Chapitre 12
Eleonora
Nous sommes rentrés en Suède depuis deux semaines déjà.
Lorsque Anna m’a rejointe au Danemark, nous avons passé les derniers jours en compagnie de la princesse. Nous avons travaillé autant que possible sur ses envies pour le mariage, ainsi que sur les ajustements de sa future robe.
J’ai également eu l’occasion de m’entretenir avec le duc afin de savoir s’il avait des attentes particulières concernant l’organisation. Il m’a simplement demandé que le traiteur réalise des miniatures de Smørrebrød – ces célèbres sandwichs ouverts à base de pain de seigle, garnis de saumon fumé, de rôti de bœuf ou encore de hareng mariné.
Je dois recevoir un appel du chef cuisinier de la famille royale pour finaliser le repas de mariage. Je n’ai pas eu le temps, lors de mon séjour, de lui rendre visite.
Mon entretien avec Astrid m’a permis de connaître les préférences culinaires de chaque membre de la famille. J’ai pris soin de tout noter.
Le mariage étant prévu pour le jour de Noël, il est essentiel pour moi qu’un magnifique sapin vienne orner la salle de réception.
En accord avec les futurs mariés, je leur ai proposé de m’occuper de l’arbre et leur ai assuré qu’il viendrait de notre production suédoise.
L’année dernière, Anna et moi sommes allées chercher notre sapin chez un pépiniériste, Lars, dans la vallée de Tyresta, et nous avions trouvé un arbre absolument magnifique.
Ce que je préfère chez lui, c’est la taille impressionnante de ses sapins — je ne vais pas me priver de choisir l’un des plus grands.
Ce mariage mérite le plus beau.
J’ai déjà rendez-vous avec Lars dans quelques jours pour faire notre sélection.
Pour le moment, je dois m’occuper de trouver les fleurs.
La princesse Astrid aime les roses — comment ne pas aimer cette fleur ? Je vais donc commander des roses blanches pour les centres de table, assorties à des lysianthus blancs et quelques branches d’eucalyptus.
Je contacte notre fleuriste référente pour lui demander une première ébauche du centre de table.
Mon téléphone vibre, me sortant de mes recherches : un nouveau message.
Inconnu – 14 : 25
Bonjour, j’ai demandé votre numéro à Albert.
Je voudrais savoir si vous êtes disponible lundi ?
J’aimerais connaître votre avancée sur le mariage de ma sœur.
Nicolaï
Téléphone en main, je relis le message plusieurs fois. Une sensation étrange me parcourt. Je suis surprise qu’il ait pris la peine de demander mon numéro.
Nous ne nous sommes croisés que brièvement après notre deuxième cours de danse. J’étais trop absorbée par la réorganisation de mes planches.
Les rares fois où nous nous sommes vus furent lors des dîners, et il participait très peu à la conversation.
Il semblait souvent dans ses pensées, étrangement replié sur lui-même.
Je tape une réponse :
Eleonora – 14 : 30
Bonjour, Votre Altesse.
Vous venez à Stockholm ?
J’ai un rendez-vous pour un essayage de robe en début d’après-midi.
Passez à la boutique vers 16 h si cela vous convient.
Eleonora
~
La lumière d’hiver s’est doucement installée dans l’atelier. Le ciel est laiteux, presque figé, et les derniers rayons pâles s’écrasent sur les rideaux crème. Je viens tout juste de raccompagner une cliente qui, après trente minutes d’hésitation, a enfin arrêté son choix sur la coupe de sa robe de témoin.
Un rapide coup d’œil à l’horloge : 15h57.
Je range les derniers échantillons sur la table, réajuste les coussins du petit coin salon et m’assure que les planches du mariage royal ne traînent pas à la vue de tous.
Puis je m’arrête un instant. Je fixe l’entrée en silence.
Est-il vraiment en train de venir ?
La clochette au-dessus de la porte tinte doucement. Mon ventre se serre, brièvement. Je lève les yeux.
Il est là.
Prince Nicolaï. Droit, réservé, vêtu d’un manteau gris anthracite. Son regard clair balaie l’espace, toujours avec cette impression d’évaluer chaque détail sans vraiment les regarder. Puis il m’aperçoit, et incline légèrement la tête.
- Bonjour, Votre Altesse, dis-je avec calme.
- Bonjour. Merci de m’avoir répondu.
Il a une voix posée, basse, presque neutre. Je lui désigne le petit espace près du mur tapissé d’inspirations florales.
- Installez-vous, je vous en prie.
Il s’assied sans un mot. Je prends place en face de lui, mon carnet de travail ouvert sur les genoux.
Un silence. Ni pesant, ni naturel. Juste… suspendu.
- Je dois avouer que je ne m’attendais pas à ce que vous me contactiez, dis-je en toute transparence.
- Je ne pensais pas le faire non plus.
Le ton est sec, mais pas méprisant. Une constation brute. Il croise les bras, me fixe sans détour.
- Je ne suis pas convaincu par le fait qu’une personne extérieure organise un mariage royal. Mais puisque ma sœur vous a choisie, je suppose que je dois composer avec vous.
