Chapitre 14
Eleonora
Je crois que je suis en train de rêver.
Un rêve étrange et somptueux, fait de lumière, de musique, de dorures et de regards qu’on évite à moitié. Un rêve qui sent le vieux bois ciré, le champagne et la nervosité contenue sous un sourire poli.
Je suis au bal du roi et de la reine de Suède.
Mon pays. Ma ville. Ma vie… mais transformés ce soir en quelque chose d’irréel, d’inaccessible.
Et pourtant, je suis là.
Dans cette salle aux lustres de cristal, au sol miroir, aux fresques dignes d’un musée. Et j’ai reçu les compliments de la reine elle-même.
La reine.
Et la princesse Marie, qui connaît mon nom. Qui connaît mon travail. Qui a sauté d’enthousiasme comme une enfant, parce que je suis, selon ses mots, la meilleure organisatrice de mariage de Stockholm.
Je ne sais pas comment j’ai réussi à ne pas éclater de rire ou de larmes — peut-être les deux à la fois. J’ai murmuré des politesses, trituré mes doigts comme une adolescente, et tenté de rester droite malgré le vertige.
Et maintenant… je danse.
Avec lui.
Prince Nicolaï.
Celui que je devais accompagner professionnellement à ce bal. Celui qui est arrivé devant ma porte avec un uniforme de cérémonie et un compliment qui m’a fait perdre mes mots.
Celui qui, à cet instant, tient ma main avec une douceur que je n’attendais pas.
Nous tournons lentement au milieu de la salle, au rythme d’une valse élégante. Les autres couples s’écartent naturellement, comme si une bulle invisible s’était formée autour de nous.
Sa main est posée dans mon dos, juste assez fermement pour me guider, mais sans jamais m’imposer.
Il ne dit rien. Il me regarde seulement, comme s’il essayait de me lire, de comprendre ce que je ressens alors que moi-même, je n’en ai aucune idée.
Je suis terrifiée.
Et en même temps… je crois que je n’ai jamais été aussi vivante.
- Tu es drôlement silencieuse, murmure Nicolaï en inclinant légèrement la tête vers moi.
Je lève les yeux vers lui, un peu prise au dépourvu. Il ne sourit pas, pas vraiment. Mais son regard est doux. Patient.
- J’essaie d’imprimer chaque seconde dans ma mémoire, dis-je en toute honnêteté. Avant que tout ça ne disparaisse et que je me réveille dans mon petit appartement.
Il esquisse un sourire, cette fois. Un vrai.
- Je te promets que tu ne rêves pas.
- C’est ce que dirait n’importe quel bon rêve, non ?
Il rit doucement, et je ressens cette chaleur étrange dans ma poitrine. Un mélange de vertige et de sécurité. Comme si, malgré le faste, les regards, les titres, je pouvais être simplement moi sans filtre, sans masque.
Nous continuons à danser. Mes gestes sont précis, mais sans raideur. Il danse comme il parle : avec contrôle, mais sans jamais dominer. Et moi, qui d’habitude se tient loin de la piste de danse, je me laisse porter.
À un moment, ses doigts se referment un peu plus sur ma main. Je lève les yeux.
- J’ai déjà assisté à des dizaines de bals. Peut-être des centaines. Mais je crois que c’est la première fois que j’ai envie que la musique ne s’arrête jamais.
Je sens mes joues rougir. Cette phrase, dite d’une voix calme, presque murmurée, me traverse comme une onde. Ce n’est pas un compliment lancé à la volée. C’est autre chose. Quelque chose de plus vrai, de plus grave aussi.
Je détourne les yeux un instant, pour reprendre une bouffée d’air. Autour de nous, le bal continue. Des regards se tournent vers nous, inévitablement. Mais pour une fois, je m’en moque.
Quand la musique ralentit, puis s’éteint, nous restons encore immobiles quelques secondes, les mains liées.
Puis il s’incline légèrement, toujours sans me lâcher.
- Merci pour cette danse, dit-il simplement.
- Merci de m’avoir invitée à entrer dans ton monde.
Il me regarde intensément, comme s’il s’apprêtait à dire quelque chose d’important. Mais une voix masculine l’interrompt, l’appelant au loin.
Je sens encore la chaleur de sa main dans la mienne. Le feu crépite doucement. Nos respirations sont calmes, synchronisées. C’est étrange, ce sentiment de paix dans un lieu aussi imposant, aussi chargé d’histoire.
Je n’aurais jamais cru pouvoir me sentir légère ici, à côté de lui.
Et pourtant…
- Je voudrais te présenter quelqu’un, vient avec moi. Dit-il en me tendant sa main pour que je la prenne à nouveau.
Nous avançons vers un groupe de trois hommes. De toute évidence, les plus beaux hommes sont malheureusement toujours inatteignable pour nous. Les trois hommes sont absolument magnifiques, le premier est blond avec un regard intense dans les tons de gris, il porte un costume de cérémonie comme Nicolaï mais son blason représente le drapeau de la Norvège.
