Partie 2 : Vision

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    L’enseignement des enfants de Neptune reprit. Pour ce qui était de Lune, les bases du domaine sensoriel n’avaient plus de secret pour elle. Alya l’initia par la suite aux prémices du renforcement. À son image, ce n’était pas le domaine de spécialisation inné de la fille de Neptune, qui n’aurait donc pas de résultats aussi rapide et aussi probant.

Mars, quant à lui, continuait de s’améliorer aux côtés de Titania. Et quelque temps après la discussion qu’Intercrus eut avec lui, il lui proposa de l’encadrer personnellement pour l’aider à maîtriser sa lumière intérieure. Il le guida à raison de deux fois par cycle lunaire.

Comme sa réputation le laissait présager, il ne fut pas tendre et ce rythme d’entraînement fut amplement suffisant. Ainsi, sous la surveillance et les conseils de son grand-père, qui le sollicitait petit à petit à contenir de plus en plus d’énergie, Mars s’habitua à densifier son lumen dans son organisme, mais il ne fut pas épargné par les malaises récurrents. Intercrus resta prompt à intervenir dès lors que son petit-fils se laissait submerger et ce dernier rentrait de ces journées encore plus fébriles que lors de ses entraînements avec Titania.

La saison chaude était désormais bien avancée. Au changement saisonnier, la traditionnelle fête constellaire fut organisée et fut comme toujours réussie. Un hommage aux camarades perdus récemment fut une nouvelle fois commémoré et ponctua l’élan habituel.

Prius, qui avait perdu son camarade Amento, exprima beaucoup de mélancolie lors de la préparation festive. Il prononça quelques mots à l’occasion de la vision cosmique traditionnelle.

  • À mon frère d’armes, celui dont la créativité culinaire n’avait d’égal que l’ingéniosité et la gentillesse, celui qui me complétait et me transcendait. Repose parmi nos astres et continue de m’inspirer.

Il avait été bienheureux d'être épaulé par la nouvelle génération pour les préparatifs, ce qui consola son cœur et son âme. Parmi eux s'était trouvé Dioné, à peine plus jeune que les jumeaux. Il avait montré un engouement et une inventivité qui le prédestinaient à devenir un maître de l’art culinaire.

La main forte prêtée par la jeune génération avait consolé le cœur meurtri de Prius qui s’était surpassé une nouvelle fois. La constellation du Pégase, célébrée, dominait désormais la voûte galactée. Elle inspirait sagesse et agilité au peuple céleste.

Durant la nuit qui suivit les festivités, Titania ne ferma pas l'œil. Elle passa les heures nocturnes restantes à sonder le ciel. Et pour cela, le balcon rocheux dominant la vaste falaise d’Ayan était tout indiqué quand elle était en recherche d’introspection. Ce mur rocheux, à la couleur brique unique, offrait à son sommet une avancée de terre suspendue dans le vide. Cet emplacement lui était privilégié pour réaliser cet exercice spirituel en raison de l’horizon totalement dégagé qu’il offrait. Les plaines, les vallées, les forêts, les montagnes colorées ou enneigées selon la saison étaient offertes à perte de vue. Titania y avait passé, entre autres, de nombreuses et assidues séances d’entraînement.

Cette falaise était dénommée de la sorte en raison de son orientation sur la Voie lactée, et plus précisément en direction de la constellation du centaure, où l’étoile Ayan dominait ses sœurs astrales. Cette région interstellaire n’avait plus aucun secret pour Titania, la future Élue du clan d’Orion, une Ora comme nulle autre.

Aussi loin que les mémoires remontées, c’était la première fois qu’un membre du type renforcement était désigné comme Élu. Et malgré son âge assez jeune, Titania était déjà pressentie pour développer des capacités exceptionnelles en qualité de vision cosmique.

