Partie 2 : Retour inatendu

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   Lune et Mars se languissaient de leur père dont ils attendaient le retour avec impatience. Sa jovialité rayonnante leur manquait tout autant que ses anecdotes qui mêlaient ses propres expériences, le plus souvent triviales, mais aussi et surtout les souvenirs de leur mère défunte.

Il était leur pilier. Lui qui n’avait pas été présent pour les épauler face au dévoreur de forêt. Ils avaient à cœur de lui partager leur bravoure et leurs écueils. Et le réconfort d’un père qui savait balayer d’un revers de mots leurs doutes et leur frustration était la chose qui leur manquait pour appréhender avec paix le souvenir douloureux d’Ignus.

Cependant, le retour très attendu de Neptune, ne se produisit pas tel qu'ils l’avaient envisagé. Le Gardien d’Orion rentra dans un état physique meurtri. Son lumen, d'ordinaire radiant, fut tout juste ressenti à son arrivée à proximité du village. Il utilisait une grande partie de celui-ci pour limiter les conséquences de ses blessures. Sa main gauche comprimait une balafre conséquente qui déchirait le flanc droit de son abdomen, alors qu’un liquide sanguinolent s’écoulait de l’orifice béant. Son bras droit était lui aussi traumatisé, car il se balançait sans tonus de gauche à droite au rythme de sa boiterie. Ses blessures et sa démarche donnaient l’impression qu’il avait traversé un typhon. Ses cheveux courts et bruns étaient totalement dépeignés et couverts de sang. Et si une grimace plissait son faciès, il garda son air bonhomme habituel lorsqu’il fut secouru par ses semblables. Il ne put s'empêcher une remarque qui lui était typique pour détendre l'atmosphère.

  • Je suis un peu éprouvé par le voyage. Je ne pourrai pas fêter mon retard comme il se doit mes amis.

Quelques gémissements entrecoupèrent ses paroles insensées. Rapidement, les experts guérisseurs le prirent en charge. Résistant comme la roche et capable d'autoguérison, le corps d’un Ora tel que Neptune était robuste. Il ne manqua de le rappeler et de rassurer ses homologues. Mais ce type de blessure ne pouvait se régénérer aussi aisément qu’il ne le laissait entendre. Beaucoup de ressources furent nécessaires pour stopper l’hémorragie et stabiliser les dégâts internes. Une partie de son foie avait été arraché et des artères avaient été sectionnées, il était miraculeux qu’il soit arrivé jusqu’ici. L'énergie des différents guérisseurs fut tout juste suffisante pour s’assurer du bon pronostic de leur patient. Des feuilles de sheichuan connues pour leurs propriétés cicatrisantes furent ensuite bandées en quantité sur le corps de Neptune après l’intervention des guérisseurs. Ses jours n’étaient pas comptés, mais un repos prolongé s’imposait.

Parmi les jumeaux, seule Lune s’était trouvée au village au retour de son père. Elle n’avait pas remarqué sa calamiteuse arrivée claudicante, mais avait noté une certaine agitation. Elle ne fut avertie que secondairement et avec précaution du retour inattendu de son père, lorsque les premiers soins furent terminés.

Quand elle le découvrit alité dans leur foyer, un frisson la transit de bas en haut. Elle déglutit, sa pupille se dilata et son corps tout entier se contracta avant qu’elle ne se rue auprès de son parent. Elle le rejoignit dans son lit végétal. Elle s’accola et s’agrippa à son thorax avec force. Son désir de confessions fut vite oublié. La seule chose qui lui importait désormais était de prendre soin de son père blessé.

Le visage de Neptune s’était illuminé à l’arrivée de sa fille. Il contint un léger gémissement au moment de l’étreinte appuyée de celle-ci. Puis il l’enveloppa de son bras et caressa sa chevelure nacrée. Des mèches argentées couvraient le visage et cachaient l’émotion de sa fille.

  • Comment va ma fille préférée ? s’enquit-il d’un ton naturel.

Lune reprit un semblant de contrôle sur son émoi avant de répondre.

  • C’est à moi de te poser la question, répondit-elle comme prise de culpabilité.

Elle se frotta les paupières contre le thorax de Neptune et ces paroles furent saccadées. Pour s’assurer qu’aucun nouvel évènement néfaste ne survienne, elle ne desserra pas sa prise du jour. Elle regarda ensuite dans le vide. Qu'est-ce qui avait bien pu arriver au gardien pour atteindre à ce point son intégrité physique ? Sa spontanéité infaillible resurgit et elle l’interrogea sur l’origine de ses blessures. Sans grande vraisemblance, il raconta une péripétie qui peinait à être entendue. Il aurait fait une mauvaise rencontre. Un Dyrzak plus précisément. Une race de reptiles millénaire habitant dans les montagnes du Sud. Il s’agissait bien d’une race belliqueuse, mais elle doutait qu’un de leur membre ait pu blesser de la sorte le Gardien d’Orion. Peu importait, elle n’avait pas à cœur de questionner plus en détail son père affaibli.

