Chapitre 7: Le départ
Je communiquai rapidement à mes parents et Ben que je devais partir le samedi. Pourquoi si tôt ? Le semestre a commencé et il faut que je m’installe. C’est ce que je leur ai répondu. Je me sens triste parce qu’ils ne savent pas les vrais raisons de mon départ. Le plus gros est passé, je me dis. Mais pas exactement, il reste encore Sue et Maddie. Je leur ai mentionné que j’étais intéressée à rejoindre un internat sportif mais pas plus. J’ai redouté cette conversation. […] Je me décide à la cantine, profitant qu’une fois on mange seules, les trois.
– Je dois vous dire quelque chose. Sue lève les yeux, méfiante.
– Qu’est-ce qui s’est passé ?
– J’ai postulé pour l’internat sportif et ils m’ont accepté. Je dois partir ce samedi.
– Quoi ? Les deux sont bouche bée. Maddie manque de cracher son eau.
– Mais pourquoi ? Chino Hills High c’est notre lycée, nous le savions depuis la primaire qu’on allait terminer ici avant d’aller à l’université.
– Oui je sais. J’aime beaucoup le lycée, vraiment. Mais j’ai envie de changer, j’ai envie d’un nouveau défi dans ma vie. L’internat n’est pas très loin d’ici. On va pouvoir se voir, je plaide. Sue a les larmes aux yeux.
– Je ne comprend pas. Tes parents t’ont laissé ? Je suis ta meilleure amie et tu me dis que nous allons pas terminer le lycée ensemble ? Elle hausse le ton.
– Sue s’il te plaît, nous serons toujours meilleures amies. On va pouvoir se voir, les trois. Souvent. Elle secoue la tête et part, laissant son plateau encore plein. Maddie soupire.
– Elle va s’y faire. Tu dois comprendre, c’est un choc, pour moi aussi.
– Oui, c’est normal. A sa place, j’aurais réagi pareil, je murmure. Maddie me prend la main. […]
La semaine passa très vite comme si, mes prochains camarades d’Ocmundi m’attendaient avec impatience et m’attiraient à eux. Sue a pris plus de temps à faire la paix avec moi mais j’y suis arrivée. Je lui promet de garder le contact. Je ne lui ai pas dis à propos de Jim. Lui aussi va partir, elles vont sûrement se douter de quelque chose. Il m’a dit que la raison de sa partance sera que ses parents vont déménager pour des raisons de travail. C’est crédible mais pas pour Sue et Maddie. Elles savent que je m’entend bien avec lui. Elles vont poser des questions. Je ne veux pas y penser. Je fais ma valise, quelques larmes le long de mes joues. Mes parents allaient sois-disant m’accompagner à la gare où je ferai semblant de prendre un train. Alors que Jim m’emmènera avec sa voiture dans un autre monde. Sue et Maddie aussi seront là. Je n’arrive pas à croire que je vais laisser ma famille, ma maison, Chino hills. Je me répète que si les choses se passent mal à Ocmundi, je rentrerai chez moi et travaillerai ici avec ceux qui collaborent. J’enfile un jean droit, mes bottes Doc Martens et un col roulé fin vert foncé. Je brosse mes cheveux et les laisse tels qu’ils sont. La voix de ma mère me sort de mes pensées.
– Dépêche toi Raquel, tu vas perdre ton train. Dans la voiture, l’humeur est morose. Ben me fait la tête. Je le comprend, on a jamais été séparés lui et moi. Depuis tout petit, maman et papa nous ont élevés pour qu’on s’aime et qu’on se dispute le moins possible. On allait à l’école ensemble, jouions ensemble, parlions ensemble, tout. Je cligne douloureusement les yeux. On arrive à la gare. Ben prend ma valise. Nous trouvons Sue et Maddie dans le quai. Jim n’est pas encore là. Mon pouls bat à mille à l’heure.