C’était pour cette raison qu’elle passa le reste de la nuit festive à explorer la toile céleste. Quelque chose l’avait perturbée durant la projection céleste. Dans l’abondance des mouvements et des figures stellaires, des interprétations intrigantes et inhabituelles lui étaient apparues. N’ayant pu en faire toute la lumière, elle était restée interrogative. Peut-être, n’avait-elle pas voulu croire ce que lui dépeignaient ses perceptions, se demandait-elle. Cela avait été trop flou pour en retenir des conclusions précises. Mais ce dont elle était sûre, c’était que Coéo l'Élu primaire n’avait pas pu passer à côté des signaux de cette fresque stellaire. Il avait pourtant omis d’en relater ses impressions et avait poursuivi son récit avec son phrasé charismatique habituel qui n’avait d’égal. À chacune de ses écoutes, Titania se souvenait avec quelle attention la jeune Ora qu’elle avait été, s’était imprégnée des paroles délicieuses et gutturales de celui qui deviendrait son maître.

Une fois la séance terminée. Titania, encore dubitative, voulut trouver des réponses auprès de celui-ci. Elle l’avait intercepté alors que celui-ci s'éloignait de l’agitation festive. Étrangement, avant que Titania ne prononce un seul mot, Coéo s’était retourné et avait secoué la tête de droite à gauche. Son élève aperçut ses grands yeux gris aveugles. La cécité dont il était victime était ancienne, mais avec paradoxe ne l'empêchait aucunement de plonger dans la richesse de l’univers, bien au contraire.

  • Excellente séance ma chère apprentie. Les Astres nous ont demandé beaucoup de ressource ce soir. Je me retire, je suis épuisé.

Les visions cosmiques lors des soirées festives étaient éprouvantes en raison de leur durée prolongée et de l’énergie que cela leur demandait, elle en était consciente. Mais Titania avait été tout de même surprise. C’était inhabituel de la part de son maître, lui qui était toujours plein d’enseignement. Elle l’avait regardé s’éloigner, s’approcher d’Intercrus avant de s'arrêter à son niveau. Puis Coéo avait poursuivi son chemin vers sa hutte.

C’est ainsi que depuis son promontoire rocheux de prédilection, Titania mobilisa les dernières forces qui lui restaient pour une ultime vision. En vain. Il s’agissait d’un exercice complexe. Tout son corps devait s’effacer et s’incarner dans un seul et même organe sensoriel pour espérer obtenir une perspective du tableau astral. Comme si son âme tout entière était projetée par le biais de ses orbites. Et la fatigue eut raison de Titania qui ne trouva pas de réponses à ses questions dans le brouillard du nimbe nébuleux. Elle s’assit et réserva les heures restantes de la nuit à imprimer une énième fois la toile lactée qui lui était si familière.

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Dans un décor hésitant se distinguait l’informe ombre d’une silhouette humanoïde, qui bien qu’indistincte laissait deviner une apparence masculine. Elle s’éloignait. Mais Titania tentait de s’en approcher. Sans succès. Plus elle s'avançait et plus l’être indéterminé s’éloignait de sa position. Elle n’avançait pas. Et pourtant elle courrait. Mais ses jambes étaient lourdes, incapables d’accélérer au gré de sa volonté. Une tiédeur grimpa. La luminosité s’intensifia, offrant un paysage plus précis qui affichait désormais un chemin de terre bordé de part et d’autre d'arbres tels des lisières forestières. La forme ténébreuse, elle, restait obscure et la distançait de plus en plus.

  • Ne m’oublie pas.

Titania se réveilla. La joue collée contre la paroi rocheuse, elle reprit ses esprits et se souvint pourquoi elle se trouvait perchée tout en haut de la falaise d’Ayan. Elle avait dû s’assoupir en fin de nuit, juste avant l’aube. Les premiers rayons de soleil avaient réchauffé son corps robuste et l’avaient tirée de ses rêves. Elle s’assit et regarda la couleur bleu clair du ciel qui s’éveillait au loin lui aussi. Les étoiles étaient retournées dans leur monde mystérieux.

Ce rêve l’était tout autant. Ce n’était pas la première fois qu’il occupait ses nuits. Il était même fréquent.

Même si une grande solidarité fraternelle existait chez les Oraï, Titania n’avait pas eu de figure paternelle intime telle que pouvait l’être un père. Ce devait être pour cette raison que son inconscient recherchait une telle représentation dans ses songes, elle qui avait été élevée par sa mère. Elle était habituée à ce rêve. Mais elle se demandait toujours quel était le sens des paroles de cette ombre.

