Chapitre 2.4 : Repas présidentiel
Tandis que j’avais fini de me préparer pour la soirée à venir et que ma fille était partie retrouver Séraphina, je pianotais encore quelques détails sur les améliorations du nouveau corps de cet enfant à naître. Mais soudain, les portes de l’entrepôt s’ouvrirent, laissant apparaître la silhouette d’une femme qui m’était jusqu’à présent inconnue.
"Bonjour, je me nomme Amarante. Je serai votre accompagnatrice à partir de maintenant."
Elle s’inclina respectueusement devant moi. Elle arborait une coupe courte de style pixie, avec des cheveux noirs, et me regardait de ses yeux marron légèrement creusés. Son regard était vif, observateur. Chaque mouvement semblait soigneusement mesuré, comme si elle analysait mes réactions.
"Bonjour… Natali ne vous a même pas accompagné pour me dire au revoir ?" demandai-je, surpris. J’aurais cru que nous nous reverrions tout de même pour me présenter sa remplaçante, mais il semble que non.
"Natali n’a pas pu être présente aujourd’hui suite à un empêchement, mais vous la reverrez certainement dans les couloirs."
Comme toutes les personnes de ce pays, elle parlait étonnamment bien ma langue, même si son léger accent trahissait ses origines. Cependant, je n’y prêtai guère attention sur le moment.
"Tant pis, je verrai avec elle la prochaine fois que je la croiserai. Du coup, vous allez être mon chaperon pour m’accompagner à ce repas ?"
Elle esquissa un petit sourire en coin, un charme certain illuminant son visage.
"Je vous en prie, suivez-moi."
Je me levai de ma chaise et enfilai ma veste qui y était posée avant de la suivre.
Nous nous dirigeâmes dans ce dédale blanc, traversant de nombreux couloirs avant d’arriver face à un ascenseur gardé par deux soldats. En nous voyant approcher, l’un d’eux leva la main pour nous arrêter et demanda quelque chose à Amarante dans sa langue. Elle leur présenta un document ou un badge que je ne pus voir, et après un bref instant, le garde s’écarta et nous laissa accéder à l’ascenseur.
Nous montâmes à une certaine hauteur dans la montagne. Lorsque les portes s’ouvrirent, elles dévoilèrent un salon moderne d’une élégance saisissante. Une table magnifique, semblant représenter deux vagues s’entrechoquant et se rejoignant pour former un plateau, trônait au centre de la pièce. D’une taille suffisante pour accueillir une dizaine de convives, elle était entièrement réalisée en verre de différentes teintes, créant un jeu de couleurs fascinant sous la lumière ambiante.
Le reste de la pièce affichait un style épuré. Les murs étaient ornés de tableaux modernes aux couleurs chatoyantes, qui contrastaient avec l’ameublement sobre et raffiné, dominé par des nuances de blanc nacré. Malgré l’éclat des couleurs et la lumière tamisée, il y avait dans cette pièce une forme de solennité. Un endroit conçu pour impressionner autant que pour intimider.
Cependant, je remarquai l’absence du président. Amarante avança dans la pièce et, d’un mouvement de main élégant, m’invita à la suivre.
"Je vous en prie, installez-vous ici. Le président ne devrait plus tarder."
Elle resta debout, m’observant du coin de l’œil. Mais au lieu de m’asseoir immédiatement, je fis lentement le tour de la pièce, admirant la qualité de la table en verre, qui semblait être taillée d’un seul bloc. Un travail d’orfèvre, sans le moindre défaut apparent.
Un bruit d’ascenseur brisa le silence, et les portes s’ouvrirent pour laisser apparaître le président Atlas. Il portait un costume noir intégral, ce qui le faisait ressortir nettement dans cet environnement lumineux. Derrière lui, deux gardes du corps en tenue d’apparat l’accompagnaient.
"Bonjour, comment vas-tu depuis tout ce temps ?"
Je m’approchai de lui, surpris par la familiarité de son ton. Atlas était un homme que je respectais, mais son ton amical me prit de court. Cherchait-il à détendre l’atmosphère ou à instaurer une dynamique particulière pour ce repas ?
"Pour l’instant, tout se passe comme prévu, je dirais."
Il s’avança et me tendit la main, que j’acceptai volontiers.
"Allons, installons-nous, je te prie."
Il s’installa en bout de table, m’invitant à m’asseoir juste à sa droite.
Je pris place, légèrement intimidé par sa présence, mais sa familiarité brisa rapidement cette impression. Un serveur arriva et déposa plusieurs boissons alcoolisées ainsi que des verres de différentes formes. Parmi elles, je remarquai une bouteille de muscat, un vin dont j’étais particulièrement friand.
Atlas se servit un verre de cognac et me lança avec un sourire :
"Serais-tu un amateur de vin ?"
"Sans vouloir tomber dans le cliché du Français, j’avoue apprécier grandement le vin. Et vous, préférez-vous les alcools forts ?"
Le président trinqua avec moi, son verre tintant légèrement contre le mien.
"Disons que j’aime leur caractère. Avec l’âge, ils savent révéler de nouvelles saveurs, mais certains jeunes savent aussi surprendre," me dit-il avant de prendre une nouvelle gorgée.
Puis, il me regarda plus sérieusement.
"Mais sinon, comment vas-tu ?"
