Le lendemain, je me réveille et dans l’espace d’une seconde, je crois que c’est un rêve que je suis ici. J’ouvre les yeux et reconnais ma nouvelle chambre. Jenny dort paisiblement. Son alarme sonne une minute après et elle se redresse brusquement. Elle passe une main sur son visage. Elle n’a pas l’air d’être une personne matinale. Nous nous réveillons toutes, j’enfile mon uniforme et allons à la cantine. Elles sont agréables et ne posent pas de problème de cohabitation pour l’instant, ce qui me réjouit. La cantine est aussi belle qu’hier et le déjeuner très bon. Le menu qu’ils proposent est d’une qualité qui ne se trouve pas dans les lycées normaux. Je mords dans mon croissant et je retrouve ma joie. Elle est de courte durée cependant. Jim apparaît en compagnie de Scott. On dirait des frères, ils sont toujours ensemble. Il croise mon regard et je baisse tout de suite le mien. J’ignore si je vais pouvoir compter sur lui ici. Je sais que je vais devoir lui parler pour que ça soit plus cordiale entre nous, mais je ne m’y résous pas. Je peux faire la forte mais je suis blessée. J’ai des sentiments pour lui et le voir prendre ses distances me fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre.

– J’ai hâte de commencer les cours, dit Jess. J’aimerais savoir ce que je peux faire avec de l’eau.

– Moi aussi, je dis. Hier au terrain, j’ai vu un gars éclabousser un autre avec de l’eau. Quand tu sauras faire ça, je penserai à ne pas t’énerver. Elle éclate de rire.

– Je ne promet rien. Jenny fait mine de se décalant d’elle en riant.

– Notre premier cours s’intitule magie avec Madame Cholea, vous savez qui c’est ? Demande Georgia. Je n’ai pas pensé à regarder mon emploi du temps. Trop occupée à me maquiller discrètement, histoire d’être présentable.

– Oui je l’ai rencontrée hier. C’est une belle femme. C’est elle qui m’a guidée jusqu’à la classe. Elle a les cheveux noires et elle est très bronzée. Elle doit être dans la quarantaine, je réponds. Le gong retentit. Nous montons l’escalier de droite et on se met en rang devant la salle. Je suis stressée. Je passe une main dans mes cheveux. Madame Cholea arrive d’un pas fluide et nous fait entrer. Je suis étonnée que nous soyons dans une classe ordinaire. Je m’attendais plus à une salle avec des instruments. Une carte d’Ocmundi est accrochée à gauche du tableau. Je vous où nous nous situons, à Occidens. La voix de Cholea me sort de mes pensées.

– Bonjour, je me présente, je suis Madame Cholea, professeure de magie. La magie est la matière la plus importante à Elementa, elle est ce qui nous compose en tant que gauchers élémentaires. Elle vous permettra de vous défendre en cas de besoin et de beaucoup d’autres choses. Nous allons commencer par réaliser le Sceau. Nous la regardons avec attente. C’est une sorte de sermon, elle ajoute, un sermon qui plaide une utilité positive et bénigne de votre magie. On commence avec les Acqua. Elle regarde sa liste et appelle Will. Un garçon blond aux yeux bleus, le visage fin, s’avance timidement. Je me tourne vers Jess qui est à ma droite. Elle se mord l’ongle du pouce.

– Rassemble tes mains en un cercle, ordonne Cholea. Et dis : Je jure solennellement par le Sceau d’Eau

Que j’utiliserai mes pouvoirs seulement en bonnes causes

Devant Elementa et l’Arbre, ma source. C’est le même sermon pour tous le monde. Vous devez juste remplacer Eau par votre élément. Vous avez compris ? Je hoche la tête. J’ai envie d’y aller et voir ce que ça fait.

Will s’exécute et de l’eau mouvementée apparaît entre ses mains. Des exclamations parcourent la classe. Jess regarde Will, de l’admiration dans ses yeux. L’eau disparaît avec la dernière phrase du sermon. Cholea appelle une autre élève. Jess est appelée après et elle retourne, un grand sourire sur ses lèvres. Il y a en tout six Acquas dans la classe.

