Chapitre 5 — Cap vers l'inconnu
Eleonora
Nous sommes à l’aéroport. Anna a insisté pour m'accompagner. Elle connaît mon sentiment concernant l’avion dans lequel je m’apprête à monter. Je ne pensais pas que je sentirais une peur aussi grande, mais à peine les portes de l'aéroport franchies que mon cœur n’a pas cessé de battre vite.
Le vol est dans une heure. En attendant, nous nous sommes assises dans un café rustique. Anna boit un café latté accompagné d'un cookie à la framboise. Tandis que je me contente d'un simple jus à la pêche.
Elle essaie de me rassurer, mais ça ne marche pas vraiment. Je suis mal à l’aise de faire ce voyage et pas seulement pour l’avion. Rencontrer une famille royale n’était pas dans mes projets… encore moins celle d’un pays voisin.
Mes mains n’ont pas arrêté de trembler. Mon pied-droit tapote contre le sol au même rythme que mes palpitations.
— Les passagers du vol SK1420 en direction de Copenhague sont priés de se présenter à la porte d'embarquement.
Le moment est venu de laisser mon sort dans les mains du pilote.
Nous débarrassons nos plateaux puis prenons le chemin vers l’endroit annoncé.
Anna me tient la main et dépose de petites caresses sur le dos de celle-ci. Son toucher est rassurant, amenant du baume au cœur. Lorsque nous arrivons, je me stoppe un instant et prends une grande inspiration. Je finis par me tourner vers Anna et la prends dans mes bras.
— Respire Eleonora. Une heure et quart, ce n'est rien.
— C’est déjà trop hors du sol…
Anna rit et me serre une dernière fois dans ses bras. Elle dépose un baiser sur ma joue. La dame appelle les classes affaires une dernière fois. Je quitte ma meilleure amie avant que mon entrée soit refusé.
J’entends Anna me dire un dernier message.
— Ne fais pas trop de bêtises avant mon arrivée.
Je rigole à ses mots. Elle ne manque jamais de me rappeler qu’elle est la seule à m’aider dans ce genre de moment. Elle et moi, on ne s’est jamais séparés aussi longtemps. Le maximum n’a duré que deux jours : elle allait rendre visite chez ses grands-parents pour le week-end.
Sa présence dans ma vie est irremplaçable.
Elle est mon pilier : si elle tombe, je tombe. Et inversement.
J'aime Anna comme une sœur… celle qu’Elin n'a jamais su être.
J'avance dans le long tunnel en direction de l'avion. Un tube est relié à la porte de l’appareil. L’odeur métallique et le souffle de la climatisation accentuent mon malaise.
Je suis la personne devant moi par mécanisme. Mon regard se pose sur ce qui se passe autour de moi. Tout le monde semble à l'aise tandis que moi, j'ai l'air d'une petite fille qui a perdu sa maman dans l'aéroport.
Quand j’arrive enfin au bout du tunnel, une hôtesse de l’air, s’occupant des premiers voyageurs, s’approche vers moi.
— Premier vol ? me demande-t-elle.
— Ça se voit tant que ça ?
— Disons que vous n'êtes pas aussi à l'aise que les autres passagers.
— Je suis terrifiée pour tout vous dire…
— Je comprends… si cela peut vous rassurer, nous avons le meilleur pilote pour ce vol.
— Même le meilleur peut commettre une erreur, dis-je, nerveuse.
Elle rit doucement à ma réponse ce qui m'agace un peu. Elle tend sa main vers moi pour changer de sujet :
— Montrez-moi votre billet.
Elle lit le bout de papier avant de m’indiquer de la suivre. Nous avançons dans le passage dédié. Les passagers s’affairent à rentrer leur bagage cabine dans le petit compartiment. L'avion n'est pas très grand, mais assez pour me stresser davantage.
S'il se passe quelque chose au moins, je ne vais pas mourir seule, me dis-je en silence.
Elle finit par me montrer mon emplacement à côté d’un hublot.
— Pour un premier trajet dans le ciel, vous êtes bien placés. Si besoin, demander Isla à l’équipage. Bon vol, madame Nilsson.
— Merci, Isla.
Elle part et me laisse seule avec mes pensées. Mes mains sont moites ; je les serre l’une contre l’autre pour dissimuler mon angoisse. Le siège voisin est vide. Je relève le petit volet du hublot et respire profondément, tentant de me concentrer sur les planches que je vais présenter à la princesse.
