Partie 1 : Evasion

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Je retrouvai mon frère dans notre chambre d’auberge rudimentaire. Comme annoncé, il réalisait bien des exercices, mais il s’agissait plutôt d'un travail de force musculaire et d’équilibre que d’étirements comme il me l’avait indiqué. En position de poirier sur un seul bras, il oscillait entre flexion et extension en passant alternativement de l’un à l’autre. Il avait ôté sa cape, et comme il ne portait rien d’autre sur les épaules, son buste éprouvé révélait l’arborescence de ses cicatrices qui ne cessait de croître avec le temps. Ses stigmates étaient le témoin de la violence de notre monde et de notre passé.

Je savais qu’il avait remarqué mon retour, mais il donnait l’impression de n’en avoir que faire. Je posai le ravitaillement, enveloppé dans des feuilles végétales, sur la table bancale de la chambre.

  • Si tu veux garder ton corps en forme, il faut le nourrir.

Il ne répondit pas. Quelques simples soupirs furent émis de son gosier et traduisaient l’effort modéré que lui procurait cet exercice.

  • Merci.
  • Tu me rassures, je pensais que tu t’étais mordu la langue.

Il émit un nouveau gémissement.

  • Si cela avait été le cas, je n'aurais eu aucun remords à profiter de ton repas, m’amusai-je.
  • Je n’aurai pas manqué de laver cet affront.
  • Intéressant.

Tête renversé, Mars détourna le regard en ma direction. Nous nous toisions avant que je ne plisse l'œil d’un air suggestif.

  • Je plaisante bien entendu. Pour rien au monde je ne te priverai d'un tel festin.

Il poursuivit son exercice, alternant d’un membre à l’autre.

  • Notre dernière confrontation commence à dater.
  • Il est vrai. Mais tu sais comment cela se termine. Dès que je commence à être sérieuse et à prendre le dessus, tu préfères arrêter les hostilités.

Il changea de position pour se tenir cette fois sur l’extrémité des cinq doigts d’une de ses mains et continua ses va et vient lents du bas vers le haut.

  • Nous essaierons d’aller plus loin la prochaine fois, déclara Mars avec son flegme habituel.

Je décidai de m’approcher de sa position. J’ôtai à mon tour le tissu qui me couvrait le thorax. Au contraire de mon frère, je disposai d'un couvre buste serré et sombre, aux manches courtes. Une fraction de temps me suffit pour contracter mes muscles du tronc, balancer mes pieds vers le plafond et faire volte-face de toute ma hauteur pour imiter sa posture renversée. À la différence que je ne m’appuyais que sur mes deux index. Nous étions désormais face à face. Mon équilibre était parfait et mes cheveux balayaient le plancher.

  • Dès que possible, lui répondis-je d’un large sourire provocateur.

Mars ferma les yeux. Cela l’amusait et l’excitait tout autant que moi, j’en étais certaine. À son tour il se mit sur ses index et d’un nouveau mouvement de flexion-extension il se donna une impulsion suffisante pour se redresser droit sur les talons. Je fis de même. Bras gauche tendus, nous nous empoignâmes chacun le biceps de l’autre, au niveau de la jonction de l’épaule. Ce geste était une marque de respect et un symbole de promesse chez nous les Oraï.

Nous mangeâmes ensuite en silence. Nous devions commencer notre première journée en tant qu’éclaireur dans deux jours, affectés au front ouest sous la direction du sergent Lore. Je me demandais si nos futurs camarades affrontaient bel et bien des Atlants des environs. Mis à part le Mystique que Mars avait croisé, notre dernière rencontre avec une de ses créatures aquatiques remontait à plusieurs solstices. Nous verrions bien une fois sur le terrain.

Jusque là, je ne savais pas vraiment comment occuper mon temps libre, qui plus était enfermée dans cette auberge. Il existait un couvre-feu fixé à minuit, limitant les excursions nocturnes qui m’étaient chères. Concernant Mars, son programme du soir était déjà convenu. Il rejoindrait son nouvel ami qu’il avait rencontré la veille. C’était assez inhabituel de sa part, mais cela me rassurait quelque peu sur son état mental. Je ne savais pas qui était ce vieil homme, mais pour intéresser mon frère il devait avoir quelque chose de spécial. Je concédais avoir été un peu moins sobre que d’ordinaire ce soir-là, et je n’avais pas pris le temps de l’analyser. La distillation de liqueur enivrante avait peu de secrets pour les hommes, j’avais pu en faire l’expérience.

