Chapitre 13

7 minutes de lecture

Nicolaï

Je suis en Suède pour le bal donné par le roi et la reine.

D’après ce que j’ai compris, il est organisé en l’honneur de leur petite-fille, tout juste née. Leur héritier vient d’avoir son premier enfant, et quoi de mieux qu’un bal pour célébrer ça ?

Je ne me plains pas : l’accueil de Leurs Majestés est toujours irréprochable. Leur hospitalité est à la hauteur de leur réputation, et ils ont toujours un mot gentil pour mes parents.

Ma mère, Sofia, a fréquenté la même école de bonnes manières que la reine Caja. Elles étaient très proches, et elles s’écrivent encore régulièrement.

Leur fils cadet, Tomas, est un très bon ami. Nous avons le même âge et avons fait nos études universitaires ensemble à Paris. Je l’ai revu lors de ma dernière venue ici, il y a quelques semaines.

La famille royale de Suède est très proche de ses habitants. Ils dînent tous les dimanches dans un restaurant de la capitale pour aller à la rencontre du peuple.

J’aurais aimé que nous fassions de même au Danemark.

Le bal a lieu demain, dans le château principal. Et, au grand désespoir de mon père, je ne suis pas accompagné.

Hier, j’ai eu rendez-vous avec Eleonora… et je me suis montré condescendant. Je le regrette.

Elle essaie simplement d’effectuer le travail qu’on lui a confié, et moi, je me suis permis de juger sans rien connaître.

Mais elle ne s’est pas laissé faire.

Eleonora a su garder son calme, et elle m’a remis à ma place avec une élégance désarmante.

Elle connaît les enjeux. Elle sait qui nous sommes, et ce que représente un mariage royal.

Si je veux devenir un roi proche de son peuple, je dois commencer par respecter ceux qui m’entourent – même les collaborateurs temporaires.

Voilà pourquoi je me trouve aujourd’hui dans une boutique de robes de soirée.

Mon père m’a demandé d’être accompagné demain. Il n’a pas précisé que Kristen devait l’être. Et franchement, je préfère m’empoisonner que de passer une soirée en sa compagnie.

Avec elle, les conversations ne dépassent jamais le montant de notre fortune, ses problèmes d’ongles cassés ou la dernière paire de chaussures qu’elle a repérée dans une boutique hors de prix.

L’ennui total.

Le problème, c’est que je ne connais pas les goûts d’Eleonora.

Rouge ? Rose ? Bleu ? Violet ? Aucune idée. Punaise.

Cela fait plus de trente minutes que je tourne en rond dans cette boutique, à chercher La robe. Celle qui me fera dire : c’est elle.

Edgar est avec moi – oui, je l’ai embarqué là-dedans. Il cherche aussi, bien qu’il ne connaisse pas vraiment « Madame Eleonora », comme il l’appelle, toujours très protocolaire.

On a même appelé Albert. Sa réponse ? Une robe sobre, simple, éviter les couleurs trop flashy. Une robe bleue pourrait être une bonne idée.

Nous voilà donc dans le rayon des robes bleues.

La plupart ont des froufrous partout où sont couvertes de paillettes. Rien de discret, rien d’élégant.

Et puis je la vois.

Une robe bleu nuit. Simple. Un bustier en satin plissé, coupe droite. Elle est parfaite.

Je regarde Edgar. Il hoche la tête au même moment que moi.

C’est elle.

Pas Eleonora. La robe.

Sobre, élégante, droite. Comme elle.

Je ne sais pas si elle l’aimera. Mais moi, je l’ai choisie pour elle. Et c’est déjà un début.

À la caisse, je demande à la vendeuse de la placer dans une boîte. J’y glisse un mot.

Je confie la remise à Edgar, et demande à rentrer à l’hôtel. J’ai du travail. Beaucoup de travail. Et peut-être un peu à réfléchir aussi.

~

Je suis debout devant la porte d’Eleonora, nerveux. Ce n’est pas dans mes habitudes. L’anxiété n’est pas censée faire partie de mon registre. Et pourtant, je sens mes doigts se refermer un peu trop fermement sur le bas de ma veste.

Edgar a voulu m’accompagner, mais je lui ai demandé de rester dans la voiture. Je voulais faire cela seul.

J’ajuste la veste de mon uniforme de cérémonie et je frappe.

Quelques secondes passent, puis j’entends des pas de l’autre côté. La porte s’ouvre doucement.

Elle est là.

Encore en robe de chambre, les cheveux relevés à la hâte, un pinceau de maquillage à la main. Elle me fixe, interdite.

- Vous êtes en avance, murmure-t-elle, presque sur la défensive.

- Et vous êtes magnifique, même à moitié prête.

Elle plisse les yeux, peu impressionnée, puis me fait signe d’entrer.

- Je n’ai pas encore enfilé la robe. Je comptais prendre un taxi après m’être préparée.

- J’ai un véhicule avec chauffeur en bas. Il peut attendre. Et je peux… patienter ici.

Elle referme la porte derrière moi, visiblement partagée entre surprise et méfiance.

- Vous êtes vraiment différent, aujourd’hui.

- Je suis simplement moi, pour une fois, Eleonora.

Elle me regarde sans répondre, puis s’éclipse dans la pièce voisine. J’entends des cintres bouger, le bruit léger du satin. Puis le silence. Long. Trop long.

Quand elle revient, je me lève instinctivement.

La robe.

Je l’ai vue, suspendue, soigneusement pliée dans sa boîte, imaginée sur elle… Mais rien ne m’avait préparé à ça.

- Je ne savais pas si je devais la porter, dit-elle doucement.

