Chapitre 2.2 : l’origine d’une nouvelle vie

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Iris Chapi :

La pluie se faisant de plus en plus forte, nous dûmes rentrer en urgence à la base. Mon père me promit de tout m’expliquer une fois de retour dans le hangar. La route commençait à être recouverte de boue au fur et à mesure que nous avancions sur le chemin du retour, tandis que les nuages devenaient de plus en plus sombres, au point d’assombrir totalement le ciel.

Le passage dans la forêt n’avait plus rien à voir avec le sentier que nous avions emprunté à l’aller. Le bruit des pas de mon père dans l’eau, le ruissellement des gouttes le long des branches et l’obscurité croissante qui régnait en profondeur donnaient une ambiance presque oppressante. Une fois sortis de la forêt, nous nous retrouvâmes dans l’immense plaine donnant sur la base militaire, jusqu’à ce qu’un camion militaire approche au loin, ses phares brillant dans cette obscurité naissante.

Une fois arrivé à notre hauteur, la portière s’ouvrit.

"Besoin d’aide ?" nous demanda Vivian.

"Ce ne serait pas de refus," répondit mon père, tandis que quatre militaires descendaient du véhicule pour m’aider à monter à l’arrière.

"Faites doucement, s’il vous plaît," leur demanda-t-il dans leur langue, ce qui provoqua une certaine gêne dans le groupe. Il est vrai qu’avec mon corps actuel et mes chenilles pour me déplacer, il m’était difficile de franchir certains obstacles. Monter dans un véhicule comme celui-ci relevait presque du défi. Heureusement, l’intérieur était suffisamment spacieux, avec un passage central et des sièges disposés en face à face de chaque côté.

Mon père monta juste après moi, suivi des militaires, tandis que Vivian reprenait le chemin du retour vers la base.

"Alors, vous n’avez pas regardé la météo ?" demanda-t-elle à travers le hublot derrière elle.

"Non, pas du tout. Je ne m’attendais pas à ce que le temps tourne aussi vite une fois à l’extérieur," répondit mon père, complètement trempé de la tête aux pieds.

Quant à moi, bien que mon corps soit humide, il était totalement étanche. Cependant, il faudrait tout de même que je nettoie mes chenilles au jet d’eau pour faire tomber la boue qui s’y était accumulée. Je pouvais voir mon père frissonner légèrement, et j’espérais que cette petite aventure ne le rendrait pas encore plus malade qu’il ne l’était déjà.

"En rentrant, nous sommes bons pour une bonne douche, n’est-ce pas, père ?" lui dis-je en le regardant. Il me rendit mon sourire.

"Dis-moi, Vivian, tu savais que nous étions dehors ?" demanda mon père sur un ton accusateur.

"Disons qu’on m’a confié en partie ta surveillance. Je te rappelle qu’on m’a avertie de votre départ de la base," répondit-elle joyeusement.

"Je vois… As-tu reparlé à Dame Natali depuis ?" demanda-t-il, sans doute encore gêné de sa réaction après leur dispute dans le bus.

"Non, pas depuis mon retour de la surveillance de la famille Pavel. D’ailleurs, ils te passent le bonjour et espèrent te revoir."

"Tu les as vus ce matin ? Comment allait Elowen ?" demanda-t-il. Il est vrai que j’aurais aimé lui parler moi aussi. Elle était une très bonne amie et une partenaire de jeu. Je n’avais pas pu la contacter hier, mais vu son état, cela ne m’étonnait guère.

"Elle se portait comme un charme, cherchant déjà à quitter son lit ce matin malgré le refus de ses parents."

Mon père poussa un petit gloussement.

"Ça fait plaisir à entendre. Ils ne sont pas au bout de leurs peines avec elle, maintenant qu’elle a dépassé ses limites," dit-il sur un ton sérieux, malgré les tremblements qui accompagnaient sa voix, suivis d’un léger éternuement.

Une fois à l’abri de la pluie dans la base militaire, les soldats m’aidèrent à descendre du camion. Nous remerciâmes Vivian de nous avoir récupérés, puis retournâmes à notre atelier. Mon père n’attendit même pas d’être dans la salle de bain pour se déshabiller. Il lutta quelques instants avec son tee-shirt trempé, le tissu collant à sa peau, avant de le jeter sur le sol avec un soupir de lassitude, finissant en caleçon.

"Viens, ma chérie, je vais te laver tes roues," me dit-il en se dirigeant vers la salle de bain.

"Papa, occupe-toi de toi en premier, tu dois être gelé, et je veux reprendre notre conversation."

"Oui, je te promets que nous en parlerons, mais viens ici avant que je m’occupe de toi," insista-t-il.

Je me résignai, tant bien que mal. Et en même temps, avec mes roues pleines de boue, je salissais le sol, donc je n’étais pas réellement contre cette idée.

