Chapitre 1.8 : L’espoir dans un murmure
Jérémy Chapi :
La discussion fut longue et laborieuse avec les médecins présents. Chacun posait ses questions à tour de rôle, soulevant des points importants et complexes. Ma fille et moi répondions avec précision, tandis que Natali m’apporta des bandages pour protéger la plaie de mon bras. Elle voulut m’aider, mais je refusai, bien que son aide fût bienvenue. Ma plaie avait atteint un stade où je préférais m’en occuper seul.
Les conditions pour l’administration du remède furent annoncées aux médecins présents :
La personne devait souffrir d’une maladie grave ou contraignante pour sa vie.
La personne risquait de mourir de cette maladie en dehors des causes naturelles liées à la vieillesse.
La personne devait vivre avec un handicap important.
Le point le plus crucial était que la personne devait être pleinement informée des risques encourus, et nous nous réservions le droit de refuser le soin à toute personne que nous jugerions non éligible.
L’objectif principal était de sélectionner les patients qui en avaient le plus besoin en urgence. Cependant, tout cela ne pourrait être mis en œuvre que dans cinq mois, le temps pour nous de nous préparer convenablement.
Dans l’ensemble, les médecins acceptèrent ces conditions. Toutefois, ils devaient donner leur accord et respecter une stricte confidentialité sur ce qu’ils avaient vu aujourd’hui. Je repensais alors aux paroles de Vivian et Natali dans l’avion. Bien que je sois convaincu d’avoir pris les bonnes décisions, seul l’avenir confirmerait si j’avais raison.
Tout se termina par des remerciements que nous adressâmes aux médecins, suivis d’une révérence avant de quitter la scène. Ma fille me serra la main avec sa pince, un geste silencieux mais réconfortant. Une fois la porte de la scène fermée et à l’abri des regards, je m’adossai contre le mur et glissai lentement au sol, dans le couloir blanc de la faculté. L’endroit était sombre, faiblement éclairé, et une odeur de désinfectant flottait dans l’air. Malgré tout, ce fut un soulagement de sentir la froideur du sol contre mon dos, offrant un répit après tout ce qui venait de se passer.
"Père, il serait temps de faire ce qu’il faut pour ton bras, tu ne crois pas ?" demanda ma fille Iris, son ton légèrement inquiet tandis qu’elle posait son bras sur le mien.
"Pas encore. Ce n’est pas le bon moment. Je sens que cela approche, et après cela, je pourrai enfin me reposer." Mon bras me faisait terriblement souffrir. L’état dans lequel il se trouvait retournait même mon estomac chaque fois que je le voyais exposé, gangrené, en pleine décomposition. Il absorbait une grande partie de mon énergie, à cause de la maladie que mon corps devait combattre, et les insomnies dues à la douleur ne faisaient qu’aggraver mon épuisement. Pourtant, ce n’était pas encore suffisant. Il me manquait encore trois semaines avant d’être poussé dans mes derniers retranchements. Après une pause, je levai les yeux vers Iris. "Ça va aller, ce n’est pas la première fois, tu le sais."
"Toujours à vouloir aller plus loin, tu es pénible, père," répondit-elle avec un air renfrogné avant de se détourner et de s’éloigner dans le couloir. Son attitude me poussa à me lever précipitamment pour la rattraper.
"Tu es fâchée, ma fille ?" lui demandai-je.
"Non, mais je voudrais que tu prennes soin de toi aussi," dit-elle franchement, tout en tendant sa pince pour que je l’attrape.
Je saisis sa pince avec douceur. "Je t’aime, ma fille. Promis, après la coupe, je ferai en sorte de prendre soin de moi et de me reposer."
Elle soupira. "Bon, et maintenant, comment tu vas faire ?" demanda-t-elle d’un ton sérieux.
"Faire quoi ?" répondis-je, ne comprenant pas immédiatement le sens de sa question.
"Pour organiser ton emploi du temps," précisa-t-elle avec un air strict. "Si je résume, tu dois parler à Daniel et Séraphina au sujet des anneaux célestes. Le président Atlas veut aussi te voir. Je suppose que Daniel et Elowen voudront te remercier. Et n’oublie pas qu’un ambassadeur de France sera ici d’ici une semaine pour discuter de notre principauté," énuméra-t-elle sans pause.
