Chapitre 26

8 minutes de lecture

Eleonora

Le retour en Suède n’est pas de tout repos.

Stockholm m’a manqué, je suis contente d’être de retour même si mon cœur pleure mon amour.

Avec Anna, nous avons décidé de fermer la boutique pour une semaine. Nous avions besoin de décompresser un peu.

Nous croulons sous une tonne de mails. Des centaines de demandes de réservation pour les prochaines saisons ainsi qu’un nombre inimaginable de félicitations de la part de nos collaborateurs et anciens clients. Certaines entreprises internationales proposent de nous sponsoriser et des médias scandinaves nous proposent des interviews.

Le mariage a été un tremplin pour notre entreprise.

Je savais qu’il y aurait un avant et un après avec cette opportunité.

Mais là… Ça dépasse mes espérances.

J’essaye de me réjouir de ce bonheur, nous avons toujours voulu être propulsés vers l’international. Malheureusement, une partie de moi n’y arrive pas. Je voudrais remonter le temps pour ne jamais quitter le lit qu’il occupait.

Son odeur occupe mes draps, j’ai volontairement mis sa chemise à l’intérieur me rappelant à chaque instant qu’il n’est pas qu’un simple rêve.

Il était réel.

Nous étions réels.

Anna à mes côtés se réjouit de notre popularité.

— Nora, tu te rends compte de ce que tout cela signifie pour nous !

Elle ne m’avait jamais appelée comme ça…

C’est comme si elle cherchait un moyen d’attendrir mon petit cœur brisé.

— Nora ?

— Je me disais qu’Eleonora serait trop long pour le bébé alors pourquoi pas Nora ? m’indique-t-elle en souriant. Tata Nora… ça sonne bien, non ?

Je souris malgré moi. Mon coeur se serre, mais pour une fois, ce n’est pas de la douleur.

— J’aime beaucoup, dis-je la voix tremblante.

Elle a toujours su me faire sourire lorsque je n’ai qu’une envie c’est de passer ma journée au fond du lit. Anna est une douceur pour le cœur.

— Tu devrais venir voir ça, me dit-elle les yeux fixés sur l’écran.

Je me lève de mon tabouret, laissant mon ordinateur sur la page de nos réseaux. J’avance sans conviction : il doit s’agir d’une broutille… un petit rigolo a dû s'amuser à nous envoyer un mail comique.

J’en lis les quelques lignes. Mon souffle se coupe. Mon cœur rate un battement. Les mots me manquent.

Le programme d’information Rapport de la chaîne publique SVT1 veut faire un reportage sur notre entreprise avec en prime un passage sur le plateau pour raconter notre expérience au Danemark.

Je relis au moins cinq fois le mail pour être certaine de ne pas avoir mal compris les mots écrits.

— Je réponds ? demande Anna, hésitante.

— C’est fou… dis-je en retournant à ma place. Bien sûr qu’on va répondre.

Mince alors, c’est incroyable ce qui se passe. Nous allons passer à la télévision. Pas sur n’importe quelle chaîne en plus : SVT1, la plus regardée de Suède.

Mes mains tremblent d’excitation. J’entends chaque battement frénétique de mon cœur résonner dans tout mon corps.

Ce retour n’est finalement pas le pire.

Même s’il reste douloureux.

Sur mon ordinateur, je trie les photos du mariage que la photographe nous a envoyées. Je cherche les meilleures afin de les poster sur nos réseaux sociaux ainsi que sur notre blog.

Un cliché d’Anna, Astrid et moi me fait face.

Nous sommes dans la chambre de la princesse, toutes vêtues de notre tenue de fête. Astrid rayonne de bonheur en se découvrant dans le miroir. C'était un moment exceptionnel. Voir ses yeux s'embuer en découvrant la robe conçue par Anna. J’en ai encore les frissons.

Je poursuis ma recherche mais mon geste se fige sur une photo.

Le prince… et moi.

Notre danse…

On est à la fois doux et tourmentés.

Il a gardé la tête haute, assumant son choix, tout le long de cette valse.

Moi, je ne voulais que fuir.

