Chapitre 12: Jim

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D’habitude j’adore les week-ends, mais aujourd’hui je les déteste. J’ai rattrapé mes cours, j’ai pratiqué les nouveaux exercices avec ma magie, tout. Je n’ai pas de « devoirs » , ce qui me laisse seul avec mes pensées et je n’ai pas envie de me morfondre. Les yeux verts de Raquel me viennent à l’esprit et je grimace. Notre discussion de la veille ne cesse de tourner en boucle dans ma tête. Je m’en veux de lui avoir caché notre incompatibilité mais je sais aussi que je ne changerais rien dans mon comportement avec elle à Chino Hills si je le pouvais. Je me souviens encore de la première fois que je l’ai vue. Elle se tenait droite, ses longs cheveux bruns ramenés sur le côté, un stylo dans sa main gauche. Scott sort de sa chambre et s’assoit sur le canapé à côté de moi.

– Ça va mec ?

– Pas trop. Ce n’est pas grave. Tu veux t’entrainer ?

– On peut en parler si tu veux, il dit.

Je le connais, il veut des détails.

– Non. On va s’entrainer. Je serre les dents et vais me changer en tenue de combat.

– Tu veux faire les nouveaux exercices de Cholea ?

Je passe la tête par l’embrasure de la porte.

– Je ne peux pas utiliser mes pouvoirs ce week-end et c’est tout ce que je révèlerai, compris ?

Il ouvre grand les yeux puis hoche la tête. Il se retient de sourire et je lui lance un regard noir. Il se prépare sans me demander plus et j’apprécie vraiment. J’enfile une tenue de combat noire, prend mon sac et sort. Une bourrasque ébouriffe mes cheveux et je remonte la capuche. Le froid s’est installé à Ocmundi. Nous allons à la Grande Forêt. C’est un de mes endroits préférés. Une immense forêt qui parcourt tout Ocmundi. Je m’y sens à l’aise. Elle est dense et broussailleuse, comme un refuge. Scott me dépasse et avance à grands pas devant moi, s’engouffrant dans la densité des arbres. Mon épée bat mes flancs à chacun de mes pas, sa présence rassurante. Nous atteignons une espèce de clairière et posons nos affaires. C’est idéal pour un bon entraînement. Je réalise des pompes et des abdos avant de me battre.

– On commence par s’échauffer avec du combat simple ? je propose après.

– Ça me va.

Nous nous mettons en position et il attaque. Je rentre bientôt dans un rythme : frappe, esquive, recule, charge. Je me concentre sur le moment présent. Scott m’enfonce un pied dans les cotes soudainement et mon dos heurte un tronc. Je grimace, le souffle coupé.

– Je pense qu’on peut passer aux épées, il dit avec un sourire espiègle.

– Tu as de la chance que je ne suis pas trop en forme.

Je saisis mon épée et attaque sans attendre. Il fléchit et pare. Nos épées s’entrechoquent et nous trouvons bientôt un rythme confortable. J’attaque, il pare ou esquive, je fais une feinte et ainsi de suite. Je serre les dents sous l’effort et sens une goutte de sueur couler le long de mon dos. J’accueille toutefois cette douleur avec satisfaction, j’ai besoin de dopamine et de me distraire. Je pare un coup de Scott et riposte aussitôt, mes épaules trésaillent de l’effort, et il recule d’un pas, mon épée sifflant tout près de son visage. Je le désarme d’un coup. Il s’écroule, sa respiration saccadée. Je m’assois à côté de lui et bois une gorgée d’eau, satisfait.

– Tu n’es pas trop mal en point en fait, il râle.

Je souris et passe une main à travers mes cheveux. Je reprends mon souffle et le visage de Raquel m’apparait de nouveau. Je ne peux vraiment pas y échapper, décidemment. Scott doit voir l’expression sur mon visage parce qu’il pose une main sur mon épaule et serre.

– Ne te prend pas la tête, ça va finir par s’arranger avec Raquel.

Je rigole, un gout amer dans la bouche.

– Je ne crois pas.

– Je sais que c’est compliqué mais ne te sens pas trop coupable–

– Je ne lui ai pas dit que les éléments différents sont incompatibles, je le coupe. Elle a raison de m’en vouloir.

– Tu as raison alors, tu es dans le pétrin. Mais ça lui passera, vous vous connaissez depuis peu. Vous vous en remettrez.

Il prend son bandana rouge, le noue autour de son front et le pousse vers la racine de ses cheveux.

– Scott, je suis amoureux d’elle. Ce n’est pas un simple béguin.

Je lis de la compréhension dans son regard. Il murmure merde sous sa barbe. Je me lève et rassemble mes affaires. Je nettoie mon épée avec un chiffon et apprécie lorsqu’elle retrouve son éclat.

– Je ne veux plus en parler. On ferait mieux de rentrer.

– Pas de soucis, je comprends. J’ai pensé qu’on peut aller au Bluebell ce soir. Qu’est-ce que tu en dis ?

Je réfléchis. Ça fait très longtemps que je n’y suis pas allé. Des mois je pense. Je soupire.

– Okay, on peut y aller.