Cette période que les Oraï traversaient remettait en question une nouvelle fois la vision présomptueuse préétablie de Lune. Elle avait découvert la sensation de peur et d’incertitude. Ce qu’elle avait surmonté grâce à son tempérament. Mais elle découvrait maintenant que le Gardien, son propre père, n'était pas aussi invincible qu'elle le pensait. Elle en revenait toujours à la même conclusion.

  • Tu as maintenant une excuse pour te faire dorloter, lui avoua-t-elle.

Son frère les rejoignit plus tard dans la soirée. D’ordinaire moins expressif que sa jumelle, Mars fut tout aussi affecté lors des retrouvailles. Il était rentré au village après sa journée éprouvante passée à s’entraîner. Et de retour au foyer, il resta planté à l’entrée de la chambre du convalescent. Lune, toujours présente, essuyait les quelques sueurs frontales de leur père à l’aide d’un amas végétal spongieux composé de mousse.

  • Comment va mon fils ? lança Neptune avec enthousiasme.

Mars ne s’étendit pas sur son cas. Il était bouleversé. Lui non plus n’avait jamais imaginé que son père puisse se retrouver dans un tel état. Son immaturité fit que, de la multitude de sentiments qui le traversait, fructifia un ressenti inhomogène. Il découvrait lui aussi qu’envers ses croyances, il existait un monde où il pouvait perdre son pilier. Lui qui plaçait ce père au-dessus de tout. Ce père qui devait protéger le village. Les protéger. Le protéger. Celui qui devait l’aider à s’épanouir et à maîtriser cette force intérieure qui l’effrayait. Et cette faiblesse nouvellement apparente chez celui-ci était un sacrilège qui brouillait son esprit. C’était presque une honte que le Gardien soit blessé de la sorte, mais ce qui le troublait le plus était qu’il n’avait jamais imaginé ressentir de l’inquiétude pour lui. Cette peur, tout aussi nouvelle que pour sa sœur, fragilisait ses certitudes et parasitait ses pensées. Pouvait-il vraiment compter sur lui ? Que deviendrait-il s' il venait à disparaître ? Et par un réflexe instinctif et inconscient de préservation, Mars établit un comportement distant perceptible. La colère l'intima de rester planté dans l'entrebâillement de la porte.

  • Où étais-tu ?

Le père étouffa un sourire gêné. Le pragmatisme de son fils ne l’étonnait pas, mais il avait entendu le ton critique employé. Il comprit le combat intérieur que menait son fils, et sa question soulignait beaucoup de sentiments implicites.

Neptune avait appris pour Ignus et pour les Oraï disparus au combat. Bien qu’on lui eut rapporté la bravoure de ses enfants, il se sentait tout autant sinon plus meurtri de ne pas avoir été là pour les protéger que ses propres blessures. Il détestait l’image que son état actuel reflétait dans les yeux de ces derniers. Il détestait le souci qu’il leur procurait avachi dans son lit.

Il se remémora sa confrontation. Ce qui lui était arrivé était une première dans l’histoire. Une contraction vint pincer ses entrailles et son expression au même moment, car il supposait au fond de lui ce dont était fait l’avenir. Peu importait ce que lui dirait le cercle, sa décision était prise.

  • J’ai fait une mauvaise rencontre malheureusement, répondit-il avec sérieux.

Mars dévia le regard, vexé de cette réponse évasive. Quant à Neptune, son regard et son air devinrent neutres tout comme le ton qu’il employa d’une voix calme et rassurante.

  • Approche Mars.

Le fils s'exécuta. Une fois à proximité, le Gardien posa la main sur la tête de son fils.

  • Je serai à vos côtés désormais. Et c’est la dernière fois que vous vous ferez de l’inquiétude pour moi.

Telle une douche froide, ces paroles rassurantes résonnèrent comme une promesse inaltérable et purgèrent les ressentis de Mars. Le barrage transitoire se brisa et laissa place à un afflux de sentiments. Le jeune Ora chut sous le poids de l’émotion retenue qui s’était relarguée d’un coup. À genoux, Mars attrapa la main de son père qu’il sera de ses deux mains et qu’il maintint appuyée contre son front. Les yeux fermés, il tentait de garder le contrôle sur la vague qui le submergeait.

