Chapitre 28

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Eleonora

L’hiver laisse doucement place au printemps.

Notre boutique connaît un carton énorme. Nous sommes tellement fiers de notre accomplissement.

Les robes partent à toute vitesse. Notre planning est plein à craquer. Je n’ai pas le temps de me remettre d’un mariage qu’un autre a lieu. J’aime cette sensation : celle où le travail gagne sur mes pensées.

Anna a encore créé des merveilles pour nos mariées. Pia a obtenu son premier semestre et doit maintenant réaliser une robe pour son examen final.

Blenda est une employée exemplaire. Les clients adorent son travail et j’en suis contente. Elle est vraiment douée dans le domaine. Je n’ai pas eu grand-chose à lui apprendre, elle est convaincante naturellement. Elle a maintenant une petite clientèle.

De mon côté, j’ai été contacté par l’Université de Södertörn pour donner quelques cours dans la formation Event and Project Management.

J’ai adoré prodiguer mes conseils à ces étudiants passionnés. Ils ont posé beaucoup de questions sur la création, la gestion et la planification d'événements. Je leur ai donné les conseils que j’aurais aimé recevoir lors de mes débuts.

La clochette de la boutique retentit. Je sors du bureau pour accueillir la personne. Le sourire aux lèvres en me rappelant ses moments à l’Université. Un facteur se tient devant le comptoir et mon cœur se serre.

Encore un.

Je sais ce qu’il dépose.

Une lettre.

La dixième.

Toutes avec le même symbole.

— Bonjour monsieur, comment puis-je vous aider ? demandai-je cachant le tremblement de ma voix.

— J’ai un courrier au nom d’Eleonora Nilsson.

— C’est moi.

Il me tend l’enveloppe et quitte la boutique sans prendre la peine de dire au revoir.

Le papier brûle mes paumes. Il me hurle silencieusement de l'ouvrir. Cette lettre pleure les mots que je refuse d’écouter.

Mes larmes, elles, menacent de couler.

Lorsque je retourne dans mon bureau, je dépose la lettre dans mon tiroir qui comporte déjà les neuf autres, toujours fermées.

Un petit contenant de mots interdits d’un prince condamné.

Je les effleure du bout des doigts. Je voudrais les ouvrir, mais l’idée me pétrifie.

C’est plus facile de les ignorer.

Je souffre toujours de notre distance et de notre douloureux amour. Je ne peux pas affronter les mots doux de ces écrits sans perdre de nouveau morceaux de mon cœur.

Alors, je continue d’avancer, tant bien que mal, me consacrant à mon travail.

Lui, ne doit rester qu’un souvenir.

Je ferme le tiroir. Mon coeur se brise un instant mais je reprends vite contenance sur mes émotions.

Des rires se font entendre au sous-sol. Je lève mon fauteuil, lisse mon pantalon en satin et quitte la pièce qui me paraît trop petite pour me rendre vers la douceur de ce son.

Chaque marche descendue me semble une éternité. J’ai l’impression que chaque pas me dit tout ce que je refuse de voir.

La faiblesse de mon cœur s’apaise un instant, comme si les rires posaient un pansement invisible sur les fêlures de mon organe.

Je pose mon pied sur la dernière marche et me stoppe.

Les rires ont cessé pour laisser place au sourire de Pia, Anna et…

Astrid…

La petite blonde dans son tailleur rose pâle me fait face avec un sourire contagieux. Que fait-elle là ? Elle devrait être au Danemark au côté de son mari.

— J’ai quelque chose sur le visage ? me demande-t-elle.

Je quitte la cage d’escalier, le souffle court, et serre ma nouvelle amie dans mes bras.

Nous n’avons pas arrêté de communiquer depuis le mariage. Elle nous a envoyé des centaines de photos de sa lune de miel avec Carl. Je suis tellement contente de la voir.

— Tu ne m’as dit que tu venais, dis-je.

— Nous voulions te faire une surprise… annonce Anna, les yeux larmoyants.

Je pose mon regard doux sur ma meilleure amie qui tient son ventre bien rond d’une main. Elle sait que je ne vais pas bien mais elle fait tout pour me remonter le moral.

Mais je sais qu’elle fait ça car elle, non plus, va pas bien.