Scott pousse un petit cri de victoire et nous revenons au campus, le pas léger. L’amitié avec Scott a toujours été simple depuis le premier jour qu’on s’est rencontré. Je me souviens de ma rentrée à Elementa. Il s’assit à côté de moi et le destin fut scellé. Il respecte mes limites, me soutient quand j’en ai besoin. Nous avons un humour à nous deux aussi. Il vient d’une ville pas trop loin de Chino Hills, alors lorsque nous revenons à la surface, nous ne perdons pas contact. Je tiens vraiment à lui. Ma mère était un peu choquée quand je ne maintins plus le contact avec mes amis du lycée. J’obtiens de leurs nouvelles de temps en temps mais le lien n’est plus trop là. Je suis parti, j’ai découvert Ocmundi, mes pouvoirs et je me suis redécouvert moi-même. Désormais, le combat et mes pouvoirs sont ma passion. Je suis fier d’être un Aria et me sens plus fort. Raquel n’avait pas tort quand elle me dit que mon visage s’illumine en parlant d’Ocmundi. J’adore ici. […]

Le Bluebell est un bar très apprécié par les élèves d’Elementa. Bonne ambiance, bonne musique et bons prix. Il se situe dans la ville mais pas trop dans le centre, plutôt dans les premières rues qui mènent après à la rue principale et le Conseil. J’ai enfilé une chemise noire avec un jean clair pour l’occasion. Une sculpture en forme de jacinthe des bois bleu indigo orne la façade du bar, rappelant le bluebell. Nous entrons et des rires, le brouhaha des conversations m’enveloppe tout de suite. Le sol est en parquet foncé, des tables en bois laqué sont disposées dans les quatre coins de la pièce avec des tabourets. Le comptoir est haut, agrémenté de sortilèges et des signes des quatre éléments. La déco est vraiment superbe : un mélange de moderne et d’Ocmundi. Scott et moi rejoignons une table avec des amis de seconde année. Scott s’assoit à coté de Ruby.

– Salut, comment ça va ?

– Bien, j’ai enfin terminé un devoir d’Histoire et je peux enfin respirer, elle répond avec un sourire.

– Quel devoir d’Histoire ? demande Scott.

Ruby et les autres éclatent de rire. Je secoue la tête.

– T’es vraiment qu’un imbécile, je dis.

– Je vous ai tous eu, je l’ai fait évidemment. J’ai tout sous contrôle.

– C’est ça, dit Ruby. Je ne suis pas convaincue.

– Je vais me prendre une bière, qui veut une autre ? je demande à la volée.

– J’aimerais bien une deuxième, dit Ruby. Merci Jim.

Ses yeux se posent sur moi et je hoche la tête. Il n’y a jamais rien eu entre nous. Elle est dans ma classe, une Aria comme moi, nous sommes amis mais l’histoire s’arrête là. Je pense que je lui plais ou que je l’intéresse du moins. Mais je n’ai jamais ressenti rien pour elle. Je m’adosse contre le comptoir et passe ma commande. Je reviens à la table et la porte s’ouvre soudain sur Raquel et ses amies. Je me crispe. Qu’est-ce qu’elles font ici ? Comment elles connaissent ce bar ? Scott semble lire la question dans mes yeux et me fait un signe de tête. Ralph, évidemment. Il est très sympa mais sa façon de coller aux basques des filles ne me plait pas trop. Douglas est avec eux aussi. Ernesto avait décliné notre offre il y a une demi-heure, mais Douglas n’était pas dans la cabane. J’imagine qu’il avait déjà fait des plans visiblement. Raquel porte un jean foncé avec un top col bateau. Une tenue simple mais sa seule personne en ajoute. Ses longs cheveux bougent le long de son dos et ses yeux verts scintillent. Je bois une gorgée et savoure la fraicheur amère. Elles s’approchent du comptoir, faisant la queue. Le bar est particulièrement plein ce soir. Georgia et Jess nous remarquent et nous saluent de la main. Le regard de Scott s’attarde une seconde de plus sur Jessica et je hausse les sourcils. C’est une nouveauté. Raquel se tourne pour observer le bar et ses yeux se posent sur moi. Je serre ma bière. Elle se retourne aussitôt, surprise. Je me concentre sur la conversation du groupe malgré le bruit et la musique. Scott manque de rire. Les filles affichent toutes un air étonné face à l’alcool. L’âge légal à Ocmundi est 18 ans comme en Europe mais certains bars peuvent donner des bières aux personnes de 16 et 17 ans aussi. La soirée avance et je m’amuse. Je crois que je ne suis pas sorti à Occidens depuis que je suis parti pour la mission à Chino Hills. Je ne peux m’empêcher d’observer Raquel. Elle est assise avec un grand groupe de personnes, discute, rigole parfois. Je ressens un tiraillement dans le ventre à la vue de son sourire. Elle m’ignore la majorité du temps. Je croise son regard parfois mais je sens qu’elle est encore fâchée. J’ai envie de me lever, aller la voir et… Et quoi ? Je finis ma bière et crispe ma mâchoire. Mon pouvoir remue et j’ai envie de le faire sortir. De causer une rafale. Je pense que demain soir je pourrais y avoir accès de nouveau. Les heures passent et mon humeur n’est plus très joviale.

– Je vais partir les gars, je dis.

– Déjà ? Il est encore tôt, retorque Scott.

– Il est 23 heures, ce n’est pas tôt non plus. Je suis un peu fatigué.

– Ne l’écoute pas, repose toi Jim, me dit Ruby.

Elle me fait la bise. Je sens ses lèvres s’attarder un peu plus que la normale. Je sors et inspire l’air frais de la nuit. Je n’ai qu’une envie : marcher puis me coucher.

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