Chapitre 2.3 : Entre Méfiance et Jalousie

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Jérémy Chapi :

"Prends le temps d’y réfléchir, ma fille. S’il le faut, je trouverai une autre solution pour éviter qu’il t’arrive quoi que ce soit."

Je pouvais voir qu’elle était légèrement troublée par mes paroles, perdue dans ses pensées.

"Ne te mets pas la pression pour ça, il y a sûrement d’autres solutions. Si j’ai pu te faire naître, je devrais pouvoir le refaire," ajoutai-je en la regardant faire la moue.

Un gargouillement soudain venant de mon ventre me rappela que je n’avais rien mangé depuis mon réveil au sol, et il était déjà une heure de l’après-midi.

"Ah… Je pense que je vais aller au réfectoire me chercher un petit truc à manger avant mon repas de ce soir avec le président Atlas."

Ma fille m’accompagna, mais elle resta plongée dans ses pensées tout le long du chemin. Une fois arrivés au réfectoire, elle alla s’installer à une table pendant que je commandais mon repas.

Nos arrivées au réfectoire ne passaient généralement pas inaperçues. Certains militaires présents nous observaient avec suspicion, mais aucun d’entre eux ne venait nous parler. Avait-on donné des consignes à leur sujet ? Se méfiaient-ils simplement de nous ? Impossible de le savoir.

J’utilisai une borne pour commander mon repas, un système bien pratique vu que je ne parlais pas leur langue. Heureusement, les images d’un steak-frites étaient universelles. J’ajoutai une petite salade composée de fruits à coque, comme des noix et des pignons de pin. Après avoir récupéré mon ticket, je pris mon plateau avec les couverts, du pain et une bouteille d’eau, puis attendis mon assiette. Une fois servi, je retournai m’asseoir en face de ma fille.

"Il n’y a pas à dire, depuis que nous sommes ici, tu manges bien mieux qu’à la grange," me lança Iris avec un sourire malicieux.

"Je ne peux pas dire le contraire. Ça me change des pâtes et des produits congelés… Ici, tout est frais et de bonne qualité, et ça fait plaisir," répondis-je en attaquant mon steak.

La tendreté de la viande relevée par la sauce au poivre se mariait parfaitement avec les frites maison et la salade. Pourtant, je remarquai que j’avais de plus en plus de mal à couper la viande avec ma main gauche qui tremblait légèrement.

Alors que j’étais absorbé par mon repas, je fus surpris par le regard noir qu’Iris lançait à ma gauche.

"Bonjour, je suis désolée de vous déranger pendant votre repas," dit une voix que je reconnus immédiatement.

En me tournant, je constatai qu’il s’agissait de Natali. J’avalai mon morceau avant de lui répondre.

"Bonjour," dis-je, un peu gêné.

"Je vous informe que je ne serai plus en charge de votre suivi à partir d’aujourd’hui. Une autre personne viendra vous chercher ce soir pour vous accompagner à votre repas avec le président Atlas. Sur ce, je vous souhaite un bon appétit."

Elle jeta un regard à mon bras avant de disparaître aussi vite qu’elle était apparue.

Je n’eus même pas le temps de réaliser ce qui venait de se passer. Pourquoi ce changement soudain ? Et surtout… pourquoi le regard noir de ma fille ?

"Que se passe-t-il, ma fille ?" lui demandai-je en posant mes couverts.

"Rien, père," répondit-elle rapidement.

"Pourquoi ce regard noir envers elle ?" insistai-je.

"Ça se voyait tant que ça ?"

"Ma fille, disons que pour cacher certaines de tes émotions, tu as encore du travail," lui dis-je en la taquinant.

Son expression devint plus sérieuse.

"Elle t’a fait du mal dans le bus. Je ne peux pas le tolérer."

Il est vrai que notre dernier échange avec Natali s’était terminé sur une note amère, notamment lorsqu’elle avait ravivé mes blessures en attrapant mon bras.

"Tu sais, ce jour-là, nous étions tous fatigués et sous pression, elle comme moi. Je n’aurais pas dû réagir comme je l’ai fait non plus."

"Mais père," m’interrompit-elle, "elle est allée trop loin. En plus, elle a écouté notre conversation."

"Je sais bien, Iris, moi aussi, ça me dérange… mais elle n’a pas de mauvaises intentions… enfin, je l’espère."

Iris me fixa un instant avant de lâcher :

"Tu as des sentiments pour elle ?"

Je manquai de m’étouffer avec ma bouchée, toussant et avalant une gorgée d’eau pour faire passer ma surprise.

"Mais non, voyons, ma fille ! Qu’est-ce que tu vas chercher ?" répondis-je en rougissant légèrement.

"Si elle voulait vraiment nous faire du mal, elle ne se prendrait pas autant la tête avec nous," ajoutai-je en reprenant mes couverts.

Iris ne semblait pas convaincue.

"Je suis d’accord pour avoir un frère… mais pas une femme qui sort avec toi."

Cette fois, je faillis vraiment m’étouffer. Je toussai violemment avant d’avaler une autre gorgée d’eau pour calmer ma gorge irritée.

"Iris… Tu sais déjà que mon cœur est pris," dis-je en détournant le regard. "Et s’il te plaît, ne dis pas ce genre de choses en public."

Son regard interrogateur me fit comprendre qu’elle ne réalisait pas l’impact de ses paroles. Je remarquai également que certaines personnes à proximité avaient discrètement tendu l’oreille à notre conversation.