– Au tour des Fuocan, Raquel ! Je me lève et marche vers la prof, tendue. Je joins mes mains et sermonne le Sceau. Une grande flamme apparaît. Je ressens une grande chaleur m’envahir et les doigts me picoter. À la fin, la flamme s’éteint. Nous sommes aussi six. Puis ce fut le tour des Aria et des Terran. Le Sceau est la première chose officielle où j’ai utilisé mon pouvoir. Je me sens fébrile.

– Bien, reprend Cholea, nous pouvons continuer. Nous disposons de deux salles pour ce cours. Celle-ci pour la théorie et une autre pour la pratique. Aujourd’hui nous avons un cours théorique. Vous allez apprendre en premier les principes des quatre éléments et après comment invoquer votre élément, qui est, en l’occurrence lequel à… elle regarde au hasard sur sa liste, Walter ? Le garçon en question lève sa main. Il se trouve un peu plus loin à ma gauche. Un grand mec avec des cheveux longs bruns et des yeux verts perçants en amande.

– Le feu, il répond sans hésiter. Une aura de confiance dégage de lui. Il se tient droit sur sa chaise et son cahier est déjà ouvert devant lui. Il fronce les sourcils en croisant mon regard.

– Très bien, prenez des notes. Des bruissements de feuilles et de cahiers font écho dans la salle. Je prends un stylo et commence à écrire.

– Les quatre éléments ont un ordre naturel : en bas la terre, puis l’eau, l’air et le feu. La terre est froide et sèche, l’eau est froide et humide, l’air est chaud et humide, enfin le feu est chaud et sec. Ce sont les qualités des éléments. Aucun élément ne peut se mélanger avec un autre, elle récite. Elle dessine un croquis au tableau désignant les quatre éléments et les qualités mentionnées. Je comprends un peu mieux et le reproduis.

– Voici la croix élémentaire que vous devez absolument savoir. Je continue, le chaud est un principe d’énergie et d’impulsion. Le froid est un principe de passivité et de résistance. Le sec est un processus de séparation et l’humidité est un processus de liaison. Si vous avez compris, en quoi le feu se transforme, si l’on modifie une de ses qualités ? La main de Walter se lève.

– En terre ou en air ?

– Exact. La terre, en feu ou en eau. L’eau en terre ou en air. Et l’air en eau ou en feu. C’est important que vous sachiez cela. Seulement le bruit des stylo sur le papier font du bruit. Je me suis perdue complètement avec les processus.

– Ainsi, elle poursuit, les éléments se subdivisent : par exemple pour le feu, il y a la flamme, la lumière et les braises. Pour l’eau, la source, la goutte, la pluie. Pour la terre, le sol, la roche. Et pour l’air, le vent, la brise, la tempête. Elle marque un temps de pause pour nous laisser écrire puis nous annonce que nous avons terminé avec l’introduction et que nous passons à la pratique. Je souffle et me lève de ma chaise. Jess et Georgia me regardent avec des yeux ronds et je souris. Je ne suis pas la seule qui se pose des questions. Cette introduction est tellement… elle annonce que je vais apprendre des choses très différentes à celles apprises dans une école normale. Tu n’es pas normale, tu as des pouvoirs, me souffle ma voix intérieure. Nous accédons à la salle de pratique par une porte qui se trouve au fond de la classe. La salle est criculaire: un énorme tapis recouvre entièrement le sol et des lampes suspendues éclairent faiblement la pièce.

– Rassemblez-vous selon vos éléments : les Fuocan ici, les Aria là, les Terran à coté et les Acqua là-bas. Je laisse les filles à contrecœur et rejoins les Fuocan.

– Concentrez-vous. Levez votre main gauche devant vous et évoquez votre élément en latin. Elle lève sa propre main gauche, chuchote et des racines fines s’enroulent légèrement autour de sa main. C’est beau.

– Quels sont les noms en latin ? Raquel. Quand j’entends mon nom, je rate un battement. Les mots en latin ? Je cherche dans ma mémoire en vitesse.

