ta famille. Je sens un poids s’installer sur mes épaules. Je vais devoir mentir à mes parents, partir d’ici, laisser ma vie. J’ai envie de pleurer. Je bats des cils.
Garder cela tout au fond de moi me paraît presque impossible. Je ne crois pas être capable d’expliquer qu’un nouveau mec de mon lycée a commencé à me fréquenter et que je vais avoir des pouvoirs, mais cette sensation de me lancer dans le vide est là.
– Tu te souviens de Noa ? Je me tourne vers lui et hoche la tête. – Ses parents font partie de cette communauté, et en occurrence elle sait que je suis un gaucher élémentaire.
– Pourquoi elle pense que tu es dangereux ?
– Je pense qu’elle n’approuve pas notre existence. Je ne t’ai pas menti, je ne la connais pas. Avant d’arriver ici, ils m’ont informer qu’elle fait partie de la communauté mais pas plus. J’opine du chef et soupire. Ses sourcils se froncent.
– Tu vas bien ? J’ai essayé de faire du mieux que je pouvais. J’esquisse un sourire.
– Oui, je suis sous le choc. Je pense je vais rentrer à la maison. Je me lève et prend mes affaires.
– Je peux t’accompagner ?
– Je ne vais pas faire une crise et dire à mes parents ce que tu m’as révélé si c’est ce que tu penses. Je vais bien. Je veux juste rentrer à la maison. Il ricane.
– Je te fais confiance alors. Je le dévisage un instant.
– Qu’est-ce qui va se passer à partir de maintenant ?
– Ta transformation approche. Tu ne dois pas stresser, continue ta vie comme d’habitude. Je dois te préparer avant cependant.
– En quoi consiste cette préparation ?
– Ce sont des exercices pour augmenter ton sens de l’orientation, méditation, ton rapport avec le feu. Voyant mon air sceptique il ajoute : ce sont des exercices comme des autres. Je sais que je me répète mais il faut que tu me fasses confiance, surtout maintenant. La transformation est un processus complexe, tu dois être préparée mentalement. Je passe une main sur mon visage et me retiens de soupirer.
– Je comprends. J’essaie de digérer tout ce que tu viens de me dire Jim. Je dois reprendre ma vie mais juste momentanément puisque je vais devoir partir avec toi. Je ne me méfie pas de toi mais tu t’imagines bien que ça me dépasse. Je n’ose pas le regarder, je ne me sens pas bien. Je sursaute lorsque je sens sa main glisser une mèche derrière mon oreille. Ses yeux sont perçants.
– Je te promet que tout ira bien, je suis là pour t’aider d’accord ? Je hoche la tête. Jim décide de rester au parc et moi je retourne chez moi, le cœur battant. Je m’enferme dans ma chambre et décide de réviser puis arrête. A quoi bon ? Si je vais partir, ça ne sert à rien de réviser pour un contrôle d’histoire. Je ne peux pas partir. Je ne veux pas laisser mes parents, Ben, Chino Hills. C’est chez moi ici. Des larmes coulent le long de mes joues. Jim a dit qu’ils viendraient si je ne coopère pas. Je ne peux pas ignorer que je vais avoir des pouvoirs. Je regarde mes mains, je ne sens rien.
Annotations
Versions