Chapitre 3.2 : Rencontre avec le président

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Natali Lonskaïa :

Le silence s'installa de nouveau après les derniers mots de Jérémy, mais il avait changé de nature. Ce n'était plus de l'arrogance contenue. C'était du calcul. De l'analyse.

Macrin prit une inspiration lente. Ses doigts tambourinaient doucement sur la table, dans un rythme mesuré, presque hypnotique. Puis il se redressa, toujours impérial.

"Nous avons bien entendu vos arguments, Prince Chapi. Et nous reconnaissons que la question de votre implantation ne peut être balayée d’un revers de main."

Il marqua une pause, ses yeux croisèrent ceux de chacun de ses ministres. Tous restaient figés.

"La France, dans son immense tradition d’ouverture et de débat, est prête à envisager une cession exceptionnelle, dans un cadre strictement encadré."

Je sentis Jérémy se tendre délicatement. Il savait que chaque mot serait pesé, chaque ouverture assortie de chausse-trappes.

"Mais..." poursuivit Macrin, le ton un rien plus lâche, "je me dois de vous prévenir. Gérer un territoire, fût-il petit, n’est pas un privilège, c’est une responsabilité écrasante. Et dans une France fragmentée, où nous faisons face à des tensions civiles, à de la désinformation, à de fausses croyances nourries par des populismes et des rumeurs... Vous risquez d’en devenir le point de cristallisation."

Ses mots, bien que soigneusement choisis, étaient une mise en garde. Voilée. Polie. Mais réelle.

Jérémy se pencha légèrement vers la table, ses mains croisées devant lui.

"J’ai grandi dans ce pays. J’en connais la douleur, les dérives, la fatigue. Je connais la peur qu’on fait naître chez le peuple, les taxes qu’on empile pour mieux l’étouffer, et la terreur qu’on entretient pour détournement d’attention."

Il redressa doucement la tête.

"Et je sais aussi que les citoyens de ce pays méritent mieux que ce qu’on leur impose. Ce que je construis n’est pas un affront. C’est une alternative. Une bouée, peut-être, pour un peuple qu’on pousse à bout."

Un frisson parcourut la salle. Les gardes se figèrent. Rochemont détacha enfin les bras, comme pour mieux contenir ses émotions. Doreval serra les dents.

Macrin, pourtant, resta de marbre.

"Soit. Vous l’aurez. Une portion de territoire, délimitée et négociée selon des critères stricts. Mais comprenez ceci : si vous échouez, ce n’est pas vous seul qui tomberez. Ce sera l’ensemble du modèle que vous incarnez. Et alors, personne ne viendra vous relever."

Je fermai brièvement les yeux. C'était dit. Un accord. Et une condamnation potentielle.

Mais Jérémy, lui, ne broncha pas.

"Alors actons. Sans peur. Parce que je n’ai rien à cacher. Et que j’ai déjà donné trop de moi pour reculer aujourd’hui."

Et dans ce sous-sol, où les rêves n’ont jamais leur place, je vis un homme poser les bases d’un futur que nul ici ne contrôlait plus.

Le silence fut rompu par un léger raclement de gorge du conseiller juridique, qui s’avança pour poser une mallette sur la table. Jérémy resta immobile, mais je perçus un léger tremblement dans son bras gauche. Il le dissimulait derrière son dos, dissimulant l’effort de toute une posture. Je connaissais ces signaux : douleur, fatigue nerveuse, tension retenue depuis trop longtemps.

Je sortis calmement le classeur que je portais depuis notre arrivée. À l’intérieur, les copies des accords pré-approuvés par l’ONU, avec les clauses encadrant la cession du territoire. Je les posai sur la table, bien à plat, et les fis glisser vers le centre.

"Voici les documents nécessaires à la formalisation de l’accord," dis-je simplement, sans détourner le regard de ma tâche.

Jérémy prit le stylo que je lui tendais. Il signa d’un geste ferme, contrôlé. Le tremblement de son bras ne s’était pas propagé à sa main. Puis, il se leva pour tendre la main au président Macrin.

Une poignée de main fut échangée. Froide. Rapide. Sans chaleur, sans sourire. Un geste purement diplomatique, figé pour les archives.

Alors que je refermais le classeur, un des conseillers du président, assis en retrait jusqu’ici, prit enfin la parole.

"Une question, si vous permettez. Mademoiselle Natali... La cité d’Atlantide a longtemps protégé le Prince Chapi. D’aucuns diraient influencé. Diriez-vous qu’il agit ici librement, ou sous... disons, l’ombre bienveillante d’une autre puissance ?"

Je levai calmement les yeux vers lui. Ma voix fut aussi claire que mon regard était neutre.

"Je ne suis ici qu’en tant qu’accompagnante et témoin de cette signature. Je ne représente pas la cité d’Atlantide, ni ne parle en son nom. Ce que vous voyez ici, c’est la volonté d’un homme. Rien de plus."

Le conseiller se renfonça dans son fauteuil, insatisfait mais incapable d’ajouter quoi que ce soit sans rompre le protocole.

Et autour de cette table glacée, même si les voix s’étaient tues, chacun comprenait qu’un changement venait d’être signé. Littéralement.

La séance se termina sur un dernier échange de regard. Jérémy tendit une nouvelle fois la main au Président Macrin, comme le voulait la coutume après une signature formelle. Macrin répondit à ce geste par obligation, non par respect. Leur poignée de main fut brève, froide, sans un mot ni un sourire. Le regard de Macrin était dur, celui de Jérémy insondable.

