Chapitre 1.7 : Le prix d'un miracle

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Jérémy Chapi :

La voilà enfin, ma récompense après tant d’années. La raison pour laquelle nous avons créé ce sérum. Elowen a su résister à la douleur, et son esprit ne s’est pas brisé. Maintenant, elle est enfin capable de se mouvoir et de prendre ses parents dans ses bras. Les voir accroupis, pleurant de joie, me remplit d’une immense satisfaction et me fait oublier, l’espace d’un instant, ma propre douleur.

Je me retournai vers le public de médecins, et en voyant leurs visages, je distinguai des expressions que je redoutais : de la peur, du dégoût. Le seul bruit perceptible dans la salle était celui des sanglots de la famille Pavel, mêlé au bourdonnement des machines médicales devenues inutiles. C’était prévisible, surtout après ces cinq minutes de souffrance intense qu’Elowen venait de traverser devant eux. Certains ne s’attendaient clairement pas à un tel spectacle.

"Mesdames et messieurs, je vous prie de m’excuser un instant," déclarai-je en m’adressant au public encore sous le choc. Mais ma priorité n’était pas tournée vers eux. Je me dirigeai vers la famille Pavel, faisant signe à Vivian de me rejoindre. Ce qui m’étonna, c’est qu’elle n’avait absolument pas changé d’attitude, comme si cette scène ne l’avait en rien affectée.

Je posai un genou devant la famille Pavel, qui semblait plongée dans une bulle de bonheur familial. Cela me gênait presque de briser cet instant.

"Je suis désolé de vous déranger, mais je vais prendre la suite en main. Profitez de cet instant en privé," leur dis-je doucement.

Pavel releva la tête, ses yeux rougis par les larmes, et me regarda avec une émotion palpable. "Comment pourrais-je te remercier ?"

Je l’interrompis rapidement : "C’est moi qui devrais remercier votre famille, après tout le soutien que vous m’avez apporté."

Elowen, encore en larmes, attrapa ma main et plongea son regard dans le mien. "Merci," murmura-t-elle avec une sincérité qui me toucha profondément.

"Ce n’est rien, voyons," répondis-je. "Mais ton calvaire n’est pas encore terminé. Il te faudra faire énormément de séances de rééducation pour renforcer ton corps."

Solène m’enlaça soudain, me surprenant complètement. "Arrêtez, je vous en prie, cela devient gênant," dis-je en tentant d’alléger la tension alors que je devais légèrement rougir. Vivian, toujours imperturbable, prit le relais. "Vivian va s’occuper de vous à présent, afin que vous puissiez vous reposer après cette épreuve," ajoutai-je.

Vivian les escorta tant bien que mal, tandis que Pavel portait sa fille dans ses bras. Elowen, de son côté, s’accrochait à lui, lui rendant une étreinte qui semblait vouloir dire qu’elle ne voulait jamais être séparée de lui.

Je pris un moment pour les observer partir, sentant un mélange de soulagement et de responsabilité peser sur mes épaules. Mais je savais que je devais retourner devant le public que j’avais laissé en plan le temps de quelques instants. Les chuchotements dans le public se firent entendre après cette courte pause, ce qui me mit légèrement mal à l’aise, me donnant l’impression d’être jugé par tous ces regards face à moi. La lumière se ralluma pour atténuer l’impact émotionnel de la scène précédente et permettre à mon auditoire de mieux me voir.

"Bien, mesdames et messieurs, je suis à vous à présent pour vos questions," déclarai-je au public, qui malgré leurs chuchotements, semblait hésiter à prendre la parole. Finalement, un médecin assis sur la troisième rangée se leva, brisant le silence pesant.

"Monsieur Chapi, même si cette démonstration est impressionnante, comment comptez-vous gérer les risques inhérents à une telle procédure ? Vous avez vu la douleur qu’a traversée cette patiente," demanda le médecin. Iris traduisit immédiatement sa demande afin que je puisse la comprendre.

"Je peux comprendre votre ressenti face à cela," répondis-je avec un ton mesuré. "Ce produit n’en est qu’à son premier stade. Il faut encore du temps pour le faire évoluer." Le médecin qui avait posé la question se rassit, mais un autre se leva aussitôt.

"Vous avez donc utilisé cette personne comme un cobaye. C’est honteux !" déclara-t-il avec indignation, provoquant un mécontentement général dans la salle. Mon calme semblait s’éroder face à cette attaque.