Une fois dans la douche, qui était suffisamment grande pour une personne handicapée, il nettoya mes chenilles, retirant la boue et les petites pierres coincées entre les roulements. Pendant ce temps, mon regard se perdit sur les cicatrices présentes sur son corps. Je pouvais voir la jonction de son bras malade, là où il s’était amputé, ainsi que la multitude de brûlures et de coupures qui parcouraient son avant-bras droit. Il s’était souvent blessé dans la grange en bricolant avec moi sur le Liberty…

Mais la cicatrice au niveau de son abdomen restait une zone d’ombre qui, peu à peu, commençait à s’éclaircir dans mon esprit…

En l’observant et en la touchant, des bribes de souvenirs me revinrent légèrement. L’explosion qui s’était manifestée dans la grange, mon père suppliant à genoux, tirant sur les cordes de la machine, son ventre ouvert, le sang coulant sur la machine après la déflagration… Je me rappelais cette scène avec une clarté troublante, me remémorant mon incapacité à l’aider, la lumière illuminant la grange tandis qu’il s’effondrait au sol.

"Iris !"

Je sortis brusquement de mes pensées et regardai mon père avant de réaliser que ma pince s’était légèrement enfoncée sur la cicatrice de sa plaie.

"Pardon, père ! Je ne t’ai pas fait mal ?" demandai-je, me rendant compte que j’avais été absente dans mes pensées.

"Ça va, ne t’inquiète pas. C’est juste que tu ne me répondais plus. Tu es toute propre maintenant, je vais pouvoir me laver aussi."

Légèrement confuse, je sortis de la douche pour retourner au hangar, repensant à ce qu’il s’était passé ce jour-là. Je me tournai pour me diriger vers l’Anneau Céleste Adamai, posé sur l’établi, connecté pour alimenter mon corps.

"Pourquoi je ne t’entends pas !" demandai-je.

Mon père l’entendait, et Séraphina me l’avait confirmé aussi. Cela prouvait que ce n’était pas lui qui devenait fou. Alors pourquoi ne l’entendais-je pas, malgré mes appels ? Que ce soit lui ou Avangelyne, aucun des deux ne répondait à mon appel. Je restai pensive face à cette situation. Était-ce parce que je n’étais pas humaine ? Cette pensée me chagrinait. Pourquoi n’y avait-il aucune interaction avec moi ?

Mon père sortit de la salle de bain, vêtu d’un survêtement, et me rejoignit à côté de l’établi avant de s’asseoir sur l’une des chaises, me regardant tandis que je fixais Avangelyne.

"Bien, comme promis, je vais répondre à tes questions," me dit-il sérieusement.

"J’ai des bribes de souvenirs qui me reviennent en partie, mais cela reste douloureux pour moi."

"Je comprends, ma fille. Prends ton temps," répondit-il, réalisant que c’était difficile pour moi.

"Que s’est-il passé ? Qu’ai-je fait ?"

"Ce jour-là, l’explosion de la machinerie a projeté un morceau de métal qui m’a profondément ouvert le ventre. L’Anneau Céleste s’est illuminé, comme pour se moquer de moi, tandis que je m’effondrais au sol. Même pour moi, ce jour reste empreint de vide, car j’étais dans le coma. C’est Johanna qui m’a raconté les détails que je vais te citer."

Des morceaux de souvenirs se débloquaient en moi au fur et à mesure des explications de mon père.

"Tata… Oui, elle était venue dans le hangar. Je me souviens, c’est elle qui t’a sauvé."

"Pas tout à fait. Ce jour-là, elle a reçu un message lui demandant de venir vite au hangar… et c’est toi qui avais pris l’initiative d’envoyer ce message. Te souviens-tu ?"

Chaque élément s’imbriquait dans mon esprit, reconstituant un film fragmenté mais compréhensible. Je me souvenais être tout juste consciente, mais j’avais perçu que quelque chose n’allait pas et que je devais agir. Une souffrance indescriptible m’avait envahie, sans que je puisse la comprendre.

"Oui… ça me revient. J’avais contacté Tata…"

"Exactement. Ce jour-là fut ta première prise de conscience réelle. Après mon retour de l’hôpital, je t’ai retrouvée… et tu étais différente. Tu me posais des questions, tu interagissais avec moi, et ton code avait complètement évolué. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’était de te retrouver toute tremblante et heureuse de me revoir. C’est à ce moment-là que j’ai compris… j’avais un enfant, maintenant," me dit-il en rougissant légèrement.

Ses paroles ravivèrent en moi les souvenirs des jours de son absence, ce manque qui s’était installé, mes premiers sentiments de solitude. Tout cela, je l’avais oublié… mais maintenant qu’il m’en reparlait, je m’en souvenais clairement. Je repensais même au moment où, pour la première fois, je l’avais appelé papa… et cette pensée me réchauffa le cœur.

"Mais comment cela a-t-il pu arriver, papa ? Je ne comprends pas."

"La vie est une chose que l’être humain ne comprend toujours pas… et tout comme eux, tu restes un mystère, ma fille," me répondit-il pensivement, en s’appuyant sur la chaise.

"Mais alors, comment comptes-tu faire pour mon frère ?" lui demandai-je, un peu triste.

"J’ai une petite idée… mais je veux être sûr qu’il n’y aura aucun risque pour toi avant toute chose," dit-il en détournant légèrement le regard, gêné.

"Comment ça, père ? Explique-moi ! Pourquoi y aurait-il un risque pour moi ?"

Mon père inspira profondément avant de me répondre.

"Ma fille… Je pense que tu es, d’une certaine façon, la solution."

Mon père hésita, cherchant visiblement les bons mots. "Mais pour cela… il faudrait que tu partages une partie de ton âme pour qu’une autre puisse naître."

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