– Euh, je crois que feu c’est ignis, l’eau aqua, la terre terra et l’air aer. Elle hoche la tête et nous encourage à invoquer notre élément en latin. Je ferme les yeux, soulagée. Hier, je réussis à l’invoquer sans le latin. Je prononce haut et fort ignis comme les autres. Il ne se passe rien. J’essaie à nouveau sans succès. Mme Cholea passe de groupes en groupes, prenant des notes selon leur réaction. Cependant elle n’aide personne. Je suppose que la chose doit se produire d’elle même. Je croise un instant le regard de Walter : dans ses yeux verts, on y lisait la détermination. Secouant la tête, je me concentre à nouveau, et prononce cette fois-ci, tout bas, Ignis. Je n’écoute seulement ma respiration et sens le feu remonter en moi. Une onde de chaleur me parcourt tandis qu’une petite flamme sort de mes mains. Une douce aura rouge brille autour de ma main. Je souris. Je sursaute à la voix de Cholea. La flamme s’éteint. Elle nous appelle vers le groupe des Terrans. Je vois comment une fille fait apparaître les mêmes racines que la prof il y a quelques minutes. Elle sourit timidement face à tant de yeux qui l’observent. Je vis comment un Acqua fit apparaître une goutte d’eau limpide sur sa paume et un Aria un petit tourbillon d’air. Je m’extasie à chaque fois et résiste de me pincer le bras pour savoir si tout ceci n’est pas un rêve. L’heure des Fuocan vient.

– Qui d’entre vous a su invoquer son élément jusqu’à présent ? Demande Cholea. J’attends si quelqu’un a réussis à part moi.

– Moi, je dis alors, ne voyant personne.

– Bravo, peux-tu faire la démonstration ? Je hoche la tête et chuchote ignis. La chaleur désormais familière m’envahit et une petite flamme jaillit. Je vois les sourires des filles. Jenny se tient à coté aussi.

– Nous allons continuer avec cette tâche jusqu’à la fin du cours. Il faut que vous sachiez invoquer votre élément naturellement. Les plus doués vous pouvez essayer de l’invoquer en disant le nom en latin dans votre tête. Aidez vos camarades s’ils en ont besoin. J’invoque mon pouvoir plusieurs fois encore en chuchotant ignis puis j’essaie dans ma tête. J’y arrive aussi. Je ressens une satisfaction comme si j’avais réussi un examen. Je me tourne vers Jenny qui a réussi à faire surgir une petit flamme qui disparut aussitôt. Elle grogne de frustration.

– Si tu veux un conseil, moi je pense à de la chaleur, je la ressens dans mon estomac. Tu dois le sentir en l’invoquant.

– Okay, j’essaie encore une fois. Elle ferme les yeux, inspire et chuchote. Une flamme apparaît. Elle ouvre les yeux et sautille de joie. Jenny répète plusieurs fois son invocation de son coté et je reste sans rien faire. Je vois Jess qui s’amuse avec sa goutte d’eau. Du coin de l’œil je remarque que Walter a aussi réussi à invoquer sa flamme. Il surprend mon regard. Ses yeux verts sont perçants. Je détourne le regard. Il ne m’inspire pas de bonnes ondes honnêtement. Je regarde l’horloge perchée à gauche et il est huit heures et demi, autrement dit, il reste encore trente minutes de cours. Je m’avance en direction de Cholea.

– Euh...madame, j’ai réussi l’évocation dans les deux manières, est-ce que je peux essayer autre chose peut-être ? Elle pose son carnet.

– D’accord, montre moi d’abord. Je stresse un peu devant elle. J’ai peur de ne pas réussir mais je me ressaisis. J’inspire et pense à ignis dans mon esprit. La vague de chaleur me submerge et je sens une flamme au creux de ma main. Cholea me lance un regard approbatif.

– Très bien. Je te félicite Raquel. Retourne à ton groupe. Je vais voir où en sont les autres et je vois ce que je peux te demander, d’accord ? Je hoche la tête. Elle passe par les autres groupes rapidement puis se place au centre de la salle. Elle frappe des mains. Le brouhaha s’arrête.

– Je vois que beaucoup d’entre vous ont réussi à invoquer correctement leur élément, alors je vais vous proposer une autre tâche pour le reste du cours. Ceux qui arrivent bien à invoquer leur élément, vous pouvez essayer de mélanger votre élément avec un camarade. Il s’agit également de l’introduction à votre pouvoir et cela permet de vous sentir plus à l’aise avec vos camarades et votre élément. Les deux personnes doivent invoquer leur élément respectivement puis se serrer la main gauche. Je ne vous gâche pas la surprise. Découvrez le résultat par vous même. Plusieurs élèves opinent du chef. Je me tourne alors vers Jenny qui parle à un autre Fuocan. Je lui touche l’épaule.

