Chapitre 27
Nicolaï
Décembre est passé rapidement.
Ma sœur s’est mariée il y a deux semaines déjà et profite de son voyage de noce en Grèce avec Carl.
Ils parcourent les quatre coins d’Athènes, d’où ma sœur nous envoie des tonnes de clichés.
De mon côté, je longe les murs du palais sans plaisir.
Eleonora est partie, me laissant dans ce lit avec un simple mot. Je l’ai détesté d’être partie m'abandonnant avec un pauvre bout de papier mais… que pouvait-elle faire ?
Eleonora est congédiée à aimer en secret… autant que je le suis.
J’ai vu son interview. Elle était incroyable dans son ensemble beige. Ma princesse n'avait pourtant pas l’air à l’aise, surtout lorsque cette présentatrice lui a posé une question indiscrète.
Je voulais lui envoyer un message ou l’appeler mais je n’en ai pas la force. Je préfère qu’elle me déteste de ne pas prendre de nouvelles qu’elle espère mon retour. Mon père a été clair avec moi : elle ou le royaume.
Je ne peux pas renoncer à la couronne, trop de personnes comptent sur moi et ma sœur n’a pas eu toutes les formations pour ce rôle.
Je savais que je ne pourrais pas la faire mienne… je déteste ça. Mais j’éprouve encore plus de rancœur pour mon père de ne pas écouter ce que je veux.
Nos discussions sont très formelles depuis notre dispute. Il me parle seulement pour l’aspect diplomatique, militaire et économique. Je ne lui adresse la parole que lorsqu’il y a raison de le faire.
Ma mère, elle, se bat pour nous rapprocher. Elle s’efforce à chercher le calme dans notre tempête.
J’aime ma mère mais les paroles de mon père ont été trop importantes pour être oubliées.
Je revois encore cette scène, gravée dans ma mémoire.
— Père, vous ne comprenez pas… je ne veux pas de Kristen comme femme.
— Tu n’as pas le choix, Nicolaï ! C’est ton devoir pas un simple caprice comme cette suédoise.
— Ce n’est pas un caprice…
Mon père souffle. Son regard se fait plus noir. Je sais qu’il n’a jamais été d’accord sur ce sujet mais je pensais que si j’aimais une femme, il finirait par accepter.
— Je refuse que cette inconnue, bien qu’elle ait réalisé le mariage de ta sœur, entre dans notre famille. Elle n’est rien et ne sera jamais rien. Il est hors de question que tu épouses une moins que rien.
Je recule d’un pas, surpris par les mots tranchants sortis de la bouche de mon père. Il n’a jamais dit ce genre de mot pour quiconque. Il est méfiant, strict et respectueux de nos lois mais jamais il n'a été méchant.
C’est un autre homme qui se tient face à moi. Un homme que je ne reconnais plus. Un homme qui n’est pas le père qui m’a élevé.
— Tu vas devoir faire un choix : soit cet amour qui n’a pas de valeur soit la couronne de notre royaume.
Je ferme les yeux, respirant le peu d’air de la pièce. Je suis sous le choc. Il sait très bien que son ultimatum n’en est pas un. Je choisirais toujours mon pays.
— Sachez une chose père, vous avez peut-être gagné ce soir, dis-je en m’approchant de lui et posant un doigt sur son torse. Mais jamais je ne vous pardonnerais d’avoir parlé d’elle comme ça. Vous avez sali une partie de la femme que j’aime sans avoir pris le temps d’écouter pourquoi je l’aimais elle et pas Kristen.
Je me retourne afin de quitter cette pièce et ce château par la même occasion. Mais avant de franchir la porte, je m'arrête une dernière fois.
— Si je ne peux pas avoir Eleonora, alors je n'épouserai personne d’autre.
Je rouvre les yeux. Ce souvenir me ronge. Je voudrais l’oublier mais comment pourrais-je lorsque mon cœur hurle son prénom.
J’ai refusé plus de dix rendez-vous avec Kristen, que mon père a organisé.
Mais aujourd’hui, j’ai accepté car je me dois d’être sincère avec elle. Je n'épouserai personne et je ne peux la laisser continuer à espérer quelque chose avec moi.