Je baissai légèrement les yeux. "Disons que cela pourrait aller mieux. C’est Natali qui vous en a parlé ?" demandai-je en cachant discrètement les tremblements de mon bras sous la table.
"Pas seulement elle. J’ai vu la vidéo de ta prestation. Même si Séléné m’en avait parlé, je ne m’attendais pas à cela. Je comprends pourquoi elle place autant d’espoir en toi... et moi aussi, je suis prêt à parier sur toi."
Je relevai les yeux, surpris par ses paroles.
"Je vous remercie sincèrement pour tout ce que vous avez fait pour moi."
Atlas balaya l’air d’un geste. "Pas de chichis entre nous. En privé, nous pouvons nous tutoyer, je t’y invite."
J’acquiesçai légèrement avant qu’il ne reprenne.
"Je voudrais te demander une chose."
"Oui, dis-moi."
"Je voudrais que tu prennes Natali avec toi dans ton projet."
Je ne pus cacher ma surprise.
"Pourquoi cela ? Depuis l’incident dans le bus, elle semble m’éviter."
Atlas hocha la tête. "Elle m’en a parlé. Elle considère qu’elle a échoué dans sa mission en te blessant. Elle l’a très mal pris."
Je fronçai les sourcils. "Mais ce n’était qu’un accident... C’est donc pour cela qu’elle s’est retirée ?"
"Alors, tu ne serais pas contre l’idée qu’elle rejoigne ton projet ?" demanda-t-il avec un regard perçant.
Je réfléchis un instant. "Natali est une agente compétente, mais puis-je réellement lui accorder ma confiance ? Rien ne me garantit qu’elle ne trahira pas un jour."
Atlas sourit légèrement. "Tu n’as pas à t’inquiéter. Sache que Natali est ma fille."
Je restai étonné par ces mots. Il continua : "Elle est la fille d’un ami mort au combat, dont j’ai pris la garde. Je la considère comme ma propre fille et aussi comme mon bras droit."
Atlas se leva lentement, me dominant de sa carrure imposante. "Sache une chose, Jérémy… Si jamais il lui arrive quoi que ce soit, je m’occuperai personnellement de toi."
Je le regardai droit dans les yeux, comprenant son sentiment. "D’un père à un autre, je peux comprendre. Je ferai ce qui est en mon pouvoir pour la protéger aussi, mais il faudra encore qu’elle revienne vers moi et me prouve que je peux lui faire confiance."
Atlas se réinstalla dans son siège. "Pour cela, je m’en occupe. J’irai lui parler directement. Quant à la confiance, je n’ai que ma parole, mais je te laisserai la mettre à l’épreuve si tu le souhaites."
"Très bien, dans ce cas, faisons ainsi. Mais j’aimerais aussi vous demander quelque chose."
"Je t’écoute."
"Cela concerne Daniel et Séraphina. Seriez-vous d’accord pour qu’ils me rejoignent eux aussi ?"
Atlas réfléchit un instant. "Disons que si eux-mêmes sont d’accord et que tu prends soin d’eux, je n’y vois pas d’inconvénient. Mais évite de me dépouiller de tous mes éléments, s’il te plaît."
Je souris légèrement. "Je comprends. Je ne prendrai que ceux qui veulent me suivre."
"Parfait. Quand comptes-tu partir en France pour revendiquer ta principauté ?"
"Je partirai après demain “
"Cela ne devrait pas poser de problème. De nombreux pays commencent à mettre la pression sur les dirigeants français, mais ils en profitent pour faire payer leur propre population. Ta cote de popularité a légèrement baissé à cause de cela."
Je fronçai les sourcils. "Je ne savais pas… Comment est-ce possible ?"
Atlas posa son verre et expliqua calmement : "Certains pays comme la Chine et les États-Unis, qui exportent énormément en France, ont ralenti leurs échanges, ce qui a entraîné une inflation des produits de première nécessité."
Le repas se poursuivit avec des discussions sur les enjeux politiques liés à la création de ma principauté. Atlas m’exposa les stratégies que je pourrais adopter face aux dirigeants français et me donna plusieurs conseils avisés, que j’appréciais grandement.
Le repas en lui-même était un véritable festin gastronomique, un mélange parfait de raffinement et de tradition, avec des plats magnifiquement dressés et composés de produits de saison. Nous terminâmes sur une mousse délicate avant de nous installer plus confortablement dans les fauteuils de la salle, un verre de thé chaud à la main.
L’atmosphère était plus détendue. Atlas me regarda attentivement et demanda d’un ton plus personnel : "As-tu pu voir Séléné récemment, Jérémy ?"
La question me toucha profondément. Je serrai ma tasse entre mes mains pour en ressentir la chaleur. "Je ne peux plus entrer dans le monde des rêves dans ma condition actuelle. La dernière fois que je l’ai vue, c’était il y a un mois, lorsque j’étais hospitalisé à mon retour. Elle me manque… J’aimerais tellement la revoir."
Atlas hocha lentement la tête. "Je comprends. Il y a une semaine, elle m’a rendu visite en rêve. Elle ne cessait de me demander de tes nouvelles. Je peux t’assurer qu’elle pense beaucoup à toi."
Ses mots réchauffèrent mon cœur, mais ne dissipèrent pas entièrement la tristesse de ne pas pouvoir la revoir immédiatement.
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