Partie 3 : Retraite

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   L’affrontement était déséquilibré et la boucherie annoncée ne tarda pas à animer la pauvre scène. Les éclaireurs combattaient avec vaillance éperdue quand leurs adversaires brisaient les corps, broyaient les os et découpaient les chairs indescriptiblement. Ils étaient pourtant dix fois plus nombreux et malgré leurs équipements et leur entraînement spécifique, la différence de niveau restait trop grande. L’endurance, la force et la rapidité des Atlants étaient bien supérieures au commun des mortels. Et si plusieurs poignées d’hommes combattaient contre un seul et même opposant, cela n’empêcha pas leur massacre et le ciel fut une nouvelle fois spectateur d’atrocités qui souilleraient le sol innocent de cette vaste prairie. Rares étaient ceux qui pouvaient résister, ne serait-ce qu’aux premières minutes de combat face aux colosses des mers. Ils succombaient les uns après les autres. Certains sergents firent honneur à leur rang en offrant quelques échanges prolongés, mais la mort les guettait tout autant.

Le capitaine Yike qui avait été en première ligne fut pris très tôt dans un combat singulier avec une des créatures. Il faisait partie de ces hommes pour qui la patrie importait plus que sa propre vie. Un individu convaincu que la gloire d’un homme passait par la défense de ses terres et par le salut de son âme au combat. Il était grand et charismatique, puissant et vif, maniant de ses mains agiles sa longue hallebarde comme si elle n’était qu’une simple épée. Elle dansait autour de lui avec puissance et adresse, et s’en servait aussi bien d’une arme que d’un appui pour se propulser lorsqu’il la plantait dans la terre offusquée. Son long manteau à fourrure ne faisait pas partie de la démonstration, abandonné très tôt dès les premiers échanges meurtriers. Beaucoup le regardèrent avec impression et enthousiasme face à tant de maîtrise. Il semblait pouvoir faire égal à égal avec son adversaire du jour qu’il avait pris à partie, et donna de l’espérance à ses subordonnées pendant de longues minutes. Quelques minutes d’espoir. Quelques minutes de présomption avant qu’il ne se fasse écraser sans plus de remords par son assassin qui poursuivit ses actes odieux.

Dans cet affrontement sanglant, les jumeaux combattaient côte à côte. Le cadre tragique se déroulant sous leurs yeux enragea leur cœur de souvenirs douloureux, et la cruauté immorale, qui n’avait pas quitté les Atlants, les emplit d’une féroce envie de revanche. Ils n’étaient plus les jeunes Oraï impuissants qu’ils avaient été lors du Raz-de-marée. Ils se battirent dans un duo endiablé, inséparable et coordonné. Si plusieurs éclaireurs se regroupaient sur un seul et même ennemi, les jumeaux étaient, à l’inverse, capables d’affronter une créature aquatique de manière isolée. Lune, insaisissable, accaparait ainsi l’attention et ralentissait plusieurs ennemis en simultané. Elle intervenait pour sauver d’une mort certaine nombre de ses camarades tout en prêtant main-forte à son frère, Mars, qui, de son côté, était pris d'une fièvre frénétique laissant libre cours à ses humeurs diaboliques. Il était satisfait de pouvoir combattre face à face un Atlant malfaisant. C’était celui-ci et pas un autre qui allait commencer par payer pour toutes ses souffrances.

Leur valse combative était un spectacle surhumain. Pour leurs fragiles cousins, ils semblaient se mouvoir dans une gymnastique agile, qui mêlait des acrobaties aussi brutales que puissantes pour ce qui concernait Mars et une danse véloce et agile pour sa jumelle. Leur coordination était le reflet d’un balai grandiose, luminescent de par leur lumen volatile qui pourtant restait invisible pour leurs faibles comparses.

Leur prestation martiale combinée leur permit de mettre hors d’état de nuire un de leurs ennemis et même d’ôter la vie de l’un d’eux après la conjugaison d’un coup fracassant de Mars dans le dos de celui-ci et d’une attaque perforante de Lune dans sa poitrine écailleuse.