– On mélange notre élément ensemble ? Elle grimace.

– Désolée, je lui ai déjà dis oui. Je me retiens de soupirer. J’ai le dos tourné une seconde et là voilà faisant connaissance avec quelqu’un d’autre. Elle remarque ma mine déçue.

– Fais le avec Walter, elle me chuchote. Je risque un regard vers lui. Il pratique encore son invocation.

– Je ne sais pas, j’hésite. Il n’a pas l’air très sympa.

– Il a l’air doué. Vas-y. Elle me pousse presque. Vu que je n’ai pas d’autre option, je m’y résous. Je m’approche de lui et il lève son regard vers moi. J’esquisse un sourire.

– Salut. Je peux mélanger mon élément avec toi ? Enfin, notre élément, tu es aussi un Fuocan.

– D’accord. Il me dévisage encore une fois.

– Je n’aime pas être fixée.

– Désolé, j’aime bien observer la personne qui se tient en face de moi, tu sais, histoire d’en savoir plus. Il enfonce les mains dans ses poches.

– Un, tu peux le faire en me posant des questions. Je vais te faciliter la tâche, j’ajoute rapidement en levant une main. – Je m’appelle Raquel, je viens de Californie, j’ai un frère et je suis une Fuocan. Et deux, nous ne sommes pas en compétition, tu n’as pas besoin de savoir qui se tient devant toi. Il sourit en coin.

– Enchanté. Moi c’est Walter mais ça tu le sais déjà. Tu as raison, nous ne sommes pas en compétition. Je m’excuse de t’avoir observée. On passe à l’action ? Sa main gauche s’ouvre et une flamme apparaît. Je regarde sa flamme, surprise face à son excuse et son brusque changement de conversation. Il est direct, okay. Je n’ajoute rien et invoque aussi ma flamme. Je ressens avec satisfaction les picotements dans mes doigts. Ma flamme possède un cœur rouge vif tandis que les pointes sont plus claires, plus orange. Celle de Walter est totalement rouge sauf les extrémités d’où j’aperçois des reflets bleutés. J’approche ma main de celle de Walter. Je suis un peu réticente. Je peine encore à croire que je possède des pouvoirs et là je m’apprête à lui serrer la main et Cholea n’a pas révélé ce que ça provoquerait.

– Tu veux le faire ou je le fais ? Je demande, incertaine.

– Je t’en pris. Il me fait signe avec sa main droite. Je me décide, pose ma main sur celle de Walter et la serre. Nous formons désormais une seule poignée de main. Une onde de chaleur me traverse tout le corps. Une aura rouge se forme autour de Walter et constante qu’elle m’entoure également. Une grosse flamme sort de notre poignée. Walter regarde la flamme puis lève les yeux vers moi.

– Je m’attendais à quelque chose de plus… dramatique, il avoue. Je ricane.

– Oui, moi aussi. C’est quoi la surprise ? Une plus grosse flamme ?

– Je crois bien que oui. Il sourit à son tour. Il n’est pas si mauvais. Il retire sa main et tout disparaît. Mon corps retrouve sa température normale. J’observe d’autres binômes. Je trouve vraiment fascinant la manifestation des Terrans et des Acquas. Deux garçons se serrent la main et des grosses branches et racines en émergent, tandis qu’un petit filet d’eau coule de la poignée de deux filles Acqua. Cholea frappe soudainement de ses mains.

– C’est bon pour aujourd’hui, retournons en classe de théorie, elle ordonne. Je rejoins Jenny, Jess et Georgia.

