Chapitre 29

8 minutes de lecture

Nicolaï

Il aura fallu trois mois et demi pour que la loi qui m’interdit d’épouser la femme que j’aime soit abolie.

Trois mois et demi à envoyer des lettres à celle qui fait battre mon cœur.

Elle ne les a pas ouverts… ou alors elle n’a pas voulu y répondre.

Je peux comprendre. Je ne sais pas non plus si j’aurais eu le courage de les ouvrir ou d’y répondre. Mais j’avais besoin qu’elle sache à quel point elle me manque et que je faisais tout pour détruire cette interdiction insensée.

Ma relation avec mon père reste tendue, même si nous avons mis un peu d’eau dans notre vin pour pouvoir travailler sur cette règle.

Il a fait une très grosse compensation à la famille de Kristen. Je ne connais pas le chiffre exact mais je peux me douter qu’ils n’ont pas renoncé à la couronne pour une somme de quelques zéros.

Ces mois n’ont pas été de tout repos. J’ai peu dormi. J’ai bossé comme un fou pour pouvoir l’aimer librement.

Les journaux en parlent depuis l’annonce. Ils essayent de trouver pourquoi nous avons décidé d’abolir ce passage du code monarchique. Eleonora et moi sommes en première page de beaucoup de magazines.

Des photos de nous chez le fleuriste. Au marché de noël. Au bal en suède. Mais celle qui me chagrine le plus de voir entre leur main, reste les photos de notre valse au mariage d’Astrid.

Eleonora n’a posté aucune photo de ce moment sur son blog ou sur ses réseaux. Alors comment ont-ils pu les avoir ?

Peu importe. Rien ne me retiendra désormais.

Je suis dans l’avion privé de la famille royale prêt à décoller pour la Suède.

Il est hors de question que je reste une seconde de plus sans elle. Eleonora doit savoir. J’ai réussi à abdiquer cette foutue loi. Nous sommes libres de nous aimer, face au monde.

Le pilote s’approche. Son uniforme impeccable avec un petit avion sur sa veste.

— Nous espérons que vous passerez un excellent voyage. L’équipe et moi-même vous souhaitons la bienvenue à bord, votre altesse.

Il effectue une petite révérence avant de retourner dans la cabine de pilotage.

Monsieur Albert est assis en face de moi lisant le journal hebdomadaire du Danemark.

Je lui avais demandé de ne pas m’accompagner mais il a insisté pour le faire. Je ne peux pas lui refuser. Il a toujours été comme un grand-père pour ma soeur et moi.

Je sais qu’il apprécie Eleonora et qu’il ne peut pas s'empêcher de lui écrire pour savoir si elle va bien. C’est un homme bon.

— Les journaux ne vous font pas de cadeau, prince Nicolaï.

— C’est pour ça que je ne les lis pas, si je le faisais, je ne serais pas dans cet avion.

— C’est un vilain mensonge, votre altesse, dit-il dans un rire léger.

— Vous avez raison, je serais quand même parti la rejoindre.

Il relève son regard pour le fixer dans le mien. Ses yeux déposent une douceur paternelle sur mon cœur. Monsieur Albert a toujours su que je ne serais pas comme les autres héritiers qu’il a éduqué.

Il a cru en moi lorsque je suis partie à l’armée et quand j’ai dit que je changerais la vision du pays sur notre famille. Mais le plus important, il a su que je n’épouserais jamais une femme qu’on m’imposerait.

Le ronronnement des moteurs couvrent mes pensées. Mon cœur rate quelques battements mais rien n’enlèvera mon sourire.

Dans quelques heures, je serais face à elle.

~

Nous avons atterri depuis une petite heure. Monsieur Albert et moi sommes allés nous installer dans notre hôtel.

J’ai pris le temps de me reposer pour calmer mes émotions et mettre au clair mes pensées. Je veux faire les choses bien et si je débarque sans plan, je risque de lui faire peur. J’ai été séparé d’elle trois mois et demi, je peux bien attendre une heure de plus.

Elle mérite le meilleur.

Je suis dans la voiture en direction de la boutique. Mes mains sont moites. Ma poitrine monte et descend rapidement. Ma jambe tressaute signe de mon stress.