"Ah... euh, effectivement," réfléchis-je, légèrement dépassé par tout ce qui m’attendait.
Je réfléchissais tout en marchant dans le couloir pour me diriger vers la cour arrière où étaient stationnés les bus qui nous avaient amenés. Quelques forces de l’ordre surveillaient les lieux mais ne disaient rien en nous reconnaissant. Pourtant, ce que je cherchais surtout, c’était de m’aérer l’esprit et de me poser sur l’un des bancs sous un porche en forme de feuillage et de branches soutenues par des piliers ressemblant à des troncs d’arbres. Ma fille s’installa en face de moi.
L’endroit était parfait pour me permettre de respirer après tout ce qui venait de se passer et de réfléchir en paix avec ma fille. Nous étions entourés d’un peu de verdure, et une multitude de plantes, toutes parfaitement étiquetées, donnaient au lieu des airs de jardin botanique.
"Je ne comprends pas un tel refus de leur part vis-à-vis de notre projet," déclara ma fille, songeuse, s’asseyant dans son monde virtuel, une prairie verdoyante.
"La convoitise, le contrôle, la peur... je dirais que c’est un mélange de tout cela. Comme la fois où ils ont voulu tout récupérer dans le hangar plutôt que de discuter," soupirai-je en regardant le ciel légèrement ombragé, laissant passer quelques rayons de lumière.
"Peut-être bien... mais nous n’aurions pas rencontré Séraphina, Elowen et le président Atlas, ni tout ce qui nous accompagne aujourd’hui," répondit-elle en se rapprochant de moi.
Je hochai doucement la tête. "Tu as raison, ma fille. Mais même si le paysage ici est magnifique, je dois admettre que les paysages français me manquent... et certaines personnes nous attendent là-bas."
"Moi aussi, elles me manquent," répondit ma fille avec une petite tristesse dans le regard. Nous restâmes silencieux, chacun perdu dans ses pensées.
"Ah, vous étiez là, je vous cherche partout," déclara Natali en sortant d’une des structures en forme d’arbre soutenant le porche. Elle tenait ma veste à la main et me la tendit. "Même si cette partie a été sécurisée, je vous prierai de m’avertir la prochaine fois," ajouta-t-elle en se plaçant sur le côté du banc.
"Merci," répondis-je en récupérant ma veste. "Mais j’avais besoin de prendre l’air."
Elle posa sa main sur mon épaule, ce qui me fit frissonner. Instinctivement, je m’éloignai légèrement, cherchant à décrypter son regard. Mais comme toujours, je n’y voyais rien. Depuis notre première rencontre, je n’avais jamais réussi à me détendre en sa présence. Quelque chose chez elle me poussait à être sur mes gardes.
"Que vous arrive-t-il ?" demanda-t-elle sur son ton franc habituel, me regardant avec intensité.
Je détournai le regard. "Non, rien. Excusez-moi. Savez-vous comment va la famille Pavel ?" demandai-je pour dissiper ce malaise persistant, tout en posant ma veste sur mon bras droit.
"Ils sont actuellement dans une des chambres de la faculté de médecine. Vous voudriez les voir ?"
"Oui, j’aimerais bien, s’il vous plaît." Je voulais vérifier que tout s’était bien passé et expliquer à ses parents en détail ce qu’il fallait faire à présent, même s’ils en étaient déjà en partie informés.
Nous remontions les couloirs blancs de la faculté, qui ressemblaient à s’y méprendre à ceux d’un hôpital, avec de nombreux distributeurs de désinfectant pour les mains. Nous atteignîmes un ascenseur pour rejoindre l’étage où se trouvait Elowen.
"Le président m’a demandé si vous seriez disponible pour un repas demain soir afin que vous ayez une discussion," me dit-elle dans l’ascenseur.
"C’est drôle que vous en parliez, sachant que nous en avions justement discuté avec ma fille tout à l’heure. Ce sera avec plaisir, moi aussi j’aimerais lui parler," répondis-je, me demandant si elle n’avait pas écouté notre conversation avec ma fille.