Le deuxième, quant à lui vient de la Finlande au vu de son insigne. Ses cheveux sont à la limite du blanc tellement ils sont clair et ses yeux vairons lui donne une apparence très perturbante.
Le dernier est le prince de Suède, le cadet me semble-t-il. Ses cheveux châtains comme la reine et ses yeux marrons comme le roi, il n’y a pas de doute sur son appartenance à la couronne de Suède.
- Eleonora, laissez-moi vous présenter mais plus proches amis. Le prince de Suède, Tomas, Le prince de Finlande, Eero, et, le Roi Sverre de Norvège.
- Je suis ravie vous rencontrer. Dis-je en effectuant une légère révérence.
- Nous le sommes encore plus. Nicolaï ne nous présente jamais personne. Et il faut dire que votre beauté est à couper le souffle, je comprends …
Mon téléphone vibre dans ma pochette, brutalement, brisant la conversation avec Eero, l’ami du prince. Je sursaute légèrement. Nicolaï fronce les sourcils, surpris.
Je sors l’appareil de mon sac de soirée, glisse un regard rapide sur l’écran.
Anna.
Une vibration continue. Un appel, pas un message. Mon ventre se serre instinctivement.
- Excusez-moi, murmuré-je à Nicolaï, déjà en train de décrocher.
- Anna ?
- Eleonora… tu peux venir à la maison ? Maintenant ?
Sa voix est tendue. Essoufflée.
Je me redresse instinctivement.
- Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Je… J’ai besoin de toi. S’il te plaît.
Elle raccroche avant que je puisse en demander plus.
Je connais ma meilleure amie par cœur et je peux assurer qu’elle a retenu ses larmes dans chacun de ses mots.
Je me tourne vers Nicolaï.
- C’est Anna. Elle… elle a un problème. Je ne sais pas ce que c’est, mais elle m’a demandé.
Il acquiesce aussitôt, sérieux.
- Allons-y. Je vous ramène.
- Ne vous privez pas de votre soirée, prince Nicolaï. Je vais prendre un taxi.
- Ne soyez pas bête, Eleonora. Ma sœur me pardonnerait jamais de vous avoir laisser rentrer en taxi.
- D’accord. Merci !
Nous saluons ses amis puis nous allons dire au revoir au couple royal. Nicolaï s’excuse de se départ mais indique que vous avons une urgence. Le roi acquît et remercie le prince de sa présence et lui demande de saluer ses parents pour eux.
La reine quant à elle s’approche de moi.
- Madame Nilsson, je vous souhaite une bonne continuation. Si je n’étais pas déjà mariée, je vous aurais choisi comme wedding planner. Continuez de faire vibrer la Suède et nos couples d’amoureux. On se revoit vite.
- Merci Reine Caja. C’était un honneur pour moi de vous rencontrer.
J’effectue une révérence et la main de Nicolaï s’emmêle à la mienne pour nous diriger vers la sortie.
Edgar m’ouvre la portière et je rentre dans l’habitacle rapidement. Le prince indique la direction de mon appartement.
Nicolaï n’a pas enlevé sa main de la mienne. Il effectue des caresses sur le dessus tandis que je regarde le paysage défiler devant mes yeux.
- Je suis désolé pour ce départ précipité. Dis-je doucement sans détourner le regard de la route.
- Eleonora, ne vous en faites pas ce n’est qu’un bal rempli de personnages royaux, ils se remettront d’un départ précipité de l’un d’eux.
Je tourne ma tête pour fondre mes yeux verts dans son bleu. Il est sincère, je le sens, je le vois. Il y a des choses qu’un regard dit plus facilement que la parole.
- Pour tout vous dire, je suis content d’être parmi. Je suis épuisé.
Effectivement, il semble fatigué. Des cernes commencent à voir le jour sous ses yeux et son teint est plus pale que d’habitude.
Il rapproche sa main libre vers ma joue et remet une de mes mèches derrières mon oreille. Son toucher me donne des frissons. Ses yeux me scrutent et mémorisent chaque centimètre. J’en fais tout autant.
- Je vous remercie de m’avoir accompagné ce soir.
- Merci à vous, prince Nicolaï. Dis-je dans un dernier murmure lorsque la voiture s’arrête.
Je le salue et sort de la voiture. Je n’attends pas que la voiture soit partie. Je me dirige le plus rapidement jusqu’à l’appartement. Je ne cherche pas à prendre l’ascenseur, je cours dans les escaliers, escarpins au pieds.
Lorsque je passe la porte, Anna est assise sur le canapé avec un bol de glace en main et les yeux remplis de larme.
Je défais mes talons et me dirige vers elle.
Mais je suis stoppé dans mon avancée, lorsque je découvre ce petit bout de plastique sur la table basse.
- Je ne savais pas comment te le dire…
Oh, Anna…
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