Chapitre 10: Occidens
Ce matin, nous avons cours d’Histoire des gauchers et d’Ocmundi. Le cours tant attendu. Je suis curieuse d’en apprendre plus. Jim m’a expliqué quelques éléments sur la fondation d’Ocmundi mais très vaguement. J’enfile mon uniforme, et me fais une queue de cheval. Je me sens un peu comme dans une transe. Je deviens un peu plus proche des filles avec les jours qui passent, je m’habitue peu à peu au dortoir, à Elementa, à la présence chaleureuse de mon pouvoir dans mon estomac, mais mon esprit n’a pas toujours assimilé que je vais devoir rester ici pendant des années, voir y faire ma vie. J’essaie de ne pas trop y penser. Je veux me concentrer sur mon apprentissage, Ocmundi et… Jim. Je dois trouver la force en moi pour lui parler et résoudre cet épisode. Je m’assois à une table au hasard et Jess s’installe derrière moi. Georgia et Jenny se mettent devant. Monsieur Chevaly, un jeune homme dans la trentaine, grand et aux cheveux ébènes, commence par faire l’appel. Plusieurs petits groupes se sont formés dans la classe et certains bavardent entre eux mais ils ne sont pas comme au lycée. Populaires, nerds, gothiques, ici il n’y a rien de tout ça. Je pense à Sue et Maddie brièvement.
– Bonjour à tous, silence s’il vous plaît. Nous nous taisons. Bien. Comme vous avez pu le voir dans vos emplois du temps, je suis votre professeur d’Histoire d’Ocmundi. Mon but est de vous raconter et expliquer la fondation de notre monde. Je vais commencer par une introduction pour aujourd’hui. Il s’avance parmi les rangées, les mains dans les poches. Je mâchouille le bouchon de mon stylo, curieuse.
– Les plus anciens documents et archives nous mènent au premier gaucher élémentaire : Paul Pyrovel. C’était un américain, il vivait une vie normale jusqu’au jour où il commence à entendre une voix dans son esprit. Nous sommes au dix-huitième siècle. Imaginez-vous l’époque. Oui ? Je me retourne et remarque que Walter a la main levée.
– Quels sont les documents qui ont permis de le tracer ?
– Excellente question. Les historiens ont trouvé ses mémoires où il raconte absolument tout. Il a 16 ans lorsqu’il se transforme. Il le décrit comme un évènement à la fois dévastateur et enivrant. Nous ignorons quel était l’élément de Paul. Il ne l’a jamais communiqué dans ses mémoires. Des rumeurs anciennes affirment qu’il était un Aria, mais il n’y a pas de preuves. Il essaie de continuer à vivre sa vie mais il ne comprend pas ses pouvoirs, il entend une voix et pense qu’il est devenu fou. La voix qui lui parle c’est la voix de notre déesse, Gaïa. Ocmundi n’est pas un monde laïque comme à la surface. Je me tends inexplicablement. La surface ? C’est de cette manière qu’il parle de notre monde, la Terre ? Je ne peux empêcher ma pulsion et lève la main.
– Monsieur ? Pourquoi vous appelez la surface notre monde ? Le prof se tourne et pose ses yeux sur moi.
– Ce n’est pas un terme péjoratif, c’est juste comme nous mentionnons le monde comme tu l’as dis, notre monde qui se situe à la surface. Il n’y pas de sous entendus. Nous maintenons toujours des relations avec la surface, comme vous savez. Je hoche la tête, un peu rassurée.
– Je disais que nous sommes un monde croyant. Paul comprend que Gaïa lui a conféré des pouvoirs. Gaïa est la divinité de la terre et elle confère les pouvoirs des quatre éléments aux gauchers, mais pas à tous. Je ne sais pas si vos messagers vous expliqué ce détail mais vous êtes gauchers élémentaires soit par génétique, soit par hasard. Dans le deuxième cas, c’est Gaïa qui vous a choisi. Il s’interrompt à nouveau car un élève demande pourquoi Gaïa choisit des gauchers et pas des droitiers.
