Chapitre 5: La préparation
Aujourd’hui c’est mon premier jour d’exercice, enfin de préparation. Jim m’avait prévenue. Cela fait deux semaines qu’il m’a tout avoué. Depuis, ma vie s’est déroulée comme serait regarder le paysage à travers une vitre embuée. Chaque jour je me réveille en pensant que ce n’est qu’un rêve puis je l’aperçois en cours et me souviens de tout. Les premiers jours après sa révélation, je ne me sentais pas moi même, je l’évitais à tout prix. Je voulais retarder ce processus autant que je pouvais et vivre comme une lycéenne normale. Je voyais dans son regard qu’il était blessé. J’avais besoin de temps. Après une semaine, je commençai à me sentir mieux. J’annotai tout ce qu’il m’a raconté dans un cahier. Mon esprit peu à peu se fait à l’idée d’Ocmundi. Je suis curieuse à présent. Une partie de moi a envie que ce ne soit qu’un rêve mais une autre partie non. Je ne peux m’empêcher d’être intriguée par ce monde, par Ocmundi. Comment sont les gens là-bas ? Comment sont les maisons ? Qu’est-ce que je vais pouvoir faire avec le feu ? Toutes ces questions me taraudent l’esprit. Garder tout ça pour moi a été le plus difficile. J’avais une envie folle de raconter la vérité à Maddie et Sue, ou à mes parents. Mais je ne pouvais pas. Les vacances de Noël approchent à une vitesse vertigineuse et le froid léger californien est déjà tombé. Jim m’a approché le matin. C’est à ce moment que je sus que le processus allait commencé. On s’est donné rendez-vous chez lui, plus précisément dans son jardin. Il a insisté sur le fait que les exercices doivent être réalisés dehors peu importe la saison. Je sonne la sonnette et il m’ouvre la porte en grand, un sourire hésitant aux lèvres.
– Salut, comment tu te sens ? Il se décale pour me laisser entrer et je sens son parfum émaner de lui.
– Bien. Je me dirige vers son jardin à l’arrière de sa maison.
– Je sais que tu m’as évité pendant une semaine. Je comprends. A partir de maintenant, nous allons passer plus de temps ensemble. Je ne veux pas qu’il y ait une mauvaise entente. Je me retourne brusquement et me trouve devant lui.
– Il n’y a pas de mauvaise entente entre nous Jim. Je voulais juste avoir du temps pour moi, avec mes amies, des journées normales de lycéenne. J’avais besoin de digérer tout ça et je ne pouvais pas le faire avec toi. J’avais besoin d’être seule. Je me sens prête maintenant, en tout cas, je me sens mieux. Je suis à toi, faisons les exercices. Son regard électrisant me rend le souffle court. Je me racle la gorge. Il hoche la tête et nous allons dans le jardin. Un petit vent frais vient agiter les branches des arbres, je resserre les pans de ma veste et observe Jim avec appréhension. Son jardin était joli. J’étais partagée entre crainte et excitation.
– Les exercices ne sont pas des exercices typiques, mais ils ne sont rien de spécial non plus. Premièrement tu vas exercer ta perception des éléments dans l’espace. Pour cela d’abord l’ouïe. Je vais te nouer un foulard pour que tu te centres sur ce que tu écoutes, d’accord ? Il s’approche et me bande les yeux. Je ravale un sursaut et me laisse faire. – Je vais exécuter des mouvements, bouger dans l’espace qui t’entoure. Dès que tu sens mas présence très près de toi, dis « ici », d’accord ? Je hoche la tête et me concentre. Ce n’est pas un exercice typique, mais ce n’est pas anodin non plus, pensai-je. Il n’y a que le silence absolu, tous mes sens sont aux aguets. Où est Jim ? J’ai envie d’enlever le bandeau. C’est quoi cet exercice ? Je sens quelque chose fouetter l’air et je prononce « ici » quoique en sursautant. Au fur et à mesure ses gestes deviennent rapides. Je me décale de plus en plus vite et le mot « ici » est tout le temps dans ma bouche. J’ai l’impression de tourner en rond. Je le sens derrière moi, puis à gauche, à droite. Il s’arrête au bout de trente minutes de concentration. J’enlève le foulard avec soulagement. Je cligne des yeux.
