Chapitre 2.8 : L’écho de la vérité
Jérémy Chapi :
Le silence qui s'était installé dans l'atelier était épais, presque palpable. Je sentais le poids de mes paroles, de mes aveux, s'étirer dans l'air comme une fumée lente et invisible. Je n'osais plus croiser leurs regards. Avais-je eu raison de tout leur dire ? Avais-je, par honnêteté, simplement déposé un fardeau trop lourd sur leurs épaules ?
Je me raclai la gorge, les mains jointes devant moi, légèrement tendues.
"Je sais que ce que je vous ai révélé est... vertigineux. J'aimerais pouvoir vous dire que j'ai toutes les réponses, mais ce serait vous mentir. La vérité, c'est que je suis encore en quête de compréhension moi aussi. Et je n'attends pas que vous acceptiez tout cela maintenant."
Daniel était resté debout, les bras croisés, le regard fixé au sol. Il finit par souffler :
"Ce que tu dis... c'est fascinant. Mais ça me fait peur aussi. J'ai toujours cru que la science avait ses limites. Tu sembles les avoir franchies sans même t'en rendre compte, sans parler des répercussions que cela pourrait avoir sur la religion ou sur les gens en général."
Je hochai doucement la tête.
"Je les ai franchies, oui. Par erreur, par nécessité. Peut-être aussi par désespoir. Mais aujourd'hui, je suis devant vous, pas pour me glorifier, mais pour partager."
Séraphina, assise sur le rebord du bureau, les mains croisées sur les genoux, parlait d'une voix calme, presque résignée.
"Ce que tu as fait, Jérémy, c'est ouvrir une porte qu'on ne pourra plus refermer. Peut-être as-tu même ouvert la boîte de Pandore sans le vouloir. Mais ce que j'ai entendu... ce que j'ai ressenti... je ne peux pas l'ignorer. Je suis bouleversée, mais pas rejetée par cette vérité."
Iris, silencieuse jusqu'ici, prit enfin la parole. Sa voix était douce, posée :
"Vous êtes tous les deux des personnes que j'apprécie sincèrement. Et je vous remercie d'être restés, de nous avoir écoutés. Vous avez le droit d'avoir peur. Moi aussi, je l'ai été au début. Mais papa n'est pas seul. Nous sommes plusieurs à croire en ce qu'il construit."
Un léger frémissement dans l'air précéda une nouvelle voix.
"Je suis encore là, moi aussi," dit Évangéline. "Je n'ai pas choisi d'être ainsi, mais je me sens vivante. J'existe. Et si vous pouviez ressentir ce que je ressens... peut-être que vous comprendriez."
"Et moi, je soutiens," ajouta Adamaï, sa voix plus grave. "Mon rôle n'est pas de convaincre, mais de vous aider à aller plus loin. Je veux voir jusqu'où ce monde peut aller. Si vous choisissez de partir, je comprendrai. Mais si vous restez, vous aurez toute ma gratitude pour croire en nous."
Je pris une profonde inspiration.
"Je ne vous demande pas une réponse immédiate. Prenez une semaine. Une semaine pour réfléchir, digérer, questionner. Et si après cela, vous souhaitez toujours faire partie de ce projet... alors je vous accueillerai à bras ouverts. Sinon, je vous laisserai partir, sans jugement. La seule chose que je vous demande pour l’instant, c’est de garder tout cela pour vous, le temps de préparer les gens à cette conscience."
Je les regardai l'un après l'autre. Il y avait du trouble dans leurs regards, mais aussi une lueur... quelque chose qui n'était ni peur, ni foi. Peut-être une forme de respect, ou d'espérance.
J'avais dit tout ce que j'avais à dire. Le reste ne m'appartenait plus.
"Prenez votre semaine de repos pour réfléchir à tout cela, car de mon côté, je vais me préparer à partir en France pour revendiquer ma principauté," leur dis-je en me levant.
"Tu retournes là-bas ? Tu penses que tout va bien se passer ?" me demanda Séraphina, inquiète.
Sa question me ramena brutalement à mon rêve... ou plutôt à ce cauchemar. Une goutte de sueur glissa sur mon front tandis qu'une douleur sourde dans mon bras revenait me hanter.
"Il n'y a pas de raison qu’il y ait des problèmes... après tout," dis-je sans grande conviction.
"Je t’accompagnerai, père. Ne t’inquiète pas," répondit ma fille, ce qui me serra le cœur.
"Justement, à ce propos, je préférerais que tu restes ici pour cette fois." Même si son corps matériel était ici, je ne voulais pas qu’elle m’accompagne en France, pas après ce cauchemar.
