Chapitre 6 — Face à la royauté
Eleonora
Lorsque je franchis l’entrée, ma vue se pose sur le décor magnifique que m’offre la peinture au plafond. J’en perds presque l’équilibre tant l’ensemble de couleurs est saisissant. Les murs immenses, presque écrasants, mènent vers un escalier en marbre qui semble tout droit sorti d’un film.
Edgar poursuit le chemin et je m’empresse de le rejoindre, encore un peu abasourdie.
En montant, nous empruntons un long couloir avec plusieurs portes décorées avec finesses et des allées de chaque côté. J’ai l’impression de visiter le château d’une princesse Disney.
Au fond, se tenant devant l’entrée d’une nouvelle pièce, je reconnais Monsieur Albert.
Je suis contente de revoir une personne que je connais.
Une connaissance dans ce décor irréel.
Monsieur Albert fait signe à Edgar qu’il prend le relais.
Le chauffeur me salue, me souhaitant un bon séjour.
Lorsque je fais face à monsieur Albert, mes palpitations s’adoucissent.
— Bonjour, Madame Eleonora.
— Bonjour.
— Comment s’est passé votre voyage ?
— Plutôt bien, dis-je en mentant.
Je ne veux pas culpabiliser monsieur Albert. Il acquiesce, se décale de la porte et tend une main vers la poignée. Il est prêt à l’ouvrir, mais je l’arrête un instant en posant ma main tremblante sur la sienne.
— La princesse Astrid vous attend dans le salon.
Je fixe le seuil comme si... l’intérieur allait me dévorer.
Je suis incapable d’avancer. Mes pieds refusent de bouger.
Mon cœur bat fort. Ma respiration s’accélère. Mon corps tremble.
Derrière une caméra, c’est tellement plus simple.
Ici… tout semble trop vrai.
— Monsieur Albert ?
— Oui ?
— Comment dois-je saluer la princesse ?
Il rit doucement.
Ce n’est pas un rire moqueur, juste de la bienveillance.
Pourtant, mes joues s’enflamment de honte.
Et si je faisais un faux pas ?
Et si je disais quelque chose d’inconvenant ?
— Madame Eleonora, cessez de vous poser tant de questions.
— Vous ne m’aidez pas…
— Vous n’avez pas besoin de moi… vous êtes faite pour tout ça.
Il ouvre la porte et d’un geste doux dans mon dos me pousse légèrement à l’intérieur.
J’entre dans un salon sobre mais élégant. Une cheminée se dresse face à moi. Les murs dans des teintes lumineuses contrastent avec la peinture colorée de l’entrée. La pièce est immense mais chaleureuse. Deux grands canapés beiges et gris se font face parfaitement accordée à l’ambiance.
Je découvre l’aménagement, complètement absorbée, quand une silhouette blonde se précipite vers moi. Je n’ai pas le temps de réagir : deux bras s’enroulent autour de mon cou.
— Eleonora ! Je suis tellement heureuse de vous rencontrer !
Mes mains restent figées contre mon corps, m’empêchant de la repousser pour respirer. La princesse a une sacrée force.
— Princesse… vous m'étouffer…
— Oh pardon ! dit-elle en se détachant. Vous ne pouvez pas imaginer comme j’ai attendu ce moment.
— J’avais hâte de vous rencontrer également.
Nous nous asseyons sur un canapé chacun. Une jeune fille arrive discrètement avec deux tasses de thé et des biscuits. La princesse Astrid la remercie avant qu’elle ne s’éclipse de la pièce.
Elle rayonne. Son Altesse n’a rien à voir avec celle que j’avais imaginée.
— Faisons les présentations… commence-t-elle fièrement, un sourire aux lèvres. Je suis Astrid Sofia Lenora Liva Madsen. Princesse du Danemark et future Duchesse d’Esbjerg.
— Autant de beaux noms pour une belle princesse… avoue-je avec douceur.
— Parlez-moi de vous, Eleonora.
— Moi ? Eh bien… dis-je avant de continuer sur la même forme que sa présentation. Eleonora Nilsson. Organisatrice de mariage suédoise qui n’avait jamais quitté son pays avant aujourd’hui.
Son sourire diffuse une douceur autour de mon âme.
— Ça ne fait pas autant rêver que votre présentation, finalement.
Mon rire franchit mes lèvres suivies de la princesse.
Astrid est vraiment belle, je l’ai déjà constaté en appel, mais sa beauté est presque irréelle.
Ses cheveux blonds, semblables au mien, sont attachés dans un chignon bas. Ses yeux bleus reflètent la couleur de l’océan. Son tailleur bleu pastel contraste avec sa peau pâle.