– Pas mal pour un début, observe-t-il. Tu as un sens de l’ouïe assez développé. Je remarque qu’une certaine fébrilité l’habite, sa gestuelle est précise et ferme. Il est dans son élément comme on dit. Il paraît plus mature aussi, son visage est sérieux. Ça ne le rend pas moins beau, pensai-je.
– Maintenant je vais tester ta résistance avec le feu, on va y aller doucement, ne t’inquiète pas. Je me raidis à ce mot. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, songeai-je. Je sais que le feu sera mon pouvoir mais honnêtement, ça m’effraie un peu . Il allume une bougie.
– Mets ton doigt ici, dit-il en me montrant. Ce que je vais faire c’est approcher la flamme de ton doigt. Tu me diras stop quand tu déduis que la flamme est à la distance la plus courte de ton doigt. Après ça, je veux que tu tiennes jusqu’à cinq secondes. Il lève les yeux et j’acquiesce. Mais je ne m’y résous pas tout de suite. Je serre les poings contre mes flancs. La flamme du rêve me revient à l’esprit. Je ne peux éviter de me tendre. Jim se redresse.
– Je sais ce que je fais. Ce sont des exercices que tous les Fuocan, les gauchers qui peuvent manier le feu réalisent avant leur conversion. Si quelque chose ne va pas, tu me le dis. Je me concentre sur ses yeux et inspire à fond.
– D’accord. Il rallume la bougie. La chaleur approche dangereusement. La peau de mon doigt se ramollit peu à peu. Je sens des picotements désagréables envahir mon épiderme et je serre les dents.
– Stop ! À peine quelques centimètres me séparent de la flamme. Le compte à rebours commence. Je tiens bon, néanmoins des larmes de douleur jaillissent. Je tiens mon poignet avec l’autre main. J’imagine la tête de ma mère lorsqu’elle verra mon doigt tout boursouflé et brûlé. Oui maman, je suis allée chez Jim pour jouer avec le feu.
– C’est bon, déclara-t-il. Il retire la bougie et l’éteins avec sa main. Il me prend rapidement le doigt pour l’examiner. Normalement il devrait être rouge voir bleu ou noir alors qu’il est intact. Je le fixe d’un regard ahuri.
– Comment-est-ce possible ?
– Cette réaction est tout à fait normale. Ça prouve que tu es une des nôtres. La douleur est seulement mentale et pas physique. Les Fuocan expérimentés peuvent supporter la flamme juste en dessous de leur doigt, m’explique-t-il. Tu es une des nôtres. Une étrange sensation m’envahit. Quand il parle comme ça d’Ocmundi, il en dégage un tel sens de communauté.
– Tu as l’air dans ton élément, je lâche. Il fronce les sourcils.
– Comment ça ?
– Je te vois… plus heureux. Dès que nous avons commencé les exercices, je ne sais pas, tu dégages quelque chose, tu te sens plus à l’aise. Il esquisse un sourire.
– C’est vrai, Ocmundi me manque. Cette première année a été incroyable. J’ai découvert tellement de choses, rencontré tellement de personnes. Tu vas comprendre lorsque nous nous y rendrons. Nous continuons avec une série d’exercices sur l’ouïe, le toucher, la maîtrise de soi et les réflexes. Je pars de chez lui avec une petite migraine. Tout ces exercices m’ont fait un mal de tête tellement je me suis concentrée. […]
Aujourd’hui, c’est le dernier jour avant les vacances.
– Tiens, joyeux Noël d’avance, s’écrie Sue en m’embrassant avec un petit paquet à la main.
– Merci beaucoup Sue ! Elle a toujours été trop généreuse à mon goût. Nous nous tenons dans la salle des casiers. Nous avons adopté cette vieille tradition de s’offrir des petits cadeaux pour Noël tout les ans. Cette année avec tout ce qui s’est passé, ça m’a passé au dessus de la tête et je me sens coupable. Depuis que Jim m’a révélé que je vais avoir des pouvoirs, je prétend être concentrée et je prétend me comporter comme d’habitude, alors que non. Mes pensées se perdent, mon cœur bat à l’idée de la transformation, de partir de Chino Hills, d’Ocmundi. J’ouvre le paquet et découvre une paire de boucles d’oreilles pendantes : des feuilles en or blanc. Son cadeau me réchauffe le cœur.
– Elles sont superbes, merci, lui dis-je en l’étreignant à mon tour.
– Ravie que ça te plaise.
– Je n’arrive pas à croire comment j’ai pu oublier notre tradition. Je te promet tu auras ton cadeau après les vacances. Sue hausse les épaules.
