Chapitre 17

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Eleonora

Dans quelques jours nous serons en décembre. Avec Anna, nous prendrons le dernier avion jusqu’au Danemark pour le mariage de la princesse Astrid.

Nous avons hâte d’y être.

Un mois s’est écoulé depuis le bal. Un mois que je n’ai pas eu le courage de répondre à son message.

J’en suis incapable. Je ne sais pas ce que je veux. Mes pensées sont confuses, s’entrechoquent et se contredisent. Mes convictions vacillent depuis cette soirée.

La valise ouverte sur le lit m’observe, silencieuse, comme si elle attendait que je décide si je suis une femme libre ou une lâche en fuite.

Mes yeux glissèrent une nouvelle fois vers ma table de nuit qui abrite les peurs et désirs que je n’arrive guère à faire taire dans ma tête.

Il y a deux semaines, alors que j’étais à la boutique avec une cliente, un postier m’a remis une lettre.

Je ne l’ai pas ouverte de suite. Elle m’a attendu toute la journée sur mon bureau, dans l’espoir d’être lue.

Lorsque j’ai reconnu le sceau de la famille royale du Danemark, la peur m’a saisie. Une multitude de questions inimaginables m’a frappée comme une gifle.

Puis j’ai compris en lisant les premières lignes.

Prince Nicolaï.

Il n’y a qu’un prince pour écrire encore des lettres.

Mes mains tremblaient, ma respiration se brisait, et mon cœur battait beaucoup trop vite. Et puis ses mots m’ont bouleversée.

Il parlait d’amour, d’avenir, comme si tout cela était possible. Comme si nous étions des gens ordinaires.

Mais comment y croire ? Autour de moi, l’amour n’a toujours mené qu’à des divorces, à des ruptures, à des désillusions.

Moi-même, je n’ai cédé qu’une fois, une seule, et on m’a arraché le cœur de force.

Mais lui.

Lui, il voit en moi des choses que je ne vois même pas.

Il ne faut pas se leurrer : nous n’aurons jamais notre chance même si je laisse ma carapace se briser. Nous ne sommes pas compatibles, rien qu’avec notre statut social différent. Sans oublier qu’il promis à une autre femme.

J’ai été touchée par son message mais je ne suis pas dupe : ça ne mènera à rien et je ne sais pas si je suis prête à me laisser aller.

Il reste un prince même si cette lettre était absolument magnifique.

— Eleonora !

Mes pensées se brisent laissant place à la voix de mon amie.

Anna et moi avons beaucoup parlé depuis l’annonce de sa grossesse. Nous avons réalisé sa première échographie et c’était un moment incroyable.

Elle a aucune nouvelle de Hendrik, il n'a pas daigné répondre à son message où elle lui annonçait qu’elle gardait l’enfant. Je comprends que ça fasse peur et qu’on ne soit pas prêt … mais ne pas accepter les conséquences de ses actes, ça, je ne l’accepte pas.

Anna est forte et je sais qu’elle grandira encore plus forte face à cette histoire.

— Tu peux me dire pourquoi ta valise est toujours aussi vide qu’il y a une heure ?

Je regarde à nouveau ma valise et ma seule réaction est de rire. Un rire nerveux, un peu cassé, qui ne trompe personne.

— J’attends que mes vêtements se rangent tout seuls, plaisanté-je en haussant les épaules.

Anna roule des yeux mais son sourire trahit son envie de rire. Elle prend un pull posé sur le lit, le pli et le range dans mon bagage.

— Un de moins, plus qu’à continuer maintenant !

Je la regarde, amusée, mais au fond de moi une boule serre encore ma poitrine. Anna me connaît, elle perçoit mon trouble.

— Qu’est-ce qui te tracasse au point de ne pas préparer tes affaires, Eleonora ? Demande-t-elle en s'asseyant sur mon lit. C’est lui, n’est ce pas ?

Mon rire et mon sourire sont déjà lointains. Le silence retombe, je pousse ma valise et me fait une place sur mon lit.

— Nous ne nous sommes pas revus depuis le bal et je n’ai pas répondu à ses messages … ni à celui-ci.

Je tends la main vers le tiroir et en sort la lettre. Anna ne savait pas. Je l’avais caché, espérant oublier son existence, mais j’ai bien compris que c’était impossible.

Je me redresse, range quelques vêtements de plus dans ma valise et laisse Anna parcourir en silence les mots du prince. Je ne suis pas aussi douée qu’elle pour lire sur les silences des autres mais un petit sourire se dessine sur le bord de ses lèvres trahit ses pensées.

Moi, j’ai déjà suffisamment de mal à comprendre les miennes.

Anna repose la lettre sur ses genoux, ses doigts effleurant encore le sceau brisé. Elle garde le silence un instant, le temps que ses pensées s’ordonnent.

— Tu sais que… ce n’est pas une lettre comme les autres, souffle-t-elle enfin. On ne reçoit pas tous les jours une déclaration pareille, encore moins venant d’un prince.

Son sourire se fait tendre, mais ses yeux brillent d’un éclat plus sérieux.

— Eleonora, il est clair, de part cette lettre, qu’il tient à toi. On écrit pas ça juste pour passer le temps.

Je détourne le regard, mal à l’aise.

— Et tu crois que ça change quelque chose ? murmuré-je. Il reste un prince. Il est promis à une autre. Et moi… et bien je ne suis personne.

Ma meilleure amie se rapproche, attrape l’une de mes mains et la serre doucement.