– Et bien, les gauchers présentent des caractéristiques uniques qui font de nous des êtres plus efficaces, créatifs, rusés ou intelligents. Si vous êtes ici, que vous veniez de parents gauchers élémentaires ou non, vous êtes des personnes capables de maîtriser votre élément et de devenir des personnes influentes pour Ocmundi. Revenons à Paul. Dans un premier temps, il écoute la voix de notre divinité et essaie de maîtriser son élément comme il le peut. Il rassemble des manuscrits qui parlent des quatre éléments par exemple. Le prof nous montre des photos d’extraits d’ouvrages anciens avec le projecteur. Ce sont des livres qui mentionnent les quatre éléments. J’y reconnais la croix des éléments. Certaines notes sont écrites dans les marges ou des dessins. Ces documents datent du premier gaucher élémentaire. Je frissonne.
– Ce n’est qu’après quelques années qu’il rencontre un autre gaucher élémentaire. Il se rend compte de l’envergure de la vision de Gaïa et du nombre de gauchers élémentaires. Un groupe se forme et décide de construire Ocmundi. C’est Paul et ce groupe initial qui donna le nom à notre monde qui s’épanouit sous terre. Cela prit de nombreuses années. Paul est toujours guidé par la voix de notre divinité et trouve l’emplacement de l’Arbre que vous avez sûrement aperçu. C’est la source de nos pouvoirs. Ils construisent dès lors tout notre système avec nos quatre régions, les écoles, nos coutumes, traditions etc. Une fois le cours terminé, je sors avec le cerveau en ébullition. Tellement de détails pour une introduction. Je comprends enfin comment un monde sous terre a pu prendre vie. Je ne peux imaginer comment c’était ici il y a un siècle ou même plus. Tout ce temps là et personne ne s’est douté qu’une société entière vit sous terre avec des pouvoirs. Une chose est sûre, je veux me rendre à un temple dès que je peux. J’ai envie d’en savoir plus sur Gaïa. Je sens mon pouvoir s’agiter et la chaleur remonter jusqu’à ma poitrine et mon cou.
– Tu te sens bien Raquel ? Me demande Jess. Tu es toute rouge. Elle pose une main sur mon bras. Je hoche la tête.
– C’est mon pouvoir. J’étais dans mes pensées et il s’est agité. J’ai juste chaud. Je souffle et m’évente avec ma main.
– On ferai mieux de sortir alors. On pourrait visiter la ville si ça vous dit ? Propose Georgia, le visage inquiet. Nous acquiesçons toutes. Je suis les filles dans le couloir et nous naviguons à travers de la foule d’étudiants. Une tête bien trop familière apparaît soudain. Jim. Il marche d’un air décidé. Quelqu’un lui parle mais il n’a pas l’air d’écouter. Ses yeux sont posés sur moi. Mon pouvoir s’agite et j’ai encore plus chaud. Les battements de mon cœur cognent à mes tempes. Je n’ai pas le temps de décider si dire quelque chose ou le saluer. Les filles vont trop vite. Jenny me prend la main et tire légèrement. Jim passe et je baisse les yeux. Je ressens trop de choses à la fois. Nous descendons le grand escalier et sortons enfin au terrain. J’inspire une bouffée d’air et me sens un peu mieux. Nous allons au dortoir.
– Je crois que tout le monde a cours à cet instant précis et le couloir était plein à craquer. J’avais l’impression de m’étouffer, dit Jenny. A qui tu le dis, pensai-je. Les yeux bleus de Jim ne me quittent pas. Je me change et opte pour un jean bleu clair avec un pull à capuche blanc et des baskets sportives. Nous sortons et marchons à travers les ruelles. Elles sont d’abord en terre battue puis pavées. Les bâtiments sont en pierre d’une belle architecture. Des commerces apparaissent : librairies, supérettes, magasins, dentistes. Il y a de tout. La route principale bordée de lampadaires anciens illumine la ville d’une belle lumière douce. Les gens veillent à ce qu’il y ait le plus possible de lumière, en plus d’avoir ce faux soleil. Jess veut se couper les cheveux alors nous cherchons un salon de coiffure. Elle s’arrête devant un au hasard.
– Je vais faire un tour, je crois que j’ai vu une librairie, je vais passer, je dis.