En réalité, il n'y avait pas que son inconscient qui cherchait des réponses. Sa mère Milas, qui lui avait raconté la mystérieuse disparition de son père dans sa petite enfance, était peu bavarde à ce sujet. Dès son plus jeune âge, Titania avait donc pris l’habitude de se mettre à l’écart pour sonder le ciel, tant de jour que de nuit. Plongée dans son imaginaire, à la recherche de figures. À la recherche d’évasion. À la recherche d’explications qui n’arriveraient jamais, elle l'avait compris.

Si la compagnie et les échanges étaient essentiels pour les Oraï, cette retraite solitaire avait façonné l’être qu’était devenue Titania. De l’absence de réponse, elle avait tiré un état d’esprit et un caractère à toute épreuve. Le vaste espace qui s’offrait à elle, et qui restait muet, était le règne d’un infini désordonné et de forces insoupçonnées, mais aussi d’une incroyable stabilité et d’une richesse inépuisable. Elle avait compris que malgré le tumulte chaotique du cosmos, le ciel restait immuable, parsemé d’astres mystérieux et indomptables, et que malgré les évènements, les incertitudes, la vie était une chance et une force louées des cieux.

Avec l’âge et à force d’interroger cette impénétrable couverture étoilée, elle avait affiné son acuité visuelle dans ce maelstrom cosmique. Sans qu’elle ne s’en rende compte, son énergie spirituelle, qui s’était petit à petit développée, se concentrait avec aisance dans ses prunelles. Au point d’acquérir une perception sensorielle visuelle hors norme pour son âge et qui plus était pour une Ora du renforcement. Si bien que, lorsqu’elle eut passé l’épreuve de pénétrance cosmique, elle comme bien d’autres furent sidérés ; et elle fut désignée sans autre forme de jugement comme future remplaçante de Coéo. Cette épreuve s’était déroulée il y avait près de huit solstices maintenant.

Son art fut par la suite embelli par son maître avant qu’elle ne fût conviée à ses premières interprétations lors des soirées festives. Même apprentie, il n’était pas rare que certains membres du village viennent la questionner sur les événements cosmiques relatifs à leur étoile-mère. Et elle adorait cet exercice. À l’image du cosmos, la science artistique de sa traduction n’était jamais explicite et même plutôt vague. Son déchiffrage donnait plutôt des tendances que des réponses. Mais la foi de Titania était sans pareille. Même sans réplique détaillée, elle restait persuadée que les astres veillaient sur eux. Sur elle. Qu’elle était investie d’une mission particulière. Elle dont le corps athlétique et robuste lui était si caractéristique.

L’absence de père avait donc laissé à Titania un vide qui avait bien cicatrisé, aux origines d’une force mentale et de conviction invariables. Elle comprenait bien ce que pouvaient ressentir les jumeaux de Neptune. C’était une des raisons de son intime lien pour eux.

Malgré son jeune âge de l’époque, elle se souviendrait toujours de la nuit de leur arrivée au monde. La gémellité n’existait pas jusqu’alors chez les Oraï. Un seul enfant était attendu par Neptune, Théïa et le clan. Les astres étaient restés inhabituellement muets pour cette occasion, lui avait expliqué Coéo plusieurs années plus tard.

L’accouchement des jumeaux avait été difficile et leur bien aimée parente avait perdu la vie en les mettant au monde. Le caractère exceptionnel et la tristesse de l'événement avaient abasourdi le village d’Orion, mais la jeune Titania avait ressenti tout autre sur l’instant. Ses yeux étaient restés scotchés aux deux petits corps geignards. Elle s’était dès lors sentie indiciblement liée à ces petits êtres qui venaient de naître et qui ne connaîtraient pas leur mère. Elle sut qu’il leur manquerait un repère dans leur vie.

Trop jeune à l’époque pour porter la responsabilité de si petits êtres, l’attention de Titania avait tout de même cherché aussi souvent que possible à s’assurer de leur bien portance. Puis, elle grandit. Ils grandirent. Elle veilla, les surveilla et les corrigea. Et désormais ils éveillaient leur lumière intérieure, et développaient leurs pouvoirs tout comme elle à leur âge. Ils étaient tous deux de jeunes Oraï surprenants, fiers de leurs origines et intéressés par de nombreuses choses.