Sans attendre, je me remis en mouvement et ouvris la porte pour le guider vers l’ascenseur. Les couloirs étaient vides à cette heure. Seuls les échos lointains des voix étouffées des collaborateurs en retrait rappelaient que l’Élysée ne dormait jamais vraiment.

Une fois dans la cabine, les portes se refermèrent sur nous. Nous étions enfin seuls.

Le silence fut pesant, différent de celui d’à l’aller. Il ne portait plus les nerfs d’une préparation, mais les secousses d’un combat terminé. Un souffle instable m'attira l’attention.

Jérémy s’était adossé contre la paroi métallique, son visage légèrement crispé. Son bras gauche tremblait davantage à présent. Il le saisit de sa main droite, comme pour y contenir la douleur.

D’un pas discret, je me plaçai entre lui et la caméra de surveillance dissimulée dans l’angle supérieur de la cabine. Mes épaules masquèrent sa silhouette, comme un rideau muet entre lui et le regard froid de la machine.

"Comment puis-je vous aider ?" demandai-je d’une voix basse, calme, mais inquiète.

Il eut un léger sourire, douloureux mais sincère.

"Vous ne pouvez rien faire, malheureusement," répondit-il dans un souffle. "Ce n’est qu’un contrecoup. La pression. La fatigue."

De sa poche intérieure, il sortit un petit flacon. Deux, puis trois pilules glissèrent entre ses doigts. Il les avala sans eau.

"Cela temporisera le moment de notre sortie," ajouta-t-il, en fermant brièvement les yeux.

Je restai là, silencieuse, veillant à ce qu’aucun tremblement ne soit capté, aucune faiblesse exposée. Il s’était tenu droit face à un gouvernement entier. Il avait gagné… pour aujourd’hui. Mais ce n’était qu’un début.

Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, le dernier rayon du soleil filtrait encore par les hautes vitres du rez-de-chaussée. Nous longeâmes les couloirs sans croiser personne, jusqu'à la sortie monumentale de l'Élysée. Devant les grandes grilles noires de l'entrée principale, la foule nous attendait.

Des journalistes étaient massés derrière les barrières sécurisées. Des flashs éclatèrent à peine Jérémy apparut. Des cris s'élevèrent, une pluie de questions :

— Prince Chapi ! Quel est le contenu exact de l'accord signé ?

— Est-ce vrai que vous étiez retenu contre votre volonté par la nation d'Atlantide ?

— Est-ce que vous avez l'intention d'imposer votre modèle sur le sol français ?

— Quelle est la nature exacte de votre technologie ? Est-elle vraiment sans danger ?

Jérémy ne répondit pas. Il garda la tête haute, les traits neutres, et se contenta de rejoindre la berline noire qui nous attendait.

Nous montâmes à bord en silence. Les portes se refermèrent, isolant le monde extérieur. Le véhicule démarra aussitôt, quittant les grilles de l'Élysée alors que les derniers rayons du jour teintaient les toits parisiens de reflets cuivrés.

Pendant quelques instants, personne ne parla.

Puis, doucement, je me tournai vers lui.

"Vous avez assuré. Mais... ils vous observent. J'ai ressenti leur hésitation, leur froideur. Ce n'était pas un simple accord, c'était un repli stratégique. Ils préparent quelque chose. Soyez sur vos gardes."

Il hocha lentement la tête, pensif.

"Je sais. Ce n'était pas un oui sincère. C'était un recul provisoire."

Puis, sans prévenir, il sortit son téléphone et composa rapidement un numéro.

"Iris ? C'est moi. Je suis sorti. On peut dire que cela s'est assez bien passé. Comment ça va de ton côté ? Très bien. Alors, nous rentrons tout de suite. Prépare la salle. Je sens que je n'en ai plus pour longtemps. Je t'aime, ma fille. À tout à l'heure."

Je haussai un sourcil à ses derniers mots, avant de glisser calmement :

"Désolée de vous avoir entendu… Que vouliez-vous dire par 'plus pour longtemps' ? Vous n’êtes pas en danger de mort, tout de même ?"

Il eut un léger sourire, presque fataliste.

"Disons qu'une nouvelle technologie va voir le jour bientôt. Tu verras par toi-même, une fois que nous serons rentrés."

Mais ce ton, si joyeux en apparence, était trahi par les tremblements de son bras. Je les observais maintenant sans les masquer.

"Et votre bras ? Cela s’est encore aggravé, je me trompe ?"

Il ne répondit pas tout de suite. Puis, lentement, il releva sa manche. Sous le tissu, les bandages étaient tachés de brun. Du sang séché. Une odeur familière monta, une odeur que je n’avais pas sentie depuis certaines missions trop longues, trop dangereuses. Je choisis de ne pas y penser.

"Je vous rassure. Vous n’êtes pas la cause de l’aggravation. Cela va continuer… c’est comme ça. J’y peux rien. Et j’en ai malheureusement encore besoin, pour l’instant."

Je ne dis rien. Je ne le jugeais pas, même si je ne comprenais toujours pas ce qui provoquait cette lente destruction. Ce bras, il le perdait peu à peu sous mes yeux, et pourtant il continuait, comme si cela faisait partie du prix à payer.

"Nous referons votre bandage une fois dans l’avion," dis-je simplement, avec ce ton professionnel que j'avais depuis toujours, mais auquel j'avais discrètement ajouté une touche d'inquiétude.

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