J’ai senti les regards brûler ma peau. J’ai entendu les murmures des invités comme un écho assourdissant.

Je n’étais pas digne de danser avec le prince.

Je ferme les yeux un court instant, respirant l’air chaud de notre salon.

— Eleonora… tout va bien ? demande Anna, l’air inquiet.

Je croise son regard. Les mots refusent de franchir mes lèvres. Je tourne simplement l’écran lui montrant l’image de mes tourments.

— Je vois… dit-elle, en se rapprochant de moi. Tu veux en parler ?

Ses bras s’enroulent autour de mon buste, gardant mon dos contre son ventre et posant sa tête sur mon épaule. Je remonte ma main sur la sienne, cherchant son réconfort.

— C’est compliqué… murmure-je, la voix brisée.

— Personne n’a jamais dit que l’amour était simple, dit-elle d’un léger souffle rieur.

— Je pense qu’il est l’heure de faire une soirée chocolat blabla… comme au bon vieux temps.

Anna saute sur place, se dirigeant vers la cuisine pour préparer nos chocolats chauds.

Je souris malgré moi. Petite, chaque fois que la vie nous semblait trop compliquée, nous inventions une soirée “chocolat blabla” : une tasse chaude dans les mains, des confessions et une oreille attentive pour nous écouter. C’était notre refuge.

Puis nous avons grandi, les mots se font plus rares mais les chocolats restent.

L’excitation de ma meilleure amie me réchauffe le cœur.

Je ferme mon ordinateur, le laissant dans un coin pour ce soir. Je déplie le canapé pour en faire un lit et remets du bois dans la cheminée.

L’odeur du cacao adoucit la pièce, mêlée au crépitement du feu.

Anna arrive quelques secondes plus tard avec deux tasses fumantes dans les mains, le visage illuminé par un sourire tendre.

Il est temps qu’elle connaisse cette histoire, celle que je rêve encore la nuit lorsque mon cœur crie son nom.

Anna n’est pas seulement ma meilleure amie : elle est mon ancre, ma bouée de sauvetage. Sans elle, je me serais déjà noyée.

Ce soir, je veux croire qu’elle saura apaiser une partie de moi, comme je le fais avec elle et ce petit bout qu’elle attend.

~

Nous passons dans une dizaine de minutes sur la première chaîne nationale.

Lorsqu'Anna a répondu à leur mail, la production de l'émission nous a appelées le lendemain pour convenir d'un rendez-vous.

Ils sont venus quelques jours après l’entretien pour filmer notre vie professionnelle et personnelle.

Je n’ai pas été à l’aise au début et puis au fur et à mesure, parler de mon métier était devenu facile.

Notre reportage est diffusé aujourd’hui sur la chaîne. Juste après, nous serons en direct pour débriefer de notre aventure au Danemark.

— Eleonora. Anna. C’est à vous dans dix secondes.

Le décompte est lancé.

10…9…8…7…6…5…4…3…2…1.

Le rideau s’écarte. Nous avançons sur le plateau. Les projecteurs tournent dans notre direction.

— Je suis ravie de vous avoir parmi nous, dit Saga, la présentatrice vedette du journal télévisé.

— Merci de nous accueillir, c’est un plaisir d’être sur ce plateau, continue-je, un sourire franc aux lèvres.

— Cher téléspectateur, laissez-moi vous présenter : Eleonora Nilsson et Anna Lindberg, les fondatrices de Rêve en Dentelle, annonce Saga face caméra. Dites-moi, comment avez-vous été contactées par la famille royale du Danemark ?

— La princesse a simplement demandé nos services. Elle nous suivait depuis quelque temps sur nos réseaux sociaux.

Les questions fusent, nos réponses sont plutôt simples et nous adorons ce moment l’une comme l’autre.

Des photos défilent en même temps que notre discussion, montrant des clichés du mariage royal.

Le prince apparaît sur l’écran face à moi. Mon cœur bat plus fort, ma respiration se coupe une fraction de seconde.

Mon regard s’attendrit face à cette photo. Il est tellement beau.

Je n’ai aucune nouvelle de lui. Je n’ose pas envoyer de message pour savoir comment il va… je n’en ai pas la force.

