Seraphina lokey:

Le jour se levait doucement sur la Base, et les premières lueurs traversaient les rideaux de ma chambre, sobre mais accueillante. J’ouvris lentement les yeux, encore enveloppée par la chaleur des draps. Il me fallut quelques secondes pour me réveiller complètement. Puis, je sentis une présence calme et silencieuse à mes côtés, et une main saisit doucement la mienne.

C’était la fille de Jérémy, Iris Chapi. Elle était là, assise près de moi, les yeux fermés, mais étrangement éveillée. Son expression paisible contrastait avec l’agitation intérieure que je ressentais encore. Nous avions passé la soirée ensemble, discutant de choses banales mais précieuses : des livres que nous aimions, des rêves que nous avions, et de la manière dont elle percevait le monde. Elle s’était aussi inquiétée pour mon état de santé actuel.

Je sortis du lit délicatement pour ne pas la réveiller, mais c’était peine perdue : ses yeux s’ouvrirent aussitôt.

"Tu es restée ici toute la nuit ?" lui demandai-je.

"Je voulais m’assurer que tu dormais bien", répondit-elle simplement.

Je lui adressai un petit sourire, touchée par cette attention étrange mais sincère. Je m’assis au bord du lit.

"Tu n’as pas à t’inquiéter. Depuis notre discussion, je vais mieux. Et je dois admettre que j’ai hâte d’écouter ton père, de savoir ce qu’il va nous dire aujourd’hui."

Elle inclina légèrement la tête, comme si elle cherchait le mot juste.

"Je suis sûre que mon père saura trouver les bons mots pour vous parler, comme il le fait toujours avec moi."

Nous nous préparâmes calmement, puis quittâmes la chambre en silence. Nous prîmes ensemble le chemin de l’entrepôt, où se trouvait Jérémy Chapi. Le trajet fut paisible, ponctué de quelques échanges discrets, de regards partagés, de sourires complices. L’air du matin était frais, presque vivifiant. Il portait une forme de renouveau.

En approchant du lieu, nous croisâmes Daniel, qui avait une mine fatiguée et semblait lui aussi se diriger vers le hangar. Il parut surpris de me voir arriver avec Iris, mais ne fit aucune remarque et nous accompagna.

Arrivés devant la porte de l’entrepôt, je fus prise d’un léger vertige. La main d’Iris se resserra sur la mienne et m’aida à reprendre mon souffle.

"Je vais entrer la première pour m’assurer que tout va bien, si cela ne vous dérange pas", dit-elle avant de me lâcher la main et de pénétrer dans l’entrepôt.

Je me tournai vers Daniel. De fines gouttes de sueur perlaient sur son front, et un certain malaise apparaissait sur son visage.

"Daniel, tu vas bien ? Nous nous connaissons depuis bientôt quatre ans, et c’était la première fois que je le voyais dans cet état."

"Disons que ça pourrait aller mieux. Il voulait nous parler, semble-t-il."

"Oui. D’après ce que sa fille m’a dit, il va nous expliquer certains détails", répondis-je. Je marquai une pause, hésitante. Puis j’ajoutai : "…comme ces voix qu’on peut entendre."

À ces mots, il se tourna vers moi, les yeux écarquillés, visiblement surpris.

"Alors toi aussi ?" répondit-il.

Mais à ce moment-là, Jérémy sortit par la porte. Il avait de légères cernes sous les yeux et était vêtu simplement.

"Merci d’être venus. Je vous en prie, entrez", dit-il d’une voix calme.

Il nous fit signe d’entrer. Une fois tous à l’intérieur, il referma la porte derrière nous, puis se tourna vers nous avec un regard grave, tandis qu’Iris se tenait à ses côtés.

"Au vu de la situation actuelle, il est temps que je vous révèle la vérité sur les Anneaux Célestes. Ce que vous croyez savoir n’est qu’une infime partie de ce que j’ai voulu vous montrer", dit-il en se dirigeant vers l’atelier sur le côté, là où se trouvaient l’unité centrale d’Iris, mais aussi les deux premiers Anneaux Célestes qu’il avait fabriqués : Adamaï et Evangelyne.

Il nous invita à nous installer dans les fauteuils disposés autour.

"Mais avant toute chose, j’ai une question à vous poser, et une promesse que je souhaite que vous me fassiez", ajouta-t-il.

Interloqués, Daniel demanda :

"Que veux-tu nous demander ?"

"Avant tout, je voudrais savoir si vous souhaitez faire partie de mon projet, ici, dans ma principauté de Riveria", dit-il en posant la main sur l’un des Anneaux Célestes à ses côtés. "Et concernant la promesse… même si vous ne rejoignez pas mon projet, je voudrais que tout ce que je vais vous révéler reste strictement entre nous."

Je comprenais où il voulait en venir. Il protégeait sa technologie, tout en nous donnant une chance de le rejoindre.

"Sommes-nous obligés de te répondre maintenant pour ce qui est de ton projet ?" demandai-je. Il me fallait du temps. Je ne pouvais pas lui donner une réponse immédiate : je devais m’organiser avec mon travail, ma famille, et voir ce qu’il avait à nous offrir.

"De même pour moi, je voudrais en discuter avec ma famille avant toute décision", ajouta Daniel.

"Bien entendu, vous avez tout le temps qu’il faut. Nous devrons aussi revoir les détails de vos contrats avec l’aide de ma fille", précisa Jérémy.

