Le repos du guerrier
Les deux semaines qui suivirent virent se succéder Gius, Miguel et Burt à mon chevet. Le premier de la liste ne décolèrait pas, pour lui, mon adversaire n'était pas légitime et il y avait eu des magouilles derrière toute cette affaire. Malheureusement pour lui et moi, sans preuves, nous ne pouvions qu'accepter notre défaite et nous concentrer sur le prochain combat. Il n'oublia pas néanmoins de me sermonner pour mon attitude risquée, me répétant sans arrêt qu'il vaut mieux perdre un combat qu'un oeil. Mes potes étaint moins anxieux, même s'ils étaient attristés au vu de mon état et de ma défaite, ces deux-là me changeaient les idées et me donnaient des nouvelles de la faculté, de Rachel aussi. C'était la seule qui n'était pas venue me voir, et bizarrement ça me faisait quelque chose. Derrière mon personnage de garçon détaché, j'aurais apprécié qu'elle vienne prendre de mes nouvelles.
Concernant cette Mélanie, les infirmières m'avaient dit qu'elle était la fille d'un ancien boxeur aujourd'hui décédé et qu'elle était souvent venue étant plus petite, cependant le boxeur en question n'était pas connu, ou tout du moins, elles prétendaient ne pas se souvenir de son nom de famille. J'étais donc dans une impasse pour connaître son identité, j'allais sans doute devoir attendre de retourner à l'hôpital pour la revoir, pas vraiment dans mes plans ça....
Une fois de retour à la fac, je pouvais lire sur les visages la déception de mes camarades face à ma défaite, voir la moquerie. Même si j'avais confiance en moi, tous ces regards accusateurs me pesaient, sans que j'en fasse montre à mes potes. J'en profitai aussi pour appeler Rachel.
- Salut, il faut qu'on se voit rapidement. On a deux semaines de retard sur les cours là.
Une voix plus fluette que d'habitude me répondit.
- Je... Viens à la maison, je t'envoie l'adresse par message.
- OK mais....
Sans me prévenir, elle me raccrocha au nez. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Mon incompréhension fut ponctuée par une vibration m'indiquant que je venais de recevoir l'adresse.
Au coucher de soleil, je me retrouvais dans le tramway, face à face avec mon reflet dans la vitre terne qui laissait filtrer péniblement les derniers rayons. J'avais vraiment sale mine, mon oeil était encore parcouru de divers veines éclatées qui me donnait l'air de toxicoman et ma machoîre était passée de bleu à verte suite aux coups reçus. Arrivé devant chez Rachel, sa richesse m'explosa au visage. Derrière une haie entretenue et abondant se cachait une 'petite' maisonnette mêlant modernisme et tradition, façon bois. Au centre, contre la façade, une fontaine en cascade émettait un glouglou agréable. Le lieu respirait la sérénité.
Tournant sur moi-même pour admirer les jardins parfaitement entretenus, je ne vis pas son père arriver dans mon dos. Sa main sur son épaule et son ton royal me firent sursauter.
- Alors, qui vient donc me troubler sur mes terres !
Son imitation médiévale le fit rire que lui, il était aux antipodes de l'image que je me faisais d'un hommem de sa stature, il était en jogging gris, assorti d'un sweat à capuche à l'effigie d'une succursale inconnue. Son grand sourire s'amenuisit quand il remarqua mon visage abimé.
- Tyson, qui t'a fais ça ?
Il avait vraiment l'air inquiet pour moi, presque comme un père.
- C'est rien, j'ai juste perdu mon dernier combat.
Ses épaules se détendirent de soulagement.
- Ouf, j'ai bien cru qu'on avait frappé mon tuteur préféré. Je ne pensais pas que les marques de coup restaient si longtemps. Tu tâcheras de gagner le prochain.
- Bien sûr. Je vous le promet.
- Ne promet jamais rien mon garçon, fais de ton mieux déjà.
Voilà qu'il me sermonnait.
- Je suis venu pour Rachel, je peux la voir ? demandai-je
D'un geste, il me désigna une pièce du premier étage.
- Bien sûr, fais comme chez toi mon grand. Elle est dans sa chambre au premier étage à droite.
Se penchant vers moi et sur le ton de la confidence, il poursuivit :
- Je crois qu'elle ne va pas très bien en ce moment, mais bon, tu connais les jeunes. Elle ne voudra jamais dire à son vieux père quel est le problème. C'est ton rôle de la rebooster Tyson, et si tu peux me dire ce qui ne va pas...
Parlant un ton plus haut, je le coupa.
- Je préfère respecter son silence si elle le veut, on a tous besoin d'un peu d'intimité et de secret je pense.