— Tu n’es pas “personne”, je t'interdis de dire ça. Tu es Eleonora. Et si lui, au milieu de son monde verrouillé, choisit de t’écrire une lettre… alors peut-être que tu comptes plus que tu ne le crois.

Elle se tait, me laisse digérer ses mots, puis ajoute avec une petite grimace :

— Mais bon… ça ne t’évitera pas de finir ta valise.

Nous rigolons ensemble dans une ambiance plus détendue.Je range quelques affaires de plus dans ma valise, aidée par Anna qui rit en pliant mes chemises de travers. Ses gestes maladroits me font sourire malgré moi.

~

Nous avons fini ma valise depuis une petite heure. Anna m’a bien aidée et m’a permise de penser à autre chose. Pourtant, la boule au creux de ma poitrine n’avait pas disparu.

Je tourne en rond dans ma chambre, incapable de trouver le silence à l’intérieur de ma tête.

— Bon, ça suffit, déclare Anna en croisant les bras sur le pas de ma porte. Si tu continues à faire les cent pas comme ça, tu vas user le parquet.

Je relève les yeux vers elle, un peu surprise.

— Et je fais quoi, alors ?

— Tu t’habilles. On sort !

— Sortir ? répété-je, sceptique.

— Oui. Avant que tu deviennes complètements folle avec tes pensées. Un resto, un dessert, un chocolat chaud… tu choisis.

Je ne peux m’empêcher de rire. Anna a toujours ce don : transformer mes angoisses en une simple évidence. Et, même enceinte jusqu’aux yeux, elle trouverait la force de me tirer dehors.

— Ok, pour un resto.

— C’est parti ! crie-t-elle en courant vers sa chambre.

On est dans un petit restaurant en bas de notre rue, qui fait coin. Nous avons l’habitude de venir ici. Le chef cuisto est un ami d’enfance de mon père.

Nous avons pu avoir notre table habituelle dans un petit coin au fond de la salle à côté de la fenêtre.

— Si tu continues à regarder la carte comme ça, tu vas finir par me faire peur, se moqua Anna en reposant la sienne.

Je souris, le nez encore rougi par le froid de novembre.

— J’hésite… j’ai pas très faim.

— Parfait, ça veut dire que tu partageras avec moi, lança-t-elle avec un clin d’œil. Je mange pour deux, je te rappelle.

Je roule des yeux, amusée.

— C’est ton excuse pour piquer dans mon assiette, avoue.

— Exactement. Et je ne culpabilise même pas.

Son éclat de rire emplit la petite salle, chaleureuse, sincère. Pendant un instant, j’oubliai mes doutes, la lettre, tout.

Quand nos plats furent servis, Anna reposa sa fourchette un instant et leva les yeux vers moi. Son sourire se fit plus doux.

— Tu sais, Eleonora… je fais la maligne, mais j’ai peur aussi.

Je fronce légèrement les sourcils.

— Peur ?

— Oui. De ce bébé. De ce que ça veut dire, de ce que je suis censée être pour lui. Je ne sais même pas si je suis assez forte pour ça.

Je la regardai, surprise par sa franchise. Anna parlait rarement de ses angoisses.

— Anna… tu es déjà forte, murmurai-je. Plus que tu ne crois.

— Peut-être, répondit-elle en haussant les épaules. Mais je me dis que… si je peux affronter ça, toi aussi tu peux affronter tes histoires de cœur.

Ses yeux brillèrent d’un mélange de peur et de défi. Puis elle reprit une bouchée comme si de rien n’était.

Je restai silencieuse un moment, troublée. Et pourtant, pour la première fois depuis longtemps, je me sens un peu plus légère.

— Merci, dis-je simplement en prenant ma dernière bouchée.

— Merci à toi, Eleonora. Tu es là, à mes côtés, jour et nuit, à écouter mes états d'âmes, mes sautes d’humeur du à ce petit être à l’intérieur et surtout tu es à mes côtés pour l’accueillir. Je te connais et je voudrais que tu comprennes que tu as aussi le droit au bonheur et qu’une rupture ou un divorce ne fait pas de toi quelqu’un indigne de l’amour.

Une larme solitaire roule le long de ma joue. J’attrape l’une des mains de Anna et la serre.

Sans elle, je ne sais vraiment pas ce que je serais devenu.

Elle mérite le bonheur.

Après un dessert et une bonne tasse de chocolat chaud, nous sortons du restaurant les joues encore rougies par les éclats de rire. Le froid mordant de la nuit nous saisit aussitôt, et Anna se blottit dans son manteau trop léger.

— Tu vois ? souffla-t-elle en glissant son bras sous le mien. Rien de tel qu’un bon repas pour te remettre les idées en place.

— Tu crois que ça suffit pour calmer un cœur en vrac

— Non. Mais ça aide à patienter.

Nous éclatons de rire ensemble, et ce son me fait un bien fou.

Le chemin du retour se fit dans un silence plus doux.

À l’appartement, Anna part directement se réfugier sous une couverture, prétextant une fatigue soudaine. Je la laisse, souriant devant son côté théâtral, puis gagne ma chambre.

La valise m'attend, bien rangée au pied du lit. Sur la table de nuit, la lettre. Toujours elle.

Je reste un long moment à la contempler, comme si elle avait le pouvoir de décider de mon avenir à ma place. Puis, sans réfléchir davantage, je la prend et la glisse dans ma valise, entre deux couches de vêtements.

Je ne sais pas encore ce que je veux, mais je sais que je ne veux pas la laisser derrière moi.

Je souffle la bougie et m’allonge, le cœur battant, incapable de savoir si je viens de commettre une erreur… ou d’accepter enfin le début d’une histoire.

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