– Bon je pense que le moment est venu, commence ma mère. Elle a les larmes aux yeux. Ne trouvant pas de fin de phrase, elle se contente de me serrer contre elle. Mais finalement, elle me murmure à l’oreille plein de conseils comme : fais bien attention à toi, n’accorde pas ta confiance à tout le monde, appelle-moi souvent et donne moi de tes nouvelles. Des larmes jaillissent d’elles mêmes. Papa me serre aussi. C’est le tour de Ben. Il détourne les yeux de moi, regardant par terre. Je lui ébouriffe les cheveux. Je dis au revoir à Sue et Maddie en larmes.
– Je vous envoie plein de messages, promis. N’en pouvant plus, je serre Ben. Au début, il ne fait rien puis ses bras se referment et il me serre a m’en briser les os. Je comprend à présent qu’il a besoin de moi. C’est dur.
– Je t’aime.
– T’as intérêt à venir pour les vacances, hein ? Il pleure aussi.
– Promis. Je lui caresse les cheveux et mémorise ses yeux verts larmoyants. On se donne une dernière étreinte. Je prends ma valise et sac à dos et monte dans un train. Depuis la fenêtre, je leur fais des signes. Puis je les vois partir. J’attends quelques minutes puis descend. J’attends, je tape du pied. Je sèche mes larmes. Après dix minutes, il apparaît. Lui aussi porte une valise.
– Je suis désolé, c’est toujours difficile les départs.
– On peut y aller. Je suis prête. Désormais je n’ai que lui. Nous prenons la route, il ne m’a pas dit où nous allons. Je reste silencieuse pendant les dix premières minutes. Jim respecte mon silence et n’essaie pas d’engager la conversation. Je m’appuie contre la vitre. C’est la première fois que je me sépare de ma famille. Je n’ai jamais été absente que d’une semaine, le temps d’un voyage scolaire. Là, je pars définitivement vivre dans un autre monde auquel je pensais ne pas appartenir avec quelqu’un pour qui je commence à avoir des sentiments. Qui aurait pensé cela ? Des flash de mon frère, de ma chambre, de ma fenêtre donnant sur mon petit jardin, apparaissent dans mon esprit.
– Où allons-nous ? Je demande d’une voix enrouée.
– Nous allons au Sequoia Park. Tu l’as déjà visité une fois ? Je secoue la tête. Les arbres sont impressionnants, tu vas aimer.
– Pourquoi les spots sont toujours des parcs ? Il s’esclaffe.
– Nous sommes très connectés avec la nature. Notre pouvoir provient de la Terre elle même alors nos entrées se trouvent en général dans des parcs.
– Les entrées ?
– Ce sont les endroits où tu peux descendre et aller à Ocmundi.
– Oh. D’accord. Je cherche où se trouve le dit parc et on en a pour quatre heures de route.
– Je vais m’arrêter en route parce que je dois passer prendre mon ami. Ça te dérange ?
– Non. Il s’appelle comment ?
– Scott Curney, c’est mon meilleur ami, je crois je l’ai mentionné une fois, tu te souviens ? Je hoche la tête. Oui, je me souviens. Son meilleur ami qui n’est pas d’ici. Il est de Californie néanmoins. C’est la première fois que je vais rencontrer un autre gaucher élémentaire. Un mélange de curiosité et stress me noue le ventre. Notre discussion s’arrête là. Je me demande comment est le monde d’Ocmundi. J’imagine un monde souterrain, avec pas beaucoup de lumière et l’école Elementa, un grand bâtiment de bois. Je crois que je somnole parce que trois heures après, Jim me sort de ma rêverie en s’arrêtant devant une maison. C’est un duplex, typique maison américaine, avec sa porche d’entrée et ses petites marches. Il klaxonne, attendant ce fameux Scott. Je me redresse et adresse un regard hésitant à Jim. Il me touche le genou et serre légèrement. Aussitôt, j’ai chaud. Un garçon apparaît. Il a des cheveux marrons ébouriffés entouré d’un bandana vert. En s’approchant, je remarque ses yeux gris. Il rentre dans la voiture.