– Pas de soucis. Je veux juste me couper les pointes. Je n’en aurai pas pour longtemps, répond Jess. Georgia et Jenny sont trop curieuses de voir si les salons de coiffure sont les mêmes qu’à la surface, alors elles restent avec elle. Je marche un peu, déambule. Un air frais et humide emplit mes narines. La librairie est vraiment belle et se présente comme un cocon douillet. Je laisse mon instinct me guider et atterris à la section de psychologie. Un titre retient mon attention. Comment oublier quelqu’un ? Les amours entre deux éléments différents. J’écarquille les yeux et le feuillette. Ce que je découvre me laisse sans voix. Je ne peux pas le croire. Mes mains tremblent. Je referme le livre d’un coup sec et le range à sa place. La responsable me suit des yeux. Je sors en trombe. Comment les profs ne nous l’ont pas dit avant ? C’est pourtant un détail essentiel à savoir. Je retourne au salon de coiffeur, le cœur battant. Le salon est en parquet foncé élégant. Les chaises sont ornées de gravures, tout comme les murs. Une grande flamme est dessinée et sur le mur opposé, une goutte d’eau. C’est très joli. Je trouve Jenny et Georgia assises.
– Hey ! Tu es déjà de retour ? Demande Jenny. Je m’assois à coté d’elle avec un soupir.
– Oui, j’avais peur de me perdre entre les rues. La librairie est très belle mais rien n’a attiré mon attention. Jess se lève quinze minutes plus tarde avec les cheveux un peu plus courts et plus dégradés. Ça lui va à merveille. Je m’adosse au comptoir tandis que Jess paie et me mords le petit doigt pensivement. Je prends mon courage à deux mains. Il faut que je corrobore que ce que j’ai lu est vrai.
– Dites, j’ai lu quelque chose quelque part et j’aimerais savoir si c’est vrai, je dis. La coiffeuse m’adresse un regard interrogateur.
– Vous êtes des nouvelles, n’est-ce pas ?
– Oui, ça se voit tellement ? Répond Georgia.
– Demande. Les débuts à Ocmundi peuvent être durs.
– J’ai lu qu’on ne peut pas entretenir une relation amoureuse avec une personne qui a un élément différent du notre, est-ce vrai ? Je retiens mon souffle tandis que les filles sont choquées. La dame me lance un regard compatissant.
– Oui, malheureusement c’est vrai. D’après vos visages, les profs ne vous l’ont pas encore expliqué. Nous sommes incompatibles entre éléments différents. Si vous le faites, vous ne pourrez pas utiliser votre pouvoir pendant quelques temps. Ça dépend du degré d’implication.
– Degré d’implication ? Demande Jenny.
– Si vous embrassez quelqu’un, vous ne pourrez pas utiliser votre pouvoir entre un et deux jours plus ou moins. Si vous avez une relation sexuelle, ça peut durer plus. Ça dépend un peu de chacun.
– Mais c’est fou, souffle Georgia. Et qu’est-ce qui se passe si ça arrive ?
– Ce n’est pas conseillé, surtout quand vous êtes à Elementa. Vous devez apprendre à maîtriser votre élément. Néanmoins, si ça arrive, vous dites que vous êtes malade et vous êtes observante du cours. C’est ce qu’on disait quand j’ai fais mon apprentissage en tout cas.
– Quelle nouvelle, dit Jess. C’est bon à savoir, merci pour nous avoir expliqué. Nous la remercions et sortons. J’ignore comment expliquer mes émotions en ce moment même. Choc, compréhension, tristesse, colère. Tout s’explique maintenant.
– C’est ce que tu as lu à la librairie, pas vrai ? Dit Georgia. Je hoche la tête.
– Je me rends compte qu’on ne peut pas tomber amoureuse de n’importe qui en fait, remarque Jess.
– Non. Si c’est un gars qui n’a pas le même élément que le tien, ça risque d’être compliqué, dit Georgia. Nous continuons de visiter la ville. Je revois le grand bâtiment du Conseil au centre. Toujours aussi imposant. Physiquement, je suis avec les filles, mais mentalement, je suis sur une autre planète. Nous débouchons sur une place très jolie. Une fontaine trône au centre et des escaliers l’entourent. Un homme semble parler à un groupe. Il crie presque. Nous nous approchons.
– Venez ! Je fais appel à tous les Terrans qui veulent s’unir avec moi pour créer un autre monde ! Il s’écrit. Il se tient sur une marche et surplombe la petite foule.
