Chapitre 3 — Un vent de renouveau

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Eleonora

Je viens d'enchaîner quatre entretiens. Je n'ai pas eu de véritable coup de cœur et je prie pour que ce dernier soit le bon.

Trouver ma nouvelle recrue devient urgent.

Le profil, de la dernière personne, s’affiche sur mon écran d’ordinateur. Elle a de nombreuses expériences dans la vente et son atout majeur est le nombre d'événements qu'elle a pu organiser.

La clochette de la porte d'entrée est retentit. Je me lève de ma chaise et me dirige vers l'entrée.

Une jeune femme d'une vingtaine d'années apparaît devant moi. Blenda Svensson. Diplômée en vente et formée à l’organisation d’événements. C'est mon dernier espoir.

— Bonjour, je suis là pour un entretien avec Eleonora Nilsson ? dit-elle d’un ton confiant.

J’aime ce sentiment. Elle doit surtout stresser, or Blenda ne le montre pas.

— Bienvenue ! Allons dans mon bureau.

Elle me suit dans la petite pièce. L’espace est très chaleureux, j’ai fait en sorte de le rendre protecteur. Je lui indique de s'installer et referme la porte derrière moi. Je prends place, à mon tour, derrière mon ordinateur.

— Je suis ravi de vous recevoir, commence-je. Comme vous le savez, nous cherchons une nouvelle personne pour rejoindre notre équipe.

Je lui raconte l’histoire de notre boutique. Je n’évoque pas le mariage royal. Je ne veux pas que ça fasse les tabloïds. Notre contrat stipule que nous n’avons pas le droit d’en parler. Il sera temps d’en parler si je lui confie le poste.

Blenda se présente, rappelant le beau parcours qu’elle a eu. Elle a organisé quelques événements, hors mariage, mais elle s’y connaît. Elle parle avec beaucoup de passion de son métier.

— Si vous deviez vous décrire en trois qualités, lesquelles choisiriez-vous ? demandai-je.

— Je suis créative, rigoureuse et organisée.

— Des qualités requises pour le métier d’organisatrice d'événement.

Je note dans mon carnet les réponses de Blenda. J’aime beaucoup ce qu’il a dit.

La créativité est essentielle, nous ne créons jamais le même mariage, il faut suffisamment d'idées pour construire un monde unique à chaque fois.

La rigueur est importante lorsque nous devons gérer le budget, le planning, et même la logistique du jour-j. Rien ne doit nous échapper.

Être organisé, c’est primordial. Il faut savoir gérer son temps, les tâches confiées et les détails. Les petits problèmes de dernières minutes ne nous font pas peur lorsque l’organisation est parfaite.

— Notre rôle est de satisfaire nos jeunes mariés en leur offrant le plus beau jour de leur vie. Cela inclut le choix de la robe et du costume, du traiteur, du gâteau, de la décoration et du lieu.

L'entretien se déroule dans une bonne ambiance. Blenda et moi sommes sur la même longueur d’ondes. Elle répond correctement à chaque question posée. La jeune femme connaît son sujet. Je sens qu’elle peut apporter un plus à la boutique, et elle correspond vraiment à mes attentes.

Blenda n’a que 23 ans, mais elle possède une capacité à gérer les événements que les autres candidats n'avaient pas.

— Votre profil m'intéresse énormément. À partir de quand seriez-vous disponible ?

— Dès maintenant.

— Je prépare votre contrat pour que vous puissiez commencer dès lundi.

— Parfait.

Nous nous levons toutes les deux et je la raccompagne à l'entrée.

— Nous sommes ravis de vous voir rejoindre notre équipe, dis-je en lui serrant la main. À lundi, Blenda.

Elle quitte la boutique le sourire aux lèvres. J’ai fait une heureuse, mais je le suis encore plus. Je referme la porte et retourne le panneau annonçant que la boutique est fermée. Je me dirige vers le sous-sol retrouvant Anna en pleine conception de robes, elle ne s'arrête jamais.

— Nous avons notre nouvelle collègue, annonce-je heureuse.

Anna ressent mon enthousiasme. Je lui parle de Blenda et vante ses mérites. Nous avons une perle rare que beaucoup de monde se battra pour avoir un jour.

Mais aujourd’hui, c’est avec nous qu’elle va signer son contrat et je suis plus que ravie.

— Finalement, nous allons réussir là où nous avons toujours voulu arriver, me dit Anna les yeux brumeux.

Je serre ma meilleure amie dans les bras. Nous savons que l’une sans l’autre, l’aventure n’aurait pas été la même.

~

Blenda est parmi nous depuis deux semaines. Elle a fait une excellente impression auprès de quelques clientes. Je suis contente de l’avoir recruté. Demain, elle va gérer son premier mariage, sous ma supervision, mais je suis convaincue qu'elle va réussir haut la main.

J'ai réussi à produire cinq planches d'idées pour le mariage royal. Je suis plutôt fière de mon travail qui reflète les discussions que j'ai eues avec la princesse et j'ai hâte de lui présenter tout cela dans une semaine. Sans une nouvelle employée, je ne sais pas comment j’aurais pu gérer mon travail pour la princesse.

Nous sommes dans le bureau. Blenda peaufine les derniers détails pour le mariage de demain tandis que je clôture les derniers détails pour mon départ au Danemark.

J’ai informé la jeune femme sur notre contrat avec la famille royale danoise. Je lui ai fait signer un contrat de confidentialité. Je ne veux pas qu’elle dévoile quoi que ce soit même si je sais qu’elle n’est pas ce genre de personne.

Blenda a été très surprise puis s'est extasié sur le prince. Je n’ai pas voulu la décevoir en lui disant que c’était un homme hautain et méprisant. Alors, je l’ai laissé vanter les louanges de ce prince danois.