Du haut de la falaise d’Ayan, Titania eut de nouveau une pensée pour ces jumeaux uniques. Lune était un être plein d’énergie, portée par une joie de vivre et un entrain naturel. Elle était à l’image de son père. Dès son enfance, on avait senti en son sein une force intérieure juvénile sommeiller, s’animer, impatiente de s’éveiller et d’explorer le monde. Il n’était donc pas surprenant qu’elle soit spécialisée dans le domaine sensoriel. Titania avait pu en faire l'expérience lors de l’initiation de sa première élève.

Malgré leur différence et leur spécialisation spirituelle divergentes, la fille de Milas se reconnaissait en Lune. Elle était animée de la même force de volonté. D’un point de vue physique, sa morphologie était moins développée, mais sa prestance naturelle compensait cette fausse fragilité. Le front toujours droit, elle avait un regard profond et une appétence de savoir, témoignant de son intelligence naturelle et parfois responsable d’une curiosité presque impertinente. Sa fine crinière argentée était aux antipodes de celle de Titania. Elle contrastait avec ses yeux d’un jaune ambré et perçant qui ornait un visage aussi fin que solaire, lui-même courbé par une mâchoire délicatement carrée qui se mariait bien avec son assurance innée.

Mars, lui, était plus discret. Il n’en restait pas moins aussi attentionné que désinvolte et n'échappait pas à la raillerie héréditaire familiale. Il montrait une attirance notable pour les pouvoirs de son peuple. Il était impressionné par les capacités extraordinaires de ses semblables plus âgés qui sublimaient les pouvoirs du corps. Les confrontations amicales des soirées festives étaient pour lui un spectacle d’un intérêt sans pareil. Il n’avait pas les subtiles capacités dont disposait sa sœur, mais lui non plus n’était pas conscient de la force qui sommeillait en lui. Un lumen pulsatile, dense et agité, était enfoui en lui. Titania se demandait comment s’était déroulée son éclosion lors du rite d’initiation. Quoiqu’il en fut, Titania était honorée de poursuivre l’enseignement spirituel de Mars. Elle n’était pas tendre, elle le savait. Et malgré la difficulté, Mars montrait une persévérance et un désir de bien faire qui confirmait l’engouement qu’il portait pour l’éveil spirituel.

Elle se rappelait ainsi les propres difficultés qu’elle avait traversées. À la différence que ses capacités de vision amplifiées lui avaient servi de prérequis pour maîtriser et contrôler son lumen. Mars lui, partait de zéro. Et l’énergie qui restait encore quiescente en lui, prête à tout pour surgir, ne lui facilitait pas la tâche. La pierre d’âme qui était accrochée autour de son cou l’aidait pourtant dans sa maîtrise spirituelle. Titania, peu experte dans le domaine, arrivait même à palper la puissance emmagasinée dans cette petite pierre mystique. Son esprit combatif brûlait d’impatience à l’idée que ses deux jeunes apprentis arrivent à maturité. En attendant, elle poursuivait ce pourquoi elle était prédestinée, armée de sa plus belle assurance.

Et puis ce jour était arrivé. La déflagration d’Ignus. Aucun évènement, aucun feu comparable ne lui venait à l’esprit pour quantifier l’horreur et la douleur vécues. Elle avait combattu au sang, à la sueur, face à la peur, mais poussée par sa détermination. Elle avait puisé dans toute son énergie et toute la force qui lui avait été donnée. Même en état d’évanescence elle était tout juste arrivée à poursuivre le combat infernal. Au point de perdre un instant la concentration qu’elle avait maintenue en permanence au cœur du combat à l’égard de Mars. Elle n’avait vu que trop tard les convulsions mentales dont il fut pris. Et ce fut Amento qui assuma son erreur. Pour la première fois, sa présumée force infaillible fut remise en question. Elle se maudit. Mais son caractère rattrapa ses remords. Il était temps qu’elle reprenne l’entraînement.

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