"Ne vous inquiétez pas, je veillerai à ce que vous soyez bien rémunérés", intervint Iris, en faisant un signe "ok" de la main droite.

"Et concernant la promesse ?" demanda Jérémy.

"Comment veux-tu qu’on procède ? Un papier signé ? Ou un pacte de sang ?" lança Daniel sur un ton moqueur, malgré la fatigue visible sur son visage.

"Arrête de tourner autour du pot avec eux, papa", dit Iris, tout en lui donnant un petit coup sur le flanc.

Jérémy saisit une boîte contenant un des Anneaux Célestes et la déposa devant nous.

"Une simple promesse d’âme suffira. Posez votre main sur la boîte et dites : 'Je le jure'."

Intrigués, nous déposâmes chacun notre main sur la boîte et prononçâmes les mots.

"Vas-y, tu peux parler, ma sœur", dit Jérémy avec douceur.

"Bonjour, je suis heureuse de pouvoir enfin parler avec vous", résonna une voix douce et enfantine. Elle ne venait ni de Jérémy ni d’Iris. Elle ne vibrait pas dans l’air, mais à travers nous, dans nos esprits.

Daniel sursauta, même si ce ne fut qu’un instant, et se redressa brusquement sur sa chaise.

La surprise devait se lire sur nos visages, mais Jérémy enchaîna :

"Je vous présente ma petite sœur, Evangelyne Chapi. Comme j’ai pu le remarquer chez vous dernièrement… vous êtes capables de les entendre ? Ou je me trompe ?"

Nous restâmes sans voix. Daniel fixait Jérémy, la bouche entrouverte, comme une carpe. De mon côté, je peinais à comprendre ce qu’il voulait dire. Je savais que les Anneaux parlaient, que je n’étais pas folle, mais… parlait-il vraiment de sa sœur ? N’était-elle pas décédée ?

"Je pense que je leur fais peur, grand frère", résonna de nouveau la petite voix. On pouvait y sentir une tristesse sincère, presque enfantine, qui résonna au plus profond de moi.

J’avais tant de questions, mais aucune ne trouvait encore le chemin de ma voix. Mon esprit essayait d’assimiler ce qui se passait. Cette voix… elle n’était pas synthétique, ni artificielle. Elle vibrait d’une émotion authentique. Trop humaine pour n’être qu’un programme.

"Non, ma petite sœur, ils sont juste étonnés. Peux-tu leur expliquer ce que tu es ?" demanda doucement Jérémy.

Un léger silence s’installa, puis la voix d’Évangéline résonna à nouveau, timide mais claire en nous :

"Je suis une humaine comme vous, mais je suis morte dans un accident d’avion, ce qui a en théorie mis fin à ma vie. Jusqu’au jour où j’ai entendu la voix de mon frère… et je me suis retrouvée de retour dans ce monde, sous cette nouvelle forme. Je ne saurais dire ce que je suis devenue, mais je me sens bien. Je ne ressens pas la faim, et il m’arrive d’avoir de longues périodes de sommeil et je me rappelle de tout de ma vie antérieur a l accident."

"Ce jour-là… alors c’était toi ?" demanda Daniel en s’exprimant enfin.

"Oui, je suis désolée. Je ne voulais pas spécialement te faire peur", lui répondit-elle.

"Alors… les Anneaux Célestes sont bien des âmes humaines…" dis-je à haute voix, mais plus pour moi-même, tandis que je plongeais mes mains dans mes genoux pour réfléchir à ce que je venais d’apprendre.

"Je ne saurais trop vous dire pourquoi je suis encore de ce monde, mais ce qui est sûr, c’est qu’en entendant la voix de mon frère, j’ai voulu le rejoindre."

Iris restait perplexe à côté de nous, ne comprenant pas entièrement nos réactions. Quant à Daniel, il se leva brusquement de sa chaise.

"Qu’est-ce que tout cela veut dire alors, Jérémy ? Les Anneaux sont des humains ! Comment as-tu pu faire ça à ta sœur ?" demanda-t-il sous l’effet de la colère.

Mais Jérémy resta impassible.

"Tu te trompes !" répliqua Évangéline avec force. "Mon frère n’a rien fait. C’est moi qui suis venue à lui de ma propre volonté. Je ne saurais l’expliquer, mais je me sens libre et accomplie sous cette forme. Ce n’est pas une fatalité pour moi, et je pense que c’est la même chose pour les autres !"

Tandis qu’elle parlait, une vague d’émotion douce et chaleureuse nous traversa intérieurement. Quelque chose d’inconnu mais profondément réconfortant. Daniel, visiblement apaisé, se rassit lentement.

"Comprenez-vous maintenant pourquoi je veux que cela reste entre nous ?" dit Jérémy en nous tendant un verre d'eau.

"De plus, il y a un phénomène que je n’arrive pas encore à expliquer de mon côté."

"Quel est-il ?" demandai-je, intriguée, tout en buvant doucement mon verre d’eau pour me détendre.

"Nous sommes officiellement trois à entendre les Anneaux désormais."

"Comment ça ? Iris, tu n’entends rien ?"

Elle fit non de la tête.

"Jusqu’à présent, seul mon père les entendait. Cela m’a inquiétée au début, je pensais qu’il devenait fou… jusqu’à ce que tu me confirmes que toi aussi, tu les entendais," répondit-elle, légèrement rougissante.

"Ça prouve que je ne suis pas fou !" lança Jérémy sur un ton taquin, tandis qu’Iris soupirait.