Chapitre 1.5: Didascalie
Jérémy Chapi :
Notre arrivée en bus fut remarquée par certains journalistes présents, mais ils allaient être déçus en voyant que nous ne passions pas par l’entrée principale, mais plutôt par l’arrière du bâtiment imposant. Le toit, composé de bois, s’étendait vers l’extérieur en formant une feuille de vigne, tandis que les murs étaient ornés de décorations fines en pierre, traçant des courbes élégantes. Les portails en fer, ornés du bâton d’Asclépios sur un anneau en bronze, s’ouvrirent pour nous laisser entrer, alors que les journalistes tentaient de capturer des clichés à travers les barrières.
Une fois descendus du bus, je partis rejoindre ma fille pour m’assurer que tout s’était bien passé, malgré le message qu’elle m’avait envoyé pour me rassurer. Elle m’avait écrit qu’elle avait apaisé les tensions avec la famille Pavel, mais Vivian me retint par le bras gauche avant que je n’atteigne Iris.
"Doucement, papa poule. Elle ne va pas s’envoler," me taquina-t-elle avec un sourire.
"Vivian, s’il te plaît, lâche-moi," répondis-je avec un rictus de douleur. Sa poigne, bien que légère, appuyait sur mon bras affaibli.
"Pardon, je t’ai fait mal ?" demanda-t-elle, inquiète, en me lâchant immédiatement.
"J’ai connu pire," rétorquai-je, tentant de minimiser la douleur.
"Calme-toi et observe la situation. Ne te précipite pas vers eux," ajouta-t-elle d’un ton sincère.
Depuis ma position, je pouvais observer la rampe par laquelle le camion descendait. Tous les agents prenaient leur poste, chacun à son tour, tandis que la famille Pavel sortait avec précaution pour accompagner leur fille. Ma fille, Iris, les suivait, et je remarquai effectivement que l’expression de Pavel semblait s’être adoucie, bien que des cernes profondes restassent visibles sous ses yeux. Il marchait aux côtés d’Iris, échangeant quelques mots avec elle, ce qui me rassura et me procura un soulagement profond, même si le pire restait à venir.
"Bien, j’espère que vous êtes prêts pour la suite," leur demandai-je doucement.
"Oui, nous allons faire de notre mieux," répondit Elowen, tandis que ses parents acquiesçaient silencieusement. Ensemble, nous entrâmes dans le bâtiment.
Le silence pesant de la salle de conférence contrastait avec le tumulte de mes pensées. Les regards fixés sur moi semblaient percer chaque couche de ma volonté. C'était un moment que je redoutais depuis des semaines, et pourtant, il était inévitable.
Face à moi se trouvait un public composé des médecins les plus réputés au monde, de chercheurs visionnaires, mais aussi de critiques sceptiques. L’enjeu était immense : présenter le remède miracle, cette innovation qui, je le savais, allait bouleverser l’humanité.
Je pris une profonde inspiration. Le moindre mouvement, le moindre mot serait scruté, décortiqué et jugé. Mais ce n’était pas cela qui pesait sur mes épaules. Non, ce qui me hantait était de savoir que ce remède allait être démontré sur une personne que j’avais appris à considérer comme une amie : Elowen.
Sur scène, entourée de dispositifs médicaux à la pointe de la technologie, reposait une mallette scellée que surveillait Vivian. Elle contenait ce remède qui avait déjà provoqué tant de polémiques et soulevé tant d’espoirs. Les lumières froides de la salle éclairaient la scène, donnant une allure presque dramatique à l’événement.Je reconnus la signature de ma fille qui contrôlait tout le système d’éclairage de l’amphithéâtre où nous nous trouvions et s’occupait également de traduire mes paroles à notre auditoire. Seule ma fille pouvait remplir ce rôle et assurer le contrôle de la scène avec une précision orchestrale, telle une cheffe d’orchestre.
Je me tenais droit, habillé sobrement mais avec une élégance discrète. Mes mains tremblaient légèrement, trahissant le stress qui m’envahissait devant cette assemblée, mais mon regard restait fixé sur le public.
"Mesdames et messieurs, merci de vous être réunis aujourd’hui. Ce que vous allez voir n’est pas seulement le fruit de recherches scientifiques approfondies. C’est aussi une vision, un rêve porté par le désir d’offrir à l’humanité une nouvelle chance."
Une légère agitation parcourut la salle. J’avais capté leur attention, mais je savais que ce n’était qu’un début.