- Et maintenant ?

- Maintenant… je crois que j’en avais envie. Merci !

Je ne dis rien. Je me contente de la regarder. Puis je tends la main.

- Prête ?

Elle hésite. Puis elle glisse son bras sous le mien.

- Prête.

Nous descendons l’escalier en silence. Dehors, la voiture nous attend. Le chauffeur nous ouvre la portière, et je la laisse entrer la première.

Alors que je m’installe à ses côtés, je sens sa main effleurer brièvement la mienne sur la banquette. Un geste involontaire ? Peut-être. Mais je n’ai pas bougé.

Et elle non plus.

Le palais approche. Les lumières de Stockholm dansent sur les vitres. Je tourne la tête vers elle.

- Ce soir, Eleonora, vous n’êtes pas une collaboratrice. Vous êtes mon invitée. Et si quelqu’un a un problème avec ça… il peut venir me le dire personnellement.

Elle me fixe longuement. Puis elle murmure, presque imperceptiblement :

- Je n’ai jamais été à un bal.

Je souris.

- Alors, je vais essayer de vous faire apprécier ce moment.

La voiture ralentit à l’entrée du château. Les projecteurs illuminent l’escalier d’honneur. Les invités s’avancent. Les photographes sont là aussi. Trop tôt, à mon goût.

Je tends la main vers elle une dernière fois, avant de sortir.

Elle l’attrape sans hésiter.

Et ensemble, nous montons les marches, côte à côte.

Nous arrivons dans le grand salon qui est illuminé par des centaines de bougies suspendues dans d'immenses lustres en cristal. Les murs résonnent des accords d’un orchestre discret, et les invités, parés de leurs plus beaux vêtements, échangent des salutations chaleureuses et des rires feutrés. Les dorures, les fresques anciennes et les colonnes marbrées donnent à l’ensemble un air hors du temps.

- Je suis jamais rentrés dans le château, je l’ai toujours vu que de l’extérieur et c’est magnifique. Merci de me faire vivre ça.

Son regard pétille en regardant les alentours. Chaque détail est immortalisé dans sa mémoire.

Nous traversons la salle afin d’aller saluer ses majestés. Le roi et la reine sont autour de leur petite-fille tandis que les princes et la princesse se tiennent à leur cotés.

- Vos Majestés ! Annonce-je.

- Prince Nicolaï, vous êtes absolument divin mon enfant, votre mère doit être fière.

- Toute mes félicitations pour cette arrivée. Ma famille et moi-même sommes très heureux pour vous. Mon père et ma mère auraient voulu être ici mais vous connaissez mon père.

- Ne vous inquiéter pas Nicolaï, votre présence ici nous réjouit. Et je vois que vous n’êtes pas seule. Evoque le roi en regardant ma partenaire de la soirée.

- Laisser-moi vous présentez…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que la benjamine de la famille royale de suède me coupe la parole pour s’adresser à Eleonora.

-Vous êtes Eleonora Nilsson ! La meilleure organisatrice de mariage de Stockholm ! Je vous adore ! Annonce-t-elle en se retenant de sautiller.

- La meilleure, je ne dirais pas ça mais merci Princesse Marie !

Elle effectue une petite révérence face à la princesse. Elle semble tétanisée face à cette rencontre. Je peux le comprendre, elle vit ici depuis toujours et elle rencontre la famille royale de son pays. Je décide de reprendre la parole afin de la présenter correctement. Je leur indique qu’elle s’occupe du mariage de ma sœur.

- Nous sommes ravis de vous avoir parmi nous. Nous avons également entendu parler de vous. Vous faites le bonheur de beaucoup de suédois et on vous en remercie. Annonce sa majesté à Eleonora qui a les yeux écarquillés face à sa reine.

- Merci, votre Majesté. Dit-elle timidement.

Elle triture ses doigts comme une enfant de 6 ans se trouvant devant le père noël. Je peux comprendre que ça soit un moment intimidant après tout c’est pas tous les jours qu’on rencontre la famille royale de son pays.

Nous faisons une révérence avant de nous diriger vers le bar. Je commande de coupe de champagne et admire la jeune femme à mes côtés.

Je lui tends une coupe, qu’elle accepte avec un sourire encore un peu tremblant.

- Tu t’en sors très bien, murmuré-je en inclinant mon verre vers le sien.

- Tu trouves ? J’ai l’impression d’être une note fausse dans une symphonie parfaite, me confie-t-elle en riant doucement.

Je lève mon verre.

-Au futur mariage royal du Danemark et à la naissance de l’héritière de Suède.

Elle fronce légèrement les sourcils, mais ses joues s’empourprent malgré elle.

Nos verres s’entrechoquent délicatement. Le cristal chante brièvement, avant que le silence entre nous ne s’installe. Un silence confortable. Complice.

Soudain, l’orchestre entame une valse lente. Les couples commencent à s’avancer sur le parquet brillant.

Je pose ma coupe, puis lui tends à nouveau la main, cette fois pour l’inviter à danser.

- Eleonora Nilsson, m’accorderez-vous cette danse ?

Elle rit doucement, surprise, puis se redresse, droite comme une héroïne de roman.

- C’est un honneur, Prince Nicolaï.

Nous rejoignons les autres, au centre du grand salon. Mes doigts trouvent les siens. Je pose l’autre main dans le creux de son dos. Et lentement, nous nous mettons à tourner.

Tout disparaît autour de nous. Les regards, les dorures, le lustre et même le passé.

Il ne reste que cette valse.

Et mon cœur qui bat anormalement dans ma poitrine…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aziliss ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0