Elle m’attend, assise sur une chaise, une jambe soigneusement placée sur l’autre. Son ensemble tailleur rose clair est parfaitement repassé. Elle respire l’élégance et la grâce.
— Kristen ! dis-je en m’approchant pour déposer un baiser conventionnel sur sa main. Veuillez m’excuser pour l’attente.
— Ce n’est rien prince Nicolaï, je suis contente de vous revoir, réplique-t-elle en battant des cils.
Je lui indique de savoir sur le fauteuil en face de mon bureau. Je ne sais pas vraiment comment lui annoncer qu’il faut qu’elle m’oublie. Que je ne suis pas l’homme qu’elle épousera, celui qu’on lui promet depuis l’enfance.
Je ne suis pas un briseur de cœur, je déteste être dans cette position.
— Je vais être sincère avec vous… commençai-je, en posant mes bras sur le bureau. Je ne peux pas vous épouser. Mon coeur appartient à une autre. Vous épouser serait vous condamner à une vie sans amour, et je refuse de vous faire vivre cela.
Elle ne bouge pas, gardant son dos bien droit et son regard serein.
— Je ne veux pas de votre amour, annonce-t-elle sans intérêt pour mes paroles. Je veux juste le titre.
Je savais qu’elle n’était pas celle qui me fallait mais je ne pensais pas à ce point. Elle ne pleure pas. Aucune marque de tristesse ne passe sur son visage. Kristen ne me veut pas. Elle veut ma couronne.
Je ne suis pas surpris qu’elle veuille simplement un titre plus élevé que le sien. Être duchesse ne suffit pas à une fille comme Kristen.
— Je ne ferai pas de vous une reine Kristen.
— Vous n’avez pas le choix. Le roi et mon père ont signé un papier stipulant que je serais la future reine du Danemark.
Un battement me manque. Mon souffle se fait plus crispé.
Ses bras se croisent sur sa poitrine. Son regard fixé au mien comme si elle ne venait pas de lâcher une bombe.
Mon père n’aurait jamais fait ça sans m’en parler avant. Je refuse d’y croire, il est peut être inflexible mais il ne peut pas avoir signé un tel papier.
Il ne peut pas m’avoir condamné.
— Je pense qu’il est temps pour vous de rentrer. Je n’ai plus rien à vous dire, dis-je.
Elle se relève. Ajuste son tailleur. Effectue sa petite révérence parfaite avec un sourire en coin, comme si la partie était déjà finie, puis sort de mon bureau.
Je prends le temps d’assimiler chaque parole qu’elle a prononcé.
Mes mains tremblent. Mon coeur bat bien trop vite. Et tout mon être hurle de douleur. Je respire délicatement, tentant de reprendre contrôle sur mes émotions.
Je dois avoir une discussion avec le roi. Il me doit la vérité. Je dois savoir si j’ai eu un jour le choix de ma propre vie. Mais cette fois, je ne le ferais pas sans témoin.
J'attendrai le repas pour poser mes questions. Devant ma mère. Devant sa reine. Il ne pourra pas me mentir.
~
Nous sommes installés à table depuis quelques minutes. Le dîner, préparé avec soin par le chef cuisinier, me fait face. L’odeur du repas sature l’air silencieux.
Mon père ne sait pas la tempête qu’il risque de lui tomber dessus.
Il porte son verre de vin à ses lèvres. Découpe sa viande avec précision . Tandis que je brûle à chacun de ses mouvements.
— Je me suis entretenue avec Kristen aujourd’hui, j’annonce en coupant ma viande.
— Je suis ravi que tu sois revenu à la raison.
J’avale un morceau de mon repas tout en effectuant un léger rire.
— Vous ne devriez pas vous réjouir de sitôt père. Il se trouve que j’ai appris une chose très intéressante.
La gorgée de vin qu’il boit passe difficilement dans sa gorge. Mon père pose son verre et détourne le regard.
Je ne peux pas croire que cette duchesse a raison.
— De quoi parles-tu Nicolaï ? demande ma mère.
