Chapitre 3.0 :Ambassade ou confrontation
Jérémy Chapi :
Le soleil était encore bas dans le ciel lorsque je quittai le complexe principal. L'air était frais, porteur d'une certaine tension que même le ciel paisible d'Atlantide ne parvenait à apaiser. Le hangar du transport militaire était silencieux, prêt à nous accueillir, moi et Natali, pour ce déplacement que je redoutais plus que je ne voulais l'avouer.
Avant le départ, j'avais passé quelques heures à rédiger des consignes pour Iris. Elle savait déjà, dans les grandes lignes, ce qu'elle devait faire. Elle m'avait simplement dit au revoir avec un câlin. Elle aurait voulu venir avec moi, je le sais, mais elle n'a pas insisté. Et je lui en fus profondément reconnaissant. Ce geste simple rendit mon départ bien moins difficile.
J'ai également revu certaines données sensibles avec Daniel et Séraphina, en lien avec tout ce que je leur avais appris. Chaque geste avait été accompli avec lenteur, comme si mon corps lui-même cherchait à retarder le moment de monter à bord.
Natali m'attendait près de la rampe d'accès. Vêtue sobrement, elle semblait déterminée. Je n'avais pas oublié ce qui s'était passé entre nous, ni la méfiance d'Iris. Mais une mission restait une mission, et pour l'instant, je devais lui faire confiance, comme me l'avait demandé Atlas.
"Tout est prêt," dit-elle simplement en me voyant arriver.
Je hochai la tête sans un mot, puis montai à bord. L'avion vibra doucement à l'allumage. Je m'installai face à elle, de l'autre côté de la cabine.
"Les autorités françaises sont divisées. Certaines veulent négocier, d'autres vous faire tomber. Il y aura des regards, des provocations. Il faudra rester calme."
Je soupirai.
"Je ne viens pas provoquer. Je viens exister. Et leur rappeler que le futur n'attend pas leur approbation."
Elle esquissa un sourire discret, puis ajouta d'une voix posée :
"Alors permettez-moi de vous donner quelques clés, si jamais ils essaient de vous faire perdre pied. Quand ils vous provoquent, respirez par le nez, lentement, cinq secondes, puis expirez doucement. Gardez les mains ouvertes, décontractées, sur la table ou sur vos genoux. Ne croisez jamais les bras : c'est un signe de fermeture."
Je l'observai, intrigué.
"Et si l'un d'eux me manque de respect ?"
"Regardez-le dans les yeux. Ne répondez pas à l'attaque. Répondez à l'idée. Dites ce que vous avez à dire, mais avec calme. Le silence peut être plus éloquent qu'un discours."
Je hochai lentement la tête.
"Vous avez appris cela où ?"
"J'ai eu mes années de formation au côté du Président Atlas. Et surtout, j'ai dû garder mon calme devant bien des gens qui ne me pensaient pas capable de le faire."
Nous nous murâmes ensuite dans le silence, chacun perdu dans ses pensées.
L'avion décolla. Le sol d'Atlantide s'éloigna, et avec lui, le réconfort de ce que j'avais bâti. Devant moi, un pays qui ne me reconnaissait plus, mais que je devais convaincre pour récupérer un bout de terre et fonder ma principauté.
L'atterrissage en France fut aussi calme qu'inconfortable. Derrière les hublots, une pluie fine balayait le tarmac gris. Une délégation nous attendait. Quatre véhicules noirs, sobres mais blindés, se tenaient en file, accompagnés d'hommes en costume sombre.
Natali m'indiqua de la suivre, sans un mot. Le contraste entre la chaleur d'Atlantide et la froideur française était saisissant. Les visages qui nous accueillent étaient fermés, professionnels. Pas un sourire, pas un mot de bienvenue.
"Monsieur Chapi, madame Natali," salua une voix autoritaire. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, raide, au regard perçant. "Nous avons reçu l'ordre de vous escorter. Le Président Macrin vous attend."
Je hochai poliment la tête.
Le trajet se fit en silence, à travers des rues étroites et grises, où les regards de quelques passants croisèrent notre convoi. Dans le véhicule, je jetai un regard à Natali. Elle gardait une posture neutre, presque militaire.
Je me remémorai alors ses conseils : respiration lente, mains ouvertes, regard calme. Il me faudrait m'en souvenir bientôt.
Car d'ici peu, j'allais me retrouver face à ceux qui m'avaient renié... et qui allaient devoir m'écouter.
