Le rideau de rubans colorés
Julien commençait à trouver les rencontres pesantes tandis qu’il s’arrêtait au stop au bout de la rue avant de tourner à gauche dans le bourg. J’aurais dû m’en douter, mais je n’y ai pas pensé sur le moment à toutes ces tracasseries d’explications. J’y avais pourtant bien réfléchi, mais l’expliquer après, c’est une autre histoire. Pensa-t-il. Il entendit un tir retentir derrière lui. Il ne vit pas les étourneaux s’envoler à nouveau. Il tourna et entra dans le tableau des ombres qui s’allongeaient et découpaient le bourg en surfaces et en plans géométriques à la façon déconcertante d’une peinture moderne : les murs des maisons de chaque côté de la rue dialoguant entre l’ombre et la lumière. Julien arriva sans y penser, et le regretta aussitôt, près de la petite maison blanche, assemblée de plaques de fibrociment, aux volets verts et au toit de tôles ondulées rouges. Un jardinet, de deux mètres de large, jusqu’à la rue, parcourait son humble façade sur toute sa longueur. Flottant devant la porte ouverte de la maison, un rideau de rubans en plastique de toutes les couleurs en masquait l’intérieur. Les rubans, l’un après l’autre, ondoyaient dans le léger courant d’air sans y laisser pénétrer un regard. La maison était sur sa gauche, la chaussée les séparait, mais il se rabattit sur sa droite autant qu’il le put et que le bas-côté le permît. Le chien l’observait depuis qu’il l’avait aperçu tourner le coin de la rue et le suivait attentivement, absolument immobile. Seul un grondement grave et sourd émanait de sa gorge. Dès qu’il le sentit à sa portée, il aboya violemment en se jeta de tout son poids sur le grillage. Un grand et musculeux molosse noir et brun mélange de doberman et de loup, disait-on, ce qui avait déjà valu à la petite maisonnette d’aspect si tranquille plusieurs visites des gendarmes. Un ordre retentit. — POUTINE, ARRÊTE. » La voix d’homme vigoureuse qui semblait naître directement des rubans tremblants, surprenait, autant que celle du chien, par sa force que par sa nature invisible qui en décuplait la crainte. Le chien continua son vacarme se jetant sur le grillage et le longeant dans une danse belliqueuse. La voix hurla à gorge déployée. — POUTINE, ARRÊTE, J’TE DIS. » La voix, méchamment, parcourut la rue avec ampleur, se mélangeant aux aboiements du chien dans une terrible étreinte primitive et féroce. Pourtant, derrière les fenêtres, aucun rideau ne bougea. Le chien s’asphyxiait en vociférant contre le grillage qui ployait sous son corps arc-bouté sur ses pattes avant. Les griffes de ses pattes arrière, griffaient et raclaient rageusement la terre, scarifiant un sol déjà meuble de plusieurs tentatives. De grosses veines saillantes parcouraient le cou et le torse du molosse dont les yeux marron proéminent, parcourus d’éclairs meurtriers et exorbités de fureur promettaient un châtiment souverain. Julien accéléra sur les graviers. Il entendit, le chien hors d’haleine s’essouffler et un dernier ordre sonore et puissant qui fit tressaillir le rideau de toutes les couleurs. — POUTINE, NON DE DIEU. » Avant que la distance et un dernier virage salvateur le coupent de la vue de la maisonnette et du chien. Julien respira. Sacré nom de Dieu, se dit-il. Il porte bien son nom celui-là.
On a essayé. On l’a envoyé au centre spécialisé. On ne pouvait pas savoir comment ça allait se passer. Quand il revenait une fois par mois, il était devenu triste et sombre, il pleurait. Ils nous avaient paru gentils pourtant quand on avait visité. On pensait qu’ils s’en occuperaient bien. Ils étaient plusieurs par chambre dans des lits en fer tout blanc. C’était propre. Il y avait des tableaux avec des formes colorées et des jouets en bois de toutes les couleurs. Ça nous avait paru bien. On n’a pas eu le cœur de l’y remettre et de continuer. Peut-être qu’ils n’étaient pas assez pour s’en occuper. Ils leur donnaient beaucoup de médicaments pour être tranquille. Ils étaient tous calmes, mais ils ne s’en occupaient pas vraiment. Que du blanc autour de moi et du silence. Maman parle souvent comme ça, sans peine et sans joie, elle dit juste les choses.
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