Chapitre 2 — Un contrat du destin
Eleonora
Un homme s'avance vers le comptoir.
Ses cheveux gris témoignent de son âge avancé. Vêtus d'un costume avec un élégant symbole sur la poche de sa veste. Je ne connais pas ce signe.
Il ressemble au blason de notre famille royale, mais ce ne sont pas les mêmes couleurs. Il a dû faire du chemin pour venir jusqu’à ici. Je ne peux pas me permettre de le mettre à la porte.
— Bonsoir Monsieur.
— Bonsoir, je voudrais parler à Madame Eleonora Nilsson.
— En quoi puis-je vous aider ?
— Avez-vous une pièce, comme un bureau, pour parler en toute discrétion ? Ma cliente souhaite rester discrète pour le moment.
À l’entendre, je peux affirmer que ce n’est pas une cliente ordinaire. La boutique est vide, et pourtant, il demande encore plus de discrétion.
— Bien sûr. Je ferme la boutique si ça ne vous dérange pas.
Il fait un signe de négation, m’invitant à fermer l’endroit. À la porte, je retourne la pancarte "Ouvert" sur "Fermé" et sort mon téléphone pour prévenir Anna que je ne rentre pas tout de suite.
Je rejoins l'homme et lui fais signe de me suivre vers ma petite pièce.
— Avez-vous des caméras ici ? demande-t-il.
— Pas dans le bureau.
— Pas de micros non plus ?
— Non.
— Je suis, monsieur Albert, majordome de la famille royale du Danemark, dit-il en s’asseyant sur le fauteuil en face de moi. Je suis ici à la demande de Madame Astrid Sofia Lenora Liva Madsen, Princesse du Danemark.
Mon cœur loupe un battement. Je suis bouche bée.
La Princesse du Danemark.
Je savais que j’avais à faire à un homme important.
Mais qu’une princesse me demande ? C’est irréel.
Son Altesse nous permettrait de nous faire connaître à un niveau supérieur.
Je me demande même comment elle a pu entendre parler de notre entreprise.
— Elle se marie au Duc d'Esbjerg le jour de Noël, continue-t-il. La princesse a entendu parler de votre boutique, des magnifiques robes confectionnées par votre collaboratrice et des endroits que vous transformez en lieu magique.
Je ne sais pas vraiment quoi répondre. Je suis tellement surprise. Un mariage d’un pays voisin. C’est un accomplissement.
— La princesse veut que votre équipe s’occupe de son mariage.
— Nous ? dis-je, ahurie
— Oui, Madame Nilsson. Elle souhaite le meilleur pour le plus beau jour de sa vie, et vous êtes la meilleure de votre pays.
— Pourquoi n'a-t-elle pas cherché dans son propre pays ? Vous devez avoir des créateurs royaux.
— Nous avons effectivement d'excellents créateurs royaux et décorateurs. Mais par miracle pour vous, la princesse est tombée sur vos réalisations sur les réseaux sociaux et elle ne veut personne d'autre que vous.
— C'est un immense honneur ! Mais je ne peux annuler les mariages prévus pour Noël et je n'ai personne pour me remplacer.
— Alors vous allez devoir trouver quelqu’un rapidement. J’ai interdiction de revenir au Danemark sans un contrat signé avec vous.
Mon cœur bat à toute vitesse. Je ne sais pas vraiment si je rêve ou si tout ça est réel. Un majordome dans mon bureau… et un contrat royal.
Pourquoi nous ? Sommes-nous capables de le faire ? C’est un signe ?
— Puis-je en discuter avec ma collaboratrice ?
— Je vous laisse deux jours pour me donner votre réponse.
— Merci monsieur Albert.
Il me laisse une petite carte de visite avec un numéro écrit dessus. Je lui serre la main et l'accompagne jusqu'à la porte. Je le remercie une nouvelle fois et referme la porte derrière lui.
Je m'appuie contre la porte. Mes mains moites tremblent lorsque je referme la porte. Mon sourire n’a pas quitté mon visage.
J’éteins les dernières lumières, descends le rideau de fer et monte à notre appartement. Quand j'arrive, Anna vient de finir la préparation du dîner. Nous nous installons à table et ne perdons pas une minute pour lui raconter la demande particulière.
Au vu de son expression, je ne suis pas la seule à être surprise par la proposition. Nous savons toutes les deux que c’est la demande d’une vie. C'est un mariage qu'aucune boutique ne peut refuser et c'est un honneur qu'on nous l'offre.
— Veux-tu qu'on accepte le contrat ?
— Il n'y a même pas à poser la question, Eleonora.
— Alors dès demain, je vais devoir trouver une nouvelle wedding planner.
Nous trinquons à cette nouvelle étape. Nous savons qu’à partir de demain, plus rien ne sera comme avant.
