Partie 1 : Derrière la porte

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 Sous l’autorité du capitaine James, quelques bras fragiles s’activèrent. Des poulies et des engrenages furent invités à animer le tas de ferraille inerte. Son ouverture démarra avec un couinement sourd et railleur. Le grincement strident des gonds en acier prit le relai pour crier leur désaveu et faisait supposer les ouvertures limitées de ce pauvre lion résilient.

 Je sortis par cette grande porte aussi ridicule qu’adulée. Puis elle se referma avec fainéantise et lenteur avant de claquer d’un bruit sec et rouillé. Je me retrouvai à l’extérieur du village caché de Kabir. Une brise légère se démasquait. L’air était frais. J’infusai une partie de mon énergie le long de mon épiderme et de mes follicules pileux. Un vent du nord. Le ciel bleu, parsemé de quelques nuages épars, annonçait une belle journée pour une promenade en solitaire.

 Vu de l'extérieur, le monticule de fer paraissait plus imposant. Cette tête de fauve incrustée était, malgré son inutilité, assez réussie. Une crinière d’une teinte rouille contrastait avec la couleur gris métallique du reste de la tête d’animal.

 Je m’élancai à vive allure en direction de l’ouest. Comme me l’avait indiqué le capitaine, la forêt qui entourait et cachait le village céda place au bout de quelques kilomètres à une vaste plaine étendue et vallonnée.

 Lors de notre entretien, nous avions eu amplement le temps de nous jauger et sa dernière réplique me resta entre les sinus.

  • Je serai ravi de cet affrontement, dis-je tout haut comme si la scène venait juste d’avoir lieu.

 Voilà que je divaguais à voix haute. Je ne savais pas si j’étais plus mû de colère ou d’excitation, mais il était certain que mon instinct colérique avait été aiguisé.

 Le sentier de terre était bien tracé tout du long. Je poursuivis le chemin que le capitaine m’avait décrit et le petit bosquet sur la gauche m’apparut au loin. Je trouvai ensuite sans difficulté la vieille ferme qui était en grande partie endommagée. Il y avait une grange effondrée dans son ensemble, dont je fis le tour pour arriver au niveau du corps de ferme. En longeant la façade, je ressentis une pulsation énergétique lorsqu’une voix rompit l’ambiance muette.

  • Qui es-tu ?

 Il avait senti ma présence. Une personne se tenait derrière le mur que je contournais. Ce dernier était quelque peu entamé et le toit avait disparu depuis longtemps, raison pour laquelle nous pouvions communiquer l’un et l’autre chacun d’un côté de la cloison branlante.

  • Je viens de la part du capitaine James, répondis-je.
  • Mais encore ?
  • Je cherche à devenir éclaireur.

 Il éclata d’un rire de bon cœur.

  • Intéressant. Les volontaires ne courent pas les rues. Je n’aime pas trop qu’on m’impose les choses, mais si c’est bel et bien le capitaine James qui t’envoie je ne peux pas refuser. As-tu une preuve de ce que tu avances ?

 Je ne répondis rien.

  • Je plaisante. Que tu sois envoyé par Mark ou pas le maître équestre du coin je m’en tamponne.
  • Je suppose queMark doit être le Capitaine James.

 Il fit un saut acrobatique par-dessus le mur de sorte qu’il tomba face à ma position. Il était accoutré d’une tenue similaire aux gardes que j’avais rencontrés. Une tunique bleu foncé renforcée par un plastron armuré ainsi que des renforts au niveau des avants-bras, des épaules et des jambes, habillaient ce nouvel inconnu. Il termina son mouvement aérien les bras croisés au moment de son atterrissage puis se figea pour enfin m'offrir une main tendue.

  • Sergent Lore, je m’occupe du corps des éclaireurs de la région ouest autour du village de Kabir. Quel est ton nom ?

 Mon regard dévia et je finis par répondre : « Arth. »

  • Bienvenue Arth.

 Poignée de main virile. Nous faisions connaissance avec le sergent. Titania avait raison, les hommes du coin avaient développé une expertise spirituelle.

  • Art, dit-il tout en augmentant la pression de sa poigne. Je parais plus amical que le capitaine James. Au premier abord je le suis. Mais je suis intransigeant sur un point. Le respect des ordres et de la formation. Si tu viens à déserter ou à n’en faire qu’à ta tête tu le regretteras qui que tu sois.

 Nous relâchâmes nos paumes de main.

  • Je vais maintenant t’expliquer la formation et la rotation des éclaireurs. Ensuite tu iras te présenter à notre administrateur de caserne et tu lui présenteras l’insigne que je vais te donner. C'est lui qui te donnera ton emploi du temps semaine par semaine. Nous sommes lundi, tu commenceras probablement dans deux jours, à six heures du matin.