Mon cœur saigne toujours de son absence.

— Eleonora, nous savons que vous avez dû faire équipe avec le prince Nicolaï. Est-ce la même personne que les journaux le décrivent ?

La main d’Anna agrippe la mienne. Son réconfort me fait du bien. Elle apaise le tumulte de mon esprit à l’évocation de l’homme que j’aime.

— Il est…, ma voix tremble. Le prince est une personne touchante qui protège les siens. Il a eu du mal à accepter mon engagement dans ce mariage mais pour sa sœur, il a fini par céder. C’est un prince engagé dans le bonheur de son peuple et… je suis certaine qu’il sera un roi exceptionnel.

Mon cœur saigne à chaque mot prononcé. Je voudrais crier haut et fort que je veux qu’il soit mon roi. Je voudrais avouer mes sentiments au monde entier mais c’est impossible. Je dois me contenter de louer ses mérites.

Une infime partie de moi espère qu’il ne m’a pas oublié.

— Vous avez été souvent vus ensemble en dehors du château. Il ne s’est rien passé entre vous deux ?

Ma respiration se coupe une nouvelle fois. Le regard d’Anna se crispe indiquant son trouble. Le bruit du plateau se fait soudain trop calme.

Pourquoi pose-t-elle cette question ? Que suis-je censée répondre quand nos nuits ensemble me remontent en mémoire ?

— Le prince et moi avons entretenu des relations professionnelles, dis-je en marquant une pause. Maintenant… si nos relations avaient été différentes, cela n’aurait regardé que lui et moi. Mais ce n’est pas le cas.

Le silence semble durer une éternité. Mon cœur, lui, ne sait plus comment battre en rythme.

La présentatrice continue son émission en s’intéressant à la conception de la robe de mariée. Anna explique chaque détail qui a marqué la fabrication : chaque couches de tulles, chaque perles, rien n’est laissé de côté.

— Pour terminer, qu’est ce que vous envisagez pour la suite ? demande Saga.

— Nous allons continuer notre projet avec des mariages prévus jusqu’en 2028, annonce Anna, la joie sur son visage.

— Rêve en Dentelle n’est que le début de notre aventure, on espère que notre clientèle et nos abonnés seront toujours là pour la suite.

— J'espère pour vous Mesdames. Merci d’être venue parler de votre expérience au Danemark, nous avons été ravis de vous accueillir.

Elle marque une pause, détourne son regard vers une caméra et clôture l’émission.

— Merci d’avoir regardé Rapport. Nous espérons que cette entrevue vous a plu et on se donne rendez-vous demain pour un nouveau programme. Bonne soirée à tous.

Le clap retentit signalant la coupure des caméras. La main d’Anna toujours dans la mienne, nous entraîne vers la productrice.

Nous la remercions pour l’invitation. Il est temps pour nous de quitter cet endroit.

Le froid de l’hiver est le bienvenu sur mon visage. Il contraste avec la brûlure sur mon cœur. Je garde la tête haute malgré la chute brutale que je ressens.

Tout mon être hurle son nom, comme un appel de secours mais je sais qu’il n’y aura pas de réponse.

Il doit sans doute être en train de préparer son propre mariage avec la Duchesse Kristen.

Nous avançons dans un silence lourd vers le centre de la ville. Anna ne refuse pas ma balade. Elle sait que j’en ai besoin.

— Astrid nous a envoyé un message pour nous dire qu’elle avait regardé notre interview, dit-elle pour briser le silence. Elle a adoré et nous a trouvé magnifique.

J’acquiesse mais ma gorge se serre, incapable de sortir le moindre mot.

Ça me touche qu’Astrid ait pris le temps de regarder notre passage à la télé. Notre chaîne ne passe pas à Amsterdam mais la connaissant, elle a réussi à se munir d’un accès privé.

Aussitôt, une pensée me traverse : est ce qu’il a regardé lui aussi ?

A-t-il vu mon malaise face à la question de Saga ?

Je voudrais qu’il soit là, qu’il me dise que je suis forte et que je vais réussir à tout affronter. Mais 520 km nous séparent… et avec un interdit infini entre nous.

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