– Je m’appelle Gregorio Rolz. J’ai déjà dix personnes qui partagent les mêmes opinions que moi et je suis sûr que nombreux d’entre vous aussi. Je pus percevoir un instant son visage : grand homme, bien bâti. Il présente les caractéristiques des Terrans : le teint mate, yeux et cheveux bruns et une barbe. Il doit avoir la quarantaine.
– Je voudrais changer Ocmundi. La rendre plus égalitaire et juste. Les Terrans ont toujours été en bas de l’échelle et nous allons changer cela. Tenez, ce sont mes idées en détails, tout est écrit dessus. Si vous êtes intéressés, rejoignez nous à la lisière de la Grande Forêt. Je note un léger accent du Sud américain. Georgia s’avance et quelqu’un lui tend le flyer.
– Allons à un endroit plus tranquille.
– L’Arbre ? Je propose. Elles hochent la tête. Nous suivons quelques indications et parcourons les ruelles.
– Il veut peut-être créer un parti politique ? Je ne sais comment ça marche ici, dit Jenny.
– Quelque chose me dit qu’il ne veut pas faire de parti, remarque Georgia. On arrive à une plaine paisible. L’Arbre se dresse fièrement, ses branches étirées vers le ciel. Je ratte un battement et je sens mon pouvoir s’agiter à nouveau. On s’assoit au pied de l’Arbre et Georgia lit à voix haute le flyer.
– Terrans, Gregorio Rolz, américain et allemand. De nombreuses occasions m’ont montré que nous, les Terrans ne sommes pas considérés comme il se doit. Le Conseil donne toujours plus d’importance aux Acquas et aux Fuocans qui d’ailleurs sont en plus grand nombre. Je sais, vous me diriez sûrement que le Président du Conseil est un Terrans, Monsieur Emurio. Mais là n’est pas le problème. Le problème est que nous devons nous révolter contre les autres gauchers pour enfin acquérir les droits dont nous méritons. Nous avons le pouvoir de maîtriser la Terre. Ocmundi n’existerait pas sans nous. Vous me diriez aussi que les Aria sont dans la même position que nous. Et bien non. Les héroïques volants, ceux qui peuvent faire des tornades et détruire ce qu’ils veulent par la force du vent. Avez-vous été victime d’un ton condescendant juste parce que vous êtes Terran ? Traité de peu raffiné à un évènement social ? Aux écoles, on enseigne que la Terre est l’élément du travail, tandis que le Feu ou l’Air représentent le courage et la force d’esprit. Il faut que cela cesse. Si vous partagez mes idées, venez à la lisière de la Grande Forêt où nos réunions prennent place à huit heures et demie du soir.
Gregorio Rolz.
– J’y crois pas. Qu’est-ce que c’est toute cette histoire ? Elle souffe.
– J’ignorais que les Terrans se sentent de cette manière, dit Jess.
– Ralph m’a expliqué qu’il existe une sorte de hiérarchie sociale implicite entre les gauchers élémentaires. Légalement, nous sommes tous égaux mais en termes de coutumes et traditions, on sait que les Fuocans et Acquas sont les mieux réputés. Ensuite les Arias et Terrans, dit Georgia.
– Et qu’est-ce que ça implique ? Je demande.
– Rien, seulement il peut y avoir des querelles parfois. Je ne connais pas ce Gregorio assez mais je ne pense pas que ce soit alarmant. Elle hausse les épaules.
– Je ne sais pas, dit Jess peu convaincue. Tu as vu la foule ?