Nous continuons pendant une heure à discuter de son futur mariage, de sa rencontre avec le Duc et de sa famille.
Astrid est deuxième sur la ligné pour héritier du trône.
— J’organise une petite réception ce soir pour vous accueillir, mes parents ont hâte de vous rencontrer.
— Je vous remercie, Votre Altesse.
Je quitte Astrid pour retrouver monsieur Albert. Il me propose de me conduire dans ma chambre. J’accepte volontiers. Une petite pause ne fera de mal à personne.
Lorsque je rentre dans la chambre qu’on m’a attribuée pour ses deux semaines, je reste figée sur place.
Un grand lit baldaquin trône au fond de la chambre digne d’un décor de cinéma. Une salle de bain attenante et spacieuse m’est dédiée. Les tons doux me rappellent le salon dans lequel j’étais quelques minutes plus tôt.
Comment vais-je dormir dans un tel décor ?
Je défais ma valise avec un mélange d’excitation et de panique.
Je choisis ma tenue pour ce soir : une longue robe noire et blanche, mes escarpins slingback J'Adior. Un cadeau personnel pour mes 25 ans.
Je finis par me détendre, avant le grand saut, dans un bain chaud bien mérité.
~
Je suis apprêté pour rejoindre la réception. Monsieur Albert m’a indiqué qu’il passerait me chercher afin de m’y conduire. Le bain que j’ai pris plutôt a réussi à détendre mes muscles et à soulager mes crampes.
Je me regarde une dernière fois dans le miroir de ma chambre, admirant ma tenue. La soirée va bien se passer… il n’y aucune raison que ça n’aille pas.
Même si un prince grincheux se trouve parmi les murs.
Je souffle un bon coup quand trois coups secs résonnent à la porte. Je me dirige vers celle-ci. Monsieur Albert se tient derrière la porte.
— Madame Eleonora, vous êtes ravissante.
— Merci Monsieur Albert.
— Allons rejoindre la famille royale, dit-il.
— Avec plaisir.
Je m'accroche à son bras et nous nous dirigeons vers le salon, le même où j’ai rencontré son Altesse. Les vidéos de révérence regardées dix minutes plutôt non pas servies à grand-chose.
Plus j’avance, moins je m’en souviens.
Monsieur Albert finit par nous arrêter devant la porte et me fait signe de rentrer dans la salle. Il ouvre le passage et tous les regards se dirigent vers ma personne.
Je suis complètement pétrifiée sur place.
Mes pieds n’avancent plus. Ma poitrine cogne fort, loupant un battement.
Je ne pensais pas que 6 paires d'yeux royaux me renverraient des années en arrière.
— Eleonora ! dit la princesse, un sourire heureux sur le visage. Cette robe est magnifique. Laissez-moi vous présenter.
J’attrape la main qu'elle me tend et la suis vers les personnes qu’elle rejoint.
— Père. Mère, commence-t-elle en effectuant une légère révérence face à ses parents. Je suis ravie de vous présenter la personne qui organise mon mariage.
Elle se retourne vers moi et me permet d’avancer jusqu’à sa hauteur. J’effectue moi aussi une révérence lorsqu’elle reprend la parole.
— Eleonora Nilsson.
— Je suis très heureuse de vous rencontrer, Vos Majestés.
— Bienvenue au Danemark madame Nilsson, me dit le roi d’un ton distant.
— Nous sommes ravis de vous compter parmi nous, Eleonora.
La princesse porte le blond et son teint pâle du roi mais elle a le caractère doux et chaleureux de la reine. Leurs yeux bleus, d’une profondeur océanique, me fascinent.
Il s’en dégage une dignité rare.
Je ne sais rien d’eux. Je n’ai pas fait de recherche, pas demandé d'informations sur eux à Blenda et pourtant en un regard, je peux voir l'amour que se portent le roi et la reine du Danemark.
La petite Eleonora aurait aimé connaître ses parents avec autant d'amour l'un pour l'autre.
Mais l’adulte les préfère séparer.
Nous continuons notre chemin pour rencontrer un homme. Grand, charismatique et aux prunelles bienveillantes. Ses cheveux noirs et ses yeux marron contrastent avec les caractéristiques de la princesse.
— Voici le Duc d'Esbjerg ainsi que mon futur mari, Carl.
— Je suis honorée de faire enfin votre connaissance, Votre Grâce. La princesse m’a beaucoup parlé de vous.
— L’honneur est partagé, Madame Nilsson. Astrid ne tarit pas d’éloges à votre sujet, et je comprends mieux pourquoi à présent.