– Je suis satisfaite des vos résultats. Vous avez tous réussi rapidement à invoquer votre élément et certains ont même mélangé leur élément avec quelqu’un d’autre. C’est un très bon début, elle nous félicite. On se revoit… jeudi, elle lit sur son emploi du temps. Nous continuerons avec les mélanges et peut-être on enchaîne avec les transformations des éléments. Relisez bien l’introduction. Elle marque une pause. Je ne veux pas être insistante parce que je sais que c’est le début mais profitez d’Elementa et d’Occidens. Allez visiter l’Arbre et rappelez vous que vous êtes des gauchers élémentaires, des êtres choisis par Gaïa, ne la décevez pas. Le gong retentit et la classe est envahie par les raclements des chaises sur le parquet. Je ramasse mes affaires en réfléchissant à ces mots. J’ai envie de me rendre à l’Arbre mais je le redoute un peu. Il est vraiment similaire à celui dans mes rêves. À ce que Gorge et Cholea ont insinué, l’Arbre est comme la source de notre pouvoir. Je m’interroge sur Gaïa aussi. On voit clairement que c’est la divinité et croyance principale ici. Je n’ai jamais été croyante jusqu’à présent. Il faut que je comprenne plus pour pouvoir m’ouvrir peut-être à la foi. Je n’aurai jamais cru que la magie existe cependant. Serait-ce une raison pour croire en elle ? […]

Il est midi et nous sommes à la cantine. Je commence à m’acclimater à l’ambiance régnante dans cette école. Les cours de cet après-midi ressemblent plus à ceux du lycée : maths, latin et jardinage. Rien de spécial.

– Qu’est-ce que vous pensez du premier cours de magie ? Demande Jenny. Georgia hausse les épaules.

– C’était… différent. Je m’attendais à en apprendre plus sur Ocmundi. Ils n’arrêtent pas de nous dire de profiter d’Elementa, de l’Arbre et d’Occidens mais nous ne savons rien de ce monde en fin de compte, remarque Georgia.

– Oui c’est vrai, dit Jenny. C’est ce qu’on discutait avec Raquel hier je crois. Certes nous pouvons invoquer notre élément et avons passé la transformation, mais ça ne fait pas de nous des gauchers élémentaires pour autant. La culture, l’environnement, les croyances font partie aussi de ce qu’être gaucher ou gauchère élémentaire. Je hoche la tête.

– Je pense qu’il ne faut pas leur en vouloir. Ils le disent pour provoquer notre curiosité ou nous mettre vraiment dans le bain. Mais je suis d’accord que ça fait à peine un jour que nous sommes arrivées.

– Je crois que nous avons une matière qui est strictement sur l’Histoire d’Ocmundi, ajoute Jess. Nous en apprendrons plus à ce cours. Jenny continue la conversation en décrivant Cholea comme un peu stricte. Je sens mon téléphone vibrer. C’est un message de Sue.

Sue : Salut Raquel ! Comment ça va ? Ici l’humeur est moins drôle sans toi, tu me manques beaucoup. J’espère que la rentrée s’est bien passée et que ton internat ait valu la peine de nous quitter. Ben a l’air un peu déprimé mais j’essaie de lui remonter le moral. Répond moi vite.

Je reçois un pincement au cœur en le lisant. Mes parents m’ont appelé plusieurs fois ainsi que Ben. Ils me manquent tous. Je souris en imaginant Sue monter le moral à mon frère. Ils se connaissent depuis longtemps. Je lui réponds en hâte sous la table. Nous sortons de la cantine et je reconnais Scott au terrain avec des amis. Je retiens un mouvement de recul. Jim n’est pas en vue. Je peux donc respirer. Mon pouls s’accélère. Je l’avais presque oublié. Presque est le mot. Il me salue de la main. Jess m’adresse un regard interrogateur.

– Vous voulez rencontrer Scott ? C’est le meilleur ami de Jim. Je me tiens nerveusement à coté d’elles.

– Allons-y, dit Georgia. Nous les approchons. Scott porte un bandana autour de sa tignasse brune et le t-shirt de l’uniforme moule ses épaules. Le bandana lui va bien.

– Salut Raquel, comment vas-tu ? Je suis content de te voir ici. Il me fait la bise et me serre affectueusement le bras.

– Bien merci. Je te présente mes amies et colloques : Jessica, elle est Acqua, Georgia Terran, et Jenny Fuocan comme moi. Je mentionne les éléments de chacune parce que j’ai entendu plusieurs conversations entre élèves et je me suis vite rendue compte que c’est quelque chose de commun ici. Un élément différenciateur. Il leur fait la bise et remarque l’accent de Jess.