Anna et moi sommes heureuses de pouvoir évoluer dans un pays comme le Danemark. C’est une nouvelle culture et nous ne pouvons pas rêver mieux qu’une princesse pour ce premier mariage en dehors de la Suède.
Nous passons une petite soirée ensemble. Anna m’a forcé à regarder un film romantique, me rappelant que l’amour n’est pas fait pour moi.
En voyant ma meilleure amie, les yeux remplis d'étoiles devant le film, je me rappelle que l’on se ressemble sur beaucoup de points, mais l’amour est bien un sujet différent entre nous.
Elle est une amoureuse de l’amour, tandis que je le fuis.
~
Nous avons accepté le contrat avec la princesse Astrid depuis une semaine.
Monsieur Albert est revenu le lendemain de notre entrevue pour nous faire signer le contrat. Anna a fait sa connaissance et nous avons pu discuter des modalités à ajouter dans les clauses.
J’ai posté une annonce pour le poste peu de temps après la signature. En une heure, j'avais déjà reçu une centaine de candidatures. J’ai pris le temps de toutes les examiner et de sélectionner quelques jeunes femmes qui correspondent au poste. Je veux trouver la perle rare.
Je peaufine certains détails pour quelques mariages prévus les semaines à venir.
Anna et Pia s'occupent d’une cliente. Ma meilleure amie n'a pas l'habitude de quitter son atelier, mais avec Pia en alternance, elle fait en sorte de lui apprendre bien plus que la création de robe. Anna a envie de lui montrer que ce n'est pas juste du tissu, il faut savoir la vendre.
Avoir des mains supplémentaires ne peut pas se refuser. Si je trouve une nouvelle organisatrice de mariage, je pourrai mieux gérer : les commandes pour les événements, les appels téléphoniques, la comptabilité, les réseaux, le blog et les commandes de robes.
Je fais souvent tout cela entre deux clientes ou entre deux mariages, mais avec une personne en plus je pourrais m'éclipser certaines demi-journées.
Je laisse mon ordinateur et la paperasse pour le moment puis je me dirige dans le showroom retrouvé Anna. Pia vient de finir sa matinée, on lui a laissé sa pause-déjeuner.
Elle inscrit le nom de la robe vendue et le coût de celle-ci.
— Une nouvelle vente ? Pia, a-t-elle enfin réussi à conquérir une clientèle ?
— Elle a réussi du premier coup. Elle commence à comprendre.
— C’est génial.
On s'assoit sur l’un des canapés du showroom.
— As-tu vu les candidatures pour le poste ?
— Je rencontre cinq personnes la semaine prochaine.
— Hâte de rentrer notre prochaine collègue.
Nous prenons quelques minutes pour étudier notre future commande de robe. Je suis souvent la seule à le faire, mais de temps en temps, j’aime qu’elle donne son avis sur d'autres créations. Anna a l’œil pour trouver des pépites.
Elle finit par se lever, se vêtit de son manteau.
— Je déjeune avec Henrik, tu te joins à nous ? me demande-t-elle.
— J’ai un appel avec la princesse du Danemark dans une demi-heure.
— Tu me raconteras.
Elle embrasse le haut de ma tête et quitte la boutique.
Je retourne dans mon bureau, prends mon sac puis me dirige vers la boulangerie pour prendre un encas pour ce midi. Ce n'est pas souvent que je mange à la boutique, mais il arrive parfois que les seuls créneaux disponibles pour certaines clientes soient entre midi et deux.
Lorsque j’ai fini mon repas, je prépare mon carnet et les questions importantes à poser à la princesse. Mon ordinateur allumé, j’attends de recevoir l’appel.
La sonnerie retentit dans la pièce, je décroche et fais face à Monsieur Albert.
— Bonjour monsieur Albert, je suis ravie de vous revoir.
— Bonjour madame Nilsson. Je vais chercher la princesse Astrid.
Je hoche la tête. Mes mains sont moites, elles tremblent et mon cœur rate quelques battements.
Je patiente quelques instants avant de voir un homme en costume bleu marine se positionner le dos à la caméra. Il n’a pas l’air de m’avoir remarqué. Je fais mine d’écrire dans mon carnet. Sa voix résonne dans les haut-parleurs de mon ordinateur. Mes yeux se dirigent vers l’écran.
— Kristen, je vous le répète une dernière fois, la volonté de mes parents n'est pas la mienne. Je ne vous épouserai pas. Vos parents vous ont promis à moi dans le seul but de grimper dans la hiérarchie royale.
Je peux ressentir d’ici un froid s'installer lorsqu'il écoute son interlocuteur. Il finit par se retourner en soupirant, mais son regard se pose malheureusement sur l'ordinateur face à lui.