Je reste droite, sans froncer les sourcils. Monsieur grognons « je ne veux pas de quelqu’un d’extérieur » est de retour. J’ai appris à ne pas me laisser atteindre par les remarques directes.
- Mon rôle est d’organiser un mariage qui lui ressemble, pas un événement de cour protocolaire. Elle veut quelque chose de sincère, de maîtrisé, mais sans excès. Et c’est en ce sens que je travaille. Avec ou sans votre approbation.
Un silence. Il me fixe toujours, mais cette fois, quelque chose dans son regard semble changer.
- Très bien, dit-il simplement.
- Alors allons droit au but. Voici les avancées. Vous me direz ce que vous validez, ce que vous souhaitez modifier, et ce que vous refusez d’accepter.
Je lui tends le dossier. Il ne le prend pas immédiatement.
Un battement passe entre nous.
- Vous êtes plus directe que ce que j’imaginais.
- Je n’ai pas le luxe de faire semblant. Pas à trois mois du mariage royal.
Il esquisse à peine un sourire. Le premier depuis son entrée. Il prend enfin le dossier et l’ouvre.
Il feuillette lentement le dossier, les sourcils légèrement froncés. Je note que son regard s’attarde sur le planning du jour J, puis sur les visuels de la décoration florale.
- Des roses blanches et des lysianthus pour les centres de table, je lis.
- Oui. Vous m’avez indiqué qu’il y avait aucune fleur spécifiquement demander donc je trouve qu’elles seront parfaite pour une ambiance lumineuse, hivernale, mais sans froideur. Quelque chose d’élégant mais pas rigide.
Il tourne la page, silencieux.
- Et les guirlandes lumineuses au plafond de la salle de réception ? Ce n’est pas un peu… trop ?
- Trop, non. Enchanteur, peut-être. C’est un mariage royal à Noël. Elle veut que la salle ait l’air féerique, mais sobre. J’ai évité les boules et les rubans.
Il ne répond pas tout de suite. Il tourne encore une page. Cette fois, c’est le menu qui le fait tiquer.
- Mini Smørrebrød pour l’entrée.
- À la demande du duc d’Esbjerg dis-je, en relevant les yeux.
Il s’incline à peine de la tête.
- D’accord. Et les versions végétariennes ?
- Certaines convives sont végétariennes. Et Astrid a tenu à ce que tout le monde se sente inclus. Le goût est là, je vous l’assure.
Il referme le dossier doucement, puis se penche légèrement en avant.
- Je n’en suis pas aussi sur mais si ma sœur vous la demandez alors faites.
- Ecouter prince Nicolaï, je sais que vous appréciez guère mon engagement dans cette organisation mais je sais ce que je fais. Ma boutique a beaucoup de succès et aucun de mes mariés ne s’est plaint de mon sens de l’organisation. Je sais que vous n’êtes pas n’importe qui, vous êtes un prince et votre sœur est une princesse.
Je me redresse, le menton haut. Je ne me laisserai pas marcher dessus Si j’ai réussi à mettre fin à ma relation avec ma mère, je peux gérer un prince grincheux.
- Je peux vous assurer que je compte lui offrir le plus beau mariage mais laisser moi effectuer mon travail. Je comprends vos attentes mais vous ne vous êtes mêmes pas permis de connaitre mon monde que vous m’avez tout de suite jugée. Laisser moi une chance de vous montrer que j’en suis capable et aider moi à réaliser le plus beau jour de la vie de votre sœur.
Le silence s’épaissit entre nous. Il ne répond pas. Son regard me scrute comme s’il essayait de lire en moi. Je suis désolée, mais vous n’obtiendrez rien de moi. Ce que j’ai vécu m’a appris à verrouiller ce que d’autres cherchent à déchiffrer.
- Vous avez raison. Annonce-t-il. Je vous juge sans vous connaitre, et surtout sans connaitre votre travail. Je suis persuadé que ma sœur a une bonne raison de vous avoir demander comme wedding planner alors…
Son regard glisse un instant vers la grande planche d’inspiration posée contre le mur. Il y a un croquis d’agencement floral dessus. Rien d’exceptionnel, mais une photo a glissé. Une photo de deux enfants près d’un grand sapin décoré.
Il se lève soudain, attrape la photo, la regarde de plus près.
- C’est Astrid et moi. Où avez-vous trouvé ça ?
- Elle me l’a montrée lors de notre premier rendez-vous. Elle m’a dit que c’était l’un de ses meilleurs souvenirs de Noël. Qu’elle voulait retrouver quelque chose de cette émotion-là dans son mariage.
Il reste debout, tenant la photo entre ses doigts, un instant figé. Son regard a changé.
- Je ne savais pas qu’elle vous avait montré ça.
- Elle m’a dit qu’elle voulait que ce jour soit le sien, mais aussi celui de ceux qu’elle aime. Vous, en premier.
Un silence. Puis, doucement, il repose la photo.
- D’accord. On recommence.
Je relève les yeux, surprise.
- Comment ça ?
- Vous n’êtes pas juste une organisatrice. Vous écoutez vraiment.
J’acquisse surprise, mais reconnaissante qu’il voit enfin qu’il y a bien plus que de l’organisation dans mon travail.
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