  • Je suis content que tu sois rentré, sanglota-t-il.
  • Moi aussi mon fils.

Lune qui n’était pas intervenue et qui avait assisté à la scène, ne put retenir quelques larmes. Sa bonne humeur reprit rapidement le penchant.

  • Viens Mars, on va préparer un repas festif pour le retour de papa ! Laissons-le se reposer en attendant.

Son frère acquiesça, et le cœur lavé de toute rancune, il employa autant d'entrain que sa sœur au fourneau.

               Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω Ω

Titania traversait le village. Elle était résolue et savait quel chemin emprunté. Le hameau de résidence du peuple céleste n’était pas vaste et elle connaissait par cœur la route jusqu’à la cahute qui l'intéressait. Elle l’avait pris un nombre incalculable de fois. Elle croisa Japet sur le trajet qui l’interpella.

  • Tita’, la héla-t-il en s’approchant.

Japet était un peu plus âgé que Titania. Sa peau était claire, ses yeux vert foncé, et ses cheveux fins et mi-longs encadraient sa mâchoire de part et d'autre de leur couleur noire. Comme bon nombre d'individus masculin du peuple céleste, il était imberbe, avait le torse dénudé et ses jambes étaient couvertes de pans de tissus et de cuir épais noués à la ceinture faisant office de large cuissard. Ce qui le distinguait était des sortes de coudières noires qui habillaient ses avant-bras. Il faisait la même taille qu’elle, était aussi de type renforcement et était connu pour être un chasseur hors pair. Il cherchait souvent l’attention de Titania qui avait quelque soupçon sur le fondement de ses sentiments. De son côté, si elle le trouvait sympathique et même attirant, elle jugeait ne pas avoir le temps pour ce type de distraction. La supervision de Mars avait marqué un temps d'arrêt depuis le retour de Neptune, mais elle restait occupée par les enseignements de Coéo, les tâches quotidiennes de la vie en communauté et surtout par la reprise de sa propre formation. Elle devait développer son lumen, approfondir son état d'évanescence et améliorer son efficience spirituelle.

  • Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas confrontés. Si le cœur t’en dit, on pourrait remettre ça d’ici peu.

Japet et Titania s’étaient souvent entraînés ensemble par le passé. Et leurs escarmouches mutuelles étaient leur exercice de prédilection.

La proposition aiguisa l’intérêt de Titania qui se retourna vers son camarade. Sa longue natte suivit le mouvement et vint se caler contre sa clavicule droite pour se prolonger le long de son thorax. Dans cette position, cet appendice capillaire atteignait le haut de sa hanche. Ses yeux noirs transcrivaient son ravissement, mais elle avait une mission et devait repousser l’invitation.

  • J’accepte ta proposition Japet mais pas dans l'immédiat. Je reviens vers toi dès que possible.
  • C’est entendu Tita’. J’espère que cette fois j’aurai l’honneur de contenir ta natte légendaire.
  • Je te conseille d’aller à l'entraînement dès à présent si tu veux que tes rêves deviennent réalité, lui répondit-elle les mains sur les hanches et les biceps saillants.
  • Tu risques d’être surprise.
  • Je n’attends que ça.

Ils mimèrent un sourire intime.

  • À très vite Japet, conclut Titania en reprenant le chemin préalablement entrepris.

Japet n’était pas un adversaire à prendre à la légère. Il était dans la fleur de l’âge et ses capacités de renforcement étaient notables. Mais elle n’avait aucune crainte, bien au contraire.

Elle arriva bientôt devant la cabane de Neptune. Il devait certainement se reposer. Titania avait appris pour l’incident dont il avait été victime. Même si elle ne connaissait pas la cause de celui-ci, elle avait peine à imaginer un être capable de blesser de la sorte leur Gardien. Qu’importait, le cercle avait ses raisons que seuls les astres connaissaient. Il cicatriserait rapidement, elle avait peu de doute. Et peut-être que dans un futur pas si lointain oserait-elle enfin le défier dans une confrontation amicale lui aussi. Son rythme cardiaque s’accéléra rien qu’en l’imaginant. Elle avait atteint un niveau spirituel remarquable et désormais pour progresser, il fallait qu’elle se batte contre meilleur qu’elle-même. Japet était un adversaire à sa hauteur, mais Neptune faisait partie de ceux contre qui elle rêvait de se mesurer.

Elle n’était pas là pour ça aujourd’hui. Elle grimpa les quelques marches qui menaient au portique d'entrée. Elle frappa puis ouvrit la modeste porte en bois avant de s’introduire dans le domicile de ses jumeaux préférés. Elle entendit des voix qui discutaient et se dirigea dans la pièce d’où elles provenaient.