– Salut Jim, content de te voir. Il serre les épaules de Jim en souriant puis il se tourne vers moi.
– Raquel Davis, enchanté, lui-dis-je en serrant sa main.
– Scott, enchanté aussi. Son sourire était vraiment authentique. De la confiance émanait de lui. – Tu es la célèbre mission de Jim, je suppose.
– On peut dire ça, oui. Les pneus crissent sur le goudron tandis que Jim redémarre.
– Comment tu te sens ? Tu as envie de découvrir Ocmundi ?
– Oui. Je ne sais pas trop quoi penser si je suis honnête.
– C’est normal. Tout va prendre sens une fois que tu connaîtras Ocmundi et Elementa. Je ne sais pas si Jim te l’a expliqué. Je sais que ça peut paraître fou, mais ta place est à Ocmundi, tu vas le sentir. Je hoche la tête. J’espère, pensai-je.
– Je suis une Fuocan, toi ? Je me retourne à chaque fois pour pas lui parler de dos, je vais avoir un torticolis à force.
– Un Aria, comme Jim. Certains éléments présentent des caractéristiques communes physiques visibles.
– Comment ça ?
– Ce n’est pas toujours le cas. Mais souvent par exemple, les Acqua ont les yeux bleu, vert ou gris. Les Aria sont souvent blond, les Terran souvent brun, métisse, ou bronzé. Ce n’est pas une règle, moi je suis brun mais tu peux le remarquer chez certaines personnes.
– Et les Fuocan ?
– Les Fuocan ont souvent les cheveux châtain ou noir, c’est rare qu’ils soient blond. Et ils ont des lèvres plus rouge du normal, Jim répond. Comme toi.
– Impressionnant. Des traits caractéristiques pour chaque élément. Je reste silence pendant le reste du voyage. Les nerfs me rongent. Jim et Scott font références à des choses que je ne comprends pas. C’est normal, j’imagine. J’envoie des messages rassurants à ma famille. Ma gorge devenait de plus en plus sèche. Scott est vraiment gentil et on peut vraiment voir la complicité entre eux. Jim s’est construit une sorte de vie à Ocmundi et je n’y suis même pas arrivée encore. J’ignore si je peux faire la même chose. Toute cette situation semble tellement irréelle. Je ne suis pas encore prête pour penser à ça.
– On arrive bientôt, dit Jim. Je croise son regard et esquisse un sourire nerveux. J’aperçois de loin les nombreuses branches et feuilles des sequoias. Les photos ne leur font pas justice. Les arbres sont énormes. Jim gare la voiture dans le parking et nous partons, valises en main. Scott nous suit de près. Je lève les yeux et tente d’apercevoir les cimes. C’est impressionnant. Les racines mesurent plus de deux mètres, épaisses. Nous marchons pendant, environ vingt minutes. J’ai l’impression d’entendre rien d’autre que les pulsations de mon cœur et le froissement de mes pas sur le sentier. Finalement, Jim s’arrête devant un sequoia particulièrement grand. Je m’approche et distingue un cercle gravé sur le tronc. Avant de faire quoi que ce soit, Jim s’assure qu’il n’y ait personne. Puis, avec une pression sur une racine, un trou s’ouvre en face de nous, dans le tronc.
– On peut dire merci aux Terran, dit Scott. J’espère que tu n’es pas claustrophobe Raquel parce que c’est serré.
– Non, je ne suis pas claustrophobe. Je tremble de nervosité malgré moi. La vérité me saute au yeux : jamais je ne pourrais vivre dans un monde souterrain sans le soleil et tout ce qui s’en suit. J’ai envie de prendre mes jambes à mon cou. Devinant mes pensées, Jim s’empresse d’ajouter :
– Ne l’écoute pas, dit-il en jetant un regard noir à Scott, tu vas voir, c’est extraordinaire. Il me prend la main et serre doucement. Je hoche la tête. Il jette ses bagages, les mien et ceux de Scott dans le trou.