– T’inquiète pas, ça peut arriver. Je suis ravie que mon cadeau te plaise. Je lui souris et passe mon bras autour de ses épaules, tandis que nous allons en cours de maths. Je ravale le goût amer de lui mentir et me submerge dans l’ambiance festive du lycée. Je dis au revoir à Sue et Maddie en fin de journée, presque les larmes aux yeux. Je me rend compte que je ne vais plus les voir après la transformation et Jim a dit que ça sera bientôt. Je rentre à la maison à pied, le cœur lourd. Je n’ai pas parlé avec Jim aujourd’hui, je l’ai croisé dans les couloirs mais il ne m’a pas cherchée. J’ai ressenti un petit pincement au cœur et me suis réprimandé pour cela. Il avait l’air concentré. Je lui envoie un message peut-être plus tard. Je rentre à la maison, fébrile. Depuis deux semaines les exercices avec Jim sont devenus de plus en plus rudes mais aussi intéressants. J’avais l’impression qu’ils étaient le reflet de ce qui m’attendait dans ce monde occulte. Après le dîner, je m’assois sur le canapé et me plonge dans la lecture d’un livre. Mon père est dans sa chambre, tandis que maman et Ben sont avec moi au salon. La sonnette retentit. Ben va ouvrir.
– Raquel, c’est pour toi, il cri depuis l’entrée. Je me lève et m’y dirige, méfiante. Qui ça peut être ? Je n’attend personne. J’aperçois Jim.
– Salut Jim, déclarai-je, surprise par sa venue. C’est la première fois qu’il se présente chez moi, et en la présence de ma famille. Je ne sais pas comment réagir. Mon pyjama me gêne. J’essaie de rajuster mon pantalon de survêtement et débardeur bleu marin.
– Salut Raquel. Ses yeux bleus me dévisagent avec intensité. J’aurais aimé qu’il me prévienne avant de débarquer chez moi. Il remarque mes yeux écarquillés et me fait signe s’il peut entrer. Je hoche la tête parce que je peux pas le laisser planté là. Il entre et se dirige vers le salon.
– Bonjour, déclare-t-il gaiement à ma mère. Elle se lève, surprise elle aussi.
– Bonjour Jim, enchantée de te rencontrer. Raquel nous a souvent parlé de toi. Je rougis légèrement à cette évocation et ai littéralement envie de me cacher sous un trou. Elle affiche un air souriant, je crois qu’elle a envie de le connaître. – Je pense tu as déjà rencontré Ben ? Ben hoche la tête en sa direction. Ça me donne envie de rire.
– Oui, Raquel me parle souvent de son petit frère. Ben manque de lever les yeux au ciel. – J’espère que je ne vous dérange pas, j’ai demandé à Raquel de me passer ses notes d’Histoire. Il affiche un air parfaitement poli, maître de la situation.
– Pas de problème, dit ma mère d’une voix mielleuse, vous pouvez allez dans sa chambre. Il se tourne vers moi et d’un signe, me suit jusqu’à ma chambre. Je ferme la porte, m’y adosse et lui adresse un regard de défi.
– Ta mère n’a pas la règle de laisser la porte entrouverte ? Il s’adosse contre mon bureau.
– Non, elle me fait confiance. J’ai 17 ans après tout. Tu aurais pu me prévenir que tu allais passer. Tu ne m’as pas adressé la parole de la journée.
– Désolé pour ça, j’ai juste beaucoup de choses à préparer. Je me suis communiqué avec Ocmundi pour ta prochaine transformation. Je ne suis pas expert en les Fuocan.
– Oh, oui et toi tu es un..? Je ne me souviens plus des noms en fonction des éléments.
– Fuocan pour le feu, Acqua pour l’eau, Aria pour le vent et Terran pour la terre. Je hoche la tête.
– Alors tu es un Aria. Il opine du chef à son tour. Une brise me frôle les cheveux. Je sens les poils de ma nuque se dresser.
– Est-ce que tu peux arrêter de faire ça ? La brise se fait plus forte. – Jim. Je lui adresse un regard ferme.
– Il faut que tu t’y habitues Raquel. A Ocmundi tu seras au contact avec tout les éléments quotidiennement.
– Je sais, j’en suis bel et bien consciente, mais pour l’instant je suis chez moi à Chino Hills et ça m’incommode. Il avance et la brise est toujours présente. Je lève le regard et frissonne.