Dans la berline noire, tandis que la ville défilait derrière les vitres teintées, je pris un instant pour envoyer un message à Iris. Un simple enregistrement vocal. Ma voix était plus tremblante que je ne l’aurais voulu.
"Je suis presque arrivé. Reste concentrée sur ce qu’on a prévu. Tu n’as rien à prouver. Je suis fier de toi, peu importe ce qui arrive."
La réponse ne tarda pas. Sa voix douce, compressée par le haut-parleur, résonna comme un baume.
"Je crois en toi, papa. Et je sais que même s’ils essaient de t’écraser, ils verront ce que je vois. Ce que nous voyons tous. Tu es plus fort qu’eux. Reviens-moi."
Je rangeai mon téléphone sans répondre. Je ne voulais pas risquer de laisser mes émotions me submerger maintenant. Mais dans ce silence, ses mots vibraient encore en moi.
La berline noire s'arrêta devant un imposant bâtiment administratif situé en plein cœur du quartier politique de la capitale. Hautes grilles en fer forgé, façade en pierre claire rongée par les années, colonnes massives. C'était là que les chefs d'État, diplomates et figures internationales étaient traditionnellement reçus. Le Palais de l'Élysée. Le lieu imposait le respect autant qu'il glaçait l'âme.
Dès notre sortie du véhicule, une foule de journalistes s’agglutina derrière les barrières. Flashs, micros tendus, murmures excités. Ma venue avait fuité — peut-être volontairement. Natali descendit la première, gardant une attitude sobre, professionnelle, presque militaire. Je la rejoignis, sentant sur ma peau l'humidité d'une pluie fine qui ajoutait à l’atmosphère oppressante.
Parmi ceux qui nous attendaient, c’est Bernar Elitable qui s’avança pour nous accueillir. Il n’était pas le président, mais c’était lui qui imposait sa présence en premier.
Elitable était légèrement plus jeune que Garmie, dans la quarantaine, mais son apparence rigide lui conférait une gravité glaciale. Sa silhouette élancée, athlétique, trahissait un homme obsédé par le contrôle. Cheveux bruns coupés courts, impeccablement coiffés, visage fermé, traits anguleux comme taillés au couteau. Ses yeux sombres, perçants, me dévisagèrent avec une intensité presque clinique.
Il se contenta d’un bref mouvement de tête.
"Prince Chapi. Veuillez nous suivre. Le Président vous attend."
Aucune formule de bienvenue. Tout ici respirait la façade diplomatique sans chaleur. Natali resta à mes côtés, à peine en retrait, droite et muette comme une ombre loyale.
Nous pénétrâmes dans l’enceinte du bâtiment, traversant un vaste hall orné de bustes et de tapis rouges ternis par le temps. Un long couloir silencieux nous mena à un ascenseur massif aux portes dorées, encadré de marbre veiné.
Juste en face de l’ascenseur, un tableau attira mon attention. Il représentait une scène étrange, dérangeante. Un homme, affaibli, dénudé, était dévoré vivant par ses propres chevaux. Les bêtes semblaient ivres de rage. Le regard de l’homme, tordu par l’agonie, semblait me fixer dans l’ombre du cadre. Je restai un instant figé devant cette vision. Une violence symbolique, sauvage, presque prophétique. J’ignorais le nom de l’œuvre ou de son auteur, mais quelque chose en moi savait qu’elle avait été choisie pour marquer les esprits.
"C’est... particulier," murmurai-je, plus pour moi-même.
Elitable ne répondit pas. Il sortit une clé métallique et l’inséra dans une fente sur la paroi de l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent dans un soupir feutré. Une cabine étroite, sans boutons. Nous entrâmes tous les trois.
À peine les portes se refermèrent que je jetai un regard à mon téléphone. Aucun signal. Plus de réseau.
Natali me lança un regard bref. Elle avait remarqué aussi, mais ne dit rien. Pas besoin. Ce silence en disait long.
Le silence était total, presque oppressant, seulement troublé par le léger vrombissement de la descente. Le sous-sol. Un endroit où l'on ne recevait pas les invités ordinaires.
Je fermai les yeux un instant. Je me souvenais des conseils de Natali : respiration lente, mains ouvertes, regard calme. Car d’ici peu, je ne serais plus un visiteur. J’allais me retrouver face à ceux qui pensaient pouvoir m’effacer... et j’étais prêt à leur rappeler que ce temps était révolu.
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