– Le temps nous le dira. On se lève et on monte les marches. L’escalier en colimaçon mène à la cime où des planches de bois soudées nous permettent de marcher librement en haut de l’Arbre. Je ne sais pas comment décrire ce qui se tient devant mes yeux. Un piédestal richement orné se dresse au centre. Les quatre éléments tournoient dans une grande boule de cristal. Ils ne cessent de tourner entre eux, bougeant tellement vite qu’il est impossible de discerner les quatre individuellement. Je me rends compte néanmoins, que les couleurs ne se mélangent pas. J’aperçois clairement les reflets de chaque couleur : bleu, rouge, gris et marron. Mon pouvoir s’agite et j’ai chaud dans mon pull. Mon regard est rivé aux quatre éléments. C’est hypnotisant. Un bref sentiment de paix m’envahit et j’inspire à fond. […] Je marche en direction de la cantine, seule. Les filles sont parties avant moi pour prendre une table. Je me suis douchée la dernière. J’ai renfilé mon uniforme et des Ugg. Ce soir il fait froid. Je rentre dans la chaleur accueillante de la salle et mon cœur s’arrête une seconde. Les filles sont assises avec Jim et ses amis. Scott, Douglas et Ernesto. Une personne que je ne connais pas est là aussi. Une fille assise à coté de Jim. Je suis tellement surprise que je suis plantée près de la porte d’entrée. Je me ressaisis et vais prendre mon dîner. Ce soir, ils ont cuisiné une recette française : du bœuf bourguignon. Ça a l’air succulent. Je prend aussi du fromage et un yaourt. Je me dirige vers la table et j’ai l’impression que mon cœur va sortir de ma poitrine. Je ne sais pas pourquoi je suis tellement stressée. Peut-être à l’idée de revoir Jim, de le revoir après avoir su qu’il m’a menti. Je m’assois à coté de Scott et pose mon plateau.
– Tu en as mis du temps, me reproche Jess. On commençait à s’inquiéter.
– Désolée, j’avais besoin d’une bonne douche relaxante. Salut les gars. Ils me saluent avec un sourire. Jim m’adresse un sourire hésitant que je ne réponds pas.
– Je m’appelle Ruby, enchantée, dit la fille. Elle est mignonne. Elle a des cheveux bouclés et foncés, et des grands yeux noisette.
– Raquel, enchantée aussi. J’ai été la mission de Jim.
– Oh, enfin je te rencontre alors. J’avais beaucoup de curiosité à savoir qui était sa mission.
– C’est moi. Je souris et j’espère que c’est convaincant. Jim et moi venons les deux de Chino Hills.
– Ils ont vu qu’une nouvelle gauchère vivait là-bas et comme je suis aussi de la région, ils m’ont assigné la nouvelle en question, Raquel, Jim explique. Je hoche la tête, et commence à manger. J’ai très faim. Je me dis que je peux faire semblant pour un dîner. Puis je parlerai à Jim et tout sera fini.
– Vous ne savez pas ce qu’on a découvert pendant notre visite à Occidens, lâche Georgia. Je commence par quoi ?
– Gregorio, commençons par Gregorio, je dis un peu trop fort.
– Alors qui est ce Gregorio ? Demande Douglas.
– C’est un homme qui incite aux Terrans de se révolter et de changer Ocmundi. Il dit que les Terrans ont été négligés pendant tout ce temps et que ça doit changer, elle explique.
– On l’a vu dans une place. Il faisait un discours et il y avait une foule autour de lui, ajoute Jenny.
– Je crois que j’ai entendu parler de lui, dit Scott. C’est un gars qui veut semer de la discorde. Il ne faut pas l’écouter. Je suis surprise que Scott ait entendu parler de lui. Il s’est fait un nom on dirait.
– Je ne sais pas s’il est tellement inoffensif, dit Georgia.
– Je n’ai jamais entendu parler de lui, dit Douglas. Mais en revanche, certaines personnes m’ont dit qu’il existe des disputes entre gauchers élémentaires parfois. Je ne savais pas que ça pouvait arriver à ce point. Je n’écoute plus le reste de la conversation, seulement quelques passages. Apparemment, les gauchers n’étaient pas tout à fait égaux auparavant. Certains éléments comme les Acquas et Fuocans avaient plus de privilèges pour s’intégrer dans la société, accéder à des opportunités professionnelles ou gravir les échelons. Le reste de la conversation, je la passe en sourdine. Mon cœur bat fort et j’ai chaud. Jim est toujours aussi beau. Ses cheveux blond foncé ont cette mine coiffé décoiffé. Son pull souligne son torse et ses épaules. Il ajoute des trucs aussi mais son regard revient toujours à moi. Je mange mon yaourt à grandes bouchées, anxieuse. Je ne devrais pas le regarder. Il ne m’a pas dit la vérité.
– C’est quoi la deuxième chose que vous avez découvert ? Je suis curieux, demande Ernesto. Je me tends.
