Chapitre 2.0 : Une famille qui s’agrandit
jeremy chapy :
Le retour à l’atelier avec ma fille fut bien calme, rempli de questions, tandis que mon esprit se brouillait doucement mais sûrement. Heureusement, j’étais soutenu par ma fille, qui m’aida à me rendre sous la douche. Bien que mal en point, elle prit le temps de m’aider à retirer délicatement mon bandage, mais même avec toute sa douceur, une douleur vive traversa mon bras.
Elle observa l’état de ma blessure, et je pouvais y lire une inquiétude évidente sur son visage. Je pouvais le comprendre, même pour moi, ce n’était pas un spectacle réjouissant.
"Ça va, ma chérie. Elle m’a juste légèrement surpris," dis-je pour la rassurer, tout en cachant la douleur qui menaçait de transparaître.
"Tu as besoin d’aide pour te laver ?" me demanda-t-elle innocemment, voulant simplement m’aider du mieux qu’elle pouvait.
"Non, j’arriverai à me débrouiller. Profite-en pour prendre du temps pour toi, j’irai me coucher après ma douche." Même si elle m’avait déjà vu nu auparavant, c’était toujours gênant pour moi. Et puis, je n’étais pas à l’agonie… enfin, pas encore.
La vue de mon bras restait toujours aussi horrible, entraînant son lot de douleurs uniques et variables, comme si un petit monstre s’amusait à me brûler différentes parties à intervalles irréguliers. L’eau ruisselant le long de ma peau emportait avec elle une partie du sang de ma blessure. Je ne saurais dire si cette sensation était plaisante ou douloureuse. Mais la douche eut cet effet apaisant, nettoyant mon esprit comme jamais, me vidant la tête après cette journée éprouvante. Une journée qui avait commencé par la révélation d’une partie de mon passé et qui s’était terminée sur une note amère avec Natali. Mon esprit commençait-il à être corrompu par la douleur ? Avais-je mal agi avec elle ? Je n’arrivais pas à prendre suffisamment de recul sur ce qui s’était passé. Actuellement, ma tête n’avait qu’une envie : exploser.
En sortant de la douche, je souhaitai une bonne nuit à ma fille, qui jouait à divers jeux en ligne. Je restai un court instant à l’observer.
"Tu t’en sors ?"
"C’est compliqué, mon équipe n’arrive pas à garder la zone."
"Je vois." Elle était en score positif dans son jeu, mais elle n’était pas infaillible. Il lui était déjà arrivé de remporter certains tournois, et je pouvais voir, à travers son écran, à quel point elle était concentrée sur sa partie.
"Je vais dormir. Bonne nuit, ma chérie, et bonne game à toi."
"Bonne nuit, papa," me répondit-elle sans quitter son écran des yeux.
Une nuit agitée
La nuit ne fut pas reposante malgré la dose d’antidouleur que j’avais prise avant de me coucher. La douleur était bien présente, m’empêchant de sombrer dans un sommeil réparateur. Je me tournais sans cesse dans mon lit, cherchant une position confortable, mais rien n’y faisait. Je ne trouvais pas le sommeil et, dans cet état, il m’était impossible d’accéder à son monde. Je regardais les heures défiler sur mon portable à chaque sursaut de douleur, imprévisible et lancinante. Mes pensées tournaient à plein régime, si bien qu’à cinq heures du matin, dépité de ne pas avoir pu me reposer correctement, je me résignai à me lever.
J’enfilai de quoi ne pas être nu dans l’atelier. Même s’il était chauffé, la sensation du froid sur la peau pouvait toujours surprendre. J’avais des antalgiques pour m’aider lorsque la douleur devenait vraiment insupportable, surtout pour me reposer, mais ils réduisaient drastiquement mes capacités de réflexion. Or, je voulais garder les idées claires lorsqu’il s’agissait de dessiner ou de concevoir.