– Arrête. Je pousse sa main. Le vent cesse.
– J’ai l’impression que tu ne veux pas accepter la réalité. J’essaie juste de t’aider.
– J’accepte la réalité, j’ai accepté tes exercices de préparation. Je n’ai pas eu de crise d’angoisse, ni ai raconté quoi que ce soit à personne, bien que j’en ai envie. Que veux-tu de plus ?
– Tu n’es pas curieuse, tu ne me demandes pas plus. Quelqu’un d’autre à ta place m’aurait fait plein de questions. Je suis ton messager, je suis sensé te guider.
– Je suis curieuse mais je ne veux pas devancer les choses. Je te poserai des questions le temps venu. Je veux juste profiter du moment présent. Il soupire. Je m’approche de lui.
– Une partie de moi est vraiment enthousiaste pour ce qui est à venir si c’est ce que tu veux savoir. Il hoche la tête.
– Je comprend, je suis un peu trop pressé, désolé. En réalité, je suis venu te voir pour t’expliquer le mensonge de l’internat.
– J’avais complètement oublié ce détail. Je mord ma lèvre inférieure nerveusement.
– J’ai pensé réaliser une fausse inscription dans un internat sportif, ça te va ?
– Oui, mes parents pourraient comprendre je pense.
– Okay. Il pianote sur son téléphone. Je continue de mordiller ma lèvre.
– J’ai truqué la vérité évidemment. Il range son téléphone et me dévisage.
– C’est tout bon alors ? Tu vas m’inscrire faussement dans un internat avec vos contacts et je dois le dire à mes parents ? Est-ce qu’ils ont considéré une alternative s’ils disent non ?
– En général ils disent oui parce que les inscriptions se font dans des supposément très bon internats. Certains parents sont plus réticents, ils ne m’ont pas trop raconté ce qu’il se passe dans ce cas. J’imagine qu’ils sont forcés d’intervenir.
– J’espère ils acceptent alors, je dis la voix un peu tremblante, malgré moi.
– Je pense que oui, tu n’as pas à t’inquiéter. Tes parents vont comprendre, dis-leur que le sport te passionne tant que tu as trouvé cette école. Ils t’ont accepté et tu ne voulais pas le dire tout de suite pour ne pas les inquiéter, quelque chose du genre. L’internat n’est pas trop loin je crois donc. Je hoche la tête, pas très convaincue. J’attends et quelque secondes passent.
– Tu veux quelque chose à boire ?
– Non merci. Je remarque qu’une petite culotte se trouve près de mon bureau. Merde. Il ne va pas se tourner, il me fait face. Jim se racle la gorge.
– Je voulais te voir pour te souhaiter joyeuses fêtes vu que je n’ai pas pu te le dire au lycée.
– Merci, à toi aussi. Je lui adresse un sourire. Il s’apprête à partir mais je me trouve toujours adossée contre la porte.
– Euh, tu pourrais faire une démonstration ? Il lève le regard, surpris puis sourit.
– Bien sûr.
– Qu’est-ce que tu peux faire ? A part la brise.
– Je suis encore débutant, ça fait à peine un an depuis ma transformation mais je pense que je peux faire quelque chose de plus… amusant. Mon pouls s’accélère et la curiosité me pique.
– Je peux ? Je hoche la tête. Il s’approche et je garde mes yeux fixés sur lui, le cœur battant. Il me prend ma main gauche et je sens mes pieds se soulever. Ils se soulèvent du sol. Je manque de pousser un cri de surprise et plaque ma main sur ma bouche. Il me repose immédiatement.
– Waouh. Je n’ai pas de mots. Incroyable. J’étais suspendue dans l’air. Il s’esclaffe.
– Tu as eu peur ?
– Non, mais c’est tellement irréel. Tu peux le faire encore une fois ? Il sourit et prend ma main. Je serre un peu. Mes pieds se soulèvent à nouveau et les siens aussi. Je souris bêtement. Nous sommes à un mètre du sol environ, je n’arrive pas y croire. J’observe ma chambre. Je sens le regard de Jim sur moi. Je m’envole plus haut soudainement et il lâche ma main. Je suis presque au plafond à présent.