"Elle n’a jamais été un cobaye," rétorquai-je d’un ton sec. "Elle est la première patiente à qui nous avons administré ce produit aujourd’hui, devant vous."

"Votre réponse ne fait aucune différence," intervint un autre médecin en se levant. "Avez-vous testé ce produit en laboratoire avant ? Comment pouviez-vous prédire le résultat ?"

Avant que je ne puisse répondre, un autre médecin prit la parole pour défendre mon travail : "Mais regardez le résultat ! Cette jeune femme qui était paralysée a pu remarcher. Si ce remède est affiné, il pourrait changer des millions de vies."

Cette intervention déclencha une véritable joute verbale au milieu de la salle. Les opinions divergeaient, et les débats s’enflammaient. Certains griffonnaient frénétiquement des notes, tandis que d’autres secouaient la tête, manifestant leur désapprobation. À ce moment-là, je sentis une pression sur mon dos. En me retournant, je vis que c’était ma fille qui avait posé son bras métallique sur moi, me regardant avec une expression inquiète.

Je pris une profonde inspiration, puis retirai ma veste tachée par les liquides expulsés par Elowen plus tôt, et me lançai dans un monologue. Le silence s’imposa progressivement dans la salle alors que tous les regards se tournaient vers moi.

"Le sang et les larmes de Gaïa sont nés d’un rêve partagé entre Elowen, ma fille chérie, et moi," déclarai-je en jetant ma veste au sol. Je lançai un bref regard à ma fille. "Les vidéos du hangar, s’il te plaît," demandai-je. Elle fit apparaître sur les écrans géants où étaient affichées les constantes vitales d’Elowen, des images en noir et blanc de mon ancien laboratoire qui se trouvait dans une grange.

"Tout a commencé dans ce modeste laboratoire de fortune," dis-je, pointant les images où l’on me voyait en blouse blanche. "Chaque remède a été testé sur des échantillons de sang d’Elowen et moi-même pendant trois ans."

Je commençai à défaire légèrement ma chemise, sentant la chaleur monter en moi à chaque fois que je revoyais ces images défiler, me montrant en train de tester une multitude de produits au microscope en vitesse accéléré .

"Mais les résultats n’étaient pas suffisamment concluants sur de simples échantillons," continuai-je. "J’ai donc décidé que nous devions utiliser un cobaye, que nous nommerons C1, et ce, contre la volonté de ma fille et d’Elowen."

Un murmure parcourut la salle, et un médecin se leva brusquement, visiblement indigné. Mais avant qu’il ne puisse parler, je lui lançai un regard froid et déterminé. Il hésita, serra les poings, et se rassit sans un mot.

Calmement, je portai mes mains à ma chemise et la déboutonnai partiellement, dévoilant lentement la partie gauche de mon bras. Les bandages immaculés, pourtant tachés en quelques endroits par des traces de sang séché, semblaient capturer l’attention de tous. Je fixai les bandages quelques instants, laissant le silence s’imprégner dans la salle avant de reprendre la parole tout en commençant a délicatement défaire le bandage .

" Voici le premier et le seul cobaye C1 . " Ma voix était grave et pesante, mais elle portait un mélange de fierté et de regret. " Ce patient n’était autre que moi. "

Des murmures s’élevèrent dans l’auditorium. Certains œillèrent leurs collègues avec incrédulité, d’autres fronçèrent les sourcils, le doute marquant leur visage. Je relevai lentement mon regard vers eux, déterminé à affronter leur jugement.

" Chaque dosage, chaque protocole, chaque étape de ce traitement a été testé d’abord sur moi. La douleur que vous avez vue aujourd’hui, je l’ai subie de multiples fois, en silence. Non pas parce que je suis inconscient des risques, mais parce que je crois en cet avenir que ce remède peut offrir. "

Je tirai doucement sur le bandage, révélant une partie de mon avent bras gangréné en sang révélant une partie même de l'os de mon bras . " Ceci est le prix à payer pour une avancée. Chaque cicatrice sur mon bras témoigne de mes échecs, mais aussi de mes progrès. "

Un médecin, au premier rang, se redressa, l’air intrigué mais aussi sceptique. " Monsieur Chapi, vous avez donc volontairement pris un risque vital… pour un remède non éprouvé ? Cela frôle l’inconscience. "

Je le regardai droit dans les yeux. " Peut-être. Mais dites-moi, docteur : auriez-vous laissé un de vos patients prendre ce risque sans vous y exposer d’abord ? Moi, je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas demander à Elowen ou à quelqu’un d’autre de porter ce poids avant moi car c etait ma responsabilité. "

Un silence de plomb s’installa. Je pouvais sentir la tension dans l’air, un mélange de respect naissant et de doutes persistants. Iris profita de ce moment pour changer les images sur les écrans.