"Avant de poursuivre, je tiens à vous présenter la personne qui a accepté de se tenir ici aujourd’hui, non pas en tant que simple patiente, mais en tant qu’être humain qui veut briser ses chaînes. Elowen, si vous voulez bien..."
Les portes latérales s’ouvrirent, et Elowen apparut, accompagnée d’une équipe médicale. Ses pas étaient lents mais déterminés, et son fauteuil électrique émettait un léger bourdonnement. Les regards se tournèrent vers elle, oscillant entre curiosité et appréhension.
Je fis un pas vers elle et posai doucement une main sur son épaule. "Elowen représente bien plus qu’un cas clinique. Elle est un symbole de courage et de foi dans ce que l’avenir peut offrir."
Je pouvais entendre le murmure parcourir l’assemblée alors que les regards se fixaient sur Elowen, cette jeune femme au regard profond, qui semblait déterminée à aller jusqu’au bout. L’équipe médicale prépara rapidement l’installation, tandis que les écrans dans la salle projetaient des images en gros plan sur plusieurs écrans géants que ma fille gérait en arrière-plan. Pendant ce temps, l’équipe connectait Elowen aux différentes machines pour surveiller ses constantes vitales.
La tension était à son comble. Debout face à l’assemblée, je savais que chaque seconde à venir serait cruciale.
"Ce que nous allons entreprendre ici n’est pas sans risques. Mais ce sera une avancée majeure, non seulement pour Elowen, mais pour des millions de vies."
Je repris mon souffle avant de conclure :
"Que l’on croie ou non en cette vision, aujourd’hui marque un tournant. Un moment où nous devons choisir entre rester spectateurs ou devenir les acteurs d’un futur que nous avons le pouvoir de changer."
Les parents d'Elowen, assis en retrait sur la scène, regardaient avec une nervosité palpable. Je fis un signe à Vivian de s’approcher avec la mallette qu’elle ouvrit face à moi. J’en sortis deux fioles de la taille d’un pouce que je présentai devant le public.
Je montrai d’abord la fiole jaune. "Je vous présente le Sang de Gaïa," dis-je, avant de brandir la fiole bleue. "Et voici les Larmes de Gaïa. Séparées, ces fioles n’ont aucune utilité, mais une fois unies, elles activent une régénération tissulaire avancée et une thérapie cellulaire unique, tout en stimulant des gènes clés comme le IL-10 ou le p53, parmi bien d’autres."
Je pris une seringue sur la table à mes côtés et commençai à en extraire le contenu de la fiole jaune, avant d’ouvrir la fiole bleue.
"Ces deux composés doivent être mélangés directement dans le corps du patient pour être efficaces," expliquai-je en me dirigeant lentement vers Elowen.
Elle me regardait avec une telle profondeur que mes mains se mirent à trembler. Qu’étais-je en train de faire ? Mon souffle devint irrégulier, et je tournai la tête vers Pavel. Il était concentré, le regard fixé sur moi, les traits tendus par l’angoisse.
"Père, ressaisis-toi," murmura la voix d’Iris dans mon oreillette, me ramenant à la réalité.
Puis Elowen, avec un calme déconcertant, ajouta : "Fais-le."
Je déglutis et lui tendis la fiole bleue, qu’elle but lentement. "C’est étrange... c’est si frais," murmura-t-elle avec un léger sourire. Mais mon visage, lui, restait crispé, incapable de se détendre.
"La première partie du remède doit être ingérée, tandis que la seconde doit circuler dans le sang," expliquai-je d’une voix ferme. Je tapotai la seringue pour faire sortir les bulles d’air et me mis à genoux devant Elowen. Je posai une main sur mon micro-cravate pour couper le son et lui murmurai : "Tu peux encore tout arrêter si tu le souhaites. Tu n’es pas obligée d’aller jusque-là."
Je baissai les yeux, honteux de ce que je faisais. Est-ce que je la pousse à faire cela pour mon propre bien ? Qui suis-je pour lui imposer cela ?
"Arrête de me sous-estimer, Jérémy," dit-elle avec force. "Moi aussi, je le veux au plus profond de moi. Tu penses que c’est une vie, celle que je mène ? Je ne suis qu’un boulet pour mes parents. Alors arrête de te dégonfler devant moi et respecte ma volonté."
Elle planta son regard dans le mien et ajouta plus fermement : "Regarde-moi !"
Je relevai les yeux et croisai son regard déterminé. Sans ajouter un mot, je piquai la seringue dans la veine fine de son bras gauche et injectai le remède. Un frisson parcourut la salle, et je ne pus m’empêcher de retenir mon souffle.
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