– Jim ! Préviens-moi au moins. Il rigole. Il soulève sa main gauche et je suis ramenée à lui. Il me prend les deux mains. Elles sont grandes et chaudes, viriles. J’ignore s’il est prudent d’avoir ce genre de pensées mais je ne peux pas m’en empêcher. Je me rend compte que nous sommes proche l’un de l’autre. Je peux presque sentir son souffle. Je baisse les yeux et remarque une faible lueur claire autour de son bras gauche. C’est son pouvoir ? C’est beau, pensai-je. Mes yeux trouvent les siens, et je sens à nouveau le plancher de ma chambre sous mes pieds.
– Merci, c’était incroyable.
– De rien, je suis ravi que ça t’a plu. Il est adorable quand il sourit comme ça, et beau. – Je te déposerai l’inscription à l’internat dans les prochains jours. Je te conseille de la présenter avant la rentrée des vacances. Je hoche la tête, fébrile. J’accompagne Jim jusqu’à la porte d’entrée. Je parle à voix basse, je ne veux pas que ma mère et mon frère écoutent. Et sûrement ils tendent l’oreille.
– Merci pour tout encore une fois.
– De rien, le plaisir est pour moi. Je ricane à ses formalités.
– Alors on se tient en contact ? Il hoche la tête. Mon cœur manque un battement lorsqu’il m’embrasse sur la joue. […]
Je passai toutes les vacances en ressassant les évènements passés depuis que Jim est arrivé dans ma vie. J’angoissais pour ma transformation et pour mon avenir. Comment sera l’École, Ocmundi ? Jim sera-t-il à mes cotés ? D’après ce qu’il m’a dit, cela fait un an qu’il y est. J’aimerais rester en contact avec lui, une fois avoir rejoint Ocmundi. C’est la seule personne que je connaisse dans ce monde inconnu. Il vient de Chino Hills aussi. J’ai un peu peur. Qu’est-ce que je dirai à Sue et Maddie ? J’ai remis à plus tard plusieurs fois le fait que je dois dire à mes parents que je me suis inscrite à l’internat. J’ai les nerfs rien que d’y penser. Je prend la décision le dernier jour des vacances. J’ignorai complètement comment le leur avouer. Je n’ai jamais fais de conneries, j’ai toujours été une fille bien. Que vont-ils penser? Aller dans un internat n’est pas la mort non plus. Je peux peut-être leur dire que j’ai envie d’avoir une expérience scolaire plus immersive.
– Je me suis inscrite à une école sportive, déclarai-je de but en blanc après avoir tourné longuement autour du pot.
– Comment ? s’exclama ma mère. Le sang quitte son visage. Tu t’es inscrite sans nous consulter ? Et le lycée ? Je pensais que tu t’y plaisais, il y a Sue et Maddie, tes amies. Son masque joyeux était tombé, laissant place à un air horrifié. Je ne pouvais pas la blâmer, c’est l’instinct maternel qui surgit. Ça me fit tout de suite de la peine et je dus reprendre sur moi avec effort pour ne pas leur avouer d’un coup toute la vérité et continuer sur ce que j’avais prévu de dire.
– Je ne vous ai pas consulté d’abord parce que je savais que vous alliez réagir comme ça justifiai-je. Je suis désolée pour ça, j’aurai dû vous dire. Mais c’est une excellente école sportive qui garantit un bon diplôme, regarde. Je t’assure maman, tout va bien, ce n’est que du positif. Je lui tend une publicité de l’école et plusieurs tracts. Mes parents soufflent en regardant les tracts. Mon père fronce les sourcils.
– Je ne doute pas que ce soit une bonne école, la seule chose qui m’inquiète c’est que tu seras dans un internat et que tu as pris la décision sans nous consulter. Tu nous fais si peu confiance Raquel ? Répond honnêtement s’il te plaît. Ma mère me dévisage avec un calme qui cache sa colère.
– Je vous fais confiance, au contraire. Je vous aime beaucoup, à tous, je répond en les regardant tour à tour. Mes mains tremblent légèrement. Tout ceci me donne envie de pleurer. J’ai envie de leur raconter sur mes rêves, sur ce qui s’est réellement passé au cinéma. Je ne peux pas.
– Mais alors pourquoi tu veux nous quitter ? Je lis de la tristesse dans son regard et aussi dans celui de papa.