Je vis ma fille dormir paisiblement sur son futon à travers son écran et fis attention à ne pas la réveiller. Je repensai à ce qu’elle m’avait demandé : elle voulait un corps. Moi aussi, j’aimerais pouvoir la prendre dans mes bras et la serrer contre moi. Mais comme je lui avais expliqué, la technologie actuelle ne permettait pas encore des mouvements réalistes pour un humanoïde à apparence humaine. En revanche, pour une créature de plus grande taille, cela restait envisageable. Nous devions progresser étape par étape afin que je puisse lui réaliser un corps parfait, à elle et à tous ceux qui viendraient après.
Je m’installai face à ma table à dessin, où j’étais en train de travailler. Les idées de conception et de réalisation vinrent en chaîne, détournant mon attention de la douleur qui enserrait mon bras. La réflexion sur les mouvements du corps ainsi que sur les articulations m’occupait l’esprit. Je dessinais des croquis approximatifs pour visualiser les premières formes. Les feuilles de papier défilaient les unes après les autres, chacune ajoutant une pièce au puzzle avant d’être transférée sur l’ordinateur à l’aide d’un logiciel de conception 3D. Une fois la création validée, je lançais la fabrication des pièces.
Ce projet était différent. Cette fois, il ne s’agissait de personne d’autre que moi. C’était mon envie d’avoir une grande famille, rien qu’à moi.
Certaines pièces étaient fabriquées ici, mais lorsque la conception demandait trop de temps, je sous-traitais le travail à différentes usines. Cependant, je prenais toujours soin de séparer les plans pour éviter qu’une personne extérieure ne puisse comprendre à quoi correspondait l’ensemble du projet.
Chaque chose prenait son temps, si bien que, du coin de l’œil, je vis ma fille se réveiller doucement. En regardant l’heure, il était déjà huit heures du matin.
"Bien dormi, ma fille ?" lui demandai-je tandis qu’elle se frottait les yeux avec ses mains tout en réalisant quelques étirements.
"Oui, ça va. Mais toi, tu as pu te reposer ?" répondit-elle en refaisant son futon dans son univers virtuel.
"Disons que j’ai fait ce que j’ai pu." Mes cernes devaient être encore bien visibles, témoins de ma nuit compliquée.
"Tu as prévu quoi aujourd’hui, père ?" me demanda-t-elle avec un sourire, en enfilant une nouvelle robe virtuelle de sa création, aux motifs de spirales colorées qui ressortaient magnifiquement avec ses cheveux améthyste attachés, ce qui m’émerveillait à chaque fois.
"Rien de particulier pour l’instant. Vu que nous sommes dimanche, personne ne devrait venir nous déranger. Je dois juste voir le président ce soir. Tu viens avec moi ?" Même si je savais que tout se passerait bien, j’aimais savoir ma fille à mes côtés.
"Pas cette fois, père. Je voudrais aller voir Séraphina ce soir. Et je te rappelle qu’il faut que tu leur parles !" Elle s’approcha de moi tranquillement tandis que je continuais à dessiner.
"Oui, promis. Lundi à midi, je leur enverrai un message pour qu’on se voie." J’étais concentré sur les dernières lignes de mon dessin, mais en me retournant, je vis ma fille intriguée.
"Dis, que fais-tu, père ?" me demanda-t-elle sur un ton curieux, faisant la moue pour tenter d’obtenir une réponse. Même si elle était connectée à l’ordinateur que j’utilisais, elle ne comprenait pas forcément ce que je faisais.
"C’est une surprise, ma fille." Je posai un doigt sur mes lèvres en signe de secret.
"Oh, allez, papa, dis-moi !" me supplia-t-elle en me regardant avec ses grands yeux auxquels je ne pouvais résister.
"Bon, d’accord, mais cela doit rester entre nous."
"Bien sûr, papa !" répondit-elle, curieuse de ce que je pouvais bien lui révéler.