Il me fixa quelques secondes avant de se fendre d'un sourire.
- Bien sûr, tu as sans doute raison. Allez file !
Une fois à l'intérieur, je ne m'attardai que très peu sur le mobilier aux couleur sobres mais assez luxueux et m'arrêtait devant la première porte de l'étage, qui était à moitié ouverte.
Ses longs cheveux blonds tombant en cascade sur ces épaules, elle était plongée dans son travail.
Elle semblait avoir maigri ou en tout cas dégageait une impression de fatigue, bien loin de la jeune fille pétillante d'il y a deux semaines. Comme son père, elle portait un jogging et un vieux sweat à capuche, fait rare pour elle, qui faisait toujours très attention à son apparence. Mais ça ne lui allait pas si mal que ça. Concentrée et étant de profil, elle ne remarqua pas mon entrée dans sa chambre.
J'en profitais pour explorer un peu le lieu, sa chambre était assez neutre, des murs couleur crême, un mobilier blanc, pas de signe extérieur de vie si ce n'est quelques vêtements au sol et trois/quatre photos sur une commode. Je me penchais sur ces dernières, on pouvait y voir sa famille, un groupe d'amis, mais surtout un cliché fait au polaroid qui datait de la soirée d'intégration de début d'année. On pouvait y voir Burt et Miguel en plein éclat de rire, puis, à côté Rachel serrée contre moi dans un semblant de pose tandis que je faisais crânement un signe de v, le bras tendu devant moi.
Finalement, même si elle avait tout ce qu'elle voulait, elle me paraissait un peu seule relationnellement. Cette pensée m'attrista un peu.
Me penchant par-dessus son épaule, je posai mes mains doucement sur ses épaules, la faisant sursauter.
- Qu'est-ce que...
Son regard morne s'égaya un peu en me reconnaissant.
- Désolé, je voulais pas te faire peur.
Elle pivota sur sa chaise de bureau.
- Pas de souci, de toute façon on devait travailler.
Se regardant elle-même dans un miroir, elle enchaîna :
- Désolé de t'accueillir comme ça, je préfère être à l'aise pour réviser.
Je fronçais les yeux comiquement.
- Bonjour l'accueil, je m'attendais au moins à une tenue de gala, ironisais-je
Elle me donna un petit coup de coude complice.
- Eeeh tais toi et aide moi plutôt.
- Allez, on s'y met.
Les premiers partiels approchaient et Rachel s'était lancée dans un marathon de révision dont elle ne sortait pas, après avoir réviser les notions des dernières semaines, commander des pizzas et finit d'apprendre le dernier chapitre en date. Rachel s'affala sur sa chaise.
- Purée, c'est quand même plus simple quand t'es avec moi. Il est quelle heure ?
- 22h passé je crois.
Même moi je n'avais pas vu le temps filer, il allait falloir que je rentre chez moi.
- Suis moi, on va se détendre comme il faut.
Curieux, je la suivis dans les escaliers avant de prendre une petite porte dérobée qui menait à une petite piscine rectangulaire de 10m de long. L'endroit était éclairé par des lumières au sol, les murs de la pièce composée de latte de bois et de part et d'autre il y avait des transats de couleurs situés entre deux plants de plantes asiatiques qui sentaient franchement bon.
Cependant, il y avait un hic.
- Hmm, je n'ai pas de maillot.
- Regarde sur le transat à gauche, il y a des caleçons de bain propre pour les invités.
C'était vrai. Posé et frais, reposait une petite pile de caleçon. Nous entreprîmes de nous changer puis allâmes plonger une tête. Après des courses, un concours d'apnée et un de plongée. Nous nous rapprochâmes du bord. Alors que je posais mes avant-bras sur ce même bord, elle quitta l'eau et alla tirer un transat pour s'allonger face à moi.
- Il faudrait que j'invite Burt et Miguel un de ces quatre. Cet endroit est vraiment génial.
- Invite des copines aussi, tu connais ces deux loups.
Ma remarque fit mouche.
- Ahahah, t'as raison.
Laissant retomber le rire, je me plongeais dans mes pensées quelques instants, les yeux dans le vide tandis que Rachel se séchait avec une grande serviette immaculée.
- Pourquoi tu n'es pas venue me voir à l'hôpital ?
Elle arrêta de se sécher les cheveux pour se concentrer sur ses prochaines paroles. Mon ton n'était même pas accusateur, j'étais juste dans l'incompréhension.
- J'ai pensé à venir mais... je sais pas, j'ai été prise dans la vague des révisions et je voulais pas te voir dans cet état là aussi. ça me faisait trop de peine.
- Au contraire, on se sent vachement seul dans ces moments là, un peu de compagnie ça fait toujours plaisir.