Apparurent des vidéos de mes tests préliminaires : des séances où je manipulais des éprouvettes, mes mains tremblantes à force de fatigue, des nuits passées à analyser les résultats sous un microscope. Les injections sur mon bras étaient incessantes, me montrant torturé par la douleur au sol.

"Pour avoir joué au petit scientifique, j'en ai payé le prix et je le paye encore."

Sur l’une des vidéos, on pouvait voir l’un des moments les plus durs de ma vie. Ma fille le comprit immédiatement et me saisit la main droite avec sa pince.

Une scène que je ne pourrais jamais oublier, maintenant gravée à même ma chair. On pouvait y voir ma main gauche gangrenée à un point tel qu’il ne restait presque plus de chair humaine dessus, une vision cauchemardesque à l'époque qui m’avait en partie traumatisé, sentant ma chair se détacher. Pris dans un élan de désespoir, je saisis un hachoir afin de faire taire cette douleur qui me torturait et sectionnai toute la partie malade de mon bras. J’étais désespéré, et perdre un membre était un risque immense, m’empêchant d’envisager certaines possibilités d’avenir. Mais la douleur et la nausée qui remontaient à ce moment-là me firent lâcher la lame du hachoir sans aucune retenue, malgré les doutes qui m’habitaient.

La douleur fut telle ce jour-là que je m’effondrai au sol, tremblant comme un enfant apeuré et vomissant sous le choc de ce que je venais de faire. À cet instant, je remis tout en question.

Je serrai la main de ma fille si fort que mes doigts blanchirent légèrement.

La suite des images montrait la repousse progressive de mon bras après l’ingestion du sérum que nous connaissons aujourd’hui, provoquant l’étonnement de mon audience devant une telle régénération. Pourtant, encore aujourd’hui, je suis maudit par mes propres tests, car mon bras continue de se gangréner sans cesse, malgré sa repousse. Mais il recèle un avantage que je garde encore pour moi.

"Vous voyez," repris-je, "ce remède n’est pas simplement le fruit de mes recherches. Il est le résultat de ma foi en un futur où des vies comme celle d’Elowen ne seront plus prisonnières de leur propre corps. Ce que vous avez vu aujourd’hui n’est qu’un prototype. Il n’est pas parfait, mais il est réel. Et il fonctionne."

Je fis une pause, scrutant les visages devant moi. Certains étaient marqués par une curiosité grandissante, d’autres restaient fermés, figés dans leur scepticisme.

Un autre médecin, une femme âgée au regard perçant, leva la main et prit la parole. "Ce que vous présentez ici, Monsieur Chapi, pourrait bien être une révolution. Mais chaque révolution a un coût. Comment comptez-vous gérer les éventuels abus ou détournements de cette technologie ?"

Je soupirai doucement, reconnaissant la pertinence de sa question. "Vous avez raison. Cette technologie, si elle tombe entre de mauvaises mains, pourrait être dévoyée. Mais c’est pourquoi elle ne sera jamais une marchandise. Elle ne sera pas vendue au plus offrant. Ce remède est une promesse, pas un produit. Et je compte bien en rester le gardien auprès de ma principauté, Riveria, et de certains élus qui pourront l’administrer."

Iris ajouta alors, sa voix calme mais ferme : "Les systèmes que j’ai conçus assurent une traçabilité totale. Chaque dose, chaque utilisation sera strictement contrôlée. Mon père et moi ne laisserons personne en détourner l’usage initial."

Je regardai ma fille avec gratitude avant de m’adresser à nouveau au public. "Mesdames et messieurs, je comprends vos réticences. Ce remède soulève des questions éthiques, scientifiques et sociétales. Mais aujourd’hui, vous avez vu une vie transformée. Ce n’est que le début. Travaillons ensemble pour que cet espoir devienne une réalité pour des millions d’autres."

Un silence accueillit mes dernières paroles. Puis, lentement, un médecin applaudit. Un autre le suivit. Bientôt, l’amphithéâtre tout entier était envahi par des applaudissements, certains timides, d’autres plus enthousiastes. Mais pour la première fois depuis le début de cette présentation, je sentis que l’espoir était partagé.

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