"Très bien, j’en informerai le président alors. Et qu’en est-il de Séraphina et Daniel ?" me demanda-t-elle, confirmant ainsi qu’elle avait bien écouté notre échange précédent.
"Vous nous avez écoutés ?" lui demandai-je directement alors que les portes de l’ascenseur s’ouvraient.
"Vous devriez faire plus attention si vous ne voulez pas être écouté," lâcha-t-elle avec son franc-parler habituel. "Suivez-moi, c’est par ici," ajouta-t-elle comme si c’était tout à fait normal.
Je regardai ma fille, qui haussa les épaules tandis que nous reprenions notre chemin. Je ne devais pas oublier que Natali était aussi là pour me surveiller.
Arrivés devant la porte de la chambre, qui était entrebâillée, aucun son ne s’en échappait. Natali et ma fille se tenaient derrière moi tandis que je toquais délicatement.
Solène nous ouvrit la porte et, à ma vue, un sourire délicat s’afficha sur son visage. Elle nous expliqua qu’ils dormaient tous les deux. Je rentrai discrètement dans la chambre peu éclairée tandis que Natali et ma fille restaient avec Solène. En remontant le petit couloir, je découvris Elowen allongée sur le lit, à moitié adossée sur un coussin, tandis que Pavel dormait sur une chaise, appuyé sur le côté gauche du lit de sa fille. Ne voulant pas les déranger, je décidai de partir.
"Tu comptes partir sans même me dire au revoir ?" dit une voix timide, bien différente de celle que je connaissais lorsqu’elle était en chaise roulante.
Je me retournai pour voir Elowen, les yeux mi-clos. Son visage trahissait encore un état vaseux.
Je m’approchai discrètement d’elle et pris place sur la chaise située à droite du lit, où devait se trouver sa mère avant notre arrivée. Elle me tendit sa main droite, encore tremblante, tandis que Pavel tenait sa main gauche dans son sommeil. Je saisis délicatement sa main entre les miennes.
"Comment te sens-tu ? As-tu encore mal ?"
"La liste sera moins longue si je te dis où je n’ai pas mal," me répondit-elle d’une voix fatiguée, mais avec une pointe d’humour qui me gêna légèrement.
"Il te faudra un certain temps pour te réadapter à ton nouveau corps. Tu auras besoin de cours de rééducation et aussi…"
Elle m’interrompit : "Vos mains sont si chaudes."
Elle serra ma main avec une poigne faible mais bien présente, et je vis sa main gauche dans celle de son père se resserrer aussi. Après une courte pause, elle murmura : "Jérémy..."
"Oui, Elowen ?" lui répondis-je tandis qu’une larme coulait sur sa joue.
"Merci pour tout."
Je baissai la tête, la posant contre sa main que je tenais toujours, ne sachant quoi répondre. Même si je l’avais soignée, elle avait pris le risque de croire en moi et en ce que nous avions accompli ensemble. J’avais tant de gratitude à lui exprimer, mais aucun mot ne me venait. Je cachai mon visage contre le matelas.
Elle plaça doucement sa main au-dessus de ma tête et me caressa les cheveux.
"Je comprends pourquoi elle aime te faire ça," murmura-t-elle en continuant son geste.
Comprenant qu’elle parlait de Séléné, je me refermai encore plus contre le matelas.
"Tu lui manques," ajouta-t-elle avec une pointe de tristesse.
"Je sais. Moi aussi, elle me manque. Mais pour l’instant, il m’est impossible de la voir," répondis-je, cherchant à garder ma voix calme pour ne pas réveiller Pavel. Pourtant, je sentais mon cœur se serrer.
"Veux-tu que je lui transmette un message ?"
Je relevai la tête pour la regarder directement, plongeant mon regard dans le sien.
"Dis-lui juste que je serai bientôt de retour."
Nous échangeâmes un sourire complice.
Je quittai la chambre aussi discrètement que j’y étais entré, lui adressant un dernier au revoir de la main tandis qu’elle fermait délicatement les yeux, murmurant un au revoir. Je lui promis intérieurement que nous nous reverrions bientôt.
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