Ils n’en retirèrent aucune satisfaction. Le combat ne faisait que commencer, leur corps étaient déjà éprouvés et leurs camarades bien clairsemés. Le renforcement de Mars lui permettait d’affronter les Atlants, mais cela lui demandait un investissement considérable. Quant à Lune, sa force sensorielle lui octroyait une efficience combative et des coups percutants, mais sa résistance n’égalait pas celle de son frère. Tous deux essuyèrent des blessures qui ne cessèrent de s’additionner. Leur capacité d'évanescence les rendait plus endurants, mais ne saurait être suffisant et à ce rythme ils ne pourraient tenir très longtemps. Ils le comprirent, lorsqu'après plusieurs minutes de combat, leurs ennemis semblèrent se concentrer sur leur cas. Comme si leur instinct les appelaient à les éliminer. Les jumeaux n’avaient pas le temps de se poser plus de questions. Leurs intentions furent contraintes à s’orienter vers la défensive. La défaite n’était pas une option et la moindre erreur d’inattention pouvait leur être fatale.

Malgré la disparité de forces, quelques créatures aquatiques assumèrent de leur vie la force d’acharnement des quelques centaines d’hommes résignés à leur survie. Le Sergent Lore notamment se battait avec férocité et efficacité. Il maîtrisait assez bien sa force intérieure pour que ces coups d'estoc imprégnés de sa pulsation intérieure blessent ses ennemis. En outre, disposait-il de capacités de renforcement basiques qui lui octroyaient des mouvements puissants et une rapidité à la hauteur de l’épreuve. En dépit de cette performance, les pertes bien plus grandes dans leur camp. Seulement quatre Atlants avaient été mis hors d’état de combat quand près de la moitié du régiment d’éclaireurs parsemait de leur corps inerte la zone d’affrontement. Le plan B allait être promulgué. Mais pas celui auquel les bas gradés avaient été informés.

Un son de cor retentit dans le désordre du champ de bataille et s’additionna au cri sonore du criard Atlant qui n’avait cessé de résonner. Les ignorants écartés de la confidence allaient découvrir sa signification.

Pendant ce qui s’était apparenté à un massacre, les trente destructeurs avaient été armés, lustrés et étaient disposés à faire feu. Il ne s’agissait pas de canon ordinaire. Ils avaient été créés spécifiquement pour tuer les créatures aquatiques. Les boulets étaient chargés et les ouvriers d’artillerie s’étaient placés de chacun sur l’un des côtés des canons pour y introduire un bras au travers des ramifications originales. Ils n’étaient pas postés de la sorte pour maintenir la structure, mais en réalité pour infuser leur force intérieure au contact du projectile. L’objectif était d’accentuer la force de pénétration des boulets par le biais de leur énergie. C’était le même fonctionnement que pour leurs équipements militaires et qui rendait leurs armes plus incisives et leurs armures plus résistantes.

Alors que la promiscuité des combats continuait de faire rage, et que hormis les sergents, personne ne s’était préparé à l’audition du son de cor, le feu fut prononcé. Les destructeurs hurlèrent leurs tirs mortels.

Avec surprise, les membres supérieurs des artilleurs, introduits dans les compartiments spécifiques, ne furent pas arrachés, mais subirent des fractures multiples et des brûlures profondes par le souffle de l’explosion. L'architecture des destructeurs avait été façonnée pour cet usage démoniaque et ne les rendait par conséquent pas hermétiques à leur force explosive.

Ces canonniers avaient été spécifiquement choisis pour la maîtrise de leur pulsation intérieure et pour leur volonté inflexible qui surpassait la propre préoccupation de leur intégrité physique ou de toute douleur insupportable. La sélection avait été sévère, ils avaient essuyé nombre de tests aussi bien physiques que psychiques, et leur tolérance à la douleur était très élevée tout comme leur sens du sacrifice.

Le prix à payer était donc lourd pour l’utilisation de ces engins et les tirs ne seraient pas indéfinis, mais ils représentaient le dernier espoir du premier régiment pour contenir l’ennemi.

Les boulets fusèrent, perforant de part en part l'espace aérien du champ de bataille. L’air siffla, l’explosion détonna, l'incompréhension s’afficha et l'épouvante s’aggrava. Les corps de nombreux éclaireurs ne purent échapper à cette force de frappe, et les âmes de leurs congénères miraculés furent quant à eux traversées d’horreur. Quelques Atlants furent percutés eux aussi par les tirs. Et malgré leur force légendaire, ceux-là même furent projetés avec violence par l'impact énorme qui pénétra leur buste pour les éjecter jusqu’à leur point d’arrivée. Ils étaient maintenant hors combat comme bon nombre d’éclaireurs qui perdirent la vie de la main de leurs frères.