— Je dois vous laisser.
Il raccroche et se dirige vers moi. Il s'assied et me scrute.
Ses cheveux bruns s’harmonisent avec ses beaux yeux bleus. C’est un bel homme… jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche.
— Vous êtes ?
— Eleonora Nilsson.
— Je vois, fait-il d'un ton peu accueillant.
Il n’est pas heureux de me rencontrer. Je ne le connais pas et pourtant, il me méprise.
— Ma sœur n'a pas idée du scandale qu’elle déclenche en demandant à une personne comme vous d'organiser un tel événement pour la famille royale.
— Je vois… et qu'entendez-vous par "une personne comme moi" ?
Je devine facilement qu’il est Prince. Je ne pensais pas que j’aurais affaire à un homme aussi…arrogant. Je ne sais pas vraiment comment le qualifier autrement. Le titre ne justifie pas le ton.
— Une personne qui ne connaît rien à la cour royale et encore moins aux coutumes de notre royaume. Vous auriez dû refuser.
— Je vois… vous êtes quelqu'un de traditionnel, dis-je avant de marquer une légère pause. Je peux comprendre, mais sachez que si votre sœur a fait appel à mes services, c'est qu'elle a suffisamment confiance en mon travail pour organiser le plus beau jour de sa vie.
Il ne répond rien et je dois avouer que je ne lui laisse pas le temps de le faire. C’est parce que je suis face à une altesse que je vais me laisser faire aussi facilement.
— Vous vous permettez de juger sans connaître mon travail. Attendez au moins de voir le résultat. À ce moment-là, je serai d'accord pour accepter vos critiques. Pour l'instant, ma cliente est votre sœur, Votre Altesse, et non vous.
Il me regarde comme si j’étais une erreur, une imposture.
Mon carnet est serré entre mes mains. Mon pied-droit bouge en tapant contre le sol.
Pourquoi devrais-je justifier ma place ? J’ai travaillé dur pour arriver ici. S’il pense que je vais plier devant ses airs supérieurs, il se trompe lourdement.
— Nicolaï, que fais-tu ? demande une voix féminine.
— J’ai fait connaissance avec notre charmante Suédoise.
Il ne quitte pas une seule fois mon regard du sien. Il évoque chaque mot avec un tel mépris. Même son compliment sonne faux.
— Tu peux partir maintenant.
Une jolie blonde apparaît à l'écran. Ses cheveux sont tirés en un élégant chignon bas, ses yeux bleus ressemblent à ceux de son frère. Une vraie beauté. Elle demande à Monsieur Albert de nous laisser seules et que personne vienne la déranger.
— Bonjour, Eleonora. Sa voix est douce, claire, presque rassurante. Veuillez excuser mon frère pour ses propos, il désapprouve ma décision.
— J’ai pu voir ça… Votre Altesse.
— Je suis la première princesse du pays à solliciter une organisatrice extérieure à la famille royale, mais j'apprécie vraiment votre travail. Je vous suis depuis quelques mois maintenant, et quand Carl m'a demandé de l'épouser il y a à peine un mois, je n'ai pas hésité.
— C'est un immense honneur pour nous. J'espère sincèrement pouvoir répondre à vos attentes.
— Je n'en doute pas, mais s’il vous plaît, appelez-moi Astrid.
— Si ça ne vous dérange pas, je vais vous poser quelques questions. Je ne connais pas le Danemark, donc je préfère m'y prendre tôt.
— Je me doute que vous ayez des demandes particulières, n’hésitez pas.
Pendant une heure, nous passons en revue tous les sujets importants : les fleurs qu'ils préfèrent, le thème du mariage, les couleurs souhaitées, le gâteau de mariage…
— Je vous remercie pour votre temps, princesse Astrid.
— J’ai tellement hâte de vous rencontrer en personne, dit-elle d’une voix délicate. Je crois en vous.
— Je serai là dans un mois pour vous montrer en personne mes premières productions.
Nous raccrochons. Je remets de l’ordre dans mes notes. J’ai déjà quelques idées pour ce mariage… j’espère qu’elles plairont.
La princesse est loin du stéréotype. Elle a des demandes plutôt simples, communes à certains autres mariages. Elle vient d’une famille royale, et pourtant, elle respire la bonté loin de la luxure. Nous aurions facilement pu devenir amies.
Malgré ses demandes, il y a des traditions royales à respecter et je vais devoir les incorporer à mes planches d’idées. Je ne les connais pas encore, mais ma venue au Danemark m’aidera à mieux connaître leur monde.
Je n’ai plus qu’à recruter. Les voyages entre la Suède et le Danemark ne font que commencer. Suis-je vraiment à la hauteur ? Et si ce mariage changeait tout ? s.

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