Elle aperçut Intercrus et abaissa la tête pour le saluer avec respect. Elle réserva la même attention à Neptune qui était allongé sur un lit et pansé sur une bonne partie de son buste.

  • Bonjour, Titania, s'enthousiasma le Gardien, que me vaut ta visite.
  • Je ne voudrais pas vous déranger.
  • N’aie crainte mon enfant, nous en avons terminé, conclut Intercrus.

Il contourna Titania, dont la tête atteignait tout juste le haut de son épaule, avant de disparaître.

  • Je n’ai pas encore pris le temps de prendre de tes nouvelles. Comment vas-tu Gardien ?
  • Comme une comète en fusion. Je suis en pleine forme, mais mes blessures ne sont pas encore cicatrisées alors je profite de la servitude de mes adorables enfants.

Titania hocha la tête.

  • Pour être honnête, j’avais peu d’inquiétude quant à ta guérison. Mais je suis heureuse de savoir que tu te remets comme il se doit.

Elle repensa à ses visions cosmiques douteuses de la dernière fête constellaire. Elle avait soupçonné beaucoup de chose, mais pas que la vie de Neptune aurait été mise en danger. Elle repensa aussi à ce qui lui avait traversé l’esprit quelques minutes plus tôt, mais ce n’était pas le moment de le défier en duel. Puis elle repensa au combat contre Ignus.

  • Tu sembles empreinte d’hésitation.

Elle se reconnecta à la réalité, presque surprise de son absence et redressa son attention vers Neptune.

  • L'entraînement de Mars a porté ses fruits. Il maîtrise les bases du renforcement et connaît bien notre anatomie musculaire. Mais il lui reste un gros travail de contrôle spirituel.
  • Je ne doute pas un seul instant qu’il ait fait de grands progrès à tes côtés.
  • Je n’ai fait que transmettre ce que tu m’as enseigné Gardien.
  • Pas de ça avec moi Titania. Je connais tes capacités et je sais aussi bien que Milas que tu es douée d’une force mentale à toute épreuve, alors ne te sous-estime pas.

Elle offrit un sourire en coin en guise de remerciement. Sa mère Milas, membre du cercle, lui avait permis de faire éclore son lumen lors de son rite d’initiation. Mais ce fut bien Neptune qui avait été son mentor pour développer ses capacités de renforcement. Elle l’admirait au fond d’elle pour ce qu'il représentait et elle serait toujours reconnaissante pour ses enseignements. Elle avait développé un certain attachement pour lui et le connaissait bien. Elle savait de quoi il était capable et si elle ne l’avait jamais vu se donner au maximum de sa force, elle soupçonnait l'étendue de celle-ci. Raison supplémentaire de son étonnement quant à l’état de convalescence de son mentor.

  • Mars dispose d’un lumen immense.
  • Il ne passe pas inaperçu, tu as raison.
  • Sa pierre d’âme l’aide grandement. Mais il arrive malgré tout qu’il se fasse submerger. Je ne suis pas assez bonne conseillère pour le guider dans cette gestion fine spirituelle. Je n’ai d'ailleurs pas su le protéger lors du combat contre le dévoreur de forêt …

Elle n’eut pas le temps de terminer que Neptune la coupa dans sa confession : « Les seuls responsables sont Ignus et moi-même. »

  • Je ne suis pas en mesure d’aider Mars comme il se doit pour maîtriser le poids de son lumen. Intercrus a commencé à le guider.
  • Tu as raison, Mars est handicapé par l’intensité de sa lumière intérieure. Et tu as fait aussi bien que je n’aurai pu le faire Titania, n’en aie aucun doute. Je t’en remercie autant pour ton investissement que pour ton attention bienveillante. Intercrus et moi-même allons l’accompagner.
  • C’est moi qui te remercie Gardien.
  • Je t’ai déjà dit de nombreuses fois de m'appeler Neptune, s’agaça-t-il avec légèreté. Tu me donnes l'impression d’être un despote vénéré.

C’était vrai. Titania l’admirait et elle ne pouvait faire autrement. Elle avait peur que son attachement s'intensifie malgré elle si elle ne marquait pas une distance verbale.

  • Entendu, Neptune, répondit-elle avec malice. Sais-tu où sont passés tes deux niyaï ? Je les cherche, c’était la seconde motivation de ma visite.
  • Ils sont partis à l’est chercher des feuilles de sheichuan. Ils me soignent comme un nourrisson et j’en profite !

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