La surprise avait assommé chacun des deux camps, mais l’effroi avait surtout gagné un cran parmi les troupes humaines en plein cœur du combat. Ils avaient prouvé leur honneur et leur attachement à la sauvegarde du village en mettant leur vie en jeu contre des créatures qui les surpassaient. Mais ce qui venait de se jouer anéantissait leurs vestiges d’humanité. Ils étaient humiliés, noyés par la honte et le discrédit dont ils étaient les victimes. Incapable d’être à la hauteur du front, à la hauteur des espérances. Ils étaient sacrifiés sans vergogne. Ni plus ni moins.

Les jumeaux purent esquiver la première rafale, ainsi que la seconde qui parachevait la mission des destructeurs d’annihiler sans distinction toute forme de vie. Même Mars ne pourrait survivre à l’impact d’un de ses tirs d’artillerie. Ils fendaient l’air avec une vitesse inouïe et l’énergie spirituelle emmagasinée dans chacun décuplait leur force de pénétration. L’inventivité des hommes surprenait.

C’était le capitaine Swann qui était aux commandes, elle qui avait formé les artilleurs. Les quelques rescapés éclaireurs ayant survécu aux deux tirs battirent en retraite en direction de ceux qui n’avaient aucune considération pour eux. Ils avaient perdu toute foi combative.

Les Atlants, eux, ne furent pas impressionnés par ce nouvel engin dont seuls les hommes avaient le secret, mais c’était la première fois que leurs instruments pouvaient à ce point blesser les leurs. Ils continuèrent la poursuite de leurs proies en plein naufrage. Les jumeaux eux tentaient tant bien que mal de survivre à leurs assaillants. Dos à dos, ils perpétuaient leur bal incessant de prouesse martiale, mais leurs limites approchaient à grands pas. Mars avait déjà réclamé une partie de son dû enfoui dans son artefact ancestral. Ses idées s’étaient troublées et son état d'évanescence déjà faiblard était devenu bancal. Lune, elle, n’était plus qu’une ombre vivace qui n’avait d’autre but que d’esquiver et désorienter les adversaires. Leur lumen s’amenuisaient.

Une troisième rangée de tirs se fit entendre. Des corps tombèrent à nouveau. Les remords n’étaient pas de mise chez Ella Swann. Mais les canonniers triés pour leur compétence allaient manquer de bras au sens propre du terme. C’est alors que le crieur des profondeurs arrêta son beuglement sonore maintenu jusqu'alors. La vingtaine d’Atlants restante, en pleine chasse de leurs ennemis, stoppèrent leur traque avec soudaineté et tournèrent leur regard vers leur homologue qui s’était tu. Leur faciès apathique restait impénétrable, mais leur férocité avait laissé place à une soudaine et énigmatique préoccupation. Ils rebroussèrent chemin avec hâte sans autre commandement. La poignée d’entre eux qui s’étaient regroupés autour des jumeaux n’en fut pas exempte.

Peu habitués à ce genre de rebondissement, les éclaireurs restants furent autant subjugués que pressés de s’éloigner aussi vite que possible de la zone de front. La victoire n’était pas coutume dans leurs esprits et le doute persistait. Quel était cet artifice ? Un sourire satisfait s’afficha sur le délicat visage de l’intraitable Ella Swann lorsqu’au même moment un émissaire vint lui faire un rapport sur la situation générale. Contrairement à ce qui était prévu, lui et quelques-uns des siens avaient rapporté nombre de leur monture.

Mars et Lune qui avaient été acculés furent aussi surpris que soulagés. Ils regardèrent leurs ennemis s’échapper. Puis ils tournèrent leur regard vers leurs alliés qui se ralliaient en retraite. Le capitaine Swan semblait donner des ordres au pauvre groupe qui restait du bataillon. Ils semblaient tous s’activer suite aux directives, et les destructeurs furent à nouveau tirés et chargés sur leur chariot. Les combattants rescapés à l’esprit et au corps brisés montèrent sans plus attendre sur le dos de leur coursier quand Ella Swann hurla avec colère en direction des jumeaux qui étaient restés confus au milieu du massacre. En cet instant, ils n’entendirent rien. Ils regardaient tout autour d’eux la terre abreuvée du sang des corps gisants. Leurs tenues tout comme leur lucidité étaient déchirées par leur combat, et leur cape écorchée à l’image de leur corps n’était plus qu’un maigre tissu. Ils se tournèrent à nouveau vers les Atlants qui venaient de disparaître derrière la végétation pour certains. Ils se toisèrent un bref moment avant de s’élancer vers eux. Le capitaine Swann hurlait.

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