Le paysage me paraît lointain, comme un doux souvenir. J’ai l’impression que ce moment n’est pas réel. Que je vais me réveiller dans mon lit. Mais quand la voiture s'arrête devant l’enseigne Rêve en Dentelle, je sais que ce n’est pas un rêve.

Elle est là. A l’intérieur.

Je sors de l’habitacle et rentre dans le magasin. La clochette retentit indiquant la présence d’une nouvelle personne.

Une voix lointaine s’élève dans le fond de la boutique. La sienne.

Je ne veux pas la déranger alors je me dirige vers son bureau. Si je lui fais louper une vente, je m’en voudrais énormément.

Je pousse la porte de la pièce. Son odeur florale flotte dans l’air. Cette senteur m'a tellement manqué. Son petit carnet ouvert à côté de son ordinateur signe qu’elle travaille dur. J’effleure chaque objet comme si, à travers eux, je pouvais la toucher.

Je finis par m'asseoir sur la chaise en face de la sienne.

Sa voix se rapproche rapidement.

— Anna va faire les retouches nécessaires à la robe. Nous vous contacterons dans quelques jours pour un nouvel essayage.

— Merci Eleonora, vous êtes exactement comme on vous décrit.

La clochette retentit une nouvelle fois. Ses pas se rapprochent. Je ne bouge pas, dos à la porte qui s’ouvre.

Mon souffle se coupe. Le sien aussi.

Je me relève de ma chaise pour lui faire face.

Eleonora se tient droit face à moi dans un ensemble blanc en lin. Ses cheveux blonds sont relevés dans un chignon bas avec deux mèches lâchées sur le devant.

Elle est absolument magnifique.

Ses yeux verts accrochent les miens. Ils brillent de bonheur, de douleur et d’espoir. Mais ses joues couvertes de larmes me font parcourir les derniers centimètres qui nous séparent.

Mes bras s’enroulent autour de ses épaules. Je respire l’odeur de ses cheveux et dépose mes lèvres dessus. Je profite de ce moment comme si le temps s’était arrêté.

Je ne sais pas ce qu’il va se passer après cette entrevue. Va-t-elle accepter ou renoncer à notre amour?

Le monde s’efface. La boutique. La future clientèle. Il n’y a que nous. Que deux âmes sœurs en quête de bonheur.

Elle est la première à quitter l’étreinte. Eleonora essuie ses joues mouillées et contourne le bureau pour s'asseoir sur son fauteuil.

— Que fais-tu ici ? demande-t-elle dans un murmure.

Sa voix tremble. Mélange de peur et d’espoir.

Je me retourne, me réinstalle sur le siège.

— Tu me manquais…

Elle ferme les yeux. Son souffle est erratique. Mes mots la font souffrir.

— Nicolaï… s’il te plait, ne joue pas avec mon cœur.

Sa demande est une supplication.

— Je ne joue pas, Eleonora. Je ne veux plus être éloignée de toi.

— C’est impossible, tu le sais autant que moi.

Son ton commence à se faire plus ferme, signe de son impatience.

— Il n’y a plus de loi…Rien. Plus aucune barrière entre toi et moi, annonce-je pour alléger la douleur.

Elle recule, s’enfonçant dans le dossier de son fauteuil. Ses yeux cherchent le mensonge de ma phrase. Elle refuse d’y croire. Elle refuse mes mots.

— Tu mens…

Je me lève. Contourne à mon tour le bureau et pose un genou sur le sol. Je prends ses mains dans les miennes. J’ai besoin de sentir sa peau.

— C’est la vérité, Eleonora. Je ne me permettrais jamais de te mentir sur un sujet aussi important.

Je lui avoue tout : des paroles de mon père, à la découverte de l’accord, au repas ou ma mère a exercé son pouvoir pour finir par l’abolition de cette loi. Elle connaît tout dans les moindres détails.

Ses larmes dévalent à nouveau sur ses joues mais je les chasse vite du bout des doigts. Je me décale pour la laisser respirer. Elle doit encaisser mes mots.

— Je te laisse un instant seule. Je préfère que tu reprennes tes émotions dans le calme.