Gênée, elle replaça une mèche derrière son oreille et esquiva mon regard.
- T'es tombé le visage vers moi, j'ai cru qu'il t'était arrivé un truc grave. T'aurais vu tout le sang qui coulait et ton regard vitreux, t'avais les yeux qui roulait partout. J'ai vraiment eu peur pour toi sur le coup.
Bon, ses arguments étaient suffisants pour me mettre un peu de baûme au coeur. Il me restait cependant une interrogation, je me hissai hors de l'eau en poussant sur mes bras musclés et m'assis à côté d'elle.
- Qu'est-ce qui s'est passé pendant ces deux semaines ? Ton père se fait du souci pour toi et moi aussi, t'as l'air moins enjouée que d'habitude, commentais-je le plus doucement possible.
- Rien, c'est juste les révisions, me mentit-elle.
Tout dans son attitude me faisait comprendre qu'elle ne disait pas la vérité, elle ne me regardait pas quand elle parlait et sa tête était baissée honteusement. Je connaissais cependant comment pouvait se passer une année de prépa à l'approche des partiels, j'étais passé par là moi aussi.
- Regarde moi, t'as des problèmes à la fac ?
L'éclairage réfléchi par l'eau turquoise rendait son regard encore plus cristallin qu'il ne l'était déjà. Emmitouflée dans sa grande serviette, elle ressemblait à un grand bébé. Elle hésita un long moment avant de prendre la parole.
- Oui, depuis que tu n'es plus là les autres étudiants se permettent de me critiquer ouvertement, essaient de me voler mes affaires, ce genre de choses. Tu peux même pas savoir comment ça me fatigue, c'est limite du harcèlement, miaula-t-elle d'une voix serrée par l'émotion. En plus les quelques potes que je me suis fais m'esquivent pour éviter de se trouver mêlés à mes soucis.
- Je suis de retour, lui dis-je en lui frottant vigoureusement le dos de la paume dans un geste que je voulais réconfortant. Dis moi qui sont ces petits merdeux et je vais m'en occuper.
Elle fronça les sourcils, elle pensait sûrement à ma manière de m'occuper de ses problèmes la dernière fois.
- Je parlerais juste cette fois promis, répondis-je à sa question silencieuse en haussant les épaules.
- Je te fais confiance pour cette fois. Rétorqua-t-elle en soufflant par le nez. C'est encore la même fille que l'autre jour qui monte tout le monde contre moi, elle s'appelle Euphoria. En plus de ça, elle m'a piqué des fichiers pour réviser l'autre jour, et personne ne veut me les donner. J'en avais besoin, c'était des conseils et des exercices que m'avait donné un des professeurs.
- Un si joli nom pour une personne si horrible, répliquais-je. J'irais lui parler, et j'en profiterai pour récupérer tes fichiers.
Nous nous séchâmes et nous rhabillâmes en l'espace de quelques minutes puis vint l'heure de la laisser, je ne savais même pas si les tramways passaient encore à cette heure tardive. Pour contrer ce problème, Rachel me proposa de dormir chez elle.
- Ah, j'aurais bien voulu mais je n'ai aucune affaire de rechange ou même de quoi me brosser les dents, commentais-je.
Elle balaya mes doutes d'un revers de la main.
- Pas de souci, mon père reçoit souvent des amis à la maison, nous avons tout ce qu'il faut pour accueillir quelqu'un, même des vêtements de rechange.
- Bon, très bien alors. Je te redonnerai les vêtements propres dans la semaine.
Elle rit doucement.
- Ne t'inquiète pas pour ça, c'est un cadeau de la maison.
Bon je n'allais pas refuser un cadeau non plus.
J'entrai donc dans la chambre d'ami, une grande pièce au ton crème qui respirait la douceur. Tout était soyeux, les draps immaculés, les oreillers confortables et même le short et le tee-shirt en lin que Rachel m'avait laissé sur le lit. Dire qu'elle avait dormi dans ma chambre minuscule et mal rangée, elle devait me prendre pour un moins que rien.
Elle passa me souhaiter une bonne nuit, elle s'était affublée du vieux tee-shirt que je lui avais laissé la dernière fois.
- Tiens, t'aimes bien dormir avec mon odeur ?
Elle rosit légèrement.
- Oh pardon, j'avais complètement oublié de te le rendre. Et non, promis il est propre. Rétorqua-t-elle en tirant sur son col.
- Garde le, je ne le mettais plus de toute façon. Bonne nuit Rachel.
Elle tapa dans mon poing tendu.
- Salut Tyson !
Le lendemain, je me levai à l'aube, laissai un petit mot de remerciement sur la table de la cuisine et m'en alla à l'entraînement.
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