– Je ne veux pas vous quitter maman, je veux juste vivre cette expérience qui ne peut être que du bénéfice et du positif pour moi. C’est très prestigieux et pas très cher et ce sera une expérience immersive. Ce n’est pas très loin et je vous appellerai autant que possible. C’est une décision que j’ai prise et j’espère que vous la respecterez. J’espère que vous comprenez. J’attends leur réponse en regardant les décorations de Noël qu’on a pas encore enlevé. Si je les regarde, je vais me mettre à pleurer. Je suis contente qu’ils ne les ont pas encore enlevés. Dans mon enfance, Noël a toujours été un support de rêverie pour moi. Je rêvais que tout était possible, que j’irai où je voudrais avec des tas de jouets sous les bras. Cela me fascinait. Même maintenant, ça me fait penser que ce que je suis en train de vivre n’est rien d’autre qu’une rêverie de Noël. Je dévisage mes parents.
– Je ne sais pas quoi dire, dit ma mère contrite. Je suis sous le choc que tu ai pris une décision pareille, mais si c’est ce que tu veux. Tu dois partir à la rentrée ? On pourra visiter l’école ?
– Je dois partir entre janvier et février je crois, quelques semaines après la rentrée des vacances. Je vais vous dire tous les détails. J’essaie d’être rassurante après cette révélation. Je sens que Ben est fâché avec moi. Je comprend parfaitement. Nous avons toujours été une famille soudée, donc c’est difficile d’imaginer que je vais quitter le nid pour aller dans un monde inconnu et pas un internat. Mais ça, ils ne le savent pas. C’est aussi un choc pour moi. J’ai les larmes aux yeux lorsque ma mère me conseille de prendre des peluches avec moi. Je suis quand même soulagée qu’ils ont dit oui. Je n’avais pas du tout envie qu’« ils interviennent » s’ils auraient dit non. Je ressens une appréhension sans normes. La transformation approche à grands pas et j’ignore ce qui se passe dans cette dite transformation. Jim m’a donné beaucoup de réponses mais en même temps, ses réponses ont suscité d’autres questions. J’ai l’impression que je me retrouve à la case départ. […]
Ma rentrée se passe comme d’habitude, les élèves sont contents de revoir leurs amis et certains de retourner du ski. Vêtue d’un jean, pull, petite doudoune et bottes, je me présente devant Sue et Maddie qui m’étreignent vivement. Je suis d’une humeur morose : Noël c’est fini. Elles, elles semblent plutôt joyeuses.
– Qu’est-ce que c’est cette tête ? Tu n’as pas passé de bonnes vacances ?
– Si si. Justement, elles étaient trop belles pour durer. Tu sais que j’aime pas la période après Noël. Vous avez reçu des cadeaux ? Question stupide puisque je sais qu’elles reçoivent toujours des cadeaux.
– Oui, ils m’ont offert une montre. Madison tend son poignet souriante : pas trop grande, pas trop raffinée, parfaite.
– Elle est vraiment belle, constatai-je. Nos conversations s’arrêtèrent lorsque la sonnerie retentit. J’attends que Maddie parte en cours et prend Sue du bras et la pousse vers la fin du couloir.
– Tiens, c’est mon cadeau pour Noël. Désolée, j’avais vraiment oublié avant les vacances. Je lui tend un petit sac.
– Aww, tu n’aurais pas dû. C’est pas grave, ça peut arriver à tout le monde. Elle ouvre le sac et manque de crier lorsqu’elle voit que c’est le rouge à lèvre qu’elle convoitait depuis longtemps. Je la serre dans mes bras et nous nous pressons d’aller en cours. Elle me raconte son Noël passé à la montagne. Elle a revu le mec mignon de l’année dernière. Je n’ai pas encore vu Jim. […] L’heure de la récréation sonne et je vais à la salle des casiers. Je range mes livres, nerveuse. Je sais où se trouve le casier de Jim, il est juste derrière. J’ignore où il se trouve. Je prend mon courage à deux mains et risque un petit coup d’œil. Il est là. Lui aussi range des livres. Ça doit être drôle de faire semblant d’écouter en classe, c’est juste une façade, une mascarade. Il est venu ici en tant que messager pour m’aider à me convertir à une gauchère élémentaire puis repartir. Vu comment son visage s’illumine lorsqu’il parle d’Ocumundi, il doit avoir hâte d’y retourner. Il ne porte pas de manteau : juste un pull à capuche bleu foncé, jean clair un peu troué et converse. Ses cheveux sont un peu ébouriffés. Il me surprend et me fais signe. Je vais à sa rencontre tandis qu’il se penche contre son casier nonchalamment.
– Salut, comment ça va ?
– Bien, mes vacances se sont bien passées. Il hoche la tête.
