Chapitre 2.7 :Adamaï

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Séraphina Lokey :

Le silence dans l’atelier était presque apaisant après tant de révélations. Pourtant, quelque chose en moi était en mouvement. Pas seulement des questions, mais une sorte de vibration, un écho que je sentais au creux de mon esprit. Comme un murmure discret, insistant.

Je posai le verre vide sur la table et croisai les bras, un frisson me parcourant.

"Et Adamaï ?" demandai-je soudain, sans vraiment savoir pourquoi ce nom m'était venu si naturellement.

Jérémy releva la tête. Il sembla surpris, mais pas décontenancé. Il se contenta d’un hochement de tête lent, presque solennel.

"Pour Adamaï, c’est une autre histoire… Mais actuellement, il est en sommeil. Il alimente l’unité centrale de ma fille," me dit-il, tout en nous montrant l’anneau intégré dans le cœur technologique d’Iris.

"Mais Adamaï, si je peux dire… est un cas particulier."

Même Iris semblait interpellée par sa réponse, comme si elle n’était pas au courant.

"Je t’en prie, explique-nous. Nous avons notre temps," lançai-je, tandis que Daniel acquiesçait en silence à côté de moi, encourageant lui aussi Jérémy à poursuivre.

Il se gratta le menton avant de dire : "Adamaï, tu m’entends ?"

Mais seul le silence régnait.

"Je pense qu’il va encore dormir… Et moi, je ne vais pas tarder à me reposer non plus. À plus tard, des bisous, grand frère," répondit Évangéline, avant de nous laisser dans un calme suspendu.

"Bon… pas le choix," fit Jérémy en s’adossant au coin du bureau, visiblement prêt à se lancer dans une longue histoire.

"Il faut comprendre que pour que mon aventure débute, il m’a fallu commencer quelque part. Et cela a commencé par la recherche d’une source d’énergie. Pas n’importe laquelle : une énergie capable de rivaliser avec toutes les autres, une source fiable, dense, durable. J’ai bien entendu écarté les énergies déjà connues comme le solaire ou l’éolien, trop contraignantes et manquant de mobilité."

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

"J’ai commencé avec ce que j’avais sous la main. Des énergies classiques, accessibles avec mes faibles ressources. J’ai même récupéré des particules radioactives en achetant des verres irradiés dans une brocante, ou encore des aiguilles d’anciennes horloges mécaniques recouvertes à l’époque de peinture luminescente au radium."

Il nous observa. Aucun de nous ne détourna les yeux. Il reprit, un peu gêné :

"Mais ce n’était pas suffisant. Ni stable, ni sûr. Alors j’ai dû envisager d’autres procédés, plus obscurs. J’ai exploré l’énergie organique, des combinaisons électrochimiques inédites, et d’autres méthodes que je préfère ne pas détailler ici… Pas encore."

"Mais je suis arrivé à un résultat étonnant. Un composé mi-organique, mi-électrochimique, capable de produire une charge électrique. Ce n’était pas très productif, mais l’énergie était bien présente. Je l’ai amélioré jusqu’à atteindre un seuil… une sorte de plafond que je n’arrivais plus à dépasser, même si je sentais que j’approchais du but. J’en étais persuadé."

"Je ne me souviens pas de cela," répondit Iris.

"Tu étais beaucoup trop jeune à ce moment-là, ma fille. Mais pourtant, tu m’aidais déjà à l’époque… en tant qu’I.A."

Depuis combien d’années travaillait-il sur ce projet ?

"Je t’en prie, continue," le pressai-je doucement.

"Ce qui est triste, c’est que certaines créations humaines naissent d’un accident. Et ce jour-là, j’ai voulu franchir ce mur infranchissable en surchargeant mon procédé, en augmentant les doses. Et cela a mené à ça…"

Il releva son t-shirt, révélant une vieille cicatrice sur son flanc droit.

"Ce jour-là, j’ai voulu jouer, et j’ai gagné… enfin, si on peut dire ça comme ça."

"Que s’est-il passé ?" demanda Daniel, lui aussi intrigué.

"L’expérience a dégénéré. Une partie de mon atelier a explosé alors que je voyais l’expérience arriver à son terme… mais je m’apprêtais à mourir sans pouvoir rien faire. Une partie de mon flanc a été déchirée par l’explosion. Je suis passé tout près de la mort ce jour-là. Et la seule chose que je pouvais faire, tandis que j’étais allongé au sol, paralysé par la douleur… c’était de supplier cette halo de lumière, qui lui aussi était en train de mourir à côté de moi."

"Et ce jour-là, notre âme s’est fracturée… Tandis que je me voyais gisant au sol, je pouvais également me voir sur le support métallique qui me maintenait en vie."

Encore une fois, cette voix... Elle semblait venir de nous, mais ne venait pas de Jérémy. C’était pourtant bien sa voix, mais plus jeune, plus claire.

"Je vois que tu t’es réveillé," dit Jérémy sans la moindre surprise.

"Ce jour-là reste encore une énigme pour nous. Mais désormais, nous sommes deux personnes. Et pour ma part, je suis Adamaï, le premier des Anneaux Célestes."

"Attends, là, je n’ai pas bien compris où tu veux en venir !" lui demandai-je, un peu perdue.

"Comme je l’ai dit, tout cela reste obscur pour moi aussi. Mais il semble, si je puis dire, que ma conscience — ou mon âme — se soit divisée en deux ce jour-là. Ce qui a mené à la création de mon frère."

"Pour ma part, je me souviens aussi de ce moment-là, et de notre étonnement à ton retour de l’hôpital," ajouta Adamaï.

Ce qui me troubla légèrement, c’était d’entendre à peu près la même voix, mais exprimée de deux façons différentes.

Je ressentis un vertige soudain. L’idée même qu’une âme puisse se diviser... cela dépassait tout ce que je pensais possible. Était-ce une résurrection ? Une mutation ? Ou simplement une conséquence imprévisible de la science poussée trop loin ?

Je dévisageai Jérémy avec un mélange d’incrédulité et de respect silencieux. Se rendait-il compte de ce qu’il venait de nous révéler ? Avec ce qu’il avait fait, il venait tout simplement de redessiner les frontières mêmes de la conscience humaine.

"Et toi..." demandai-je en fixant le boîtier d’Adamaï, "as-tu les mêmes souvenirs que lui ?"

"Certains, oui. Mais je ressens les choses différemment. Sous cette apparence, je suis en osmose avec moi-même. Nous n’avons plus la même expérience de la vie. Nous partageons une origine, mais nos chemins sont déjà divergents."

Un frisson me traversa. Cela remettait en cause certains des plus anciens fondements de l’humanité : le paradis, l’enfer, la réincarnation, ou même le vide absolu après la mort… Tout cela venait d’être balayé par lui.

Je me surpris à poser ma main sur ma poitrine, comme pour m’assurer que mon cœur battait toujours. Une voix intérieure, discrète mais bien présente, murmurait que peut-être, un jour, d’autres comme lui existeraient. Et alors… que resterait-il de ce que nous appelons "humain" ?

J’étais à la fois terrifiée et émerveillée. Et dans ce silence pesant, une certitude naquit en moi Et rien ne nous y avait préparés.

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