– C’est un toboggan, mais après il y a de longs tunnels, Scott tu y vas en premier ? En guise de réponse, il s’engouffre dans le trou. Je décide de ne pas y penser et me lance peu après. Je glisse dans un noir complet. Les parois extrêmement serrées semblent m’engloutir. Je ravale un cri. Je ferme les yeux et garde les bras le long du corps. Si je les bouge je sentirais la surface rugueuse du bois ou de la terre, je ne saurai dire. Le toboggan semble être interminable. Je sens qu’il n’est pas trop pentu, mais j’ai vraiment l’impression de chuter dans les abysses de la terre. La fin du tunnel m’accueille avec force. Aucun moyen de me préparer à la chute. J’atterris durement sur le sol, le cœur au bord des lèvres. Je suis momentanément dans les vapes et j’oublie de m’écarter de la sortie du tunnel. Je réalise trop tard, et Jim me percute de tout son corps. Nous nous effondrons, lui sur moi, son souffle chaud caressant ma nuque. J’ai le souffle coupé.
– Désolé, tu vas bien ? Il se relève sur ses coudes.
– Je vais bien. J’ai oublié de me relever, désolée. Je ne peux m’empêcher de savourer la sensation de son corps contre le mien avant qu’il ne se lève et me tende la main. Je titube un peu.
– On a traversé combien de mètres ?
– Si je me souviens bien, on a descendu de 300 mètres de profondeur.
– 300 mètres de profondeur ? C’est impossible, la descente du tunnel m’a parue assez rapide.
– C’est de la magie, les Terrans ont ajouté un effet de succion, un sort si tu veux, pour que nous descendions plus vite. Ça prendrait trop de temps sinon.
– Je comprends. Où est Scott ?
– Là. Je me tourne et lâche un rire nerveux.
– Oh, je ne t’avais pas vu, désolée. Où va-t-on maintenant ?
– Tu vas découvrir quelque chose que nous, les Aria, avons faits, dit Scott d’un ton enjoué,– par ici. Nous nous trouvons sous terre, évidemment mais je ne sais pas comment décrire cet endroit. Il ressemble un peu à une grotte. Elle est illuminée par des lanternes suspendues ici et là. Nous marchons pendant quelques minutes avant de nous arrêter devant un autre tunnel. Scott se tourne vers moi.
– Ce tunnel est quelque peu différent. Tiens bien tes bagages et tout ira bien. Comment ça ? J’ai envie de poser d’autres questions mais me contente de resserrer la poigne autour de la manche de ma valise et m’avance dans le tunnel. A peine y ai-je mis les pieds, que mon corps se soulève poussé par une rafale, non un courant d’air. La force me coupe le souffle et je hurle. J’entends Scott et Jim ricaner. Ils auraient pu me prévenir. Les vents me propulsent d’une manière hallucinante. Je ferme les yeux et réprime un haut-le-cœur. Après une durée indéfinissable, le courant diminue de vitesse jusqu’à que mes pieds se posent délicatement sur le sol. Je pose ma valise et me dirige en courant dans un coin et vomis. Je me sens vidée, drainée. Je sens des mains qui me tiennent les cheveux délicatement. Je me redresse et grimace.
– Je suis vraiment désolée, c’est dégouttant. Jim secoue la tête et essuie les larmes au coin de mes yeux du bout du pouce.
– C’est normal. Les virages sont un peu brusques, surtout pour les autres éléments. Scott est le seul Aria que je connaisse qui a vomit. Il lui lance un regard et ricane.
– J’étais stressé d’accord ?
– Si tu le dis. Scott s’élance et Jim l’esquive. Il me prend par la main et me mène jusqu’à ce que semble être la bouche de la grotte. Mon pouls s’accélère. Sa main chaude est réconfortante. J’arrive à la sortie, le soleil ou la lumière plus forte que dans la grotte m’éblouit et la vue qui s’ouvre à moi me coupe le souffle.
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