 Je hochai la tête. Il soupira avec largesse.

  • Tu ne seras pas le plus loquace de la bande. Suis-moi et posons-nous à l’intérieur de cette ruine.

 Je lui emboîtai le pas jusqu'à l’intérieur de ce vestige d’habitation puis nous nous asseyâmes à califourchon sur un banc en bois qui, malgré sa stabilité, semblait avoir survécu à beaucoup de péripéties. Nous étions chacun à une des extrémités. Je le regardai et il me rendit la pareille dans un mutisme total. Il n’avait pas la mine de quelqu’un qui hésitait, et son discours avait été sans subterfuge, pourtant il restait prostré. Ses yeux impénétrables étaient bruns comme sa chevelure courte et rasée sur les côtés. Nous restâmes un instant figés comme cela, lorsqu'il se lança enfin de but en blanc sans prendre d’inspiration. Il ne me quitta pas du regard tout le long de ses explications.

  • Arth tu feras partie des nouvelles recrues. Dans notre organisation militaire, il existe la garnison qui s’assure de la sécurité interne de la cité, et le corps d’éclaireurs dont tu feras partie et qui prévient les attaques extérieures. Il existe trois grades d’éclaireur, A, B et C. Comme tu viens d’arriver, tu débuteras au grade inférieur : le grade C. Notre formation s’étend sur une aire d’une centaine de kilomètres de rayon. Celle-ci est répartie entre les éclaireurs selon leur grade. Les éclaireurs de grade C sont en première ligne et donc en bordure de périmètre qui nous séparent du village. Chacun d’entre vous est accompagné d’un partenaire et chaque binôme est attribué à une escouade dédiée à un poste de ce périmètre.

 J'écoutai le sergent qui agrémentait son discours de geste et de schéma dans le vide. Je m’efforçais de ne pas paraître ennuyé.

  • Sous mon autorité, toi et tes camarades d'escouade, couvrirez une partie de la bordure ouest en collaboration avec les autres escouades attribuées à notre secteur ouest. Aux extrémités de cette zone se trouvent vos homologues de la zone nord-ouest dirigées par le sergent Houp ainsi qu’avec celles du sud-ouest dirigées par le sergent Yarm. Concernant les éclaireurs A et B, ils sont en termes d’effectif moins nombreux et sont disposés en arrière-garde de manière plus éparses pour couvrir l’aire des cents kilomètres restante. Leur fonction est d’assurer la transmission des informations avec les autres escouades et le village en cas de contact avec l’ennemi, mais aussi de seconde chance au cas où l’un d’eux serait passé entre les mailles de votre répartition. Après-demain, à cinq heures du matin, tu auras rendez-vous avec ton chef d’escouade Pitt sur la place sanglante. Elle se trouve proche de la porte du Lion. Il te montrera sur une carte la distribution de chacun et tu suivras ses instructions.

 Le sergent Lore soupira une nouvelle fois.

  • La cité de Kabir s'est reconstruite depuis un peu moins de trois ans. Il représente un des premiers bastions du front ouest depuis la grande guerre. Derrière elle se développent progressivement d’autres bourgs, hameaux, villages, qui profitent de cette période de paix et de notre protection pour renaître. Mais cela ne veut pas dire que nous nous confrontons régulièrement aux Atlants, loin de là. Notre système de couverture par les régiments d'éclaireurs nous permet d’anticiper et de nous organiser pour riposter ou créer des leurres en cas de réelle confrontation. Il est vrai qu’ils n’y a pas eu de grande escarmouche depuis bien longtemps et qu’ils ne se montrent que de manière sporadique, mais nous combattons toujours. Tu comprends donc le rôle majeur des éclaireurs et qu’il ne faut pas prendre ce poste à la légère. D’ordinaire, nous vous formons pour que vous ayez un minimum d'entraînement, et en particulier pour que vous sachiez au moins concentrer votre force intérieure dans vos sabres et espérer blesser nos ennemis. Mais pour toi cela ne me semble pas nécessaire. Ton chef d’escouade t’expliquera en détails nos différents plans en cas de contact avec l’ennemi.

 Sa tirade était terminée. Il continuait de me toiser.

  • As-tu bien compris Arth ?

 J’inclinai la tête.

  • J’aurai une requête.
  • Tu viens de ton plein gré pour intégrer les éclaireurs et en plus tu as une requête. Je t’écoute.
  • Je souhaiterais que mon camarade soit aussi intégré.

Le sergent Lore se mit à rire à nouveau.

  • Tu es plein de surprises. Il est comme toi ton camarade ?
  • En quelque sorte.

 Il hésita avant de poursuivre : « C’est entendu. Je garderai un œil personnel sur vous, mais je te fais assez confiance pour t’enrôler toi et ton camarade. Ne me fais pas regretter ma souplesse. »

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