  • J’ai pris ma décision !

Mon frère qui regardait une énième fois le ciel par la fenêtre fut à demi interloqué.

  • Je vais dormir à la belle étoile ce soir. J’irai me balader au nord et j’y resterai pour la nuit. J’ai entendu dire qu’il y avait une cascade à quelques lieux du village.
  • Tu sais qu’il y a un couvre-feu et que toute sortie en dehors des murs doit être justifiée.
  • Ne t’en fais pas pour moi. Tu sais très bien que je peux être aussi invisible qu’un grilou noir dans la nuit.
  • Comme tu voudras.

L’heure venue, aux alentours de vingt-deux heures, Mars descendit au bar de l’auberge. Pour ma part, je suivis mon plan à la lettre. Je l’abandonnai et sortis prendre l’air pour me balader une dernière fois dans le village. Tous les commerces fermaient. Les gardes de la garnison patrouillaient et n’hésitaient pas à rappeler l’heure du couvre-feu. J’opinai du chef à leur rencontre et me dirigeai vers le nord de la cité. J’aperçu sans tarder une grande porte de métal qui se distinguait à bonne distance. Quatre portes comme celle-ci ponctuaient l’enceinte de pierre qui protégeait le village de Kabir. Une à chaque point cardinal. Celle qui me faisait face était celle du Loup.

Une fois assez proche de celle-ci je restai cachée dans une petite ruelle sans passage, attendant que les rues se vident et que l’obscurité drape la surface du monde. Pour passer de l’autre côté de cette gigantesque porte, la question de la furtivité n’était pas un problème. Ma tenue était assez sombre pour l’exercice, mais ma cape aurait pu me trahir. Je la laissai dans une rue étroite derrière des tonneaux vides.

Je réfléchis ensuite à ma stratégie. Je ne pouvais pas passer par cette porte qui devait être aussi lourde que haute. Emprunter les escaliers qui menaient jusqu'aux remparts m’offrirait plus d’opportunités. Je me glissai donc avec invisibilité pour contourner les deux gardes postés devant l'entrebâillement qui menait aux marches creusées à l’intérieur de la muraille. Par chance, ils étaient assis de manière rapprochée sur des caisses d'approvisionnement et discutaient de sujets propres à leur fonction. Il fallait être irréprochable pour faire ce qui suivit. Une fois insinuée dans l’obscurité, je me faufilais sans un bruit pour les prendre à revers. J’approchai mes index assez proche de chacune de leur nuque, sans même les effleurer pour éviter toute réaction preste qui aurait compliqué la suite des opérations. En infusant mon énergie dans le bout de mes doigts je créai un éclair invisible et fugace qui se transmit dans leurs cervicales. Ils perdirent connaissance. Tout signal nerveux avait été court-circuité.

Une fois en haut de la muraille, j’attendis que la patrouille supérieure s’éloigne pour décider de la meilleure façon de passer de l’autre côté. Les remparts faisaient plus de vingt mètres de hauteur. La réception aurait été douloureuse et surtout dangereuse. Peut-être que Mars aurait pu assumer cette hauteur, et malgré mes capacités ce n’était pas mon cas. Heureusement pour moi il y avait des arbres assez proches à certains endroits des fortifications pour qu’un saut bien préparé me permette de les rejoindre.

Le dos droit et la nuque inclinée, je joignis mes paumes de main. Mon lumen se diffusa dans mes muscles. Mon corps était paré. Avec l’aide d’un peu d’élan et d’un bond athlétique, je parvins à survoler le vide, assez pour que je réussisse à m'agripper à une branche de bon calibre pour freiner mon mouvement et me réceptionner corps et jambes fléchis sur une de ses sœurs. Je me retournai face à l’imposante porte de ferraille.

  • À plus tard le loup.

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