— Il est l’heure, tu peux y aller, lui dis-je. On se retrouve demain à 8h devant la boutique.

— Parfait ! Merci beaucoup Eleonora. À demain.

— À demain !

Elle quitte la boutique et je la ferme.

Je range les robes du showroom dans les allées de la boutique éclairées par les luminaires.

L’automne s’est installé doucement, enveloppant la Suède dans une atmosphère plus fraîche. La lumière décline plus vite, chaque jour grignoté par la nuit. Le soleil ne reste qu’un invité discret, se cachant derrière les habitations de Stockholm dès l’après-midi.

C’est une beauté fragile. Un mélange de douceur et de mélancolie.

Même si la Suède reçoit de la visite pendant les mois de juillet et août, nous, habitants suédois, préférons les mois de grand froid. Nous sommes habitués à ces températures et ne craignons plus la fraîcheur.

Je finis de ranger les derniers détails du showroom avant de récupérer mes affaires.

La température fraîche s’abat sur mon visage lorsque je quitte la chaleur de la boutique. Le temps parfait pour une petite balade dans les rues voisines. Je ne suis pas d’humeur à m’enfermer à l’appartement. J’aime être seule, mais ce soir… une part de moi ne veut pas ressentir la solitude de l’habitacle vide.

J’envoie un message à Anna, la prévenant de ma balade.

Mes pas sont maître de ma destination. Je me laisse guider par mes pensées. Finalement, je finis par m’arrêter en face du palais royal.

Est-ce un signe ? Un rappel à notre plus gros contrat ?

Je trouve un petit banc et m’installe dessus. Le ciel est dégagé et les arbres bougent au gré du vent faisant tomber quelques feuilles. Mes cheveux sont eux aussi soumis à la brise légère de l’automne.

Je profite de ce moment pour capturer la vue. Mais je suis vite stoppé quand mon téléphone se met à sonner. Je constate que ma mère essaie de me joindre.

— Bonjour maman.

— Bonjour Eleonora, dit-elle sèchement.

— Comment vas-tu ?

— Super, répond-t-elle sans prendre la peine de me retourner la question. Nous t'attendons dimanche pour un repas en famille, tu n'as pas le choix de venir, c'est l'anniversaire de ta sœur.

— Bien évidemment, Elin a le droit à une fête…

— Ne commence pas, Eleonora… je dois te laisser. À dimanche !

Ma mère raccroche aussitôt.

J'ai l'habitude.

Ma petite sœur est plus importante que moi, faut croire.

Elin est née prématurée deux ans après moi. Elle a failli ne jamais survivre et ma mère a eu tellement peur de la perdre qu'elle a fait abstraction de sa première fille. Je n'ai plus vraiment de relation avec ma mère. Tout comme je n’ai pas de relation avec ma sœur.

Ma mère était tellement inquiète de ses moindres faits et gestes qu'elle a perdu sa première fille… mais aussi son mari.

Mon père passait toujours après ma sœur, il n'y avait plus aucun lien amoureux entre eux. Trois ans après la naissance de ma sœur, il a décidé de demander le divorce. Ma mère a rapidement signé les papiers comme si leur vie commune n'avait pas été importante.

Il est parti sans donner de nouvelles pendant plusieurs années. Il est réapparu avec une lettre le jour de mes quinze ans. À cette époque, je détestais mon père. Il m'avait abandonnée me laissant seule avec ma mère et ma sœur. Il était lui aussi responsable de la vie affreuse que ma mère me faisait vivre.

Ma ressemblance avec mon père était une abomination pour ma mère. Elle détestait voir le reflet de l’homme qui l'a quitté, la laissant avec deux petites filles en bas âge.

Elle a fini par me faire culpabiliser d’être comme lui.

Alors, je haïssais cet homme.

Mais en lisant sa lettre… Mon cœur s'est brisé lorsqu'il y évoquait la vie difficile qu'il avait menée pendant ces années loin de moi.

Mon père avait sombré dans l'alcool après le divorce. Mon père était fou amoureux de ma mère, il ne voyait que par elle. Mais parfois… l'amour ne suffit plus. Il s’en voulait de m’avoir laissée seule avec elles. Il aurait voulu m’emmener avec lui. Mais comment élever une petite fille de 5 ans quand son seul ami est une bouteille ?

Papa est finalement venu me chercher un an après cette lettre. Il allait mieux. Il était suivi et l'alcool était loin derrière lui.

Lorsque mon père a demandé ma garde permanente, ma mère n'a même pas cherché à me garder. Elle a immédiatement accepté que j'aille vivre avec lui. Je suis resté en contact avec ma mère et ma sœur malgré l’enfer que j’ai vécu. Je ne voulais pas perdre ma mère… la petite fille en moi l'aime.

Aujourd’hui, notre relation n’existe toujours pas.

Ma grand-mère est celle qui m'a montré ce que signifie l’amour maternel. Elle m’a appris à coudre, à cuisiner, à jardiner… Elle a fait de moi une adolescente heureuse.

Finalement, ma balade ne m’a pas vraiment fait du bien. L’appel de ma mère n’a fait que me rappeler que je suis toujours à sa merci.

Dimanche, je vais devoir faire comme j'en ai l'habitude : sourire, rire aux blagues nulles d’oncle Hector et faire semblant d'être à ma place. Je ne parlerai pas de ce que je fais dans la vie, car, selon ma mère, ce n’est pas un travail, mais un passe-temps.

Je dois éviter de lui faire honte.

Je déteste faire semblant.

Pourtant dans la maison de mon enfance… je n’ai jamais été moi.

Alors pour faire plaisir à la femme qui m’a mis au monde, je dois enfermer Eleonora pour laisser place à son ombre.

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