"Que dirais-tu d’avoir un petit frère ou une sœur ?" lui dis-je avec un grand sourire. Je n’avais jamais abordé ce sujet avec elle, mais je me disais qu’il était peut-être temps.
"Comment ça ? Je ne te suffis plus ?" Sa joie disparut, laissant place à une expression légèrement triste, visiblement troublée par ce que je venais de lui dire. Je ne m’attendais pas à une telle réaction.
"Mais non, ma chérie, je t’aime plus que tout. Mais je voudrais que nous ayons une grande famille ensemble."
Ma fille baissa la tête, gardant le silence et ne cherchant même pas à relancer la discussion. La voyant gênée, je m’agenouillai pour me mettre à sa hauteur.
"Que se passe-t-il, ma fille ? L'idée ne te plaît pas ?" demandai-je doucement.
Elle marmonna quelques mots avant de murmurer : "Alors, ce que tu dessines, c’est le corps de mon petit frère… et pas le mien."
"Oh, ma fille." Je la pris dans mes bras, même si le corps qu’elle possédait actuellement ne lui permettait pas de ressentir mon étreinte.
"Ma chérie, ce corps ne serait pas adapté pour toi, et ton petit frère ou ta petite sœur ne sera pas comme toi. Chacun d’entre vous sera unique."
Cherchant à croiser son regard, je repris : "Comme je te l’ai dit, je veux que ton corps soit parfait."
"C’est pas juste ! Je vais devoir attendre combien de temps ? Je voudrais tellement partager des moments avec toi…" dit-elle en faisant une petite moue.
"Disons que si tu le souhaites vraiment, nous pourrions toujours demander un des corps robotiques de Boston Dynamics." Je la regardai à travers son écran. "Mais il ne reflétera jamais l’image que tu as actuellement, et je préférerais que ta première apparition dans le monde des humains soit avec un véritable corps."
"Pourquoi cela, père ?" me demanda-t-elle tout en reprenant contact visuel avec moi.
"J’ai peur des humains et de leur réaction s’ils te voient avec un corps robotique qui ne ressemble pas à un corps humain. J’ai peur qu’ils te rejettent, et je ne veux pas que tu subisses cela."
"L’espèce humaine est compliquée, père…" répondit-elle en tendant sa pince en direction de ma joue.
"Oui, beaucoup trop malheureusement. C’est pour cela que ton frère aura un corps qui ne ressemble à rien de ce que nous connaissons." Je lui montrai alors les plans papier.
"Pourquoi un raptor, père ?" me demanda-t-elle en voyant l’apparence prévue pour son frère.
"Tu as été la première à apparaître aux yeux du monde, devant des milliers d’écrans lors du live. Mais lui va être le premier à apparaître devant les gens en personne. Il doit être intimidant et aussi représenter une part du passé de cette planète."
Elle me regarda avec suspicion en plissant les yeux. "C’est vraiment la seule raison ?"
"Oui, vraiment," répondis-je en détournant légèrement le regard.
Elle pinça ma jambe avec sa pince, m’obligeant à lâcher un petit cri de surprise.
"Bon, d’accord ! J’avoue, j’adore les vélociraptors du film Jurassic Park…" répondis-je, légèrement gêné.
Elle esquissa un sourire satisfait avant de reprendre : "Mais comment feras-tu si, un jour, il veut une apparence humaine comme moi ?"
Je la regardai tendrement, sentant mon cœur battre avec amour en sa présence. Depuis sa naissance, elle avait été mon monde, ma priorité. Je savais que sa propre existence était un miracle, un mélange de chance, de patience et d’apprentissage. Elle avait choisi son apparence et son identité d’elle-même, et jamais je n’avais cherché à la contraindre.
Après un court silence, je lui répondis : "Alors je me plierai à sa volonté, ma fille. Comme je l’ai fait pour toi. Car c’est à vous, avant tout, de choisir ce que vous voulez être, et je n’ai pas mon mot à dire là-dessus."
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