L’assise jointe à mon fauteuil s’affaisse. Un homme s'y installe.
Il porte une casquette et des lunettes de soleil comme s'il cherchait à passer inaperçu. Seule sa barbe parfaitement taillée est découverte.
Même sous cet accoutrement, son allure reste charismatique. Un parfum discret s’en dégage.
Je détourne la tête, gêné d’avoir été surprise à l’observer. Mon stress m’a déjà rendu peu semblable à moi-même, n’en rajoutons pas.
Ce n’est pas moi. Pas la fille stressée, pas la fille qui doute.
Ce voyage, fera-t-il de moi une nouvelle personne ?
~
Nous sommes dans les airs.
Mes yeux sont clos. Mon rythme cardiaque est trop rapide. Mes muscles sont rigides. J’ai la gorge sèche. Mes doigts s’accrochent à l’accoudoir avec une telle force que je devine mes jointures blanchis.
Respire, Eleonora…
Ne panique pas maintenant.
— Je pourrais récupérer ma main, s’il vous plaît ? murmure une voix à mon oreille, à la fois calme et légèrement amusée.
J’ouvre brusquement les paupières. Mon regard dévie vers ma main que je pensais sur l’accoudoir. Mes yeux s’écarquillent lorsque je me rends compte que je broie littéralement la main de mon voisin.
— Oh mon Dieu ! dis-je en posant une main sur ma bouche.
Je lâche sa main comme si son toucher me brûle et tente de reprendre contenance.
Il garde ses lunettes et sa casquette vissées sur la tête. Impossible de voir son visage, mais son sourire en coin, lui, est visible.
— Je suis vraiment désolée !
— Si ma main pouvait parler elle aurait du mal à vous pardonner, plaisante-t-il avec un ton léger. Première fois en avion ?
— Pourquoi faut-il que ça soit aussi flagrant ? souffle-je, un peu honteuse. Je pensais agripper l’accoudoir… pas vous.
— Ce n’est rien. Ma sœur m’a planté ses ongles dans la jambe lors de son premier vol.
— Heureusement que je n’ai pas sorti les ongles alors ! Vous seriez descendu sur une civière.
— Je prends le risque, répond-il dans un petit rire.
Je souris. Notre humour commun de cette situation me rassure. Mes tremblements se calment légèrement profitant un peu plus du moment dans le ciel.
Une chaleur inattendue monte à mes joues. Je détourne le regard vers le hublot. L’horizon est d’un bleu limpide et paisible… un contraste cruel avec le tumulte à l’intérieur de moi.
Après cette entrevue, un élément me perturbe.
Sa voix.
Elle me semble familière. Comme un souvenir que je n’arrive pas à retrouver.
— Pourquoi allez-vous à Copenhague ? demandai-je, plus pour chasser mon trouble que par curiosité réelle.
Le silence me fait face. Je me serais douté qu’il n’a aucune envie de faire la discussion avec moi. Ma question était peut-être de trop après ce que je lui ai fait.
— Excusez-moi… ça ne me regarde pas.
— Je rentre chez moi, répond-il simplement.
— Vous connaissez bien la ville alors.
— On peut dire ça…
— J’y vais pour le travail. C’est la première fois que je quitte mon pays, dis-je. Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte tout ça.
Un rire nerveux sort. Je dois embêter cet homme qui veut sans doute être tranquille pendant son voyage. Il se retrouve avec une anxieuse, broyeuse de main. Pourtant, il reprend la parole :
— Peut-être parce que parler à un inconnu à 10 000 mètres d’altitude rend les choses plus simples.
— Ou plus risquées ?
Il sourit à ma réplique. Je détourne à nouveau les yeux, troublée. Son intonation est reconnaissable et pourtant, je suis incapable de dire d’où.
Pourquoi sa voix m’obsède-t-elle ?
— Faites attention de ne pas trop aimer mon pays… vous pourriez ne jamais vouloir repartir, dit-il dans un murmure.
— Je ne prendrais pas ce risque. Ma seule maison est la Suède.
— Je vois.
La fin du trajet se passe plutôt rapidement. Mon corps est détendu. Mon regard n’a pas quitté la petite fenêtre.
Mon voisin et moi ne parlons plus, profitant du calme, mais je sens son regard sur moi de temps à autre. Une sensation me traverse à chaque fois.