— Vous êtes trop aimable. La perspective de contribuer à votre union est pour moi un immense privilège.
— C’est moi qui dois vous remercier. Si ma demande a été un geste d’amour, tout ce qui l’entoure désormais porte l’empreinte de votre talent.
Mais notre conversation se stoppe lorsque notre attention se porte sur la voix d'un homme. Les discussions s'interrompent, focaliser sur le ton rauque qui a fait son entrée.
— Je pensais que cet accueil m'était réservé…
Ce timbre...
Il me coupe le souffle. Je le reconnais.
Non… ce n’est pas possible.
L’homme à qui j’ai broyé la main dans l’avion… ne peut pas être ici.
Que fait-il ici ?
Ce doit être un rêve. Je vais me réveiller et rien de tout ça ne sera réel.
Mais lorsque la princesse lâche ma main pour courir vers lui, je sens mon corps se tendre.
Je ne me retourne pas ; fixant mon regard sur le feu de la cheminée.
— Mon frère, tu es enfin de retour ! s’exclame-t-elle, plein d’enthousiasme. Nous ne t’attendons pas avant la semaine prochaine !
Son frère ?
Il ne peut pas être son frère.
Pas lui. Pas ici. Pas le prince. C’est impossible.
J’ai broyé la main du prince ?
Comment ai-je pu louper ce détail ? J’aurais dû faire le lien entre l’homme de l’appel vidéo et mon voisin d’avion.
Le trouble que m’inspire sa voix, n’est pas anodin.
— Être loin de toi devenait bien trop compliqué, petite sœur.
— Tu es un piètre menteur, Nicolaï.
Je me décide enfin à me retourner.
Le prince du Danemark.
Ses cheveux bruns sont courts, ses yeux bleu-gris me transpercent.
Mon cœur s’emballe. Il est magnifique, il faut l’admettre.
Mais la dernière fois qu’on s’est parlé, son attitude était loin d’être princière.
La beauté ne fait pas la personne… malheureusement.
— Nicolaï, tu arrives pile à temps pour rencontrer ma wedding planner.
— Tu connais mon avis à propos de cette…
Il s’arrête net.
Son regard croise le mien.
Son bleu transperce mon vert.
Le monde se fige ; nous fixant tous les deux dans une réalité inconnue.
Il me fixe comme si un fantôme venait d’apparaître.
— Vous ! dit-il, sans détourner le regard.
— Nicolaï ? demande Astrid, inquiète. Que se passe-t-il ?
— Votre travail… Je savais que votre visage m’était familier… Je comprends mieux…
Non… Non… Non…
C’est véritablement lui.
Le frère de ma cliente. Le futur roi !
Je sens mes joues se chauffer de honte.
Chaque battement résonne dans ma tête. Mes paumes humides tremblent à nouveau.
— Votre Altesse… commence-je sans réellement savoir quoi dire. Je ne savais pas…
— Auriez-vous l’obligeance de m’éclairer ? me coupe Astrid, perdue.
Sa tête tourne de droite à gauche, jonglant entre son frère et moi. La princesse sert ses deux mains entre elles attendant une réponse de notre part. Je romps notre échange visuel.
— Je n’avais jamais pris l’avion auparavant et il se trouve que mon voisin… à qui j’ai broyé la main par peur… c’est votre frère, dis-je, mortifiée.
— Un vol public ? demande alors le roi en direction du prince. Tu es prince, Nicolaï. Pas un homme du peuple à la recherche d’anonymat.
— Une surprise ne peut pas en être une si vous savez que j’utilise le jet… répond-t-il.
— Toute cette histoire est pour le moins… originale, conclut Astrid avec un regard appuyé. J’espère qu'il n'y a aucune animosité entre vous deux.
— Nous verrons cela quand les idées de notre Suédoise seront dévoilées…
Il recommence…
Ce ton. Ce doute.
Il ne croit toujours pas en moi.
Le Prince Nicolaï a des convictions bien arrêtées et je sens déjà qu’aucune de mes propositions ne trouvera grâce à ses yeux.
Ces deux semaines s’annoncent… longues.
Mais ma présence ici n’est pas pour plaire au prince.
Mon travail et ma persévérance m’ont amené ici et personne, pas même un futur roi, ne m’empêchera de faire de ce mariage un conte de fées.
Qu’il soit prince, soit. Mais je suis Eleonora Nilsson. Et je refuse de baisser la tête.
Ni à Stockholm, ni à Copenhague. Et je ne me laisserai pas faire.

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