On essaye de s'accrocher l’une à l’autre. On fait passer nos douleurs en second plan, mais nous savons que finalement nous souffrons mutuellement en silence.

Anna a revu Henrik. Elle a voulu lui montrer les échographies du bébé, le faire réagir. Il a nié… une nouvelle fois. Il a encore fait passer ma meilleure amie pour une fille facile et ne vient rien connaître de ce bébé.

Ma meilleure amie a découvert, quelque temps plus tard, qu’il avait déjà retrouvé quelqu’un.

Nous avons toutes les deux besoin de la présence d’Astrid mais elle ne l’avouera pas.

— Je suis tellement contente de te voir. Tu restes combien de temps ?

— Le week-end, dit Astrid. Carl part en week-end chasser avec deux de ses fidèles amis.

Mes yeux s'embrument. Malgré ma joie face à sa présence ici, mon coeur se serre.

Ses yeux me font penser au sien.

Ce bleu gris.

Celui qui me rappelle l’homme que j’aime.

Son sourire, la petite main devant sa bouche lorsqu’elle rigole, sa posture droite lorsqu’elle se tient debout. Chaque détail ressemble à ceux de son frère.

Je n’avais jamais vraiment remarqué ces similitudes avant aujourd’hui.

Finalement ce week-end sera doux… et cruel à la fois.

~

Astrid part déjà demain après-midi.

Nous avons passé notre temps à papoter. Elle nous a raconté en détail sa lune de miel et son début en tant que Duchesse d’Esbjerg. Astrid est tellement heureuse qu’on ne peut que ressentir la même chose pour elle.

Je ne sais pas si les filles se sont donné le mot mais aucune d’elle n’a évoqué le sujet du prince.

Je les remercierais jamais assez pour ça.

Nous sommes à l’appartement après une journée shopping. Astrid voulait connaître les moindres recoins de la capitale suédoise et c’est ce que l’on a fait.

— Et si on sortait ce soir, demande la princesse. Je n’ai jamais eu l'occasion de faire une soirée entre filles en dehors des soirées thés de ma famille.

Je regarde Anna qui acquiesce. Nous ne pouvons rien refuser à son altesse. Nous savons exactement où l’emmener.

— Nous devrions commencer à nous préparer alors… dis-je.

La duchesse saute sur place. Elle répand sa joie dans chacun de nos cœurs. J’active la musique et nous finissons par danser ensemble. Anna nous rejoint doucement et finit par danser avec nous.

C’est dans cette ambiance douce et réconfortante que nous nous préparons.

Anna porte une jupe rouge plissé avec un petit chemisier blanc, relévant lègerement son ventre de femme enceinte.

Astrid s’est vêtue d’un ensemble tailleur beige. Tandis que moi, j’ai opté pour un total look noir.

Nous sommes face au miroir du salon. Je sors mon téléphone pour capturer ce moment. Les sourires d’Astrid et d’Anna réchauffent mon coeur.

— Merci… murmurai-je aux deux femmes.

Elles me serrent ensemble sans quitter leur regard dans le miroir.

Je sais qu’elles ont prévenu ce week-end pour me faire penser à autres choses. Anna n’en peut plus de me voir au bureau jour et nuit mais ne l’avouera jamais.

Nous finissons par quitter l’appartement main dans la main. Le taxi de la princesse nous attend en bas.

La voiture s'arrête devant Sjöar. Un sky bar qui produit des petits groupes de musique chaque soir.

Lorsque nous quittons l’habitacle, nous avançons vers l'ascenseur qui nous conduit au 18e étages de l’immeuble.

Le Sjöar est un bar élégant avec une vue sur les lumières de Stockholm à travers les baies vitrées. Les musiciens emplissent la pièce d’un son chaleureux se mêlant au murmure de la clientèle.

Nous avançons vers une table située à côté d’une vitre. Un serveur nous tend les cartes des boissons et la princesse ne peut s'empêcher de sourire, les yeux brillants.

— C’est splendide, dit-elle en quittant la carte des yeux pour plonger son regard dans la ville.

Nous conseillons quelques cocktails à la princesse. Anna et moi avons l’habitude de venir dans ce bar. Nous apprécions l’ambiance douce et musicale de l’endroit.