– Ça, vous auriez pu nous le dire, raille Jenny. On a découvert qu’on ne peut pas être avec une personne d’un élément différent. Sinon, tes pouvoirs ne marchent pas pendant un certain temps. Scott et Douglas grimacent. Jim manque de s’étouffer. Le masque est tombé, pensai-je.
– Je pensais que les profs vous l’avaient expliqué, dit Scott.
– C’est vraiment de la merde en effet, dit Douglas. Il faut le savoir dès que possible parce que l’année dernière dans notre classe, une Acqua et un Aria sont tombés amoureux et ça a vite tourné au drame. Je suis tendue comme un piquet. Les mots de Douglas résonnent dans ma tête. J’ai trop chaud. J’ai envie de m’arracher les cheveux. Jim me dévisage mais je ne peux pas le regarder. Je suis en colère et une boule de nerfs. Nous finissons de manger et sortons au terrain. Georgia aperçois Ralph son messager et Jenny l’accompagne bavarder avec lui. Je prends mon courage à deux mains et vais à son encontre.
– On peut parler ? J’essaie de garder mon calme mais ma voit me trahit.
– Okay, allons-y. Les gars, on vous rejoint après. Jim sort du terrain et se dirige vers les arbres derrière les dortoirs. Je le suis, le pas pressé, sans me préoccuper de la réaction des autres. Il se tourne vers moi une fois que nous sommes seuls.
– Raquel, on peut parler tranquillement, il commence.
– Je ne peux pas croire que tu ne m’aies rien dit !
– Laisse moi t'expliquer. Je suis désolé, je regrette que tu l'aies appris ainsi. Je lui adresse un regard mauvais.
– Expliquer quoi Jim ? Quand comptais-tu me le dire ? Après m’avoir fait les yeux doux ? Après m’avoir embrassée ? Son visage s’effondre.
– Je suis désolé.
– Tu as eu beaucoup d’occasions mais non, tu n’as rien dit. La rentrée est bien derrière nous là. Je n’y crois pas que tu m’aies caché une chose pareille. C’est un élément essentiel à savoir tu ne crois pas ?
– Je ne t’ai rien caché ! Je sais que j’aurais dû te le dire bien avant ou ces jours-ci et j’ai essayé mais je ne pouvais pas. Je n’ai pas pu. Tu m'as plu dès le début Raquel. Dès que j'ai posé les yeux sur toi, je ne pouvais pas te résister. Qu'est-ce que j'allais dire? Les éléments sont incompatibles, tu ne peux pas entretenir une relation amoureuse avec quelqu'un qui n'est pas de ton élément? Quelle aurait été ta réaction?
– Oui, tu aurais dû me dire ça exactement. Mot pour mot. Tu ne m'as pas donné de choix, tu m'as menti. J'ai le droit de choisir si m'investir avec quelqu'un, tu ne crois pas? Maintenant j'éprouve des sentiments et tu ne m'as pas laissé de choix.
– Quel choix Raquel ? Je suis tombé amoureux de toi! L'autre nuit, je ne t'ai pas embrassé parce que je n'aurai pas pu utiliser mes pouvoirs le lendemain et je ne pouvais pas me faire ça à moi ni à toi. Je suis désolé, je me suis comporté comme un lâche mais je voulais te connaître, je voulais voir si je te plaisais aussi. Je secoue la tête, incapable d’écouter un mot de plus. Il s’approche de moi, prend mon visage entre ses mains et écrase sa bouche sur la mienne. Il m'embrasse avec fougue et je gémis. Je perds mes moyens. Son odeur, son toucher, ses lèvres m'ont manqué. Je fond sur lui, l'embrasse, mordille ses lèvres. Sa main droite descend et enserre ma taille. Je frissonne. Mes mains agrippent ses larges épaules. Je me sens enfin heureuse. Dans un monde qui m'est encore inconnu, j'ai retrouvé Jim. Puis la raison revient à moi comme un jet d'eau froide et je le pousse. Il s'écarte, le souffle court, les lèvres gonflées. Je passe une main tremblante dans mes cheveux.
– Tu ne m’as pas laissé de choix Jim. Je ne peux pas. Je recule.