Je quitte la pièce en refermant la porte. Je laisse échapper mon souffle que je ne pensais pas retenir.

Je sors un instant dehors, prenant une bouffée d’air frais avant de revenir dans la boutique. Elle m’attend sur le canapé du salon.

Elle tient une tasse de café dans ses mains. Une autre est posée sur la table basse.

Je prends place à ses côtés. Elle a séché ses larmes et bois des petites gorgées de sa boisson chaude. Ses mains, qui maintiennent la tasse fermement, tremblent.

Eleonora combat ses propres pensées.

— As-tu lu mes lettres ? demande-je intrigué.

Elle fait un signe négatif de la tête. Je le savais, si elle les avait lus, elle aurait su que je travaillais sur ce sujet.

— Je te parlais de ce projet dans certaines des lettres. Dans d’autres, j’évoquais mon amour pour toi.

— Je ne voulais pas souffrir en les lisant. Je voulais réussir à t’oublier… avoue-t-elle.

— As-tu réussi ?

— Bien sûr que non… j’en suis incapable.

Je tends une main vers elle. Je place une mèche de ses cheveux derrière son oreille et dépose une douce caresse avec mon pouce.

— J’en suis incapable aussi…

Ses yeux se ferment, savourant mon contacte sur la peau chaude de sa joue.

— Je t’aime Eleonora Nilsson…

Une larme coule à nouveau sur sa joue. Elle sourit. Pas un sourire triste. Non, un sourire sincère qui apprécie les paroles que je lui offre.

Elle repose sa tasse et s’approche de moi. Sa tête se pose sur mon épaule. Ses yeux se ferment. Elle savoure notre proximité autant que moi. Je dépose une nouvelle fois un baiser sur ses cheveux.

Cette femme si forte me montre enfin sa vulnérabilité. Finalement, je crois que j’adore ce côté là, chez elle.

— Tu accepterais de m’accompagner dîner ce soir ? demande-je.

— Je crois que ça me ferait très plaisir, avoue-t-elle.

Elle relève sa tête et plante son regard dans le mien. Je caresse sa joue douce en passant sur ses lèvres pulpeuses.

Je ne résiste plus. J’abats la distance et dépose ma bouche sur la sienne.

Ce baiser est doux et fort. Il évoque les centaines de kilomètres qu’on a dû mettre entre nous. Il a le goût du désir mutuel. Ce baiser ramasse les morceaux de nos coeurs brisés. Nous savourons ce moment comme si c’était le premier. Nous refusons de nous lâcher, de peur que l’autre parte à nouveau.

Je suis celui qui brise finalement le contact. La boutique silencieuse, paraît retenir son souffle.

Nos front collés. Son souffle mêlé au mien. Nos yeux fermés.

Nous savons que c’est que le début.

— Mon dieu que ça m’a manqué… dis-je.

Elle émet un petit rire. Profitant de cet instant volé.

Les pas dans l’escalier nous séparent. Anna nous fait face, le sourire aux lèvres de me voir ici.

Elle tient son ventre, comme si elle avait peur de le perdre. Je me lève pour lui faire face. Je prends sa main libre pour y déposer un baiser. Elle aussi mérite d’être heureuse.

— Je suis content de vous voir, Anna. Je n’ai pas eu le temps de vous féliciter pour la création spectaculaire de la robe de mariée de ma sœur.

— Je suis contente aussi, avoue-t-elle. Encore plus quand je vois ce beau sourire sur le visage de ma meilleure amie.

Elle nous quitte pour rejoindre leur appartement.

Ma princesse se lève finalement pour ranger la boutique. Elle ferme la porte et les volets. Il est temps de m’éclipser.

— Je reviens te chercher dans deux heures.

Je dépose mes lèvres sur les siennes avant de quitter la boutique.

Je réserve l’un des plus beaux restaurants de Stockholm. Je ne veux pas faire les choses à moitié. Elle mérite le meilleur après toutes les émotions qu’elle a ressenti.

Ce soir, elle doit se sentir comme une princesse parce que je refuse qu’elle se sente autrement.

Elle est la princesse que j’ai choisie, envers et contre tous.

Et un jour, elle sera la reine de notre victoire.

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