"Ma fille… serais-tu jalouse si je sortais avec quelqu’un ?" lui demandai-je sincèrement.

"Oui…" répondit-elle timidement. "Je ne veux pas que tu m’abandonnes."

Mon cœur se serra en entendant ses mots.

"Mais non, où vas-tu chercher tout ça ? Je ne t’abandonnerai jamais," lui dis-je sincèrement.

Pourtant, je pouvais voir que la peur grandissait en elle. Une peur que je ne comprenais pas totalement.

Après avoir fini notre repas, nous retournâmes au hangar où se trouvaient les cinq Anneaux Célestes géants destinés aux négociations avec d’autres pays.

Avec ces Anneaux Célestes, nous allions pouvoir commencer à négocier avec certains pays une fois que notre principauté serait créée. Mais en priorité, il nous faudrait rembourser Atlantide. J’imagine que le repas de ce soir avec le président Atlas sera une des sources principales de discussion. Il faudra bien que je m’acquitte de l’aide qu’ils nous ont fournie à un moment ou un autre.

Je les saluai chacun leur tour, mais je ne reçus que peu de réponses. Seul l’Anneau Céleste Jeanne d’Arc me répondit, me saluant avant de me demander si tout allait bien. Après lui avoir tout expliqué, il se rendormit aussitôt.

Ma fille se tenait à mes côtés, toujours aussi interrogative face à cette scène qu’elle ne comprenait pas, puisqu’elle ne pouvait pas entendre leur voix. Elle fixa longuement l’Anneau Jeanne d’Arc, comme si elle espérait capter quelque chose, percevoir un murmure, une vibration… Mais rien. Juste le silence.

"Pourquoi… ?" murmura-t-elle plus pour elle-même que pour moi.

Jusqu’à preuve du contraire, nous n’étions que trois à pouvoir les entendre : Daniel, Séraphina et moi. Demain, ils seraient de retour au travail après leur week-end. Il est vrai que je n’avais pas revu Séraphina depuis qu’elle était partie en courant de la salle. Quant à Daniel, il était resté présent, mais son malaise et son silence étaient visibles. Il devait sûrement attendre de pouvoir leur parler à nouveau.

Il faut que j’aie une discussion avec eux pour savoir ce qu’ils veulent faire maintenant. J’aimerais qu’ils rejoignent mon projet afin de m’aider à créer de nouveaux Anneaux Célestes une fois que je les aurai formés. Jusqu’à présent, je ne les avais pas encore vraiment formés, car s’ils ne rejoignaient pas mon projet, ils pourraient potentiellement me nuire en créant leurs propres Anneaux Célestes, pas forcément avec de bonnes intentions. Même si je doute qu’ils en arriveraient là. Enfin, c’est la conclusion à laquelle ma fille et moi sommes arrivés après de longues discussions, et après qu’elle ait appris à mieux les connaître.

Elle m’a même annoncé qu’elle irait voir Séraphina ce soir et qu’elle ne m’accompagnerait donc pas durant le repas. J’étais vraiment heureux pour elle. Qu’elle se fasse des amies, qu’elle découvre le monde par elle-même… Elle vivait selon sa propre volonté, et je suis certain qu’un jour, elle sera appréciée de tous.

De mon côté, j’avais hâte de voir le président Atlas lors de ce repas. La dernière discussion longue que nous avions eue remontait à notre voyage en avion pour la France, et à un bref passage à l’ONU.

L’après-midi se passa avec ma fille, durant laquelle nous modifiâmes légèrement son corps mobile. Nous remplaçâmes certains éléments, comme ses pinces par des mains robotiques plus esthétiques, recouvertes d’une imitation de peau humaine. Même si ma fille semblait satisfaite pour l’instant, pour ma part, je restais sur ma faim. Ces mains, malgré tous nos efforts, restaient encore clairement robotiques, avec des mouvements loin d’être biologiques. Sans parler du manque de pression qu’elle pouvait exercer pour saisir un objet.

Je pris un moment pour observer ses nouvelles mains. Elles ressemblaient à des mains humaines… en apparence. Mais je savais qu’elles ne suffisaient pas. Elles étaient trop rigides, et leur surface, bien que douce, ne possédait pas cette infime souplesse qui donnait à la peau humaine son réalisme. Il manquait cette chaleur naturelle, ce léger tressaillement quand on effleure quelque chose.

"Qu’en penses-tu ?" lui demandai-je.

Elle ouvrit et ferma lentement ses doigts articulés, semblant peser le pour et le contre.

"Elles sont… bien. Mais ce n’est pas encore ça, n’est-ce pas ?"

J’eus un petit rire amer. Elle me connaissait trop bien.

"Non, pas encore. On y est presque, mais il manque quelque chose."

Iris inclina légèrement la tête, pensive.

"Je ne ressens rien en touchant les objets. Je sais que je les tiens, mais je ne les ressens pas vraiment. C’est comme… si je n’avais aucun retour sensoriel."

Je hochai la tête, notant mentalement son observation. Il fallait trouver un moyen d’intégrer des capteurs plus avancés, quelque chose qui puisse lui permettre d’avoir une vraie interaction avec le monde.

Mais le sourire de ma fille était un beau cadeau pour moi. Et je devrais faire en sorte de m’améliorer avec le temps pour lui offrir un corps parfait.

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