C’est jamais trop rempli de monde et nous adorons leur boisson.

Le serveur revient prendre notre commande : Anna choisit Nordic Breeze sans alcool, Astrid un Sjöar Dream et moi, l’incontournable Beets by Tjoget.

— Je suis contente de cette soirée… j’ai l’impression d’être femme avant d’être duchesse ou princese.

Ses yeux sont larmoyants. On sent la douceur de son aveux.

— Ton frère m’a dit la même chose…

Les filles se regardent à l’évocation de Nicolaï. Il est temps de crever leur silence. Elles ne le feront pas donc autant prendre les devant.

Le serveur pose nos cocktails. Nous prenons notre verre et trinquons avant mes aveux.

— Skål ! dis-je en levant mon verre entre nous.

Les filles suivent mon geste et nos verres s’entrechoquent. Nous sirotons une première gorge silencieuse. J’ai brisé l’ambiance légère de notre début de soirée.

La musique retentit en rythme avec les battements de mon cœur.

— Je sais que vous vous retenez de me parler de lui… commence-je en posant mon verre.

Mon regard fuit les leurs. Je préfère regarder au loin plutôt que d’affronter les visages tristes de mes amies.

— Je ne sais pas comment l’évoquer avec toi… c’est mon frère et tu es mon amie, dit la duchesse. Je ne sais pas exactement ce qu’il sait passer entre vous mais je sais qu’il y a de l’amour.

— Mhh…

— Nicolaï a toujours donné sa vie à la couronne pour que je n’ai pas à porter le poids de décisions aussi fortes. Mais pour toi… je sais qu’il y a pensé.

Mes yeux se ferment tentant de garder les larmes qui menacent de couler. Mes mains tremblent et mon cœur lui souffre en silence.

Mais Astrid continue parce qu’elle sait que malgré tout, je veux entendre ses mots.

— Je ne l’ai pas revu depuis le mariage. Nous avons seulement échangé par message. Il souffre de ton absence. Mon père et lui se sont fortement disputés à ton sujet. Je ne sais pas exactement de quoi ils ont parlé… mais je sais que Nicolaï n’a pas hésité une seule seconde à prendre ta défense face au roi.

Elle attrape ma main pour la serrer dans la sienne. Je me décide enfin à tourner le regard vers elle. Astrid cherche à me réconforter. Ses yeux m'envoient tout l’amour et la compassion face à cette situation.

— Ne perds pas espoir s’il te plait… demande-t-elle.

— Comment Astrid ? La loi nous l’interdit, tu le sais.

— Crois en lui, parce que mon frère n’a pas dit son dernier mot…

J’hoche la tête sans grande conviction. Je rêverais de croire au mot de la princesse mais je sais que c’est impossible que ça arrive.

Anna attrape mon autre main.

— Nous ne pouvons pas effacer ce qu’il y a entre vous, mais nous sommes là pour t’aider à le surmonter, me dit-elle en déposant ma main sur son ventre rond.

Elle aussi connaît un destin tragique. Ce bébé aura pas de père et ma meilleure amie devra assumer deux rôles parentaux. J’aurais aimé que tout s’arrange pour elle, qu’il accepte finalement cet enfant mais ce n'est pas le cas.

— Je crois que ce bébé veut danser, dis-je, déclenchant un rire général.

Nous trinquons une nouvelle fois et je savoure la gorgée qui coule dans ma trachée. Nous laissons les confessions émotives pour profiter de cette soirée de festivités. La princesse a envie de s’amuser et nous allons lui montrer ce qu’une soirée entre filles signifient vraiment.

Elle aussi a le droit de connaître ce bonheur le temps d’un instant.

Parce que finalement, dans toute cette histoire, nous avons toutes des douleurs a comblées.

Trois verres colorés se tiennent face à nous : un orange pour Astrid, un bleu pour Anna et un rouge vif pour moi.

Différents, mais unis sur la même table. Comme nous.

Trois femmes. Trois maux différents.

Anna devra élever un enfant sans son père.

Astrid ne connaît pas la vie sans protocole.

Moi, je suis dans l’attente d’un prince qu’on m’interdit.

Mais ce soir, ce sont nos rires qui sont unis.

Il n’y a pas de blessures, simplement trois amies

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