Pauvre mère… elle aussi, au vu de son regard perdu, ne doit pas être au courant de cette histoire. Je prends une grande inspiration avant de reprendre la parole.
— Figurez-vous mère, que j’ai appris que je n’ai jamais eu le moindre choix quant à mon choix de future reine.
— Nous savons déjà que Kristen était promise à toi.
Cette fois, mon rire est franc. Mon père à côté se tient droit, le regard baissé sur son assiette. Il connaît la suite, c’est pour ça qu’au son ne sort de sa bouche.
— Père a signé un accord avec le Duc de Randers pour que Kristen devienne la future reine.
Ma mère sous le choc pose une main tremblante sur sa bouche. Ses yeux sont écarquillés. Elle semble confuse face à mes paroles comme si j’avais inventé le moindre mot.
Mais elle me connaît, mère sait que je ne mens jamais sur des sujets aussi importants. Encore plus si ça touche le royaume.
— Es-ce vrai Richard ? demande-t-elle en espérant que j’ai tort.
Mon père acquiesce. Il joue la carte du lâche, n’assumant pas ce qu’il a fait. Le roi n’est finalement pas le meilleur des souverains de notre pays.
— Comment as-tu pu faire ça ? continue-t-elle les yeux voilés de larmes. C’est ton fils avant d’être l’héritier de la couronne, tu n’avais pas le droit de le condamner.
Toujours aucun mot ne sort de la bouche de mon paternel.
Que pourrait-il dire de plus ? Qu’il est désolé ? Je ne le croirais pas. Il ne l’était pas lorsqu’il a signé ce papier.
— Je vais exercer mon pouvoir de reine pour une fois, dit-elle en se levant de table. Regarde moi Richard, ne sois pas lâche et assume.
Elle pose les mains de part et d’autre de son assiette. Mon père relève la tête vers elle et fixe son regard bleu nuit dans les yeux bleu ciel de ma mère.
— Pour commencer, tu vas annuler cet accord et t’excuser auprès du Duc et de la Duchesse de Randers en leur offrant une compensation, commence-t-elle.
Elle marque une pause. Elle plainte son regard doux dans le mien avant de poursuivre.
— Ensuite, tu vas abolir la loi stipulant que notre fils doit épouser une femme de la haute société.
Mon coeur se serre. Mes mains tremblent. Des larmes menacent de couler mais je refuse de montrer mon émotion.
Ma mère n’a pas dit ça. C’est impossible.
Je pourrais enfin vivre mon amour avec ma belle suédoise. Je pourrais la faire mienne devant le monde entier. Je crierais enfin, haut et fort, à quel point je l’aime.
— Pour terminer, lorsque Eleonora Nilsson deviendra ta belle fille, parce qu’elle va le devenir, tu as intérêt à t’excuser de toutes les méchancetés dites sur elle. Tu présenteras aussi tes excuses à ton fils, le seul fils que tu as, pour lui avoir causé du tort et pour ne pas l’avoir écouté lui et son cœur qui hurle le nom de cette suédoise.
Sans un mot de plus, la reine quitte la pièce laissant son écho resserré la cassure de mon âme.
Je ne prends pas le temps d’attendre la réponse de mon père.
Je sors de cet endroit.
Je dois respirer.
Trouver l’air qu’il me manque.
Ma mère vient de faire de moi l’homme le plus heureux et je voudrais sauter dans le premier avion pour la rejoindre.
Mais je ne peux pas aller trop vite. Je dois m’assurer que mon père fera ce que ma mère lui a demandé.
Je refuse de lui briser le cœur une nouvelle fois.
Lorsque je la reverrai, je saurai que j’ai le droit de l’aimer à sa juste valeur sans lui arracher un morceau de son organe.
Eleonora Nilsson vaut tout l’or du monde et je ferais de mon mieux pour qu’elle soit la plus heureuse.
Lorsqu’elle sera à nouveau dans mes bras, je ne la quitterai plus jamais.
Elle et moi… la fin ne sera finalement pas si triste.
J’espère que ce n'est pas qu’un simple rêve…

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