Le pilote entreprend la descente. Je m’accroche, cette fois, à l’accoudoir. Une inspiration lente me prend quand le paysage danois se dévoile derrière le hublot.
C’est magnifique.
Si le spectacle est déjà beau d’en haut, j’ai hâte de le découvrir d’un bas.
L’appareil finit par se stopper sur le sol danois. Les passagers applaudissent le commandant de bord. Je détache ma ceinture et suis les voyageurs.
— Bon séjour à Copenhague, me dit mon voisin en souriant. J’espère que notre capital vous plaira.
— Merci et encore désolée pour votre main.
Son sourire n’a pas quitté ses lèvres lorsqu’il quitte notre rangée pour rejoindre la sortie. Je récupère mes affaires et me dirige moi aussi vers la terre ferme.
La lecture des panneaux n’est pas vraiment difficile. Dans l’écrit suédois et danois, on y trouve des similitudes. Je trouve facilement mon chemin jusqu'à la zone de récupération des bagages.
Par chance, je récupère rapidement ma valise, décorée d'une illustration représentant une blonde et une brune en robe de mariée avec l'inscription Rêve en Dentelle sur le bas. Nous en avons chacune une. Nous adorons promouvoir notre boutique et quoi de mieux qu’un bagage pour le faire.
Je me dirige vers la sortie où un homme d'une quarantaine d'années, élégamment vêtu d'un costume trois-pièces, tient une pancarte avec mon nom.
— Madame Nilsson ?
— Exactement.
— Je suis Edgar, l'un des chauffeurs de la famille royale.
— Enchantée.
— Enchantée, me dit-il en prenant ma valise. Son Altesse, la princesse Astrid nous attend, ne perdons pas de temps.
Il m'emmène vers une magnifique Rolls-Royce noire ornée d'un petit drapeau danois avec le symbole royal au centre.
Edgar m'ouvre la porte pour que je monte dans l'habitacle. Les sièges en cuir beige m’accueillent. L’intérieur est aussi beau que l’extérieur. Il referme la porte une fois que j’ai pris place.
Je réajuste ma jupe plissée beige et contemple le paysage de Copenhague lorsque la voiture démarre.
Mes paumes moites tremblent à nouveau. Mes palpitations sont redevenues rapides.
Le palais royal n’est pas un lieu ordinaire. Toute personne, extérieurs à la noblesse, doive ressentir la même oppression. Je n’ai pas ma place parmi eux et pourtant la voiture m’amène tout droit vers ces derniers.
Tant de questions me traversent l'esprit et je sens le malaise m'envahir.
Les coutumes royales, seront-elles faciles à respecter ?
Le Danemark, est-il aussi accueillant que la Suède ?
Le trajet n'a pas duré assez longtemps pour me permettre de me calmer. Absorbé par mes pensées, je n’ai même pas vu la voiture s’arrêter.
Edgar sort de la voiture, la contourne et vient ouvrir la porte.
Il me tend une main que je saisis pour descendre du véhicule et lorsque je pose les pieds sur les graviers, je ne peux m'empêcher d'admirer le palais. Une bâtisse imposante se dresse devant moi, dominée par un large escalier menant à une porte monumentale.
Je me sens minuscule face à cette architecture. Les jardins commencent à changer de couleur pour laisser l’automne prendre place et les statues semblent entretenues au millimètre près.
Je me demande vraiment ce que je fais ici.
— Madame Nilsson, veuillez me suivre s'il vous plaît.
— Appelez-moi Eleonora, monsieur Edgar.
— Je n'ai pas le droit, Madame Nilsson.
— Vous avez ma permission.
Il ne répond pas et me fait signe de le suivre à l’intérieur du palais. Un nouveau monde s’ouvre à moi me laissant une inquiétude sur le cœur.
Je dois être à la hauteur. Je n’ai pas le droit à l’erreur.
Je vais rentrer dans ce palais la tête haute et ne pas perdre d’une seconde mon objectif.
La jeune femme de 26 ans qui se tient devant cette porte n’a plus peur. Elle est forte et prête à affronter le monde de la royauté.
Je suis ici pour la princesse Astrid.
Personne, pas même un prince arrogant, détruira ma confiance.
C’est notre moment. Nous l’avons toujours attendu.
Tout le monde compte sur moi.

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