– Tu es anglaise ?

– Presque. Écossaise, ce n’est pas exactement la même chose. Un de ses amis se racle la gorge. Scott les remarque et ricane.

– Pardonnez moi, je n’ai pas présenté mes amis. Voici Douglas un Fuocan et Ernesto un Terran. Douglas est un garçon d’un mètre quatre-vingt dix avec un air svelte, maigrichon, un teint pâle et des yeux marron. Quant à Ernesto, il arbore une mine sympathique, un long nez et des yeux enfoncés couleur noisette.

– Vous êtes tous des deuxième année ? Demande Georgia. Ernesto hoche la tête.

– Oui. On s’est tous rencontré à la rentrée comme vous. J’ai appris à supporter Scott avec le temps. Il rigole.

– Vous pouvez nous poser des questions si vous voulez. Vous en avez sûrement plein, dit Douglas. Jenny pose son sac et croise les bras.

– On peut sortir du campus ?

– Bien sûr, nous ne sommes pas enfermés. Je vous conseille d’y aller avec quelqu’un qui connaît la ville un minimum, histoire de ne pas vous perdre. Google Maps ne marche pas ici.

– J’y avais pensé oui, elle renchérit.

– Est-ce qu’il y a une rivalité entre chaque année ou c’est une école assez unie ? Demande Jess.

– Tu peux répéter ? Dit Scott en grimaçant. Je suis désolé mais je n’ai jamais rencontré d’écossais avant toi. Les filles éclatent de rire tandis que Jess lève les yeux au ciel.

– T’inquiètes, dit Georgia, nous avons aussi des difficultés à la comprendre des fois. Jess plisse les yeux et répète sa question.

– Il n’y a pas vraiment de rivalité. Nous avons des notes et nous sommes évalués mais c’est différent qu’au lycée. Chacun apprend à maîtriser son élément. Certains sont plus puissants que d’autres, mais ça ne change rien. Scott hausse les épaules. Nous discutons un peu de tout et n’importe quoi. Les filles passent du bon temps et les garçons sont sympas. Je perd le fil au bout d’un moment. Je crois que Jenny parle de mode et le style d’ici. Je pense à Jim. Je me souviens encore d’hier soir. Son visage. Je voudrais en parler à quelqu’un. Je n’ai jamais eu de problème de cœur auparavant. Scott remarque mon retrait. Il s’avance vers moi.

– Jim est à la bibliothèque. Il rattrape ses cours.

– Il doit être débordé.

– Il s’en sort. Le plus dur c’est de rattraper la pratique magique. Il n’a pas exercé son pouvoir quand il était en mission.

– Je comprends. J’enfonce mes mains dans les poches de ma veste.

– Vous devriez parler tu sais. Je l’observe méfiante.

– Pourquoi ? Il t’a dit quelque chose ?

– Nous sommes meilleurs amis, alors oui, il m’a raconté un peu. Il n’a pas l’air le moins gêné. Moi, je ne sais pas où me mettre.

– Je sais. Mais je suis à peine arrivée, je ne l’ai pas vu aujourd’hui. Il a qu’à me chercher lui aussi.

– Je ne voulais pas dire…

– T’inquiètes pas, je le coupe. Rien de grave est arrivée, nous sommes en bons termes. Je lui adresse un sourire. Je n’ai pas envie de parler de mon rejet ni de devoir lui dire que ce n’est pas grave, que mes sentiments pour lui finiront par passer avec le temps. Je suis sauvée par le gong. Je prend mon sac et salue les garçons avant de retourner en cours, la mine sombre.

[…] L’après-midi se passe comme le lundi : j’en appris plus sur les déclinaisons en latin et rien de plus. Le soir arrive, je mange mon dîner la boule au ventre de voir Jim mais il n’est pas là. J’observe la multitude d’élèves, les rires, les baies vitrées, les arbres environnants, l’obscurité. La cantine est vraiment une des plus belles installations de l’école. Au lit, j’envoie des messages à Sue et Maddie, en disant que les gens sont chouettes et qu’on fait beaucoup de sport. Je me couche, mais ne trouve pas tout de suite le sommeil, seulement après le ronflement de Jenny.