– Raquel s’il te plaît. Il fait un pas vers moi mais je lève une main. Rien qu’à le voir comme ça, ses yeux bleus brillants dans la pénombre, j’ai envie d’être de nouveau dans ses bras.
– J’ai besoin d’être seule. Ne me suis pas s’il te plaît. Je me retourne, incapable de lui faire face et pars, le cœur brisé. J’essuie mes larmes rageusement. Je n’ai pas le cœur à aller rejoindre les autres au terrain. J’ai juste envie de me rouler en boule dans mon lit et ne plus penser à rien. Je monte l’échelle et rejoins ma cabane. Le parquet grince sous mes pieds et je me délecte du silence. J’enfile mon pyjama. Je suis tombé amoureux de toi. Cette phrase n’a pas quitté mon esprit. Il a avoué qu’il a aussi des sentiments pour moi, mais nous ne sommes pas compatibles, notre magie ne l’est pas. Je ravale un sanglot. […]
La porte d’entrée grince et je me réveille en sursaut. Je me suis assoupie un moment dans le salon. Les filles entrent, Jess avec un air préoccupé.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ? Elle s’assoit sur un coin du canapé à coté de moi.
– Tu n’es pas revenue depuis la conversation avec Jim, on s’est inquiétées, dit Georgia. Je me redresse.
– Désolée, je.. Je vais vous raconter ce qu’il s’est passé mais je préfère que vous restiez discrètes.
– Bien sur, dit Jenny. Elle s’assoit sur le fauteuil d’en face. Je soupire.
– Comme vous savez, Jim a été mon messager. Entre nous, il n’y a pas que de l’amitié. J’aperçois les yeux ronds de surprise de Jess. J’ai ressenti de l’attraction presque depuis le début, je reprends. A Chino Hills, on s’est embrassé après ma transformation. Et une fois arrivés ici, on a pas vraiment eu le temps de passer du temps ensemble. J’avais envie d’avoir la discussion sur ce qu’on était ou sur ce qu’il ressentait. Je savais qu’il fallait pas presser non plus. Je hausse les épaules.
– Puis tu as découvert l’incompatibilité, devine Georgia.
– Oui. Je n’avais aucune idée. Je suis encore un peu choquée à vrai dire. Je lâche un rire jaune.
– Je suis vraiment désolée Raquel, dit Jess. Elle pose une main sur mon genou et serre.
– Et ce soir, j’ai explosé. J’étais tellement en colère et je le suis encore. Je lui en veux. Il m’a caché un élément très important.
– Tu as tout le droit d’être en colère, dit Georgia.
– Il m’a avoué qu’il est amoureux de moi et qu’il a essayé de me le dire plusieurs fois mais qu’il n’a pas pu. Il s’est excusé mais le mal est fait. Douglas a raison, ça tourne vite au drame.
– Putain, je suis vraiment désolée, jure Georgia. C’est injuste de ne pas pouvoir être avec la personne que tu veux.
– Je peux comprendre qu’il était… envahit par ses émotions mais ce n’est pas une excuse. Il aurait dû te le dire, dit Jenny.
– Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Demande Jenny.
– Je ne sais pas. On s’est disputés puis on s’est embrassé. Je lui ai dis que j’ai besoin d’être seule. Je passe une main dans mes cheveux nerveusement.
– Vous vous êtes embrassés ? La voix de Jess part dans les aiguës et ça me fait presque rire.
– Tu n’as plus accès à ton pouvoir alors ? Demande Jenny. Je cherche en mon intérieur et sens la chaleur grondante dans mon estomac. Je chuchote iris dans mon esprit. Je ressens des picotements dans les doigts mais la flamme ne sors pas. La déprime.
– J’ai accès à mon pouvoir mais je ne peux pas l’utiliser. La flamme ne sort pas. Je ne veux pas paniquer.
– Non, la coiffeuse a dit que normalement un jour ou deux si c’est seulement embrasser, dit Georgia.
– Ouais. Je préfère ne plus en parler. Une à une elles me serrent dans leurs bras. Je me sens un peu mieux après avoir raconté cette histoire. Puis Georgia propose de voir un film. Elle fond du chocolat et nous le tartinons sur des tranches de pain. Nous regardons une comédie et leurs rires me remontent un peu le moral.

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