– Tu as dis à tes parents de ton inscription à l’internat ? Il chuchote et me fixe de ses yeux bleus.
– Oui, ils ont accepté. C’est un choc pour eux mais ils ont dit oui. Ça ne va pas être facile de se dire au revoir.
– J’imagine. C’était dur pour moi aussi, Raquel. Mais mes parents se sont habitués et je maintiens toujours le contact avec eux. C’est important que tu fasses la même chose. Ça va bien se passer, t’inquiète pas. C’est déjà un soulagement qu’ils ont dit oui. Je m’adosse contre des casiers, les bras croisés.
– Je sais que ça fait peur mais je dois te parler de ta transformation. Son souffle me caresse l’oreille. Je me tourne vers lui. Un frisson me parcourt l’échine. Voilà, la transformation. La nouvelle tant attendue.
– Elle aura lieu d’ici deux semaines. Mon pouls s’accélère. C’est dans très peu de temps.
– Ce jour là, il poursuit, tu viendras dans un lieu sûr avec moi, d’accord ? C’est très important. Je hoche la tête mais déglutis difficilement.
– Ça va faire mal ?
– Ça peut faire mal oui, je ne vais pas te mentir. Mais tu te sentiras mieux après, tu pourras sentir ton pouvoir. Là ton pouvoir est comme en veille. Après, tu y auras accès à quand tu veux.
– En quoi ça consiste exactement ?
– C’est difficile à expliquer. Je ne veux pas te décrire la mienne parce que chaque élément a une transformation différente. Tu le saura le moment venu. Je hoche la tête.
– C’est normal que je n’ai pas ressenti d’autres symptômes ? Il fronce les sourcils.
– Tu n’as rien ressenti depuis le cinéma ?
– Non, j’ai souvent des maux de tête et parfois des picotements aux doigts mais rien de plus.
– C’est bizarre, tu devrais ressentir plus. Ton cas est particulier, t’as transformation va se manifester à tes 17 ans et non à tes 16, l’âge prévue. Je n’ai pas de réponses. A Ocmundi, ils vont sûrement te poser des questions ou te faire des examens. Ma gorge se serre.
– Tu ne connais pas d’autres qui ont eu un retard dans leur transformation ? Il secoue la tête.
– Ce n’est pas un problème que je sache. Tu ne dois pas t’inquiéter, d’accord ? Ses yeux me fixent. Je hoche la tête. Son regard se lève et ses sourcils se froncent. Je me retourne vaguement et aperçois Noa quelques casiers plus loin. Elle dévisage Jim, le regard sévère, prend ses affaires et s’empresse de partir. Dis donc. Elle ne doit vraiment pas approuver les gauchers élémentaires.
– On dirait qu’elle te hait.
– C’est probable. Il hausse les épaules. Je pense les personnes qui font partie de l’organisation qui collabore avec nous, certaines sont réticentes. Après tout, ils contribuent à cacher un monde entier.
– Vous n’avez pas peur qu’un jour ils dévoilent la vérité ?
– Non, ils ne le feraient pas. Ils savent que nous sommes trop puissants.
– Tu es puissant toi aussi ? Il ricane.
– J’ai à peine commencé. Non, je ne suis pas puissant, mais d’autres oui. Il a pu me soulever dans les airs, c’est ce que j’appelle puissant, pensai-je. J’observe son torse, visible à travers son pull puis son cou, sa pomme d’Adam. Oui, il est puissant je dirais. Jim me surprend à le mater et je manque de rougir.
– Je t’accompagne en cours ?
– Oui merci. Il marche à mes cotés, les mains dans les poches, et nous bras se frôlent de temps à autre. La sonnerie retentit et les cours reprennent. […]
Dans ma chambre, je me rend vraiment compte de ce qui est en train de se passer : dans deux semaines, après ma transformation, je partirai d’ici pour aller à Ocmundi, un monde souterrain aux pouvoirs élémentaires, je deviendrai une gauchère élémentaire et pourrai manier le feu. Je soupire. J’espère que tout se passe bien. Jim est gentil, il est attentif, il m’aide, il veut me connaître et je pense que je pourrai compter sur lui à Ocmundi aussi. Mais je ne peux m’empêcher de penser que je peux terminer seule là-bas. Je vais devoir m’accoutumer à un nouvel environnement, des nouvelles personnes. Je me couche mais ne parvient pas à trouver le sommeil, en proie à des angoisses.
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