"Mais pourquoi, père ? Je t’ai toujours accompagné !"
Comment sortir de cette situation ?
"Je t’expliquerai plus tard, s’il te plaît ma fille," répondis-je, cherchant à éviter la conversation, tandis qu’elle insistait de plus en plus, disant qu’elle avait une revanche à prendre sur certaines personnes.
"Je pense qu’il a raison, Iris, malheureusement," dit Séraphina, interrompant les protestations de ma fille. "Tu as été témoin, tout comme moi, de la cupidité dont ils ont fait preuve ce jour-là, dans votre ancienne maison... où ils ont attaqué sans retenue, ni raisonnement."
Iris se tut enfin, plongée dans une réflexion profonde. Je cherchai un échappatoire, que Séraphina m’offrit sans le savoir.
"Je ne partirai que trois jours. Et nous pourrons rester en contact avec le téléphone, bien entendu."
Le monde entier n'était pas encore au courant de la survie d’Iris. Et pourtant, elle avait déjà conquis le cœur de nombreuses personnes, à tel point que des milliers de fanarts circulaient dans le monde entier depuis l’annonce de sa disparition.
La seule apparition qu’elle ait pu faire était lors de la présentation du remède, où elle était restée plutôt dans les coulisses, à superviser discrètement. L’événement s’était déroulé à huis clos.
En repensant à cela, je me demandai comment allait Elowen. À mon retour de France, il faudrait que je lui parle, prendre de ses nouvelles.
"Mais père, je ne peux pas te laisser y aller seul !"
"Il ne sera pas seul," répondit une voix de femme, entrée discrètement dans l’atelier.
"Bonjour, Natali," répondirent Daniel et Séraphina en lui adressant un salut militaire, tandis que je restai un instant figé, surpris par sa venue.
"Bonjour. Comment allez-vous ?" lui demandai-je.
"Très bien. Il semble que j’aie repris mes obligations vous concernant, même si je tiens encore une fois à m’excuser."
Tandis qu’elle tendait une main vers moi, sans doute en signe d’excuse, ma fille s’interposa brusquement, me surprenant. Les deux femmes se fixèrent intensément, un échange muet chargé de tension.
"Vous pensez vraiment que je vais vous laisser seule en tête-à-tête avec mon père après ce qui s’est passé dans le bus ?" dit-elle d’un ton sec, chargé de méfiance.
Je savais à quoi elle faisait allusion. Cet incident survenu lors de notre retour après la présentation du remède avait laissé une cicatrice, au sens propre comme au figuré. Natali m’avait blessé accidentellement, dans un moment de panique mal maîtrisé.
Je n’aurais jamais cru ma fille capable de tant de rancune. Elle, d’ordinaire si posée, exprimait ici une méfiance vive, presque protectrice à l’extrême.
"Grand frère… qu’as-tu fait ?" demanda Évangéline, d’un ton à la fois confus et légèrement jugeant.
"En vrai… je suis plutôt bien ici, loin de ce genre de souci," ajouta Adamaï avec son habituel détachement, ne comprenant pas vraiment la tension mais y ajoutant sa touche personnelle.
Séraphina et Daniel, bien qu’ayant tout entendu, restèrent silencieux, visiblement mal à l’aise.
"J’ai été rappelée à l’ordre pour ce qui s’est passé ce jour-là. Ne vous inquiétez pas," répondit calmement Natali. Elle plaça une main sur sa poitrine. "Et je vous assure que cette fois, je mènerai ma mission à bien."
Iris ne répondit rien. Elle retourna lentement à mes côtés, silencieuse, mais son regard restait fixe et froid envers Natali.
"Sachez que nous partirons dès demain. J’étais venue vous avertir à ce sujet," poursuivit Natali.
"Je vous remercie, Natali. Je ferai en sorte d’être prêt," répondis-je en lui tendant la main.
Elle me la serra avec respect, mais Iris détourna volontairement la tête, exprimant clairement sa désapprobation.
Avant de partir, Natali s’arrêta brièvement à l’entrée et ajouta :
"Une dernière chose. La tension monte en France. Votre projet de principauté a éveillé beaucoup de réactions. Certains vous prennent au sérieux. D’autres vous voient comme un danger. Attendez-vous à une atmosphère tendue."
Elle repartit comme elle était venue, discrète comme un chat.
"Que s’est-il passé avec Natali ?" demanda Daniel, rompant le silence qui venait de s’installer.
Je pris une profonde inspiration.
"S’il vous plaît… pas de questions. Je vais avoir besoin de repos après tout ça."
Je quittai l’atelier sans un mot de plus, le cœur alourdi par la fatigue et les doutes à venir.
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